littérature

Pages inédites

Extraits de Novara Ouest (à paraître)

Le supplice de la baignoire que la littérature française réserve aux écrivains sans fortune m'aura beaucoup fatigué dans ma jeunesse. Il permettait de nourrir l' espoir de se maintenir dans la carrière jusqu'à la saison suivante ; Chaque saison s'achevait sur des tâches de moins en moins nobles, journaliste, traducteur, nègre. Le fait que l'on me promette encore, au seuil de la vieillesse, ce masque à oxygène, me parut une humiliation plutôt qu'un honneur, mais nul ne se résout aisément à l'asphyxie. La veille du jour attendu, dans une chambre de bonne au huitième étage de l'immeuble où vivaient mes parents, je regardai Paris le nez contre la vitre en songeant pourquoi pas ?

La réponse arriva du Danemark. L'éditeur qui avait exigé ma présence à Paris ne s'y trouvait plus. Il avait oublié de me prévenir que l'affaire était cuite. Je me souviens encore d' avoir pensé à la dépense inutile que représentait mon billet de train. il me fallut encore subir l'optimisme de mes proches, de ma famille, et même de mon village jusqu'à l'annonce des résultats. Le jury décerna comme prévu la récompense à quelqu'un d'autre, de surcroît pour un livre cruel, ce qui me fit plus de peine que tout le reste.

Les choses fâcheuses commencèrent juste après. Le président de ma maison me signifia qu' une jeune femme serait ma responsable littéraire et que j'allais quitter le club des auteurs dont il s'occupait en personne. Pendant la même semaine Renaud Camus à qui j'avais ouvert les portes du sérail passa au contraire sous la responsabilité de l' eunuque-chef, pour ainsi dire à ma place. Son journal se mit à fourmiller de notations allègres et courtoises à mon sujet, sans doute afin de dissimuler l'injustice de cette disgrâce, à laquelle il assista, mais qu'il ne put rien faire pour atténuer. Elle lui fut toutefois impossible à ignorer quand la dernière livraison de son journal revint de l'imprimerie puisqu'elle comportait une citation d'un de mes livres. Ou plutôt elle ne la comportait plus : le passage avait été "retiré à la demande de l'éditeur" .  On se demandera ce que contenait cette phrase, j'ai lieu de m'en souvenir : j'y parlais des accusations d'antisémitisme dont la France était accablée par la presse. Je disais à peu près : quand un enfant à kippa est poursuivi, dans une rue de Paris, par de jeunes Arabes portant le foulard palestinien, aux cris de A mort Sharon, peut-on, réellement, parler d'antisémitisme français ?

Quelle que soit la réponse, l' éditeur n'avait pas aimé la question. Il me signifia que sa maison cesserait de me publier le mois suivant.

Au fond de la bâtisse montagnarde où je vivais déjà dans le froid et la solitude, j'accueillis la nouvelle comme l'annonce d'un deuil, et je dus m'habituer à l'incertitude du lendemain. La meilleure méthode était  de vivre comme si chaque jour devait être le premier d'une ère entièrement nouvelle. Je crois aux recommencements, à la rédemption, à la vie éternelle.  Après avoir rédigé, pour vivre, pendant les années McCarthy que connut la France à la fin du XX siècle, une vingtaine de traductions de l'anglais je m'infligeai la honte de passer un test de compétence auprès d'un éditeur spécialisé. L'idée de réclamer une indemnité de chômage ne me vint même pas. En revanche je m'attachai  à tout ce qui prit vers moi le train du hasard. Je relevai dix fois par jour mes courriers électroniques. Au temps du facteur j'aimais déjà les lettres de lecteurs, les cartes qui dont l'en-tête occupait la moitié de l'espace libre, à force de décorations et de titres divers. L'auteur m'écrivait toujours des choses du genre en tant qu'inspecteur général de l'académie de Dijon j'ai aimé votre chronique du 28 mars. Ou Général Raymond Machin ancien commandant en chef etc. Je retrouve encore ces cartes sur mon bureau. Elles me servent de soucoupe pour le café. Peu de femmes mais y a t-il lieu de s'en étonner et surtout dois-je m'en plaindre?   En tout cas l'apparition des courriers électroniques aura réduit au silence toute une partie galonnée de la population pendant qu'une autre découvrait les avantages de l'email et de l'arrosage automatique.

Une circulaire me fut envoyée cet été là par internet. Une bibliothécaire de Namibie cherchait des écrivains assez désoeuvrés pour consentir à faire dix heures d'avion afin de prononcer une conférence au bord du désert .

Camus qui reçut la même invitation ne daigna pas y répondre. Non qu'il réprouvât ces voyages idiots, il rentrait de Corée, invité dans des conditions identiques. Il se trouva seulement que la fille commençait sa lettre par Bonjour et Camus trouvait cela vulgaire . Il y a chez Renaud Camus un côté comte de Chambord. Dieu sait quelles occasions il aura ratées faute d'avoir toléré le moindre commerce avec les gens vulgaires. Quant à moi qui n'ai jamais régné non plus mais qui n'ai pas perdu tout espoir d'y parvenir, le coeur en berne je m'envolai vers Johannesburg, puis vers Windhoek,  où le directeur de l'Institut  m'accueillit en personne .

C'était un jeune homme très vif, très actif, très ironique qui passait la moitié de ses journées à cheval. Il m'inspira l'idée de me porter candidat au même genre d' exil. Son métier consistait à honorer les Bouguereau, les Sully Prudhomme, les Homais de la modernité française sur ordre du ministère des affaires étrangères et devant un public affublé de T-shirts Bob Marley. En attendant je prononçai chez lui une conférence sur Marcel Proust  en anglais car de son propre aveu le niveau de l'auditoire en français était trop faible pour qu'il m'entende autrement.

De retour à Paris, convaincu que j'avais quelques chances d'échapper à la déchéance en feignant pour un temps d'ignorer celle de la France, c'est à dire d'admirer publiquement l'oeuvre de Sartre, Bourdieu, Derrida, Althusser, dans l'un de nos établissements situés en terre étrangère, je réclamai le secours d'une amie qui travaillait auprès du premier ministre, puis je sollicitai explicitement ma nomination à la tête de l'institut de Milan, une ville que je connaissais déjà pour y avoir suivi les traces de Léonard . L'institut se trouvait de surcroît face au couvent Santa Maria delle Grazie, celui de la dernière Cène. Le poste était libre et surtout il m'éloignait à peine de mon village. Par un phénomène très peu miraculeux on me l'offrit.

C'est ainsi que j'empruntai pour la première fois la sortie Novara Ouest de l'autoroute Turin Venise, pour me recueillir, par hasard, devant la cathédrale San Gaudenzio de Novara, à l'instant de m'établir en Italie.

Ce dôme étroit dont les minces colonnes augmentaient les proportions, ce monument modeste qui donnait une émouvante illusion de majesté fut le confident de ma dernière hésitation. Quelques heures avant de rejoindre le poste que j'avais réclamé je fis le voeu devant san Gaudenzio de revenir lui rendre grâce, régulièrement, s'il m'aidait à surmonter l'humiliation qui m'attendait . J'eus souvent l'occasion de tenir ma promesse.

...

La flèche de la cathédrale de San Gaudenzio saluait mon passage avec une sorte d'impassible ironie tandis que je franchissais le dédale de ponts autoroutiers qui précédait le panneau Novara Ouest. Qu'était-il arrivé pour qu'en moins d'un siècle le pays le plus doux de la terre se soit transformé en cette annexe sinistre de la banlieue de Boston avec ses factory outlets, ses camions par milliers, ses pavillons XVIIème perdus entre deux aires d'autoroute, ses fermes monumentales aux fenêtres crevées, aux façades ouvertes, livrées aux graffitis, aux sureaux , aux hordes de corbeaux?

J'achetai un appareil photo pour témoigner de ce désastre, et je m'imaginai pouvoir séduire un éditeur en composant un album où l'on verrait les échangeurs enjamber les clochers. Je parcourus l'Italie à la recherche des usines écrasant un campanile,  des couvents abandonnés, des ex-votos transformés en pigeonniers, des colonnes couchées, des cimetières éventrés, des bosquets enluminés par des millions de sacs en plastique et des étangs où l'on voyait émerger des archipels de pneus et de ferraille.

Mais le premier désastre écologique dont il me fallut témoigner par la photographie fut celui qui affecta la forêt qui jouxtait ma propre maison en France. Edmond, un habitant du village qui se disait mon collègue parce que nous avions fait partie du Conseil, qui avait la bonté de contrôler les lieux en mon absence, m'en décrivit la damnation par téléphone entre deux voyages. Le maquignon qui possédait le terrain voisin avait entrepris de le raser, sous les yeux des habitants, afin d'y construire quelque chose, ce que la loi ne permettait pas, mais en France comme en Italie la loi dans les villages est faite pour être contournée. Quelle que soit la région d'Europe l'attitude de la population devant les auteurs du contournement est d'abord la crainte . Ceux qui prétendent faire bouger les choses au nom du progrès savent toujours menacer, intimider, ridiculiser les partisans de l'immobilisme .

A la crainte s'ajoute un semblant de raison. Diable, on ne peut pas rester dans son coin. Les intellectuels parisiens ont même un mot pour cela, le repli. Pour échapper au soupçon de repli les campagnes modestes se doivent d'accueillir des projets dont elles ne peuvent rien payer elles-mêmes. Les villages voisins, réunis en consortiums, en syndicats tutélaires , sont là pour décider de ce qui est bon pour elles.

Edmond me tint au courant jour après jour par de nombreuses photos, du progrès de cette dévastation forestière et quand je rentrai à Saint Nicolas ce fut pour dresser l'album d'une géographie disparue à ma porte et l'envoyer à mon avocat mais à qui  allait-il se plaindre? Le bûcheron qui avait rasé la parcelle travaillait non seulement pour mon voisin mais pour la direction de l'équipement qui aurait dû l'en empêcher. Le maire était intimidé par le moindre ouvrier agricole qui venait tambouriner à sa porte à une heure du matin. Les vieilles dames haussaient les épaules en disant bien sûr que c'est injuste mais ça a toujours été comme ça et vous ne pourrez rien faire. Ainsi dans le moindre village se manifeste l'effondrement de l'autorité générale, les chefs de bande menacent, dénoncent, envoient leurs femmes faire le siège du secrétariat, remplissent des papiers pour se plaindre aux communautés européennes à propos de tout, le ramassage des ordures ou la cantine scolaire, et quand ils sont mécontents du maire, ils en font élire un autre.

(...)

Après un hiver clément le printemps fut précoce . Je suivis souvent les groupes de jeunes gens qui décollaient du Monte Cornizzolo où Léonard, au quinzième siècle,  lançait déjà contre le vent ses oiseaux de bois.

Une camionnette déposait curieux et pilotes au sommet d'un champ à mille mètres. Nos longs oriflammes de nylon jaune ou bleu frémissaient dans le vent, se tendaient comme des voiles de bateaux au départ d'une régate et nous arrachaient par grappes à la montagne. Dès le décollage nous empruntions la base d'un nuage éblouissant formé au coin du lac de Côme, et nous franchissions les faubourgs de Lecco en direction des sources de l'Adda. Au long de ces longs vols silencieux la pensée de Léonard ne me quitta jamais. Et pendant la semaine quand j'étais assis à mon bureau elle me visitait chaque jour. Je gardais épinglé sur mon mur face au visiteur le griffonnage réalisé pour la couverture du livre de poche où l'on voyait son profil qui se transformait en celui d'un oiseau. Les lieux qu'il avait traversés m'entouraient partout. Son verger se trouvait sous mes fenêtres. Le toit du couvent de Santa Maria, qui abrite la Dernière Cène, brillait à moins de cent mètres et chaque jour je remontais l'avenue qu'il empruntait pour rentrer corte vecchia où l'attendait une maisonnée d'apprentis voleurs, de jeunes arpettes et d'animaux, singes, oiseaux ou hérissons, qu'il élevait dans l'odeur du charbon et de l'huile de lin. Le pas des chevaux et le bruit du canon avaient été remplacés par la rumeur de la modernité automobile souvent couverte par le décollage des Airbus, mais les profils de Milanais au temps de mes promenades dans les rues de  Brera étaient les mêmes qu'au seizième siècle. On reconnaissait partout le nez des apôtres de la Renaissance, la nuque nerveuse, le menton rond et les pommettes saillantes des femmes de Lombardie.

Hélas! rapporter la physionomie d'un être humain à sa région d'origine est devenu hérétique et Camus a subi l'inquisition des magazines pour s'être étonné qu'on attribuât le titre de Miss Pays de Loire à une Martiniquaise. Proust eût pourtant écrit la même chose. N'a t-il pas constamment rêvé des rapports entre les lieux et l'histoire en examinant les physionomies qui l'entouraient? En Italie malgré des siècles de tohu-bohu génétique on reconnaît partout sur les visages et  dans les silhouettes l'empreinte de la géographie, on suppute le pourcentage d'origines autrichiennes, espagnoles, mauresques. Cet exercice peut être étendu à l'Europe et au-delà.  Pendant les nombreux mois que j'ai passés à Budapest il me suffisait de traverser la foule pour arpenter le continent  entier.

L'idée si moderne d'un métissage généralisé me faisait déjà frémir comme une obligation funeste issue de quelque futur pouvoir orwellien. Le type physique d'un individu entretient un rapport étroit avec l'attirance ou la répulsion qu'il inspire. Or les idéologues du brassage génétique, ceux qui prédisent l'avènement futur d'une société universellement mélangée font litière de toutes les différences en prétendant bizarrement défendre ce qu'ils appellent la diversité. Ce mot malade, ce mot qui clignotait dans tous les documents que nous recevions des officines parisiennes de la culture, doit être lu à l'envers comme chez Orwell.

(...)

Sur l'échelle des nuances sémantiques qui affligent la vie publique française,  classé à droite est moins grave que marqué à droite mais je fus successivement les deux .

(...)

La passivité de nos contemporains à l'égard de la cruauté et de la violence m'aura inspiré en pure perte de nombreuses réflexions publiques. La défaite de l'humanisme m'a toujours semblé parallèle à l'avènement récent d'un capitalisme affranchi de toute référence à la morale chrétienne, c'est à dire indécent,  darwinien où les pauvres n'ont qu'à tuer s'ils ne veulent pas être mangés. La plupart du temps mes réflexions sur cette question ne m'auront valu que le soupçon de fascisme. Quand je me penchais vers quelque personnalité politique sur un plateau de télévision pour lui demander comment on pouvait tolérer l'importation et la vente de jeux vidéo où des enfants de treize ans étaient invités à contraindre des femmes à la prostitution, à exterminer des civils, la réaction aura toujours été de me prendre, moi, pour un ennemi de la liberté.  Depuis cinquante ans ceux qui se disent ses amis nous préparent une Saint Barthélémy. Le peuple est fasciné par ses prédateurs. Il préfère toujours blâmer ceux qui sonnent le tocsin. A douze ans déjà dans la cour de l'école, je haïssais ceux qui rackettaient, molestaient, racontaient des supplices chinois aux plus faibles pour leur infliger des cauchemars. Lecteur clandestin, compulsif j'ai chipé mille romans policiers pour les lire sous mes draps avec l'aide d'une lampe de poche, la série Harry Dickson qui garnissait les étagères de nos voisins, et les scènes qu'ils contenaient, décapitations, éventrations, etc m'eussent dégoûté de la lecture si le Grand Meaulnes ne leur avait  succédé. J'ai dérivé vers Julien Green et Marcel Proust assez naturellement, j'entends par une propension naturelle à aimer et à comprendre mon prochain, j'ai vécu auprès des faibles, des vieux, des malades, j'ai passé des après-midis entiers à scruter le coin du bâtiment voisin à travers une fenêtre d'hôpital pendant qu'un proche agonisait et demandait un peu d'eau. Je remontais le drap. Je frémissais devant ces mains pâles. Je me sentais perclus de compassion. Alors l'autre humanité, qui se confondait pour moi avec l'image honnie de la jeunesse qui lisait SAS, celle qui rompait avec les codes sociaux m'a toujours paru s'éloigner vers un gouffre fumant. L'éruption du volcan est désormais imminente. A dix sept ans mon voisin de classe me racontait les horreurs d' Orange mécanique avec une complaisance de cinglé. Il est devenu un tycoon de la publicité à Londres, il est couvert de femmes, il a quintuplé sa fortune et il aime toujours les films où l'on découpe son prochain. Pendant les mêmes années la modernité occidentale se sera jetée comme lui dans la gueule du Minotaure, son imaginaire a tourné infâme comme eût dit Céline, la marge a envahi le cahier, la torture, la mutilation, la menace, l'extorsion sont devenus un genre littéraire, la fiction au cinéma n'est plus qu'une usine à suspense, un creuset de terreur .

Le terme de cette évolution fut atteint à la fin du XXème siècle où les télévisions de tout le monde développé présentaient deux fois par semaine des fictions de médecine légale, et où l'imaginaire occidental tournait autour du serial killer comme celui du XIXème se donnait le frisson de la luxure en lisant les mémoires de Casanova. Ainsi la référence à la brutalité, au sang versé, est-elle devenue le sommet du chic en Europe et, par opportunisme commercial, l'art qu'on appelle contemporain s'en est saisi pour rester trendy.

Extrait du journal 2003


Amboise, 30 octobre
Le conservateur d’Amboise, M. Sureau. Accueil courtois, une bague d’améthyste au petit doigt, cou mince, discours précis. Au mur la tête du comte de Paris, qui avait l’air d’un aigle et qui fut un moineau.
En sortant de la conservation B me suit dans la cour-esplanade qui domine la Loire, nous nous écartons d’un groupe de visiteurs. Visite du château pratiquement désert.

Léonard respirait plus librement dans ce pays, c’était une sorte d’Amérique pour un italien de l’époque, une terre immensément vierge et une nature majestueuse, en dépit des brumes de la Loire qui rappellent celles de Milan et du Tessin.
Au fait, ressemblance entre le cours de la loire et celui du Tessin. Au bout de l’île d’or (vérifier l’usage de ce nom au seizième siècle), la chapelle saint jean, bâtiment martyrisé par l’histoire, prisonnier des terrains de foot et des courts de tennis.
Visite du Clos Lucé, avec un léger côté jardin d’acclimatation, un personnel nonchalant, une crêperie dans le jardin . J’entends parler de cet endroit depuis l’adolescence. La famille Saint B qui possède ce bâtiment depuis longtemps à la suite de je ne sais quelles vicissitudes historiques, revient curieusement de loin en loin dans mon champ de vision depuis vingt cinq ans. J’ai connu un frère fantasque et drôle, au collège, à Paris . J’ai téléphoné il y a quinze jours à l’aîné qui dirige une sorte de fondation . Il m’a paru fort occupé. Et G, le journaliste écrivain, autour d’une demi-douzaine d’ouvrages de circonstance et de deux ou trois livres plus sérieux . Il m’a téléphoné au mois de juin curieux et peut-être inquiet de voir que je m’intéressais à Léonard pour un roman car il veut lui-même traiter le sujet. Je lui ai répondu que lorsque deux peintres peignaient un Saint Jean Baptiste ou la mort de Socrate, l’un ne vole pas le sujet de l’autre, et que Léonard appartenait à tout le monde. Visiblement peu convaincu, il m’a rappelé en juillet pour tâcher d’en savoir davantage et m’a dit que j’étais en avance sur lui, ce qui laisse entendre qu’il nous croit alignés pour une course. Je serai publié un an après lui s’il tient ses propres délais mais je connais assez ses livres pour savoir qu’aucune confusion n’est possible. M’a tout de même réclamé de différer ma parution afin que nous ne nous partagions pas le marché l’an prochain. Curieuse vision de la littérature. B lit en ce moment mon pamphlet sur les enfants mal élevés . Après une visite hâtive ( consacrée pour l’essentiel à découvrir les points de vue des différentes parties du bâtiment) je tombe sur l’entrée du trop fameux souterrain, par lequel il est inimaginable que François Premier ou quiconque du château d’Amboise ait visité le manoir du Cloux, trop éloigné. En revanche je crois volontiers qu’il menait à une cave toute simple comme nombre d’habitations de la région. En tout cas, ce boyau qui rétrécit dès l’entrée est très effrayant pour les claustrophobes, moi en particulier et mon modèle sans aucun doute.
Insister sur l’omniprésence des escaliers en spirale qui l’effraient aussi pour cause de naissance difficile. Voir si l’escalier de l’entrée qui mène à la galerie a été ajouré depuis cette époque. Son étroitesse dans le cas contraire serait pour lui et moi un cauchemar.
Léonard a raté sa fête italienne au Cloux. A soixante six ans il invite chez lui la cour de France dont la moyenne d’âge doit être de vingt-deux. On imagine assez bien que tout ce monde-là pouffait de rire dans le taffetas, la soie rêche et la guipure. Eternel malentendu. Sauf que mon Léonard s’en aperçoit.
Réseau de canaux, en contrebas. Restes d’une petite industrie, d’une fabrique au bord de l’eau. Roue à aubes. Eau sale, feuilles mortes, délabrement général, à l’exception d’un bâtiment blanc qui sert sans doute à des banquets, et qui comporte, pendu au plafond, un grand oiseau de bois et de corde : la maquette grandeur nature de la première machine volante, absurde, impossible à manœuvrer même au sol.
B traîne la jambe avec le sourire. A l’hôtel au milieu de l’après-midi dans les hauteurs de la ville en bordure de la zone industrielle. Dîner face au château, salle ridiculement décorée de bleu et d’orange.

31 octobre
Grotesque décoration de Halloween dans la salle du petit déjeuner de cet hôtel pour représentants de commerce. Il faut imaginer la réunion des responsables marketing du groupe hôtelier Accor, dans une salle toute blanche, chacun portant son petit cartable de chevalier servile. « On va faire une animation Halloween , ça s’inscrit dans le plan marketing de l’année ». Résultat, à portée d’arbalète du siège de la royauté, une salle décorée de citrouilles en plastique qui accueille douze crétins habillés de costumes gris moirés et d’une cravate kaki, en route pour aller vendre des photocopieuses à des industriels de la région.
A moi Léonard.
Une heure après nous descendons dans les profondeurs des carrières de tuffaut qui ont servi à la construction du donjon de Loches. Carrières à flanc de falaise qui sont devenues cachots et dont l’étroitesse, la profondeur, l’odeur de craie humide sont un cauchemar. Léonard s’il s’est fait décrire les conditions de la mort de Sforza et s’il a entendu dire que Ludovic captif peignait une fresque n’a pu s’empêcher de venir la voir à l’occasion d’un passage à Romorantin. Le thème de l’escalier hélicoïdal qui rappelle le mouvement de torsion du nouveau né pendant l’accouchement. Essentiel, ce mouvement ascendant et tournoyant où l’on craint de rester coincé. Source de tous les cauchemars claustrophobes . Quand j’étais enfant c’était le mien, le principal, le seul, le seul récurrent en tout cas, je grimpais dans un donjon hélicoïdal et la torsion de mon corps ne suffisait plus à épouser celle de la pierre, je me retrouvais enroulé autour de l’axe, incapable de monter ni descendre. Autre panique du même genre éprouvée dans un barrage américain, le Hoover Dam près de Las Vegas, dont les galeries d’aération menaient au bord de l’immense toboggan de béton, au creux de la paroi parabolique. Considérable contraste entre cet espace immense et les frayeurs endurées pour l’atteindre. Image même de la naissance ou de la mort. C’est l’idée même du cauchemar final de léonard.
Lugubre visite des appartements de Louis XI déserts. Damnation du pouvoir qui mène à toutes les cruautés à tous les fantasmes. Les fameuses cages de La Ballue, qui ne sont pas si étroites. Un condensé de philosophie, un cube de philosophie. Il s’agit de s’interroger sur la souffrance et la liberté d’autrui. Un viol permanent. Les fameuses salles de torture, idem. On pose indéfiniment la question qu’est-ce qu’un homme, où est le souffle qui l’anime, où s’en va t-il, où se dissipe t-il après ? qu’y a t-il derrière la porte de la souffrance, de la folie et de la mort ?
Dans ces dispositions d’esprit, je tombe à l’heure du déjeuner avec B sur une autre imbécillité américanolâtre en plein Romorantin. Devant le réseau de canaux entre le pont et l’écluse , à l’endroit même où Léonard voulait dresser devant la sauldre quelque équivalent de Chambord dont nous n’avons qu’une esquisse , la brasserie Belle Epoque . A droite les échos d’une fête foraine en préparation. Le personnel est déguisé  en sorciers et sorcières, des outils du genre faux pendent au mur, des araignées, tout le macabre d’Halloween arrivé par container des Etats Unis . Le sigle Bud, pour Budweiser, leur fournisseur de bière, orne le moindre accessoire macabre en plastique fabriqué dans le Minnesota.
Il faudra que quelque chose, un jour, nous délivre de ces gens.

Saint Nicolas 4 novembre
Hier reçu à la radio pour un entretien d’une heure avec Olivier Germain Thomas. Pour une fois le loisir ne m’a pas manqué d’expliquer mon propos en général et celui de mes enfants sans foi ni loi en particulier. Mon hôte avait l’air convaincu et les gens qui se sont précipités pendant l’émission sur mon site internet, à en juger par le nombre des pages consultées d’après mon mouchard logiciel, témoignent que quelque chose est en train de changer.
Les jeunes gens qui vont se coucher à contrecoeur, qu’on n’arrive pas à tirer du lit, qui déplorent la sélection à l’école, qui sont insolents avec leurs professeurs et ne montrent aucune ardeur à la tâche, passent désormais une heure par jour éperdus d’admiration pour douze de leurs homologues qui se font botter les fesses du matin au soir à la télévision .
A propos de télévision, FOG me prie de venir deviser avec le ministre de la culture et une poignée de gens dont je connais la plupart, sauf celui qui prétend me détester et qui ne m’a jamais adressé la parole. C’est une sorte de dadais hirsute en chaussures de basket, rôde dans les couloirs du figaro depuis huit ou dix ans. Au fil des années il est devenu rédacteur en chef « idées », ce qui consiste non seulement à interroger ceux qui les conçoivent, mais à prévenir ou à surveiller l’apparition de celles qui lui paraissent importunes. Quand elles éclosent il convient de ne point les laisser entre les mains de ceux qui les ont fait naître et de les dénaturer d’une façon ou d’une autre. Et si même ce dernier stratagème a échoué, il faut désigner les trois personnes, toujours les mêmes, qui ont le droit de les exprimer – voire parfois même au nom du journal, alors que le journal précisément a tenté de retenir la vérité importune pendant dix-huit mois.
C’est en années qu’il faudrait compter lorsqu’on parle du Figaro. Depuis la publication de La bête sous l’escalier, depuis l’article consacré aux enfants-loups dans Valeurs Actuelles, il s’est écoulé près de quatre ans, j’ai présenté à Bollaert le dossier complet de la barbarie ordinaire et rien. A présent le dossier s’est alourdi, le gouvernement a changé. La télévision m’invite à en parler. Je parie que le journal, par le biais de Joseph, va inviter les trois obligatoires ( Finkielkraut, Elizabeth Lévy, etc) à discourir de cette question à ma place.
Mais bizarrement je compte sur les mânes de mon inspiratrice, Mme Mouton, pour me faire justice car c’est aussi lui faire justice. Les morts disposent d’armes secrètes que nous ne connaissons pas pour faire advenir le réel et confondre les imposteurs. On ne peut pas dire que de son vivant, cette dame en ait disposé. Je crois qu’elle va se venger en assurant le destin de ce petit livre qu’elle aurait tant aimé voir.
Camus au téléphone plusieurs fois cette semaine. Apparemment mon discours ne le laisse pas indifférent, il se réjouit de la vigueur vengeresse de mes propos sur les imbéciles historiques. Voilà une race dont il a trop souffert, et j’emploie le mot race à dessein, c’est celui que les salauds lui ont renvoyé à la figure en feignant d’ignorer ce qu’il signifiait. Il aurait dû parler d’engeance.
Je rôde autour du commencement de mon livre sur Léonard, je m’étais promis d’écrire les premières phrases en profitant de l’apparition de la neige, c’est fait ce matin la neige est là et mon cahier reste blanc. Aucun défaut d’inspiration, les choses se précipitent plutôt et j’ai le livre au bord des lèvres pour ainsi dire, mais depuis deux semaines j’ai plutôt fait une salle de bains. Loué une camionnette pour aller chercher une baignoire à l’ancienne – à Nîmes. A Montpeller, j’ai pris livraison de l’armoire Louis XIII de Michel que j’avais confiée en vain à l’excellent Maître Billy, lequel m’a paru bien fatigué par sa maladie mais d’un courage souriant et presque gai. Sa femme lucide et calme. C’est incroyable comme les gens bien élevés savent être spartiates devant la mort.
La salle de bains est prête, il ne manque plus que l’eau ; Léonard ne m’eût pas blâmé de cette diversion qu’à mon avis il pratiquait sans cesse. Les croquis techniques et les représentations de canalisations venaient toujours le consoler de sa crainte de commencer ou de sa terreur de finir.
Hier matin, j’ai bavardé avec l’ancien instituteur du village, M. Chareyron, qui fume beaucoup mais qui est un honnête homme. J’en connais plusieurs qui ne mettent pas leurs poumons en danger mais qui sont nuisibles au reste de l’espèce.
Importance à donner jusqu’au ressassement, dans le discours de Léonard, aux fâcheux effets de la calomnie. Certaines natures l’attirent . La mienne en fait partie. J’ai entendu dire que E de M la pratiquait sur moi. Je crois qu’il ne m’a invité à écrire autrefoisai dans son journal que pour accrocher un obligé  de plus à son tableau de chasse. Mais sur moi l’épingle n’a pas pris, il ne m’a pas accroché dans la vitrine, je n’ai été ni ingrat ni d’une reconnaissance excessive. Pour tout dire je crois qu’il entendait être traité par moi en pair, en écrivain, en créateur, et je l’ai insuffisamment flatté dans l’idée qu’il avait de lui-même.

10 novembre
Avant l’émission de télévision lu le pavé de Plenel sur sa découverte du monde. Il essaye de conjurer la haine de l’autre, soit. Mais il s’efforce aussi d’obliger les gens à abandonner toute résistance, à baisser leur garde, en des temps où pourtant tout indique qu’il faudra résister aux influences et aux menaces pour rester soi-même. En ce sens et au nom de l’amitié entre les peuples, il accentue le désastre.
Son propos est assez grotesque : il va « interroger » l’itinéraire de Christophe Colomb au sujet du monde d’aujourd’hui pour prôner l’absence de barrières, de frontières ethniques entre les peuples , il nous parle de l’imagination globale du monde mais il ne s’aperçoit pas que la frénésie de découverte des navigateurs et des marchands était avant tout l’expression d’une névrose, qui s’est étendue aujourd’hui à notre cinquième du monde, et qui fait que les adolescents ne conçoivent plus le bonheur à leur porte.
Avec ça une tête de blaireau triste à l’œil plissé d’une froide malice . Il ne m’est plus sympathique du tout depuis qu’il a invité Sollers et Lévy à fusiller Camus par contumace à la télévision. Deux écrivains s’entretiennent d’un troisième (qui n’est pas là), pour dire qu’il n’a aucun talent, qu’il est « médiocre pire que médiocre ». Union des écrivains à Moscou en 36 . Se garder à jamais de ces gens-là.
Léonard sauve Salaï de la prostitution à l’âge de dix ans. Il le dresse à s’estimer davantage et à ménager son corps et sa vertu. A quinze le garçon lui en veut d’avoir été traité chastement par lui et le martyrise jusqu’à ce qu’il consente à sceller autre chose et par d’autres moyens. En d’autres termes ils couchent ensemble. Après quoi, il lui reprochera de lui avoir cédé.
Salaï frôle les gouffres de la perversion et maintient entrouvertes les portes d’un monde souterrain dans le dos de Léonard, lequel fait souvent mention de sa position singulière perdu entre deux univers, celui des choses éthérées, platoniciennes, des passions lointaines et nobles de l’esprit, et celui des laideurs par lesquelles les hommes se complaisent dans la négation de leur nature divine. Salaï ne peut se passer du voisinage des cieux et lui ne peut renoncer totalement à la perversion de ses récits, de ses relations, de ce monde de tentations qu’il fréquente chaque nuit.
Léonard se fait du souci pour lui en permanence et le voit exposé aux périls. Il le voit assassiné par ces hommes animés des plus viles passions et qui « offensent la nature dans ce qu’elle a de plus noble et jouissent de l’effroi et de la douleur de ceux qu’ils tiennent à leur merci ».
(Très conscient d’appartenir au moins dans ses pires moments à l’espèce de ceux qui jouissent de l’effroi d’autrui – faire mention de ses dispositifs scéniques par lesquels il possède ses hôtes en provoquant leur terreur. Monstres et mécanismes.)
Cette passion d’explorer sans cesse la diversité physique, corollaire obligatoire : se fait présenter des hommes montés comme des ânes non pour en jouir mais pour collectionner les curiosités, les difformités et les mesures. Précise bien à Francesco Melzi qu’il devra conserver ces cahiers-là. Fait mention d’une paire de cahiers à couverture de cuir épais et double qui contient la description verbale et les mesures de tous les prodiges rencontrés au cours de ses dissections. Lui ordonne de détruire tous les dessins qu’il n’a pas détruits lui-même.
A compter de la période milanaise, pratique uniquement une sexualité campagarde, si non sono contadini non posso . Le jeune paysan ne connaît ni le péché ni la médisance.

Paris, 20 novembre

Une série d’entretiens télévisés sur mes Enfants sans foi ni loi commence par une heure et demie d’enregistrement au milieu du caviar de la gauche, le rédacteur en chef du monde, l’ancien du Nouvel observateur, un agité qui raconte sa révolution au théâtre, et Joseph MS, qui dirige les pages idées du Figaro.
Ce dernier visiblement ébloui d’être là, et soucieux de ne point déplaire à ses voisins à mon sujet. Curieusement la discussion tourne vite en ma faveur, grâce à un hommage appuyé de FOG . Je comprends mal le fonctionnement de cet homme, il m’accuse de n’être pas connu alors qu’il n’aurait tenu qu’à lui, et depuis fort longtemps, que je le fusse davantage. Au temps de Jean Edern Hallier déjà il me promettait de me confier quelque éditorial en prétendant que j’étais plus mesuré que notre Don Quichotte, ce qui n’était pas, il faut l’avouer, trop difficile. Je me souviens qu’il m’a invité à parler de Salinger un matin sur une radio. Il m’a flatté toujours et partout et de mille manières mais toujours en privé sans me donner rien à faire. Léonard (mon Léonard) a subi cela souvent il me semble. Ludovico Sforza cherchait partout quelqu’un qui fût susceptible de sculpter la statue équestre de son père et adressait lettre sur lettre à Laurent le magnifique, alors que Léonard habitait chez lui depuis deux ans.
Alain Peyrefitte à qui j’ai expliqué naguère que je voulais écrire dans son journal m’a répondu par une commande d’éditorial dans la minute, c’était il y a deux ans, j’en ai livré une vingtaine et il est mort très vite. Aucune commande depuis, Joseph MS a fermé la porte, il a même donné un tour de clé.
Tout s’est passé hier comme s’il voulait s’excuser d’avoir donné le tour de clé. Un geste machinal en somme. J’ai feint de le croire.
Agression de Plenel sur le plateau, sur le thème : vous prônez la construction des enfants par le recueillement, c’est ainsi qu’on les invite à la haine de l’autre . Il a parlé de petits blancs, avec une aigreur où il est difficile de ne pas percevoir l’amertume d’avoir contracté la tête de l’emploi, à force de sourire à tout le monde sans desserrer les dents. Discours confus, déroulant une pensée-slogan. Mais surtout, désir artificiel et récurrent d’en découdre à titre préventif. Paranoïa profonde. Faute d’avoir pu choisir ses interlocuteurs il les menace, les somme de le laisser parler alors qu’ils ne songent nullement à l’interrompre. Le jeu de scène vient à la rescousse , la pauvreté du discours semble l’exiger, c’est une méthode très XXIIème congrès. Me reproche d’avoir plu au critique de l’Humanité. Me reproche tout, en vérité. Me reproche principalement de s’être planté lui-même depuis trente ans et d’avoir contribué comme son copain-conjuré l’ancien Premier ministre Jospin ( de sinistre et d’épouvantable mémoire quand on songe à ce qui nous attend) d’avoir conduit le pays au bord du désastre. Il sent que ses jours sont comptés, on dirait Ceaucescu au pied de l’hélicoptère, le pilote a trahi, il se retrouve face à ceux qui le flattaient naguère et qui veulent le tuer avant qu’il ne parle.
Cette impression m’est revenue à la lecture des témoignages de haine dont débordait, ma boîte email (au seul sujet de Plenel). Pour ma part je n’ai reçu que des compliments d’être resté debout sous l’outrage. L’internet condense l’opinion dès que la température change . Pendant la diffusion de l’émission, cinq cents visites et trente lettres. Le lendemain, idem.
Nombreuses coupures, censures en vérité, dans l’émission ci-dessus comme dans celle où m’a convié  B de la Villardière. Dans le dernier cas l’émasculation du programme atteint des proportions qui devraient faire l’objet d’une étude séparée. Le producteur, que j’ai rencontré avant l’enregistrement, est une espèce de tapir qui n’a cure de ce que l’on raconte sous les projecteurs. L’essentiel est de garder son gâteau et ses points de retraite. Moralité, sur les sujets révoltants, puisque c’est le titre de l’émission (Ca me révolte), il évacue toute intervention qui ne dit pas ce que l’on veut entendre.
Proportion de coupures : 70% à première vue. A ce compte-là c’est de la censure . Dans le reportage une idiote blonde, visiblement divorcée, montre ses trois garçons en train de jouer à des jeux vidéo immondes. Le plus jeune a quatre ans. elle commente ses aptitudes à la kalachnikov d’un air flatté. Ses deux autres enfants saignent un homme à terre avec une machette s’acharnent sur sa tête qui n’est plus qu’une bouillie sanglante et ricanent. La mère rit aussi à l’arrière plan, d’un air gêné.
A la diffusion la scène la plus sanglante a été supprimée. Le commentaire que j’en faisais a sauté. J’ai l’air, comme les autres participants, de n’avoir été outragé en rien par l’attitude de cette idiote. Et pourtant je l’ai été . On a maintenu l’expression de son idiotie sans ma réaction, ce qui revient à m’y faire souscrire par ma passivité. Je donne à ceux qui regardent l’impression de n’avoir rien éprouvé devant pareil spectacle .
Camus vient d’être victime des mêmes déboires avec un escogriffe dont l’histoire ne retiendra sans doute pas qu’il s’appelait Ardisson.
Hier je retrouve Camus navré de cet entretien télévisé où son interrogateur s’est montré ignorant et pressé. Mais par bonheur, me dit-il Elizabeth Lévy l’a expressément lavé de tout soupçon d’antisémitisme en quelques phrases de mise au point liminaire. Or les quelques phrases ont sauté au montage, et Camus hier balbutiait d’incrédulité dans sa chambrette étroite du Front de Seine. J’ai publié dans Valeurs un couplet vengeur que voici : Elizabeth Lévy, auteur des Maîtres Censeurs, préfère les vérités qu’elle observe à celles qu’on lui recommande. Lors d’une émission d’Ardisson sur Paris Première, à l’instant d’interroger l’écrivain Renaud Camus, elle a tenu à préciser qu’à son avis, il ne méritait nullement d’être soupçonné d’antisémitisme. Cette précision liminaire a sauté au montage. C’est un peu comme si la grâce du duc d’Enghien avait servi à cirer les bottes du peloton. L’histoire s’en serait souvenue, nous nous en souviendrons.
Déferlement de témoignages de satisfaction sur Internet à propos de l’émission d’hier. Un exemple
je vous écris pour vous féliciter pour votre intervention à l'émission littéraire "cultures et dépendances".
Il est si rare d'entendre dans le cirque cathodique quelqu'un évoquer la réalité du quotidien de cette France de la majorité silentieuse, que les tartuffes qui nous servent d'intellectuels n'évoquent que pour stigmatiser sa frilosité et son conservatisme, voire sa tendance fascisante, cette "france moisie" qui fait
honte à la Rive Gauche. Cette élite gâtée soixantehuitarde qui continue de se draper dans les habits confortables de la "rebel-attitude" alors qu'elle rassemble tous les nouveaux patriciens. Du sommet de leurs tours d'ivoires idéologiques, nos nouveaux pharisiens ne cessent de s'abrutir dans la vénération d'un "droit de l'hommisme" et d'une démocratie égalitaire. Mais toutes leurs gesticulations ne sont que des rites vides de tous sens, mais nécessaire pour masquer leurs propres contradictions et la perte de sens de leurs existences. Mircéa Eliade avait déjà évoqué cet effacement du sacré et la difficulté à donner du sens à son existence dans nos sociétés contemporaines. Ils ont donc une énorme responsabilité dans la perte de repères de la jeunesse actuelle. Observer le comportement du jeune public d'une rave est on-ne-peut plus instructif: musique, dogues et danse sont autant d'éléments rituels mais dont l'objectif n'est pas d'accéder à une quelconque révélation ou renaissance symbolique ou encore à une régénération du monde. Non, il s'agit de s'abrutir un maximum pour fuir. Ce qui guette notre jeunesse, c'est le nihilisme. Nos très chers penseurs gauchistes n'ont fait que Ber tous les repères sur lesquelles notre société a été bâtie, pour construire les bases d'un nouveau totalitarisme. Au déterminisme génétique des nazis, ils substituent un déterminisme de genre tout aussi dangeureux. vous n'existez plus en tant qu'individu
mais en tant que membre d'une minorité avec sa sous-culture imposée: après le rayon culturel gay au virgin, à quand celui de la culture "cité" ou "feministe"? Nous nous retrouvons enfermé dans des rôles sociaux imposés.Mais attention, si vous critiquez cette dérive, on vous range aussitôt dans la catégorie des frileux, des fascistes, on vous assoie de force à la droite de Jean-Marie Le Pen!
Des interventions comme la vôtre ou celle d'Alain Finkelkraut m'ont rassuré: non, je ne suis pas seul à être troublé par l'absence de vrais repères proposés à notre jeunesse, non je ne suis pas le seul à être troublé par la substitution de symboles à de vrais débats et réformes sur des questions de fond.Je ne suis pas un vieux vichyste nostalgique mais un "jeune" de trente ans, fils d'un modeste immigré italien qui a tout fait pour me donner les clés nécessaire pour accéder à la Culture et au Savoir et faire de moi un adulte: un individu libre penseur, maître de ses choix et responsable de ses actes.
Je vais de ce pas me plonger dans vos livres.


Un assistant parlementaire vibrionnant me réclame un papier pour son journal confidentiel, j’envoie ceci. Je l’envoie aussi à MS par l’email de Bollaert au Figaro afin de savoir si comme l’affirme JMS; je participe encore à la discussion publique dans ce journal, ou s’il m’y a interdit de séjour par le mensonge et par l’intrigue

La morale de la fable
Depuis la révolution française l’Occident répand une notion purement matérielle de l’égalité, basée sur le principe de la péréquation (je prends à Pierre pour donner à Paul mais je ne vérifie jamais que Paul soit devenu meilleur ni plus sage). Parallèlement, notre système prône la contestation, la revendication systématique, toujours au nom de la péréquation entre Pierre et Paul . On en connaît les thèmes : le pouvoir vous endort , il profite de vous, les hommes politiques ne songent qu’à s’enrichir à vos dépens etc . Les tentatives que l’on observe en ce moment pour récupérer la pensée « réactionnaire » comme s’il s’agissait d’une mode vestimentaire ne peuvent tromper personne : depuis 1968 les libéraux, en vaccinant de la sorte leurs enfants contre l’autorité, ont exposé le corps social à une infection généralisée. Les jeunes esprits se méfient du pouvoir avant de s’y être heurtés. Pour la plupart ils ne s’y heurtent jamais. Ils n’auront connu depuis trente ans que des vérités relatives. Ils auront subi le doute permanent qui est source d'inconfort, sans avoir jamais bénéficié des certitudes, des hiérarchies qui s'imposent à l'enfance (et notamment à la prime enfance) depuis des millénaires .
A présent, ces certitudes qu'on leur a volées dès l’âge de cinq ans, ces barrières qu'on a fait disparaître, ces préséances qui n’ont plus cours, ce respect qui s’est perdu, les enfants les exigent, les rétablissent, les exaltent avec la vigueur inquiétante de l’instinct. Ils réinventent les hiérarchies par la violence, ils cherchent à se rassembler, à se reconstruire par l'appartenance à une bande, à un groupe, à une fraternité quelconque - la définition de cette dernière passant par l'affrontement avec une fraternité rivale, donc par le défi , donc par la guerre.
On mesure combien il est ici question de politique. On mesure aussi combien il est question de politique internationale . Des individus aux nations, il n’y a qu’une différence d’échelle.
Que nous reprochent en ce moment ceux qui prétendent exciter, à nos portes, la colère de l'Islam ? D'avoir failli à notre tâche en tant que pères, parrains, soutiens de ceux que nous prétendions élever. Communistes brejnéviens, libéraux américains, démocrates-chrétiens, socialistes européens, nous avons défini un modèle humaniste que nous n'avons ni incarné, ni suivi. Nous avons laissé travestir la vertu dans nos familles, dans nos écrits, dans nos productions audiovisuelles. Nous ne l'avons ni pratiquée, ni imposée par nos actes. Nous avons bâti un monde où il est plus urgent de se faire remarquer que de devenir remarquable. Notre notion matérielle de l'égalité a toujours prévalu sur celle qui donne un statut aux pauvres, aux vieux et aux malades. Or une partie de l’humanité ne pourra jamais être tirée de la misère. Ni rajeunie. Ni guérie. Qu’avons-nous prévu pour préserver sa dignité ? Rien. Nous avons envoyé les enfants des banlieues aux sports d'hiver . Nous avons multiplié les structures et les associations. Mais notre société est si loin de l’essentiel que même les milliardaires s’y sentent parfois humiliés.
Ben Laden a sillonné la planète en jet pendant la moitié de son existence . Nous savons qu’il a fréquenté nos palaces internationaux, nos casinos et nos cinémas. Alors que lui manquait-il ? La même chose qu'au caïd de banlieue dont les parents ont un bon salaire : la morale de la fable.

On essaie, en ce moment, de nous forcer à lire et à commenter le livre d’un chevau-léger de la garde socialiste en déroute, Lindenberg. Il y est question des « nouveaux réactionnaires » car la gauche amorce en ce moment une sorte d’examen de conscience assez tiède sur le thème : « n’avons-nous pas été trop loin dans la permissivité ? »
Comme toujours le dispositif médiatique se resserre afin d’ asseoir l’illusion que ceux qui ont commis les plus graves erreurs sont les seuls à pouvoir et à devoir les interpréter. Leurs adversaires sont disqualifiés par nature pour le faire. On se croirait en Chine dans les années 60, il s’agit de lancer des campagnes d’autocritique afin que le commentaire de vos actions ne soit jamais laissé à vos opposants et reste sous votre contrôle. Camus m’apprend que je suis cité dans le livre dont il est question, pour mes considérations sur l’égalité parues chez Bertrand il y a deux ans.

J’ai appelé Bertrand hier pour lui demander si à son avis je devais rencontrer Marine Le Pen en public, il a fait preuve d’indépendance contrairement à la moitié de mes relations et d’ailleurs de ma famille, et de confiance à mon égard en me répondant à peu près : je sais que vous saurez rester vous-même, allez-y.
Ca se passe mardi sur la chaîne LCI où je viens d’enregistrer trois minutes en compagnie du fameux E de M qui semblait fort gêné de me voir. Je me souviens à présent de la cause de cette gêne : il m’a consacré trente lignes dans les colonnes du Figaro Magazine il y a quelques années, je lui envoie une carte de visite pour le remercier de ce « petit coup de projecteur », le mot « petit » déplaît aussitôt à ce crétin paranoïaque, il répand à travers le cercle de ses amis une légende selon laquelle je me serais plaint de l’étroitesse de son enthousiasme à mon sujet.
Immédiatement je lui envoie un autre mot pour l’avertir de cette légende injuste et je lui propose de lui adresser le double de ma carte car je consigne tous mes envois dans mon ordinateur (ce qui est un mensonge, mais peu importe). Confusion du bonhomme. Depuis six ans, plus une ligne. A la vente annuelle des livres du Figaro il rase les lamB dorés dans un vieux pull over et ne tourne jamais les yeux vers moi. Le reste est banal mais j’ai quelque difficulté à tolérer ce pull-over. Que ce soit Ms ou lui, dans cette circonstance où deux cents invités sont pour la plupart cravatés, où la solennité des lieux exigerait quelque effort de toilette, on les voit rôder leurs quarante ans comme encore voûtés par le poids du cartable, avec la dégaine de l’adolescent de bonne famille, chandail mou, blue-jean, chaussures de basket. Pignouferie de ceux qui se croient simples et qui infligent leur exception vestimentaire au nom de la simplicité à deux cents personnes (qui ont eu , quant à elles, la véritable simplicité, la simplicité instinctive, de s’habiller pour sortir).

Nouvelle idée de titre, issue d’un jeu de mots que Léonard aimait lui-même et qui sonne très bien en français. Lion – ardo , le lion entouré de flammes, le lion ardent.
LE
LION
ARDENT
J’arrive dans la zone de rapides avant la première phrase qui sera quelque chose du genre :

Grâce aux nouveaux verres que Francesco a fait venir de Murano par son père, je vois enfin les étoiles dont la neige est formée . La neige tombait souvent dans mon enfance. Une certaine année, dans la campagne derrière chez mon grand père en un lieu nommé l’Acuto elle atteignit presque la hauteur du jarret d’un cheval. Lorsque j’ai eu l’âge et l’esprit de l’observer, elle a cessé de tomber à Fiesole et à Florence. Quand je fus à Milan je la vis souvent . Dans mes promenades sous les glaciers où l’ Adda prend sa source, je la contemplai même tout à loisir. Mais elle ressemblait à du sel et ne montrait pas cette beauté géométrique.
Les étoiles ont six branches . Chaque extrémité des six branches veut s’unir à ses voisines en poussant un rejet vers elle selon un angle unique . Si l’on applique chaque figure ainsi décrite à une figure semblable qui lui serait jointe par tous ses côtés, on obtient la grille des nids d’abeille dont les alvéoles possèdent elles aussi, six côtés chacune et s’assemblent pareillement . L’araignée applique la même géométrie et les mêmes proportions en tissant sa toile. Les fortifications du château de Milan sont de forme semblable et comme leur construction dura plus d’un siècl,e au bout d’un temps si long nul ne peut dire qui en fut l’architecte. Les plans ne furent point tracés davantage que ceux du logis des abeilles ou de l’araignée . Les gens de guerre quand ils construisent leurs forteresses obéissent aux mêmes instincts que les insectes. Le plan de la création les gouverne t-il, eux aussi à leur insu ?
Où est Francesco ? Où est Salaïno ? Je n’ai aucun souvenir de ce qui s’est passé avant que nous manquions d’être emportés sous un rocher en forme de corne . Un amas de neige a fait un grand vacarme et enseveli les autres voyageurs .
Mes membres sont gelés. Mon esprit ne possède plus la même clarté qu’hier . Mon bras droit semble frappé d’immobilité. Mais nous sommes saufs. Les mules sont là. Mes portraits n’ont pas quitté le dessus de nos caisses. Je demanderai à Francesco d’examiner la couture des peaux qui les protègent. Le froid qui m’engourdit m’empêche de lever la tête et de voir le visage de qui me caresse le front.
Est-ce toi Salaïno ? Tu ne voulais pas nous suivre. Tu ne nous a pas suivis . Comment est-tu là ? J’entends l’éclat de notre dispute à San Lorenzo. Tu devenais fou. Ta colère accumulée se déchaînait comme un orage de septembre, tu m’as reproché mon entêtement et mon orgueil . Tu balançais entre le voyage en France et le séjour à Milan . Tu m’as reproché de franchir les Alpes en cet endroit dont tu avais peur et où j’allais laisser la vie. Tu as peut-être raison je vais peut-être y laisser la vie. Si tu m’avais accompagné je n’eusse jamais exposé la tienne. Ta présence m’eût sauvé.

Quant à moi je viens de commencer mon livre par inadvertance et nous sommes le 24 novembre .
Salaï n’était pas du voyage en France, du moins pendant les dix-huit premiers mois mais il importe peu puisque Léonard au moment de mourir l’a auprès de lui et que la confusion s’installe dans son esprit entre la mort à Amboise et la mort fantasmée dans la neige .

26 novembre
Notes en vrac

Thème récurrent de l’homme mystérieux, du contadino qui passe au bord de l’eau, parfois et surtout sur la rive opposée ( Vallée de l’Adda, Amboise, l’Arno, les rives du lac de Côme. L’éternel passant, l’éternel étranger, perdu, englouti dans l’anonymat de la création comme le lézard ou l’oiseau.

Foules de Florence ou de Milan les jours de fête : étonnement identique de voir surgir des visages qu’on ne voit jamais et qu’on ne verra jamais plus.

Le Très Haut est dans le haut mais il est dans le bas aussi.

Fable du peintre qui cherche à représenter un oiseau dans toutes ses couleurs et à imiter la nature afin que l’oiseau lui-même s’y trompe et croie voir sur la toile son semblable . L’oiseau indifférent ne reconnaît point son semblable , alors que le renard abusé se jette sur le tableau pour dévorer ce qu’il croit être un oiseau. Ainsi la convoitise est-elle source de toutes les illusions. Ainsi sommes-nous les seuls à savoir qui nous sommes et à ne point nous reconnaître entièrement dans notre reflet.

A propos de Salaï : « s’il était possible d’apprendre à dessiner quand on ne possède aucune inclination pour le dessin, il serait possible aux hommes qui ont un penchant pour leur sexe d’apprendre à aimer les femmes.

Accusation de Salaï : tu cherches à gagner la faveur générale en faisant des prodiges au lieu de faire ton travail.

Lorenzo di Credi : il perdait un temps considérable à dessiner des festons et des motifs d’orfèvrerie sur ses architectures, comme si cette tâche d’atelier le délivrait des épuisantes exigences de l’art.

L’esprit libre fait l’objet de toutes les manœuvres. De toutes parts on lui réclame allégeance. On exige qu’il abjure en faveur du veau d’or. S’il s’y refuse on le soumet à la crainte de la disgrâce puis du châtiment dans sa chair même.
Le soupçon d’hérésie suit l’artiste comme un chien affamé. Si nul ne peut suspecter le génie d’un peintre on suspectera sa piété.

« J’usais d’un petit tambour pour rappeler mes perroquets ».

27 novembre
Relevé des notes figurant sur mes dessins.
Certaines notes font déjà allusion à des idées dont j’ai perdu la clé mais je les relève quand même.

Noblesse de la mort du supplicié . Elle résiste à toutes les humiliations préalables.
Ah si je me souviens, il s’agit de reprendre l’idée contenue dans ce passage de la lettre à Raymond :

Le pitoyable acharnement des bourreaux est un
aveu d'impuissance. Il signifie l'inverse de ce
qu'il prétend démontrer.
En somme la dégradation de l'homme par
l'homme au moyen de la torture est aussi peu
inscrite dans les lois de la nature que le regard
d'amitié que t'inspire ta jument. Les deux
phénomènes revêtent le même sens: il s'agit
de répondre à la question " Qu'est-ce qu'un
homme? " Les deux attitudes y apportent à leur
insu la même réponse: l'homme est un produit
aberrant de l'histoire naturelle. Son comporte-
ment n'est plus conforme aux seules lois du
determinisme animal. Il faut qu'il y ait autre
chose.
Le tortionnaire et saint François d'Assise (per-
sonnage très aimable et doux, nous dit l'histoire
et sur qui les oiseaux venaient se poser) portent
témoignage de la même origine, de la même
exigence~ mais pas de la même façon.
L un par le refus d'y répondre (si explicite que
c'est un aveu car l'exigence que le ciel lui impose
a forcément été reconnue: pour découper un
adversaire en morceaux il faut avoir quelque
chose à prouver jusqu'au délire). L'autre, saint François d'Assise, par l'acceptation totale de son
statut, qu'il situait instinctivement entre l'oiseau
et le bon Dieu.
J’ ajoute ici à propos de Léonard : désir permanent du désastre général, pour noyer (et laver) la part cruelle, anti-naturelle du comportement humain. Même obsession quand il est question de la ville desservie par de nombreux canaux d’évacuation. La nature comme dérivatif aux cruelles passions humaines, y compris et surtout dans les dangers qu’elle représente.

>Ne pas oublier de traiter le thème du boutiquier qui attend sa clientèle comme une araignée (fable).

Cruauté et violence considérées comme la peste . On ne peut blâmer ceux qui en sont atteints mais il faut s’en garder toujours.

Mention de la machine à dessiner, mention des problèmes importantissimes de latéralisation, contrôle de l’équilibre et de la symétrie des visages dans un miroir.

Ma nature gauchère.


Paris 1er décembre
Séjour parisien bref pour enregistrer l’entretien sur LCI et signer quelques livres à l’hôtel de Ville.
A l’entrée des salles d’apparat de l’hôtel de ville, Patrice de Carolis claque des talons , baise la main de Monique et prodigue à nos suivants la même attention automatique . Tauriac souriant et délicieux comme d’habitude, Amouroux très fatigué, Arthur Conte dévasté par l’âge. Volkoff sémillant et joyeux me compare à Taillandier, visite de Pierre Jean Rémy un peu bizarre. Témoignages de sympathie nombreux mais je regrette la dernière vente où j’avais rencontré Sophie Chauveau et parlé de Filippo Lippi. Il faudra que je lui demande si Filippino n’aurait pas, par hasard, fricoté d’un peu près avec un Léonard quinquagénaire. Très belle figure de Filippino, l’autoportrait qu’il a glissé au milieu d’une certaine fresque, beauté hautaine, visage moins émacié que celui de Lorenzo di Credi lèvre plus masculine.
Après la vente des livres sous les lamB, j’emmène B et Monique comme de coutume au petit cocktail où le Maire de Paris s’adresse aux présents sans quitter sa chaise. Il est visiblement mal remis du coup de poignard qui a failli l’envoyer ad patres au nom de l’islamisme anti-homosexuel. Curieusement personne ou presque, depuis cette tentative d’assassinat, ne consent à s’aviser que ce genre d’actes et ce genre de motifs nous seront bientôt aussi familiers que les bombes anarchistes dans l’europe de 1900 .
Dans la salle Besson affecte de ne pas m’avoir vu. Quelques minutes plus tard il dérive vers le buffet dans ma direction pour m’obliger à aviser sa présence, ne voulant lui-même, à aucun prix, s’aviser de la mienne. C’est le plus intelligent qui cède. Je lui tends la main et je m’en vais, après quatre secondes d’hésitation résiduelle où j’ai toujours l’illusion qu’il saura montrer en société le centième de l’agilité mentale qui caractérise ses écrits. Illusion perpétuellement déçue. Dans la vie sociale c’est surtout l’agilité affective qui compte, soit une forme de jugement qui ne passe pas par l’intelligence et Patrick en est dépourvu.
Nous avons dû échanger moins de trente phrases en trente ans. Il a confié à SM que depuis la funeste période des éditions du Seuil, qui fut d’ailleurs plus funeste pour moi que pour lui comme en témoignent nos fortunes respectives, il ne supportait pas qu’on m’ait cité tant de fois en exemple pour la qualité de mes phrases. N’aime pas mon côté composition française. Il ne lui suffit pas d’avoir brigué et obtenu tous les honneurs de ce métier, il n’aime pas ceux qui le pratiquent en artisans soigneux.
Vu Sorin qui semble intéressé par mon journal d’écriture et les dessins qui l’accompagnent. Patrick a eu des mots très durs envers lui je ne sais plus quand ni où ni même à propos de quoi mais le monde des lettres est effrayant puisque les voilà côte à côte sans qu’il y paraisse et de surcroît désormais placés dans la même maison, la mienne.
G Saint B. Il est allé proposer au Rocher quelque chose sur la Loire et Léonard. On lui a répondu que je faisais déjà chez eux un album illustré sur le même thème. Bertrand lui aurait donc affirmé que j’étais déjà sous contrat pour ces lignes, alors que son attitude envers moi a été bien plus dilatoire. Oublié de féliciter G pour son prix littéraire mais aurait-il été dupe de mes compliments ? Pas plus sans doute qu’il ne le fut de cette récompense. La maison Grasset se fiche du monde depuis trop longtemps.
Silhouette étroite de G Saint B dans son long manteau noir descendant l’escalier d’apparat de l’Hôtel de Ville. Sa solitude m’a frappé. Un soir pareil, je l’aurais imaginé entouré de ces jeunes femmes qu’il appelle des collaboratrices. Je l’aurais vu quitter ce cocktail en compagnie de cinq ou six personnes au moins, mais c’est moi qui étais entouré, et lui qui descendait seul.
Je prends des photos de Monique et B, ce dernier magnifique comme toujours, posant devant le profil qu’il m’a livré pour la couverture de l’Eloge de l’âge. La photogénie de B est un mystère dont je compte m’inspirer pour le Salaïno de Léonard. L’attrait qu’exercent certains êtres sur le regard des autres dépend moins de leur beauté que d’une espèce d’adéquation générale de leurs traits au contexte, à leur personnalité, à leur milieu naturel, à leur comportement aussi. Sous l’œil du photographe B ressemble à un cerf en train de boire, au moment où il relève la tête.

3 décembre
Les premières neiges annoncées à Saint Nicolas. Je suis toujours bloqué ici. Débat avec Marine Le Pen et ce malheureux Cohn Bendit, prestation qui m’a paru féconde en ce qu’elle a su ménager une neutralité d’artiste entre deux personnages trop évidemment politiques. Marine Le Pen bien moins aguerrie qu’on ne le prétend. Tout le monde dit « attention elle est redoutable parce qu’elle a l’air inoffensive et polie ». Pour ma part je l’ai trouvée inoffensive et polie mais pas du tout redoutable. Ce qu’il faut redouter, ce sont les gens qui vont vers elle, leurs exigences, auxquelles peut-être elle se conformera. Ou non, après tout. On ne sais pas de qui il s’agit vraiment. J’ai regardé la bande chez B d’un œil critique, pas mécontent tout de même. Lorsque je ne souris pas, et lorsque je baisse la tête, j’ai l’air de Victor Hugo assis sur une planche à clous. A part quoi tout s’est passé le plus heureusement du monde.
Départ de mon frère et de ma belle sœur pour Singapour. J’ai retrouvé pendant quatre heures le rez-de-chaussée obscur que Jean Christophe a conservé depuis le déménagement de la famille et pour lequel il paie encore un loyer dérisoire. Longtemps garde-meubles, aujourd’hui vague pied à terre, cette pièce de douze mètres carrés à l’entresol, sans lumière, sans intimité ( les voisins ont le cervelet branché sur la bande FM) m’offre l’occasion d’un pèlerinage vertigineux. J’ai passé entre ces murs le moment le plus déplaisant de ma vie, aujourd’hui j’ai éprouvé que toute patience n’aura pas été vaine. J’ai consolé celui que j’ai été comme si je l’étais encore et comme s’il souffrait encore à l’autre bout de l’existence. Thème fécond qu’il me faudra reprendre avec il Lionardo, ce vertige est le vrai sujet du livre, cette coexistence des moments d’une vie, cette vision du temps comme tableau, comme dispositif scénique, comme théâtre de la vérité et de l’illusion.
Ce matin conférence, devant deux cents cinquante directeurs d’agence, au siège des Banques Populaires où j’ai poussé le chariot du courier à la même époque, soit 1976. Décidément la providence est fertile en indices ces temps-ci. Quand on revient ainsi sur ses pas, c’est qu’il y a quelque chose à comprendre. Je commence à deviner.
Quelques phrases qui m’émeuvent aux larmes dans les carnets de Léonard. Celles où il exerce sa plume en marge de ses écrits en répétant dis-moi, dis-moi si, dis-moi si jamais. Relevé par Bramly dans sa biographie. Cette intimité de l’auto-tutoiement, celle du dernier cercle, du saint des saints, celle de la morale individuelle, prodigieuse. Je n’en abuserai pas mais elle est nécessaire en maints endroits du livre.

La remise en cause de l’ordre établi intervient dans l’éducation d’un enfant bien avant qu’il ait éprouvé son existence. Il est vacciné contre l’ordre au même âge que contre la variole ou la coqueluche . Il n’a que très rarement l’occasion de s’y heurter : résultat, la première résistance qu’il rencontre est celle de l’uniforme. La philosophie générale qui s’exprime dans les feuilletons de télévision, les livres pour enfants, le discours pédagogique, le cinéma et le café théâtre, c’est que l’autorité est ridicule et illégitime avant même de s’être manifestée. Elle l’est, en quelque sorte, par définition, c’est un vice de naissance, c’est une excroissance inutile et dangereuse du comportement humain. Comme l’appendice il faut l’enlever, sans quoi c’est l’infection. Le fait même d’affirmer quelque chose, de prétendre transmettre à un enfant autre chose que des savoirs (c’est à dire un savoir en miettes, privé de cette solennité ex cathedra qu’il possédait avant 68), est devenu hors la loi. Le fait de se prendre pour quelqu’un , d’offrir une interprétation du monde, un portrait du monde, une lecture du monde, entraîne le soupçon de paranoïa ( et dieu sait que l’écrivain par nature y est exposé). Le fait de vouloir se définir par le lieu ou l’on est né, la région où l’on vit (au moins dans le premier âge) est désormais une offense à ceux qui n’y sont pas nés, à ceux qui n’y vivent pas. Il vaut mieux appartenir à la planète entière et fêter Halloween de Hong Kong à Karachi, que de se recueillir à Romorantin le jour de la toussaint.

Ce qui s’infecte jusqu’à la violence, c’est l’appendice absent, c’est absence d’autorité dans la pensée, dans le comportement, dans la vie familiale et sociale. Car les enfants ne parviennent à se dessiner, à tracer d’eux-mêmes un portrait acceptable, que si les gens autour d’eux sont définis, que si la parole est ferme, les contours des parents et des maîtres tracés. A une parole ferme, à un contour tracé ils peuvent se heurter. Ils peuvent raffermir leur parole en disant non et tracer leurs propres contours autrement. Mais ils ne le peuvent pas si la mode est de remplacer la peinture par un « travail sur les formes et les couleurs », si le maître s’asseoit auprès d’eux, si l’écrivain et le philosophe déclarent qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent, si le politique admet qu’il est avant tout le jouet des circonstances. L’enfant en construction a horreur des sables mouvants, or toute la culture de l’après 68 est bâtie sur la négation de ce qui faisait avancer nos pères : la soif d’absolu. La culture obligatoire aujourd’hui n’a soif que de relatif. En imposant le dogme du relatif, du mouvant, de l’instable, du cosmopolitisme obligatoire, du gavage d’informations contradictoires, les pédagogues et les détenteurs du discours depuis trente ans ont interdit aux enfants les plus fragiles, les plus perméables au milieu, de se construire une identité d’après un moule. Ils ont cassé le moule à chaque tentative. Résultat, l’enfant en crise, s’il ne se retourne pas contre lui-même, cherche les contours d’un moule quelconque, de plus en plus violemment et de plus en plus loin. Il se heurte aux murs de sa cité, puis aux barrières de classe, puis à l’autorité de l’état.

Les politiques parlent de respect des lois de la république, mais c’est un nom collé à des lois plus éternelles et qui sont celles de l’humanité. On nous parle de citoyens, je parle d’hommes. Et le premier des droits d’un homme est celui d’être civilisé c’est à dire d’acquérir assez de conscience pour ne pas devenir un animal enragé. Il faut permettre aux enfants de devenir des êtres calmes et conscients et ne pas les égarer dans la forêt du savoir avant l’âge de raison. Sans quoi c’est en bande qu’ils en sortiront et la matraque à la main .
Le caractère ultraprévisible des acteurs de la comédie médiatique a quelque chose d’effrayant. Le fait d’avoir dit à Marine Le Pen que son mouvement était comparable à l’islam radical qui en appelle à revenir aux règles les plus draconiennes, m’a valu une récompense dans les heures qui ont suivi. Les réseaux fonctionnent à merveille. Ardisson dont j’ai accablé publiquement la méthode et le recours permanent à la censure au montage m’invite à subir le même sort dans son émission. J’irai certainement, pour ne pas encourir le reproche de m’être défilé, mais je n’ai aucune illusion quant à l’honnêteté du système.
Retour au village pour quatre jours. Les cîmes ne sont pas trop enneigées, il me semble que nous allons vers le même froid sibérien (au sens propre) que l’an passé, et que les mêmes mensonges sont diffusés par la télévision sur l’enneignement abondant pour ne pas compromettre les réservations. Si on est capable de mentir à la moitié du pays sur la hauteur de la neige (l’autre moitié voit bien dans son jardin ce qui est tombé ou non) on peut mentir sur n’importe quel autre sujet dans les mêmes invraisemblables proportions.
La neige est très présente dans le Léonard, ne serait-ce que parce qu’il croit mourir enseveli et qu’il a froid, à cause de son attaque cérébrale. Trois visions cohabitent dans son esprit : la mort sous l’avalanche, la mort dans un refuge où on l’a conduit après l’avalanche, la mort à la cour du roi de France qui garde un côté mythique puisqu’il a encore du mal à croire qu’il ait jamais pu atteindre les bords de la Loire. Paradoxe temporel fécond. Surtout ne pas commencer à écrire avant d’avoir accordé tous les instruments. Dans un livre ce n’est pas le temps qui manque le plus, c’est l’intuition du sculpteur. C’est celle là qu’il faut nourrir avant d’attaquer, il faut la raffiner, la caresser, la flatter, c’est l’intelligence instinctive de l’artiste, elle consiste à marcher le nez au vent tandis que le cerveau suppute sujets et proportions .
Evidemment, le vulgum a quelque difficulté à comprendre que nous soyons payés pour garder le nez au vent pendant deux mois, mais d’abord il n’imagine pas combien peu nous sommes payés, ensuite il ne se figure pas combien cela nous coûte.
J’ai retrouvé tout à l’heure la réponse d’une extraordinaire lâcheté que GO Chateaureynaud m’a faite il y a deux ans quand je luttais pour faire reconnaître le métier et les dépenses spécifiques de l’écrivain par les services des impôts.
Du coup j’ai cherché la lettre que je lui avais adressée moi même, la voici.

Cher G-O Châteaureynaud

Je profite de l’envoi par votre secrétariat d’une circulaire pour attirer votre attention sur une injustice devant laquelle la SGDL ne me semble pas très courageuse. On peut même dire qu’elle fait preuve de lâcheté lorsqu’un auteur se mêle de vouloir obtenir le droit de déduire ses dépenses professionnelles de son revenu.
Elle n’est visiblement jamais là pour définir fiscalement le métier d’écrivain, ni pour en opposer la définition aux services du fisc. L’auteur est seul à devoir expliquer aux contrôleurs la nature particulière de sa profession qui exige parfois de passer une semaine à l’étranger mais à qui la puissance publique ne consent aucune déduction alors même que la parution du livre témoigne du rapport évident entre le voyage et l’œuvre.
J’ai vainement tenté d’intéresser vos services à un cas de ce genre ( le mien, pour un livre qui se déroulait au Danemark et qui s’achevait à Prague au XVIème siècle, mais à propos duquel l’inspecteur des impôts ne consent pas à reconnaître que mes voyages dans les deux pays, en dépit des nombreuses lettres et démarches locales, revêtent le caractère exclusif de dépense professionnelle). Le Nouvel Observateur lors d’une enquête récente sur l’argent des auteurs, m’a permis de souligner cette injustice.
J’aimerais porter devant le tribunal administratif une contestation d’impôt qui concerne neuf mille francs seulement, et pour laquelle mon avocate elle-même me dit de baisser les bras, non que j’aie tort me dit-elle, mais parce que le jeu n’en vaut pas la chandelle.
Pour faire comprendre à la puissance publique que le métier d’écrivain mérite une confiance minimale, et que l’artiste est libre de définir lui-même, dans une enveloppe raisonnable, ce qu’exige sa curiosité en matière de dépenses déductibles, je serais heureux que les services juridiques de la SGDL consentent à me soutenir dans ce combat.

L e sort de la somme litigieuse m’importe peu. En revanche, il m’importe énormément que la Ministresse de la Culture reçoive une lettre de remontrances sur ce thème . Je vais m’arranger pour qu’une question écrite soit déposée sur le bureau de l’assemblée. Merci de bien vouloir de me dire quelle forme peut prendre l’action de la SGDL.

C. Combaz

Réponse du Président de la Société des Gens de Lettres

Je comprends votre irritation devant l’attitude tatillonne ou peu compréhensive de tel ou tel employé du fisc. Qui n’a jamais été confronté à de telles contrariétés ?

Cela dit, les responsabilités incitent à la diplomatie et je me vois mal adresser une « lettre de remontrances » à Mme la Ministre de la Culture. Je crois que ce serait de très mauvaise politique et contraire aux intérêts des auteurs que la Société des Gens de Lettres entend représenter.

Avec mes confraternelles salutations etc

Pauvre type.

8 Décembre
Rassemblement de notes éparses, certaines griffonnées sur des serviettes en papier, des coins de nappe.

Le fils de patricien romain qui ne regarde jamais les oiseaux, sauf quand il les vise de son arbalète, et le cas des deux Allemands du belvédère dont le comportement à l’égard de Léonard confine au chantage, à l’intimidation. Montrer cet aigrissement du marchandage psychologique entre la vieillesse et la jeunesse. Quand le prestige de l’aînesse ne suffit plus, quand il devient même une source de haine, tout devient possible, toutes les perversions de l’ordre social, la première étant l’ivresse de pouvoir chez les jeunes gens.


Tristesse de Léonard devant la simplicité des jugements artistiques de sa mère Caterina et rappel de tous les cas où il a dû faire preuve de patience devant la niaiserie de ceux qui fonctionnent dans le seul ordre du j’aime j’aime pas.

Thème importantissime de la tentation de la mondanité au sens biblique : l’artiste qui possède des chevaux et des maisons est-il un défroqué ?

Evocation de l’abus sexuel des enfants dans ses rapports avec l’autorité. Léonard établit un lien entre la fraternité sans hiérarchie qui règne dans certains ateliers florentins et le fait d’abuser des jeunes modèles.
Dans un système où le caractère du maître est affirmé, où la familiarité est moins grande, le point de combustion est plus élevé.

Lien entre la qualité de l’apprentissage et la distance par rapport au maître. L’apprentissage comme expérience amoureuse, le désir de la connaissance comme désir tout court.

12 décembre

Passé l’après midi avec B aux studios de la Plaine Saint Denis pour l’enregistrement de cette trop fameuse émission, tout le monde en parle. Dès l’arrivée, un nom me frappe sur la porte de la loge voisine : Joey Starr. Il s’agit d’un métis violent qui fait carrière dans la haine, qui passe trois mois en prison chaque année et qui chante dans un groupe nommé Nique ta mère ce qui ne l’empêche pas d’être honoré par radios et télévisions. La production a choisi pour moi les jeux du cirque, mais je n’ai aucune vocation à jouer les Sainte Blandine . Je le prouve, ma foi, assez bien. Le navigateur Olivier de Kersauson me soutient avec un placide courage mais il n’en a pas besoin car personne ne songerait à l’attaquer, lui, pour son goût de la fermeté, de la discipline et de la force d’âme, il est trop honoré dans le pays. La lâcheté de mes adversaires n’ira point contre l’opinion générale à son sujet. Tandis que moi, qui suis un inconnu, un étranger au club, il s’agit de m’infliger une épreuve initiatique, et d’inviter la meute à se déchaîner doublement contre moi, puisqu’on ne peut pas toucher à l’autre. Il suffit d’une blessure et l’odeur du sang fait le reste. Malheureusement le public derrière sa télévision n’est pas sensible à l’odeur. Il ne voit que ces animaux en bande au bord du marigot de la célébrité et il a pitié de moi. Il me l’écrit depuis trois jours de manière touchante et opiniâtre. Le génie du hasard fait que le spectateur moyen a pu s’identifier pleinement au sort absurde qui m’était fait : rembarré par une sorte de yéti en survêtement bleu roi qui répète « pour moi chuis désolé mais c’est de la merde ce que tu dis » , ensuite accusé de racisme, de lepénisme par un cinéaste de la gauche bourgeoise qui prétendait me juger sur pièces mais qui, dès qu’on le ramenait au livre, prétendait n’avoir pas besoin de le lire pour se faire une opinion.
Quelque chose m’incite à penser que cette apparition, au cours de laquelle j’ai été malmené mais pas humilié, parce que j’étais là sans orgueil, et que ça se voyait, finira par me servir au delà de mes espérances. Même charcutée au montage, un tour de piste comme celui–ci ne pourra jamais me nuire .
L’image donnée par mes adversaires était telle que j’aurais pu en dire deux fois moins sans cesser de susciter la sympathie. J’ai reçu des lettres de lecteurs qui promettaient d’offrir mon livre plusieurs fois à leurs amis pour manifester leur « vote » en ma faveur.
Le site internet ne désemplit pas. Camus me consacre quelques paragraphes intelligents dans le sien, les voici.

Vîtes-vous la mise à mort de mon ami Combaz, hier soir, chez l'inévitable Ardisson ? Mise à mort ou tentative de, car la victime s'est débattue comme un beau diable, avec plus de vivacité et de répartie que je n'en eusse témoignées à sa place : que je n'en ai témoignées, plutôt, puisque j'étais passé quinze jours plus tôt par la même épreuve, avec moins de violence toutefois. Les lecteurs réguliers de ces éditoriaux connaissent l'histoire et mes mésaventures, je m'en suis ouvert à eux précédemment, par le biais d'un entretien avec Marc du Saune. Je m'en étais ouvert également à Combaz, qui deux semaines de suite en fit une partie de la matière de ses chroniques de télévision, dans Valeurs actuelles. J'ai reproduit sur mon site personnel, parmi les "pièces" de l'interminable "affaire", le plus récent de ses billets, titré "La noblesse du direct". J'ai peine à croire que cet article-là ou son prédécesseur n'aient pas été pour quelque chose dans l'invitation faite à Combaz : invitation à être mis en pièces, sous l'œil des caméras et les applaudissements du public.
Les gens vous disent : oui mais pourquoi y allez-vous, puisque vous savez bien que ça ne peut pas se passer autrement ? Ils ne songent pas que c'est cela ou rien, pour un livre ou pour des idées : la résignation totale à n'exister pas, et à ne rien changer à rien, ou bien ces promesses de supplice.
Le rituel est à présent très au point - tellement au point qu'il n'est même plus besoin pour lui de dissimuler ce qu'il est, un rituel de la mise à mort. Au contraire, il s'affiche en tant que tel : c'est excellent pour le taux d'écoute. Parmi les autres invités, un ou plusieurs n'ont d'autre fonction, très manifestement, que de porter les meilleurs coups de poignard. Même s'ils l'ignorent, ils n'ont pas d'autre raison d'être là. "On va parler de votre single, dit Ardisson à Joey Starr. - Quel single ? répond celui-ci, un peu distrait : il y a longtemps qu'j'ai pas sorti d'single…". Peut-être ne sait-il pas encore qu'en fait, s'il est là, c'est sans rapport aucun avec son "actualité", comme je crois qu'on dit, mais uniquement parce que l'on compte sur lui pour tuer. On a raison. Il s'acquittera de cette tâche avec sobriété. "Moi j'ai pas de temps à perdre, dit-il : on voit tout de suite que c'est de la merde". Ainsi seront jugés Combaz et son ouvrage, par cette bouche d'or.
Spécialement convoqué lui aussi, un Romain Goupil sera plus prolixe, mais pour broder sur le même thème, avec les ornements d'usage, tels que raciste ou lepéniste, qui même lancés à tout hasard font toujours bien dans le tableau. Jolis petits acteurs et jolies petites actrices d'opiner mauvaisement du bonnet, alors, non sans filer en douce quelques coups de pieds de l'âne : on ne va tout de même pas se priver d'appartenir emphatiquement au groupe dans son moment le plus jouissif, celui qui le fonde et qui le légitime, celui qui lui confère sa consistance et son pouvoir, l'exécution de la victime. Et moi, et moi, et moi ! De grâce un peu de place parmi vous, MM. les bourreaux ! Laissez-moi tremper mon p'tit bout de film dans ce beau sang tout frais ! Paraît que ça porte bonheur…
Allez, la messe est dite, et c'est bien le cas de le dire. Cette fois il n'y a plus d'espoir. Donc, nous en sommes là : M. Joey Starr, prototype idéal de l'homme du jour, idole des femmes et citoyen modèle, est l'arbitre suprême de la conformité des idées avec le code du dicible en société ardisonienne - c'est-à-dire en société tout court, hélas, Ardisson y veille tous les jours. M. Romain Goupil, le fin critique, l'idéologue subtil, décide des livres qu'il ne faut ouvrir sous aucun prétexte. Mlle Clotilde Courreau régente la vie de l'esprit, comme les actrices du Théâtre-Français posaient pour Junon ou pour Athéna, dans les dessus-de-porte Louis XV. M. Guillaume Canet, lui, tient le chandelier haut levé au-dessus du carnage, en espérant qu'un peu de lumière tombera aussi sur son Idole ("jusqu'où faut-il aller pour réussir ? "). Que dit Cocteau de la mort, déjà? Je n'ai pas ici ma bibliothèque. En tout cas l'homme en noir n'a pas besoin de tuer : comme elle il a ses assassins.


Idée de pièce de théâtre, un seul personnage. Une femme seule, active, ayant tout réussi sauf sa vie, décide d’ouvrir les cadeaux qu’elle a acheté cinq ans plus tôt en prévision d’une journée de passage à vide. Elle n’a presque aucun souvenir de ce que contiennnent les boîtes mais le déballage tourne à l’aigre . Elle se rappelle trop précisément les circonstances dans lesquelles elle a acheté tout cela : cinq ans plus tôt elle gardait une poignée d’illusions sur elle-même qui ont disparu.

Léonard et le silence, thème essentiel du silence impossible dans les villes, de la compagnie de sa maisonnée trop bruyante et trop exigeante, mais aussi Léonard ne peut pas prétendre qu’il subit cette agitation domestique, quand il en est privé elle lui manque, éternellement soucieux de réunir autour de lui le foyer qui lui a trop tôt manqué dans son jeune âge : désillusion quant à la période où sa mère Caterina est venue vivre chez lui, songe que soudain cette compagnie idéale lui est devenue moins familière et moins chaleureuse, songe que cette femme lui est moins proche désormais que le cercle de ses apprentis, en tout cas elle n’est source d’aucun soulagement comme autrefois parce que toute sa force résidait précisément dans son entourage et qu’elle est arrivée chez lui toute seule.

Milan ville moins bruyante (du moins dans la Corte Vecchia) que l’horrible Florence.

Importance du géant Morgante dans les récits de Léonard pour amuser ses apprentis.

Montrer qu’il est fort différent d’un Raphaël et surtout d’un Mantegna, il n’est pas dessinateur né, il doit trouver la forme idéale au prix d’un travail épuisant, d’une véritable transe, alors que Mantegna trouve le trait juste tout de suite. Très important de souligner que son principal cauchemar est l’incapacité de faire, il rêve souvent qu’il se trouve devant une assemblée de princes obligé de travailler a fresco devant eux, et que son infirmité l’oblige à des faux-fuyants. Michel Ange l’accusera publiquement d’être incapable de tailler le marbre, et de n’être en mesure que de modeler, car le modelage de la terre autorise les repentirs, mais la taille du marbre est un art de visionnaire sûr de lui.
Léonard s’autojustifiera sans cesse sur ce thème afin d’essayer de prouver que la méthode importe peu, c’est le résultat qui compte ; et que la mode à Florence était d’admirer ceux qui possédaient une grande facilité d’exécution, alors que le recueillement, l’effort, le repentir devraient être raffinés au contraire.
En même temps, Léonard contradictoire se fait sans cesse raconter comment Masaccio dessinait des deux mains et les yeux fermés, etc. Et raconte aussi que Salaï l ‘a accusé de détester ceux de ses élèves qui trouvaient le trait juste sans effort . Car rien ne doit être fait sans effort.

Paralysie symbolique : sa moitié gauchère est la seule qui lui reste.

Importance et fierté de sa mort au sommet des montagnes plutôt que dans un cul de basse fosse comme il moro.

Par chance pour mon livre, Léonard avait coutume de raconter ses tableaux avant de les peindre, et chez moi plusieurs fois ce sera au lieu de les peindre, ce qui offrira à mon imagination déjà passablement portée à s’ébattre un terrain de jeux. Ainsi l’œuvre se trouvera t-elle enrichie plusieurs fois de projets d’une très grande précision que le peintre n’a jamais exécutés , ou de descriptions de tableaux que personne n’a jamais vus parce qu’ils ont disparu comme tant de ceux dont l’existence est attestée par les seuls récits de témoins.

B convoqué hier par une agence de mannequins spécialisés dans le septuagénaire à belle gueule . Cette histoire qui a commencé comme une plaisanterie entre nous est en train de prendre forme et de mener à l’épure de mon futur roman Un couple vedette. Il me raconte qu’il s’agit d’un véritable casting, un tournage d’une après-midi, et que le sujet sera un vieux joueur d’échecs face à son petit fils. Je lui fais observer qu’il sera certainement retenu parce que son profil est admirable, et que par définition, le principal, quand on veut filmer une partie d’échecs, c’est le profil. Comme d’habitude, il part vaincu, il ne veut pas croire qu’il ait la moindre chance contre de vieux messieurs tous semi-professionnels, comme si les producteurs se préoccupaient de cela. La vérité c’est qu’il possède le profil masculin le plus incroyablement racé que je connaisse, et je n’imagine pas qu’il ne soit pas retenu.

18 Décembre

Les peintres de Florence et de Milan acceptaient parfois plusieurs travaux de front sans posséder la faculté matérielle de tout réaliser ensemble, mais ils pouvaient ainsi s’arroger plus sûrement une partie du marché, quitte à commencer l’entreprise ici ou là pour l’abandonner aussitôt afin qu’elle ne soit point confiée à d’autres. Ainsi la propension naturelle de Léonard à laisser inachevés une partie de ses travaux , quoique réelle, a t-elle tout de même son origine dans une habitude du temps et paraissait sans doute moins curieuse à son époque. Certains artistes comme Filippino Lippi avaient du reste pour spécialité d’honorer les contrats imprudemment scellés par des artistes débordés dans leur tâche.

Masaccio est décidément une sorte de divin alter-ego pour Léonard, comme lui enfant naturel, beau, doué pour le dessin, mais contrairement à lui possédant des facilités éblouissantes, ayant été honoré dès son jeune âge, et à propos de qui couraient des histoires de prouesses « à main levée » qui emplissent encore Léonard de jalousie trente ans après sa mort.

Donatello mort très vieux, à quatre-vingts ans- rapport avec la mort du père au même âge. Léonard le fait interroger discrètement sur Masaccio et lui fait compliment de son Saint Georges ce qui pour les âmes gauchères est un signe de ralliement.

Léon Battista Alberti et son architecture raisonnée . De l’éducation des enfants. Léonard rôde autour du De famiglia comme fondateur d’un ordre social . Lien avec l’architecture et la cité idéale. Ses détracteurs lui font observer que tous les grands esprits qui légifèrent sur l’éducation des enfants n’ont jamais été pères . Parfois ils couchent avec ceux des autres. Critique qui lui revient comme toujours par la bouche de Salaïno qui l’a entendue d’un patricien florentin dont il ne veut pas dire le nom.

Importantissime, l’effroi de Léonard devant la maladie, et notamment la maladie vénérienne. Théorie selon laquelle le contadino représente un risque moindre que les bains de Milan. Le sida est remplacé par la peste mais c’est la même terreur.

Les ressemblances entre les deux époques, la leur et la nôtre sont saisissantes à un détail près dont nul ne peut dire s’il ne sera pas corrigé dans les six ou huit années prochaines : la guerre entre cités, entre régions. Et le risque de l’invasion turque.
Aujourd’hui le débat s’envenime autour de la candidature turque à l’Union européenne, et la Turquie semble exiger de faire partie du banquet, mais ce fut longtemps le cas dans l’histoire et elle n’a jamais eu gain de cause, la seule solution qu’elle ait trouvée est de massacrer l’Europe balkanique et d’envahir sporadiquement le sud de l’Italie. Le seul ensemble dans lequel elle aurait sa place est justement celui dont nous ne voulons pas : un supermarché continental où il est indifférent d’être Turc ou Lapon puisqu’on mange tous la même chose en attendant la séance de Harry Potter VI.
J’aimerais bien qu’on demande l’avis d’un hongrois ou d’un bulgare sur la Turquie européenne. Ils viennent d’entrer dans le club, nul doute qu’ils sauront nous obliger à changer de lunettes sur la nature du monde islamique. La question qui n’est jamais posée est bel et bien : que nous veulent-ils ? La réponse est dans tous les cœurs et l’histoire nous l’a souvent fournie. Dans l’Italie de Léonard les princes étaient forts, et sans illusion sur leurs voisins. Bajazet, sultan de Turquie, n’était qu’un voisin supplémentaire. Aujourd’hui nos princes sont minables et traîtres par lâcheté, ils nous exposent au désastre civil. Quand nous serons à feu et à sang, quand les villes seront séparées par des barrages militaires, quand les régions lutteront pour réorganiser leur vie autour des ressources qu’elles possèdent encore et qui n’auront point été pillées par la mondialisation, nos édiles et nos crétins diplômés s’en iront en Amérique Latine comme d’habitude.

25 décembre 7 heures
Le petit Adrien n’est pas encore descendu trouver ses jouets sous le sapin , le jour se lève sur les Aravis enneigés. Hier vin chaud sous le préau de l’école et arrivée du Père Noël en traîneau. Quand la maisonnée est nombreuse comme à présent je mesure combien Léonard n’aura cessé de désirer la compagnie d’une clientèle au sens romain et de la fuir tout à la fois . La solitude s’aiguise quand elle s ‘extrait du nombre Si elle n’y replonge pas de temps à autre elle se corrompt. Montrer qu’il n’a jamais éprouvé la tentation de la contemplation. Mondanité de l’artiste.

Hier vu mon livre sur les enfants au supermarché local, en quantité suffisante. Pour une fois qu’un de mes textes est distribué je ne vais pas me plaindre . On m’apprend qu’à Millau, petite ville où j’ai passé près de quinze ans, on ne trouve aucun de mes titres et depuis de nombreuses années, ce qui se concevrait si j’étais plongé dans l’obscurité comme nombre de mes pairs, or il se trouve qu’en ce moment je me trouve plutôt en pleine lumière. Ces passages répétés à la télévision devraient permettre aux curieux d’apprendre en librairie de quoi je parle et comment. Or depuis une dizaine d’années en France les réseaux de librairie s’arrogent le droit de décider quelles sont les curiosités légitimes et les autres. Sur le site internet de la Fnac je relève un seul avis de lecteur anonyme, publié sur mon essai de l’hiver. Son auteur parle d’un livre qui contient de bonnes « notions » , expliquées de manière inacceptable, c’est à dire misogyne et homophobe. L’ennui est que ces deux accusations n’ont été proférées que par mon contradicteur de l’autre soir à la télévision, Romain Goupil, cinéaste trotskyste et lecteur négligent de mes œuvres, c’est le moins qu’on puisse dire, mais dont les jugements expéditifs font jurisprudence jusque dans le second réseau français de librairie, dès le lendemain de l’émission.
Il y a beau temps déjà que les réseaux essaient de régenter la vie de l’esprit en orientant le choix des lecteurs à l’entrée des boutiques. Il suffit de multiplier les présentoirs « nous avons beaucoup aimé ». Curieusement ces gens-là aiment toujours les mêmes livres, que leur recommandent trois journaux. Il me déplaît d’entendre mon frère ou mes nièces me demander si j’ai lu tel titre « découvert par hasard » et dont pourtant les supports obligatoires disent depuis trois semaines qu’il faut les lire sans attendre. Impression de vivre dans un monde social où le calibrage des préférences est la règle.

Pas une ligne mais il importe peu . J’attends du ciel le signal. Quand il neigera, quand l’air s’emplira de neige, quand la route se taira sous la neige, quand la neige aura effacé le monde de la veille je marcherai dans le silence de ses dunes légères et de ses ombres bleues, j’entendrai le picotement des cristaux sur mon vêtement, et je deviendrai Léonard sous le col du Saint B après l’ avalanche et le livre aura commencé. S’il ne fait guère mention de l’incident du col et si la chronique du temps n’en garde aucune trace, c’est avant tout parce qu’il a honte d’avoir rencontré le péril mortel prédit par Salaïno, lequel s’est refusé à l’affronter lui-même ( lien avec l’épisode de la journée d’essais de la machine volante).

L’essai de la machine volante durera trois jours et formera le quart du récit tant il attirera à lui d’autres épisodes et réflexions (premiers essais à Milan , du haut de la citadelle et sur le flanc de la tour de la Corte Vecchia des cerfs volants d’asie rapportés par Marco di Ligetto, essais de planeurs au dessus de l’eau à Vaprio, essais le long du lac de Côme, nombreux perroquets au plumage vert.


27 décembre
Avec Else, soirée de «gospel » dans l’église de Saint Nicolas. Les glapissements et les applaudissements ; les bongos et les maracas sous les dorures baroques, pourquoi pas ? mais à condition qu’on chante juste. Et là, ce groupe folklorique d’un folklore très étranger au nôtre n’a pas daigné apprendre les bases de cet art difficile quand ce n’eût été que celles de la langue. C’est pitié que d’entendre ces huit personnes dont trois métis-prétextes ânonner un anglais de cuisine et se débattre non seulement avec les finesses de l’harmonie qu’elles ne maîtrisent pas toutes mais avec celles de la langue qu’elles ignorent pour la plupart.
Malgré la musique, j’ai longtemps observé le comportement de la lumière issue de trois projecteurs rouge vert et jaune, Léonard profitera de cette leçon de choses pour étonner les invités du duc de Milan grâce à des torchères plongées dans une fosse et dont la lumière reflétée sur une plaque d’argent traversera un rectangle de verre tantôt rouge et tantôt bleu. Chaque faisceau de lumière ainsi projeté forme une ombre derrière l’objet, mais éclaire de sa proper couleur l’ombre formée par l’autre projecteur et « par ainsi » donne à l’objet deux ombres colorées. Il suffit d’éclairer l’objet par le haut d’une troisième lumière pour lui donner la clarté qui lui manquerait s’il ne recevait que du bleu et du rouge.
« Essaye d’animer ce procédé avec du vif argent dans un plat », dira-t-il - en ayant soin d’éviter la vaporisation du mercure qui coûta la vie à Tycho Brahe ( me dois-je d’ajouter en guise de conseil à mon personnage car il n’est pas impossible hélas qu’il ne finisse par faire périr un apprenti ramené par Salaïno dans la Corte Vecchia. Lionardo, tout à la frénésie de sa préparation, ne se rend pas compte qu’il fait courir à ce garçon un péril mortel. Il se nommera Lorenzo .