Campagnol

Zola à la fourrière de Paris un vendredi matin.

Le drame des gens qui connaissent à la fois des riches et des pauvres, c'est qu'ils doivent se mettre à la place des uns et des autres en permanence. Quand vous faites l'aller-retour entre Paris et votre village dix fois par an vous accompagnez, par exemple, un ami parisien, en voiture, à la fourrière, un vendredi matin , oui parce que normalement il aurait dû prendre le métro pour aller chercher sa voiture enlevée, mais il voulait en profiter pour aller promener son berger allemand au bois de Vincennes. Vous voyez d'ailleurs à ce léger indice que ce monsieur, à qui on a enlevé sa voiture devant un restaurant de luxe un samedi soir, n'est pas n'importe qui, et d'ailleurs sa voiture n'était pas n'importe laquelle. Une audi noire énorme avec un tableau de bord de soucoupe volante et une fille de synthèse qui vous dit que votre portière est mal fermée. Quand vous accompagnez, dis-je ce monsieur qui s'en fiche littéralement, à la fourrière de paris, et qui paye 180euros comme ça d'un coup de carte bleue sans même s'interrompre de vous parler en tapant le code, vous jetez les yeux, gêné, sur le comptoir voisin.
Et là que voyez-vous? Un jeune couple de trente ans qui vient chercher sa propre voiture. Le mari,avec son petit blouson et ses cheveux frisés, vient d'avouer à l'employé qu'il n'avait pas assez d'argent pour payer les 180 euros. Mais leur fille de trois ans les attend à l'hôtel. Il faut absolument récupérer cette voiture pour rentrer à Châteauroux. Et l'employé leur répond : vous pouvez payer par carte bleue. Le mari encore plus gêné dit qu'elle est limitée sa carte, elle a atteint le plafond elle ne passera pas. La jeune femme, une blonde mal coiffée qui a une tête à s'appeler Priscilla tremble littéralement d'angoisse. L'employé insiste et dit Vous avez un distributeur à 100 mètres. Mais le jeune père dit qu'il a atteint le plafond au distributeur aussi. Et là l'employé lui répond que tant pis, qu' il n'a pas que ça à faire, et que la prochaine fois, eh ben c'est simple il faudra faire attention.
Attendez, stop. Faire attention à quoi? A vivre sur la pointe des pieds dans un monde qui n'est plus fait pour vous? A subir la loi et les tarifs votés, décrétés par des élus  qui gagnent dix à 20 mille euros par mois et qui n'ont aucune idée de la façon dont vous vivez ? Oui parce qu'à A Châteauroux on n'enlève pas les voitures pour cinq minutes devant la boulangerie. On reçoit un papillon vert de mise en garde. Tandis qu'à Paris, non seulement c'est rapide, c'est furtif, c'est vicieux, c'est je veux pas le savoir, mais les tarifs sont absurdes, grotesques, des tarifs de parvenus, pratiquement le prix d'un loyer, enfin un loyer de pauvre.  Donc je résume ils ne peuvent pas rester une nuit de plus à l'hôtel, ils avaient à peine assez d'argent pour rentrer à Châteauroux, leurfille est à la garde du réceptionniste, et la mairie ne veut pas le savoir c'est du Victor Hugo, du Zola, tout ce que vous voulez et pourtant c'est la France d'aujourd'hui, celle des socialistes qui jonglent avec les millions des entreprises tout en se moquant de savoir comment les gens de Châteauroux vont rentrer chez eux.