Le Figaro & autres

Quand le Premier ministre va acheter du parfum au Bon Marché pendant que le Président est au café-théâtre

«Il n'a pas mieux à faire en ce moment?»

Voilà ce qu'on lit le plus souvent dans les forums à propos de l'escapade-surprise du président de la République dans un théâtre parisien, en compagnie de deux de ses ministres.

On incline à trouver cette question légitime après avoir croisé Manuel Valls et son épouse au rayon parfumerie du Bon Marché le samedi précédent. Le Premier ministre peut donc, lui aussi, s'affranchir de toute étiquette et faire ses emplettes à Paris au milieu de la situation budgétaire la plus inextricable que la France ait connue depuis la guerre, à la veille d'une consultation électorale périlleuse et au milieu des mille tracas qu'inflige l'exercice du pouvoir.

Il est vrai que sa relative quiétude, ce jour-là, provenait du fait que la plupart des clients ne l'avaient pas reconnu, sans doute parce qu'ils n'imaginaient pas que l'on pût montrer tant d'impudence dans la simplicité. Parmi ceux qui l'avaient reconnu, la plupart se demandaient s'ils ne rêvaient pas, s'ils avaient mis les bonnes lunettes, et s'il était possible que le premier ministre fasse du shopping, au lieu de se faire servir ses repas dans son bureau, devant un lit de camp entre deux réunions de crise. Après examen, le nombre de messieurs en noir qui sillonnaient la foule avec un talkie-walkie ne laissait aucun doute.

Dans quelques pays nordiques comme l'Islande, la Suède ou le Danemark (où l'on croise la Reine au marché), la coutume, d'origine protestante, est de se mêler ainsi à la foule pour montrer que le pouvoir ne donne aucun privilège (habitude qui a tout de même coûté la vie au premier ministre suédois pendant qu'il faisait la queue devant un cinéma). Mais en Europe du Sud, quand on exerce une haute fonction comme celle de Premier ministre, on la protège, on ménage son image, on s'astreint à la réserve. Ce n'est pas incompatible avec la simplicité comme on a pu le voir chez Georges Pompidou. On peut très bien exercer des privilèges sans en jouir. Malheureusement, nos personnages publics, par crainte de n'être pas crédibles s'ils assument le pouvoir dans toute sa pompe avec l'esprit de frugalité, de simplicité qui est le propre des grands hommes, préfèrent renoncer brutalement à leurs privilèges, à intervalles réguliers, avec une absence totale de prudence et un manque singulier de hauteur. Le Président de la République annonce qu'il prendra le train ou le tramway. Il prétend conserver une adresse privée. Il se déplace en scooter nuitamment. Quand Manuel Valls veut acheter, en vain, un parfum Hugo Boss dans un magasin qui ne vend que du Dior , il feint d'ignorer qu'il pouvait le commander sur Internet. Il préfère sillonner les allées, le menton au vent, en affectant de ne pas s'apercevoir que sa garde musclée envahit la foule la main sur le holster comme dans un épisode de la série 24.

Les mandats de cette importance, dans une existence, constituent une parenthèse de quelques mois, de quelques années où la simplicité (que d'autres appellent normalité) devrait devenir toute intérieure. Hélas! quand elle manque de place à l'intérieur, parce que l'intérieur est trop étroit, ou parce que l'orgueil occupe le terrain, elle a tendance à s'étaler.