Le Figaro & autres

L'indépendance de la presse au-dessus de cinq mille euros de salaire est une illusion

Si la ministre de la Culture avait l'intention d'avancer masquée et de prétendre défendre la liberté de la presse en général, contre les patrons qui prétendent se mêler du contenu des chaînes et des journaux qu'ils achètent, les derniers commentaires parus sont trop directs, puisqu'ils titrent pratiquement tous qu'elle "fourbit des mesures anti-Bolloré". S'il s'agissait de faire croire que son inquiétude ne visait personne en particulier c'est non seulement raté mais ridicule.

 

Pour les lecteurs qui tomberaient sur ces lignes dans dix ans, rappelons que Vincent Bolloré et une poignée d'hommes d'affaires se partagent en ce moment, en France, la propriété des journaux et des chaînes, dont ils promettent de garantir l'indépendance, tout en ne tolérant pas d'être giflés à domicile, ce qui paraît assez normal aux Français qui possèdent une entreprise. Le traiteur régional qui fait travailler trente personnes, le fabricant de pièces qui a un atelier de sous-traitance aéronautique n'aimeraient pas davantage que leur personnel ricane, à longueur de blogs, sur la qualité des produits alimentaires dans leur branche, sur les règlements aériens et la compétence de la DGAC. C'est une affaire de bon sens.

Hélas! le personnel des médias généralistes n'aime pas l'évidence, surtout quand elle se résume aussi bien : quand on touche cinq mille euros dans un groupe de presse et qu'on a été engagé pour relayer, peu ou prou, les idées de son employeur ( comme c'était déjà le cas au XIXème siècle), a t-on le droit de monter sur ses grands chevaux au nom de la liberté d'opinion et ne ferait-on pas mieux de créer un webzine en se payant au SMIC ? Eh bien non. La ministre prétend garantir le beurre et l'argent du beurre à tous les crémiers de l'opinion. C'est à dire qu'une fois signé votre contrat de travail, un contrat qui garantit les cours d'équitation de votre fille, un Mac de dernière génération, des taxis et des voyages de presse, des traites pour un appartement confortable et des vacances à l'Ile Maurice, grâce à la ministre, vous aurez, en plus, toute liberté de dénoncer les montages fiscaux de celui qui vous emploie, quitte à arriver en comité de rédaction avec un T-shirt antifasciste et un doigt d'honneur sur la poitrine. Ne riez pas, c'est exactement ce qui s'est passé au creux des années 90. Dans les journaux les plus conservateurs, on a vu la crème des rédacteurs quadragénaires issus des instituts de formation parisiens ou lillois sillonner les soirées d'ambassade et les cocktails de l'Académie vêtue de vestes de jean's à la Renaud, de santiags et de baskets molles façon Brooklyn, pour essayer de faire croire qu'elle était de gauche, entre deux petits fours et parce que les patrons de presse, de leur côté, étaient soient masochistes, soit prétendument de gauche aussi. Désormais si j'ai bien compris, les patrons n'ont pas envie de donner le change plus longtemps, ni de tendre l'autre joue parce qu'ils veulent rationaliser leur groupe et accessoirement leur conduite. S'ils salarient une troupe de ricaneurs, ils préfèrent qu'ils ricanent de leurs ennemis et concurrents plutôt que de leurs clients et partenaires. Que de présomption! Quel manque de "déontologie"! Le mot est lâché. Dans sa candeur toute florale la ministre veut les contraindre à encaisser sans mot dire au nom de la déontologie et à financer ceux qui les accablent tout en gardant le sourire. De ce ministère  qui a reçu et décoré un groupe de musique électro acoustique dont les T-Shirts portaient la mention 'I dont give a fuck", on pouvait s'attendre à tout, et on avait raison, puisque c'est n'importe quoi.


P.S.Tout commentaire selon lequel cette prose serait payée par les patrons qu'elle décrit serait particulièrement non avenu. L'auteur précise que ses revenus tirés de la presse au titre de 2014 ne dépassent pas 200 euros.