Le Figaro & autres
Les gens qui nous accablent avec leur droit à l'image devraient se demander d'abord s'ils sont propriétaires de leur apparence.
Tout le monde a eu une tante Georgette qui cherchait les miroirs en arrivant en visite, filait vers les toilettes pour contrôler sa tenue, et ne supportait pas qu'on la prenne en photo.
Eh bien l'internet a donné aux tantes Georgette une raison supplémentaire d'accabler le corps social pour se venger du Créateur : le droit à l'image. Cette notion juridiquement aussi floue qu'envahissante était naguère invoquée par modestie. Désormais elle l'est principalement par les m'as-tu-vu. Elle donne des ailes à la prétention. Autrefois il s'agissait de timidité, à présent c'est l'expression d'une suffisance, l'affirmation d'un droit, celui de se faire remarquer en se soustrayant au sort commun, d'échapper à la photo même dans la rue, même au parking, même au café. On a vu des mères exiger, au nom du droit à l'image, que leur fils soit retiré d'un film-documentaire tourné dans la cour de l'école. Mais on a vu les mêmes mères accepter le lendemain que la photo du même enfant juché sur un podium paraisse dans le journal local. On a vu des auteurs de blog recevoir des remontrances à domicile pour la publication d'une photo de classe d'après-guerre, laquelle par nature n'a rien d'intime puisqu'on en a tiré quarante le jour même. On a vu des rédacteurs en chef traînés au tribunal par des passants flous qui regardaient la mer derrière Elton John. On a vu l'épiscopat français exiger que soient pilonnés les exemplaires d'un livre dont la couverture montrait, de dos, la ceinture pourpre et la calotte d'un archevêque.
Il serait temps d'expliquer à la tante Georgette, son mari et sa nombreuse descendance, que le droit à l'image ne consiste pas à faire découper son effigie partout où passe un photographe. Parce que l'image que l'on préserve si jalousement, que l'on isole des autres, jusqu'à l'obsession, jusqu'à la folie finit par devenir celle d'un crétin, et celle-là, une fois qu'on l'a acquise, il est difficile de la faire retoucher par un juge.