Campagnol

(Transcription de l'émission) -- Trouver du travail habillé en punk gothique, ce n'est pas gagné d'avance mais il y en a qui essaient encore et qui se plaignent d'être au chômage

Nous avons à Campagnol une punkette gothique alors je sais vous allez me dire c'est pas la même chose, les punks s'habillent n'importe comment exprès alors que les gothiques c'est très soigné mais pour les gens de base il n'y a pas de différence et justement mon sujet c'est que dans la population rurale ou périphérique comme on dit maintenant le souci du vêtement est entièrement secondaire et que les codes, les qui est qui, quelle est ma tribu etc, on s'en fout, on appelle un punk gothique .

On n'a pas à entrer dans leur jeu comme dit le patron du bar. D'ailleurs c'est simple le souci du code vestimentaire chez nous est tombé à zéro, la plupart des gens du village ne nous laissent aucun souvenir d'un habillement précis, ce n'est pas comme ça que nous les définissons, que nous les voyons, que nous nous en souvenons, alors que dans le cas de notre punkette qui se fait appeler lou ou marie lou, sans son vêtement on ne saurait pas qui elle est et avec son vêtement on n'a pas tellement envie de le savoir. Mais j'ai fait un effort et voici en trois mots le produit de mon enquête C'est une fille qui s'est retrouvée avec un beau père après la mort de sa mère, elle avait déjà un grave problème d'expression et de comportement à seize ans , elle a décroché un emploi quelque part du côté des caves de Roquefort, mais comme elle était agressive et toujours vêtue de noir l'employeur lui a dit d'aller se se faire un shampooing normal c'est à dire pas orange vif avec des mèches violettes. Sans ça à la rentrée il ne la reprendrait pas. Malheureusement cette année là il y a eu une rave party dans la campagne environnante et de Sète, de Béziers, de Carcassonne et de Montpellier on a vu arriver une foule de gens vêtus de noir et de vert de gris pour danser sous des hauts parleurs de six mètres, et là on peut dire que la petite Marie Lou a grillé un fusible de cinquante ampères. C'est là que je l'ai écoutée un peu, non parce que j'éprouvais une curiosité à son sujet, je reconnais que je n'aurais pas fait le premier pas, mais parce qu'elle m'a fait comprendre qu'elle avait des choses intéressantes à me dire puisque j'étais écrivain. C'est toujours touchant de voir une fille qui ne veut parler à personne vous dire qu'à vous elle veut bien vous raconter qui elle est, et je vous rassure je ne vais pas vous brosser le portrait d'une héroïne, mais il est quand même intéressant de démonter le mécanisme du piège dont ce genre de fille est prisonnière depuis l'adolescence. D'abord son vrai père est parti quand elle avait huit ans, elle s'est attachée à son beau père tant bien que mal mais surtout elle adorait sa mère et sa mère est morte quand elle avait seize ans. Alors elle appelle cet homme "le beau-père", avec dédain comme ça de loin, sans l'embrasser, sans lui parler, sans le regarder, alors que lui c'est un type à la Hollande, lâche, prétentieux, faible, qui lui paye tout ce qu'elle veut, mais qui blâme son apparence. Et là dans l'attitude de cette fille maigrichonne couverte de tatouages et percée à l'arcade sourcilière avec une crète violette, dans son attitude à l'égard de cet homme on comprend l'attitude de toute une jeunesse qui dit payez payez, c'est tout ce que vous savez faire, mais vous n'avez aucune considération, aucune affection, aucun respect pour nous, du coup, tout en prétendant que nous sommes dignes de toute l'attention du monde, nous n'avons aucun respect pour nous mêmes et nous nous dégradons physiquement devant vous pour vous montrer à quel point vous nous avez dévalués mais c'est pour vous faire réagir. A un moment cette fille portait un rat au creux de l'épaule et elle disait tout le monde me traite d'ordure donc c'est normal les rats m'aiment bien. Le patron du bar était le seul qui lui parlait un langage clair, il lui disait tu dégages avec ton rat ou je sors le chat. Alors j'abrège mais quand elle me raconte qu'elle va voir de conseillers d'orientation régulièrement chez Pôle emploi et qu'ils lui parlent de son projet de retour à l'emploi on aimerait de temps en temps qu'au lieu d'enjamber les carences de la jeunesse avec des pincettes , au lieu de dire asseyez vous mademoiselle à une fille qui ressemble à un zombie , ces gens de pôle emploi consentent à devenir psychothérapeutes. Mais j'avoue que j'ai eu un coup de mou le jour où dans une soirée entre amis on m'a montré une fille rasée qui dansait devant les haut parleurs avec un petit débardeur en cuir et des tatouages partout sur les épaules, et quand on m'a dit qu'elle était conseillère d'orientation chez Pôle Emploi. Le patron du bar m'a dit, toujours lui, y a du boulot.