Le Figaro & autres

La France des Groseille

 


Le journal de 13h et Nicolas Sarkozy

Quand on a subi, au journal de 13 heures, sur «une grande chaîne généraliste», l'annonce du match de la veille et la météo du lendemain comme seuls titres de la matinée, (sujets auxquels l'édition du 1er juillet fut dédiée pendant 26 minutes à l'exception de tout autre, le jour même où l'ancien président de la République était convoqué devant ses juges), on a le droit d'être un peu amer pour la France.

 

Rabbi Jacob, Les Sous-doués et Taxi...

Par une mesure de rétorsion bien dérisoire, la tentation était grande ce jour là d'aller faire un tour de quelques heures sur les «petites chaînes» où le plaisir coupable qu'on peut prendre à regarder les «Sous-doués» se trouvait dans le documentaire que constituent aujourd'hui ce genre de films sur leur époque. Il suffit déjà de comparer la couleur des voitures des années 70 à la palette du parc automobile des années 2000: on est passé de Delaunay à Soulages. Le paysage urbain y a gagné en harmonie mais la gaieté de la vie sociale s'en est nettement ressentie. Ensuite l' humour né sous Pompidou et Giscard, celui des chahuts et des coussins péteurs, celui de Claude Zidi et des Charlots, humour qui paraissait insupportable il y a quinze ans parce que la France de Mitterrand se flattait d'avoir fait un pas énorme dans la finesse, finit par devenir sympathique à cause du syndrome Soulages qui a tout envahi. Le bon goût de nos élites se traduit désormais par la vigilance idéologique, l'obsession de la sécurité, les notions interdites et les mots piégés. En regardant Rabbi Jacob pour la dixième fois on n'y découvre certes aucune subtilité cachée (pour être franc il s'agit d'un humour démonstratif, presque didactique, auquel on trouve de moins en moins de qualités) , mais c'est un rire fédérateur qui nous manque depuis qu'il est pratiquement mort avec «les Bronzés». On parlait alors de films familiaux, ce qui était doublement vrai. Non seulement on pouvait les voir en famille, mais ils racontaient des histoires qui concernaient la famille nationale. Ce courant s'est longtemps perpétué avec «Papy fait de la résistance» et avec les premiers «Taxi», où toutes les classes sociales étaient mêlées dans une comédie faite de bonhomie et d'indulgence mutuelle. La réunion de deux France apparemment irréconciliables, comme naguère dans «le Corniaud», «la Chèvre» ou «le Dîner de cons», fournit bizarrement encore le ressort de tous les grands succès récents, «Les Chtis», «Intouchable», et jusqu'au dernier film de Christian Clavier. Hélas on peut observer à chaque fois une sorte de soulagement crispé de ce que «ça marche encore», comme si les handicaps à surmonter pour y parvenir étaient de plus en plus grands.

«La Vie est un long fleuve tranquille» contre «La Haine»

Et de fait, lorsqu'on regardait la finale à peine croyable des «plus beaux villages de France», une sorte de concours de beauté pour toits de tuile et murailles anciennes, on était stupéfait et vaguement inquiet de mesurer combien la moitié du pays, qui vit auprès d'une abbatiale du XVème siècle , qui pêche des écrevisses, qui boit du vin blanc sous les platanes, ignore les laideurs et les violences qui affectent l'autre. Cette émission délicieuse nous promenait entre les façades garnies de volets bleus, nous faisait survoler les donjons et les clochers, nous présentait d'aimables silhouettes villageoises, de la Haute-Corse au Tarn-et-Garonne, le tout sur des commentaires de Stéphane Bern qui sourit tellement qu'il ne peut même plus articuler. A part ce léger détail sa figure omniprésente et familière nous rappelait plaisamment ses visites au pas de charge des châteaux européens, ses commentaires sur la reine et les People pendant les cérémonies du débarquement, et l'on se disait qu'après tout, comme dans le film «La vie est un long fleuve tranquille», la France des Groseille était peut-être contente de voir Manuel Valls et François Hollande en train de saluer la reine d'Angleterre lors du dîner de l'Elysée.

Il est toutefois une scène du film de Chatillez qui devrait avoir frappé les imaginations et rester présente à toutes les mémoires, c'est celle où la mère Groseille crache sur l'écran en proférant des injures.