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Cracher sur la tombe de son grand-père

« Il y a de plus en plus de publicités que je ne comprends pas », me confiait, récemment, un homme de soixante-quinze ans devant la télévision.
La publicité qui le laissait perplexe faisait l’objet d’un reportage au journal télévisé, ce qui était déjà inhabituel. Son réalisateur s’appelait Antoine de Caunes.

Apparemment cela justifiait de grands égards, encore qu’on eût le droit de se demander pourquoi. J’ai dû me livrer à une explication des intentions du réalisateur et de ses producteurs, bref à ce qu’on appelle aujourd’hui un décryptage. Le voici.

Le film présente une scène d’enterrement (catholique, pour autant qu’il m’en souvienne, c’est-à-dire que nous sommes dans la France la plus traditionnelle, la plus bourgeoise, détail qui n’est pas indifférent).

On y voit des adultes et des enfants endimanchés en train de se pencher sur un cercueil verni. Ils jettent des roses dans le trou. Un petit garçon s’approche, prend une rose mais, au lieu de la lancer, crache rageusement sur la tombe. Commentaire en surimpression : « Sept cas de pédophilie sur dix ont lieu dans la famille. »
Le vieux monsieur perplexe n’avait pas ses lunettes. J’ai songé qu’il n’avait pas compris cette publicité parce qu’il n’avait pas lu le sous-titre. Mais en l’interrogeant, je me suis aperçu que cet homme n’imaginait pas un instant que l’on pût infliger à des millions de Français, au nom d’une association de protection de l’enfance, le spectacle d’une haine aussi radicale, aussi inhumaine, dirigée de surcroît de l’enfant vers l’adulte, en une période où les thèmes de l’autorité et du respect agitent tous les plateaux.
Pour attirer l’attention sur le sort de quelques centaines de victimes de l’inceste, les auteurs du film ont donc choisi d’offenser l’imaginaire de millions d’innocents. Innocents au sens évangélique, c’est-à-dire des enfants à qui ces idées-là, sans eux, ne seraient jamais venues à l’esprit. Elles les auraient totalement épargnés si une oligarchie associative, payée pour les leur infliger de force, n’avait pris soin d’éveiller leur conscience en salissant leur âme au nom du bien commun.
A quel monde faut-il appartenir en effet, pour croire qu’un film montrant un enfant crachant sur la tombe de son grand-père possède la moindre vertu sociale ? Ce soir-là, des millions de gens se sont étranglés d’indignation en voyant cette scène à l’heure du dîner en compagnie de leurs propres enfants.
Ce soir-là, des millions d’enfants auront subi le crachat de ce petit garçon comme un viol (le résultat est donc exactement le contraire de celui escompté). Ce soir-là, nous avons vu commettre en direct un attentat public à la pudeur qui a laissé le CSA de marbre et qu’on essaie, en ce moment, de nous faire passer pour un acte de prophylaxie.
Quand il s’agira de remonter aux origines de la suspicion et de la haine qui animent une certaine jeunesse à l'égard du monde adulte, les historiens n’auront pas à chercher bien loin pour retrouver les incendiaires