Notre député est un monsieur assez jeune, cravaté, diplomé, qui a eu l'idée saugrenue de louer un château de la loire pour ses quarante ans, et les commentaires n'ont pas été tendres avec lui dans le département, ce qui se comprend car déjà on ne peut pas dire qu'il sorte d'un milieu défavorisé, ni qu'il ait gravi les échelons en défendant les pauvres, c'est même le contraire, dans une société où les pauvres ne votent plus il est bien plus avantageux de flatter les riches.

C'est ce qu'il a fait, du coup il a grimpé tous les échelons en s'appuyant sur ceux qui maltraitent le peuple, donc ça paye mais en même temps le château de la Loire ça allait tellement dans le sens qu'on lui reprochait que ce n'est pas passé dans l'opinion du département. Parmi les griefs que l'on faisait à cet homme là il y en avait de plus subtils que d'autres et là c'est le patron du bar, qui est un observateur des âmes, même s'il n'a pas l'expérience d'un psychiatre ou d'un curé, qui m'a dit ce qu'il fallait en penser. Il m'a dit "tu vois moi des anniversaires, j'en fais tout le temps dans l'arrière salle du café et dans les jardins, et j'en fais depuis trente ans, eh bien il y en a de deux sortes, il y a le type qui organise un truc pour les 80 ans de sa mère ou les 40 ans de son meilleur copain, et puis il y a le type qui invite tout le monde pour ses PROPRES quarante ans, et là crois moi ce n'est pas du tout le même genre de personne. Et là le portrait que le patron du café nous a fait du fameux député n'était pas très tendre évidemment, parce qu'il disait "en général, tous les gens qui invitent, même généreusement, pour leur propre anniversaire sont impossibles avec le restaurateur, alors que ceux qui invitent pour quelqu'un d'autre sont toujours gentils, accommodants, pas trop exigeants". Ensuite il m'a dit" il y a un autre truc, c'est que ceux qui invitent à leur propre gloire ne font pas le plein, c'est rare, il y a toujours des défections de dernière minute, j'ai l'habitude, quand c'est un m'as-tu vu je prévois toujours six personnes en moins, parce que les gens disent "je viendrai" - ils ne peuvent pas faire autrement ils vont pas dire" je viendrai pas je m'en fous de tes quarante ans"- donc c'est toujours après qu' ils disent qu'ils ont un empêchement. Ca veut dire que le type qui invite pour lui-même t'invite à venir flatter son orgueil, à te soumettre, donc il y en a toujours qui refusent de jouer ce jeu de la soumission, c'est normal. Dans le cas de notre député, qui est quand même très prétentieux, je pense qu'il a dû lui manquer même des gens qui avaient dit oui, et je plains le traiteur.
Ce jour là au bar avec nous il y avait Gustave qui a mis son grain de sel. Gustave le libraire en ligne. Lui c'est le château qui l'embêtait, il a dit un gars narcissique qui invite des copains à fêter son propre anniversaire, il loue un château célèbre à la rigueur s'il est concessionnaire Mercedes parce que ça va avec sa clientèle, il vend des voitures chères à des gens qui ont les moyens, donc louer un château de la Loire c'est son monde, c'est même très bien pour son image. Tandis qu'un député en principe ça représente tous les gens y compris ceux qui n'ontpas un radis . Il faut être doublement pignouf d'abord pour organiser soi-même la fête de ses 40 ans, ensuite pour dire que c'est une fête de famille alors qu'il n'y a que les enfants de ta femme, tes parents n'y sont pas, tes frères et soeur n'y sont pas non plus, ensuite pour la donner, cette fête, dans un décor princier. Il paraît qu'il a déclaré aux journaux que ça n'avait pas coûté grand chose et que c'était tout payé à titre privé mais il n'a pas compris que même si on lui avait prêté le château gratuitement un élu ça se place au plus bas de l'échelle pendant son mandat, c'est la moindre des choses, c'est une question de pudeur à l'égard du quart des administrés qui n'ont pas les moyens, un élu doit avoir un côté gandhi ou abbé Pierre, mais là tu peux le retourner dans tous les sens c'est un côté que tu ne verras jamais chez lui parce qu'il n'existe pas.

Un moment j'ai eu l'impression bizarre qu'il parlait de quelqu'un d'autre