Campagnol

(Transcription de l'émission) -- Dévaster les paysages pour enrichir Vinci et Eiffage avec la complicité de maires en faillite plus ou moins analphabètes, voilà la France de demain

Il y a certains pays du sud comme le nôtre où la campagne assez accidentée, assez rocheuse, est truffée de petits ouvrages d'art, de ponts et d'aqueducs impressionnants, parfois sur quelques mètres, parfois sur une centaine de mètres, des petits ponts de chemin de fer notamment, ou des remblais voûtés qui servaient à faire passer une voie ferrée pour faire monter sur les Causses ce qu'on appelait autrefois un tortillard, un train qui prenait son temps.

tout ça est abandonné évidemment mais ces viaducs vont devenir l'un des gros problèmes des vingt années futures parce qu'ils vont commencer à s'effondrer on n'a déjà rien pour entretenir les châteaux classés, alors vous pensez les viaducs En tout cas ca permettait aux fermières, aux cousettes, aux mercières d'aller vendre leur production à Béziers, , aux apprentis de passer la semaine chez un patron, et tout ce monde là respirait la subsistance, l'autarcie, mais surtout l'ingéniérie flamboyante du Second Empire. La ligne a été inaugurée par l'impératrice Eugénie, la souveraine a passé trois mois à descendre à Perpignan avec un train garni de napperons, de ciboires en or, de cadeaux pour les curés et les maires locaux, on appelait ça la modernité, cette modernité se traduisait par des prodiges d'architecture à coups de pierre taillée, donnait du travail aux cantonniers pendant vingt ans, était respectueuse du paysage jusqu'à enjamber trente mètres de vallon avant de percer un petit tunnel, de cent mètres seulement, alors qu'aujourd'hui on fait sauter et le vallon et la montagne en moins d'un an de travaux. Où je veux en venir? Quand on voit la qualité de ces petits ouvrages, les prodiges d'imagination et de compréhension de la géologie qu'ils supposent, on est frappé de mesurer la leçon qu'ils nous donnent, parce qu' à l'époque l'homme habitait le monde avec des moyens si limités qu'il était obligé de faire preuve de génie, d'ailleurs le mot est resté, génie civil, tandis qu'aujourd'hui le moindre crétin est capable d'assembler des plaques de béton de quatre tonnes à coups d'élévateurs, c'est fait en une semaine par des gens formés dans une école lointaine. Les ouvriers ont certes un bon niveau mais un niveau d'exécutants. Les contremaîtres n'ont pas besoin de faire preuve de jugement car l'architecte sait. La compagnie sait. L'actionnaire sait ce qu'il faut pour la compagnie. Et ce qu'il faut pour la compagnie c'est trouver de plus en plus de ce genre de travaux géants, en soudoyant les mairies, au besoin en employant des travailleurs détachés, et quand il n'y a pas de besoins il faut en inventer pour donner du travail aux machines . Alors parfois dans la campagne et c'est le cas chez nous, le hasard fait que le tracé de la nouvelle route, celle qui a un ballast en cailloux blancs de plus de deux mètres, celle qui déroule de l'asphalte noir et brillant, celle qui fait six mètres de large avec une bande pointillée au milieu, le hasard dis-je fait se côtoyer la nouvelle route construite en trois semaines et l'ancienne voie de chemin de fer qui a mis près de dix ans de 1860 à 70.Nous avons d'un côté l'adéquation aux besoins, car au second empire on faisait des choses qui remplissaient une fonction précise, en déployant les moyens nécessaires au passage d'un train mais pas plus, et ça donnnait de l'emploi localement pendant longtemps, et de l'autre côté la démesure, car dans la France de l'après-chirac vous vous demandez à quoi servent tous ces équipements routiers qui font de longues saignées dans la garrigue, parmi les chènes verts ou les forêts de sapins, ces aires de repos à l'américaine alors qu'il passe trois voitures par jour, et le même phénomène s'observe en Espagne dans des zones désertiques eh bien la réponse est claire, ça sert aux entrepreneurs, qui peuvent développer leur activité à loisir, mais ça sert très peu aux gens dont on dévaste la vie à domicile, à qui ont vient dire en plus que leur voiture n'est plus à la mesure de cette modernité routière et qui ne travaillent même pas sur le chantier ou alors comme esclaves, pendant six mois. Alors pourquoi les gens ont ils accepté, pourquoi les maires ont dit oui ? Parce qu'ils n'ont pas eu le choix, parce que lorsqu'un maire dit ça ne se fera pas ça se fait quand même, les entrepreneurs et les constructeurs se sont arrangés pour avoir sa peau et pour mettre quelqu'un de plus docile à la place. Résultat trente ans après la plupart des communes sont devenues dépendantes, endettées, et elles sont dirigées par des gens que l'intérêt d'une poignée d'affairistes a placés là uniquement pour qu'ils la ferment . Ils font ça très bien, d'autant qu'ils ont tous un truc ou deux à cacher. La proportion de gens dociles qui ont quelque chose à cacher au gouvernement devrait avoir éveillé les soupçons mais non, enfin pas encore .