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Ceux qui ne pensent jamais à l'Au-delà après 70 ans n'ont souvent pensé à rien avant non plus

On connaît e fameux pari de Pascal, ce raisonnement que certains tiennent pour suspect d'étroitesse, et qui consistait à choisir, entre deux hypothèses, la plus avantageuse : croire en Dieu c'était risquer de perdre sa vie à force de vertu inutile, mais c'était avoir une chance de gagner la félicité éternelle.
Ne pas croire en Dieu, c'était jouir des biens terrestres de manière transitoire au mépris de la vertu, mais c'était aussi perdre la vie éternelle

si, par hasard, elle nous était promise. Du temps de Pascal, les méthodes de réanimation étaient rudimentaires, et les occasions de revenir du Royaume des morts peu fréquentes, ce qui rendait le pari courageux. Mais, de nos jours, le courage nécessaire est bien moindre puisque les auteurs du pari peuvent tricher, soulever le coin du voile, altérer les probabilités en faveur de l'éternité. La médecine a permis de déplacer le curseur en direction de l'Invisible.

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"On se demande pourquoi la société rejette aussi radicalement la révélation de ces mondes cachés. Avant de fournir la réponse il faut interroger la question : de quelle société parlons-nous ? La nôtre. La nôtre seule. Celle des pavillons avec garage et piscine, celle où les enfants veulent devenir pilotes de ligne . Or il y a cent ans à peine elle était loin d'être la seule sur la terre ni surtout la principale. Elle était environnée d'autres sociétés où l'on se présentait en sandales devant le royaume de Dieu, au moyen d'une variété de substances et d'expériences que la nôtre s'est arrangée depuis pour interdire. Or pourtant c'est par là que les sociétés qu'on appelle avec dédain traditionnelles parvenaient, depuis des millénaires, à vaincre leur crainte de la mort. Les substances psychédéliques, de l'aveu des centaines de professeurs de médecine, neurologues, psychologues, qui se sont penchés sur la question en cachette, constituent un indéniable tutoiement du monde parallèle . Il éveille l'esprit et permet de mieux connaître le cerveau. Mais des politiciens aussi raffinés que George Bush et Bill Clinton ont décrété que même un congrès scientifique ne saurait légitimer les expériences hors de la réalité. J'entends bien qu'une retraite en milieu monastique, une savante privation de sommeil et de nourriture, une discipline rigoureuse dans la méditation puissent parvenir au même résultat mais l'ivresse mystique à l'hôpital est difficile à atteindre. En tout cas la plupart des gens s'y refusent. Alors qu'ils seraient certainement nombreux à vouloir ouvrir une lucarne sur l'autre monde grâce aux produits que les shamans utilisent depuis dix mille ans pour soulever le coin du voile. En outre ces substances ne peuvent pas être considérées, par les religieux comme les coupe-faim du spirituel puisque c'est justement le contraire: elles aiguisent l'appétit. Si l'on se fie à l'expérience des centaines de volontaires athées qui les ont ingérées, elles réconcilient l'homme avec l'idée de la mort, l'invitent à une indulgence métaphysique envers tout ce qui vit, et introduisent l'idée d'une immanence divine dans les plus petites choses de la vie.

 

Les deux univers où l'on rencontre respectivement l'angoisse la plus grande de mourir, et la plus grande haine envers l'Autre, soit l'hôpital et la prison, devraient être ceux où l'on administre la molécule de l'hyper-conscience à la demande, or personne n'y songe et personne ne le veut. Pourquoi ? Non seulement c'est une bonne question mais sa légitimité ne cesse de croître depuis qu'on pratique la politique inverse à l'hôpital et en prison. Politique que la sagesse populaire, dans son schématisme injuste, appelle "abrutir les gens à coups de médicaments". Face à l'angoisse ultime que l'on éprouve devant la mort et devant le mal, la société technologique n'a en effet rien trouvé de mieux que d'éteindre la conscience, puis la lumière. Par les psychotropes dans la première phase. Par l'euthanasie et la peine de mort dans la deuxième.

 

Compliments. Voilà deux mille ans que nos penseurs réfléchissent au moyen d'allumer partout le feu de l'esprit, mais dans l'âge industriel et technologique, on raffine les moyens de l'éteindre."