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Comment blâmer les mères qui ont renoncé à arracher leurs enfants à la télévision ? Les chaînes déploient toutes les ruses pour appâter les familles dès le matin et les annonceurs les y encouragent
 
Extrait du Troisième age est un tiers état:
Nicolas-René se met donc en quête d'un magasin Audi-Machin pour son ami Albert. Il en trouve un à deux pas, dans un centre commercial voisin où ils se rendent tous les deux, pour apprendre stupéfaits qu'une paire d'appareils coûte le prix d'une voiture d'occasion. Albert est prêt à signer le chèque tout de suite mais son ami le retient.
 
A l'heure où le débat sur l'euthanasie se répand jusqu'à susciter de curieux retours en arrière de l'opinion comme en Belgique, personne (sauf les écrivains visiblement) ne consent à poser la question des substances encore illicites comme le DMT (Diméthyl Tryptamine) qui permettent, selon tous les témoignages, de jeter un coup d'oeil sur le double fond de la conscience et de vivre une véritable "expérience proche de la mort" pendant cinq minutes.
 
Aucune association n'a donc songé à répondre autre chose que oui ou non à la question : un macaron S doit-il être apposé sur les voitures pour signaler les vieux conducteurs ?
 
Voilà des années qu'on nous rabâche que les mamies sont formidables et qu'on les voit faire de la course à pied .
 
 
Le questionnaire, réalisé par un psychiatre anglais, le Dr Fenwick, faisait intervenir des notions comme la prémonition ou les apparitions . Voilà qui paraît anecdotique et ridicule, mais les témoignages de prescience abondent : mère qui « ressent » la mort prochaine de son enfant, frère qui « devine » la mort soudaine de son jumeau, père qui met inexplicablement en ordre ses affaires quinze jours avant de périr en avion. Au chapitre des apparitions de défunts autour du lit du patient, 60 pour cent des interrogés, parmi le personnel soignant, se référant à une période de cinq ans, affirment en avoir reçu la confidence par les malades eux-mêmes et, pour ma part, j'ai pu observer le comportement d'une vieille dame qui prétendait être suivie par un groupe de personnes auquel elle demandait leur avis sur tout et dont elle affirmait « Ils disent que ça ne peut pas se faire  », "Ils disent que je dois réfléchir davantage" etc.
 
Les gens irrités par la publicité récente où l'on voit un vieux monsieur, tout animé par la convoitise et l'égoïsme, faire trébucher sa femme, à coups de canne, sur le chemin d'un paquet de chips, ont bien raison de soupçonner ce film de manquer d'innocence : il s'agit de compromettre, dans l'esprit de la ménagère de moins de cinquante ans, l'image du vieillard qui résiste à ses pulsions, qui doute et qui reste digne au milieu de la folie consumériste.
 
Leur invraisemblable galimatias philosophique et sociologique dissimule une vulgaire convoitise de nature sordidement économique:
 
Une mésaventure signifiante est arrivée à l'auteur, celle d'un entretien avec le Figaro relatif à son avant-dernier livre, "Tous les hommes naissent et meurent le même jour", entretien dont une version initiale a été caviardée après plusieurs heures de publication parce qu'elle faisait mention d'une substance secrétée par le corps humain, le diméthyl tryptamine
 
La personnalité du pensionnaire est si menacée, par l’institution et par le groupe, qu’il développe des réflexes maladifs de défense dont la plupart n’ont d’ailleurs rien à voir avec ce qu’on pourrait appeler le gâtisme et ressortissent plutôt à la névrose concentrationnaire.
Il protège jalousement le secret de sa table de nuit, il devient méfiant et geignard. Quand le point ultime de la dégradation de sa personnalité est atteint, quand le pensionnaire devient violent, quand il mord les barreaux de sa cage ou ses voisins de chambrée, il tombe enfin dans la trappe de la psychiatrie, ultime cercle de l’éviction.
 
Quand on regarde le visage de ceux qui prétendent se pencher sur la condition des vieux, sur leur emploi, leur chômage, leur logement, leurs angoisses devant le manque d'argent etc
 
En Union soviétique, le champ des maux à traiter par la psychiatrie incluait la dissidence politique, et c’est de bonne foi, sans doute, que cette société pouvait prétendre qu’un opposant était malade. En Occident, la psychiatrie s’applique souvent à la vieillesse des pauvres par le même principe : les vieux indigents témoignent trop crûment d’une misère humaine fondamentale dont la notion est maudite. Ils menacent des illusions chèrement acquises. Leur exempte est donc dangereux.
 
Certaines caisses expliquent par "la mensualisation" le fait de priver leurs pensionnés de deux mois de revenus 2015 pour les faire basculer sur 2016. On imagine que pour une personne âgée qui est à la limite de flottaison financière et psychologique cette mauvaise action a des conséquences graves. La caisse n'a pris aucune mesure de précaution pour les pensionnés au delà de 85, c'est à dire particulièrement dépendants, elle n'a pas isolé non plus les veufs, elle se justifie en disant qu'elle ne va pas téléphoner à tout le monde et qu'ils n'ont qu'à lire les courriers. Bienvenue dans le mépris à la française.
 
La vie se corrompt sans cesse et s’éteint. Pendant des siècles on l’a compris, mais on ne veut plus le savoir. Longtemps, les hommes se sont consolés de ce méchant phénomène en développant des facultés destinées à suppléer celles qu’ils devaient perdre. L’abstraction, l’art et la religion font partie de ces conquêtes qui présentent un double avantage : elles sont inaltérables et elles sont transmissibles. Ainsi l’humanité tout entière s'est-elle organisée pour faire pièce à la nature, à la souffrance et au néant par la morale, la pensée, la mémoire.
 
 "Comme c'est un homme angoissé, quand un numéro sonne deux fois sans correspondant, il rappelle aussitôt pour se voir ponctionner de quelques euros par des aigrefins .
 
"Si notre irruption dans le temps a pour objet de nous constituer comme individus, s'il nous est fait un devoir de mesurer qui nous sommes au regard de ce qui nous entoure, si la Conscience, en un mot, est bien ce vers quoi nous tendons, alors il faut admettre qu'il existe un point de conscience ultime dont nous sommes capables et auquel, peut-être, nous sommes appelés. Une fois que nous l'avons atteint, la vie doit nous paraître une chose vaine et sans goût". Eloge de l'âge
 
Avec le macaron S, c'est le pompon. Le thème de la dangerosité des vieux au volant refait surface en s'appuyant sur des statistiques scandaleusement biaisées. C'est bien connu, les gens qui reçoivent une contravention pour excès de vitesse ont tendance à prétendre que c'est leur père, 82 ans, et tous ses points, qui était au volant. D'où de fortes pressions pour lui arracher l'aveu administratif d'une faute en vérité jamais commise. Ou bien lorsqu'on va au centre commercial on emprunte la voiture de papa, histoire de lui faire infliger l'amende et le retrait de points si les choses se passent mal. Dans les deux cas, outre la grossièreté du procédé, les statistiques de la dangerosité des vieux au volant se dégradent alors qu'ils n'y sont pour rien.
 
La vieillesse elle-même est pauvreté chez tous les hommes, cela va de soi. mais aux classes moyennes ou aisées, la société moderne permet au moins de nourrir une dernière illusion sur cette pauvreté-là. La médicalisation de leurs maux leur permet de croire qu'ils en guériront. Le marché de la santé chez les vieux, par les plantes, les cures thermales, la thalassothérapie, les services spécialisés des hôpitaux, est devenu un secteur d'avenir. Les jeunes médecins s'orientent volontiers vers la gériatrie, naguère méprisée parce qu’elle ne réclamait aucune spécialisation, désormais considérée comme une filière véritable, demain sans doute regardée comme l’honneur de la médecine moderne. Derrière eux s’engouffrent toutes sortes de gens peu recommandables qui tirent profit de la naïveté de leurs patients et de la complicité des médecins pour organiser des séances de musicothérapie, d’ergothérapie, de ludothérapie, etc., de sorte qu’il est probable qu’un jour ou l’autre, le fait d’aller passer une semaine au Maroc prendra le nom de « voyageothérapie ».

Mais les vieux qui n’ont pas les moyens de cette pieuse hypocrisie sont obligés de reconnaître, dans la vieillesse, l’ultime étape d’une pauvreté qu' connaissent déjà, puisque, pour la plupart, ils l'ont vécue dans l'âge mûr.
 
Un jour, Albert fait la queue à la préfecture, son ticket numéroté à la main. Devant lui une enfant noire jette son lapin par terre. Il ramasse la peluche, se penche, se re-penche, la mère parle à son enfant en créole ou en walof . Pour être agréable, le vieux monsieur, cravaté, peigné de frais, lui demande d'où elle vient. A quoi elle répond offensée:
-De Montreuil.
-Je veux dire, insiste Albert, d'où êtes-vous originaires?"
Question importune, intolérable, scandaleuse, presque passible de la correctionnelle. La mère hésite à faire constater l'offense.
 
Naguère, on consentait aux vieillards le privilège de se moquer de leurs propres travers, de leurs trous de mémoire, de leur logique burlesque. Aujourd’hui, c’est devenu de mauvais goût. On assiste à ce que les Diafoirus appellent une médicalisation du problème. Ça veut dire qu’on ne se moque plus des gens âgés, parce que ce qui leur arrive n’est pas leur faute.