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Chroniques de Valeurs Actuelles

L'auteur tient à remercier le jeune "Shane" Fenton pour s'être donné la peine de collecter sur internet, et de lui adresser, après sept ans, ces chroniques télévisuelles.

Manque de respect
Les gens les plus soucieux de varier leurs curiosités ne regardent pas la Star Academy plus de deux fois par an, ce qui leur permet de percevoir certaines évolutions de manière brutale. Disons-le : le programme vedette de TF 1 n’a plus rien à voir avec la télé-réalité des débuts. Il fonctionne comme une véritable perversion du réel. Il s’écarte de son objet jusqu’à relever du fantasme.
Cette télévision-là essaie d’éloigner la jeunesse de sa propre image en lui présentant tous les soirs une poignée de sinistrés qui s’invectivent dans le sabir des cités. Or quand on y réfléchit, la majorité de la jeunesse ne croit pas vraiment qu’elle ressemble à ça. Elle ne croit pas que la casquette en arrière, que le vocabulaire du genre “elle me fait kiffer c’te fille”, que l’allusion permanente au “manque de respect” soient autre chose que des simulacres agités par les vendeurs de disques pour amadouer la banlieue. La jeunesse réelle ne croit pas que la notoriété dévolue aux lauréats de cette émission soit de nature à faire illusion très longtemps – comme en témoignait un reportage de Sept à huit sur Michal, l’un des gagnants laissés pour compte.
Quelques indices permettent de jauger l’épaisseur de ce mensonge : on nous montre par exemple les participants en plein concert à Rouen, dans un collège où la moyenne d’âge est de 12 ans, ce qui prouve que la production ratisse de plus en plus bas pour recueillir les ovations qu’elle espère. Ensuite le directeur de l’académie, une sorte de Tapie du show-biz, se vautre dans la démagogie, se coule dans le langage de ceux qu’il est censé former, le tout entre deux “wou ! elle a tout donné”. Son personnel fayote dans le même goût, c’est-à-dire qu’il pratique aveuglément le vocabulaire maison. Cela donne des dialogues ahurissants du genre : “Bon alors là, vous avez deux leaders qui vont vous driver, ok les gars, not so bad hein, pour chercher des hamburgers dans le parc.” À quoi les élèves répondent “yes !” dans un chœur unanime.
À force d’entendre parler de “manque de respect”, la jeunesse va s’apercevoir que cette émission en constitue un exemple institutionnel. Comme elle n’a aucune indulgence pour ceux qui la mènent en bateau, le navire TF 1 risque de tanguer un peu.

Un voile sur nos otages
Le débat sur le voile islamique a fait long feu. On peut même dire que dans les lycées la querelle n’a laissé qu’un tas de cendres. Mais à cause de deux élèves récalcitrantes à Mulhouse, la télévision nationale a soufflé sur la cendre et ranimé la braise : reportages, gros plan sur le père des fillettes en train de hurler son dédain de nos institutions dans un français approximatif, tout donne l’impression qu’entre le sensationnel et la paix civile, France 2 a choisi. Elle a choisi de rouvrir le débat, quoi qu’il en coûte. Et cela risque de coûter très cher, puisque cette affaire de voile constitue peut-être encore une question de vie ou de mort pour nos otages.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3545 paru le 5 Novembre 2004

Au-delà de l'écran

Par la bande
Il y a mille et une manières de faire de la politique française à la télévision. Nos chaînes l’ont illustré en nous présentant, pendant trois semaines, des reportages sur l’Amérique qui pense mal. Entendez, celle des conservateurs. En maintes occasions les journalistes n’ont pu se garder d’appuyer le trait, sur le ton “suivez mon regard”. On a ressorti le cinéaste Yves Boisset, on a donné une caméra à Hubert Védrine. On a même invité l’auteur d’un livre américain sur la “trahison française”, une sorte de quaker assez remonté contre Paris. Sa prestation chez Élise Lucet mérite une mention particulière. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas joué le jeu qu’on attendait de lui. Il a refusé de placer sa tête et ses mains dans le pilori.
Après le document de Pièces à conviction qui nous montrait des soldats américains en Irak furieux contre leur hiérarchie et convaincus de combattre pour le pétrole, il s’est écrié que le film d’Élise Lucet était partial, qu’il faisait honte à la chaîne et que trois soldats américains sur quatre étaient persuadés du bien-fondé de l’expédition contre Saddam.
On est obligé d’admettre que, même si le pourcentage était moindre, dans le film on n’en a vu aucun. La vigueur polémique avec laquelle Élise Lucet a essayé de répliquer, le malaise que trahissait son sourire, soulignaient le début d’une forme de réaction qui se manifeste en ce moment dans les émissions dites à la Fogiel : la rébellion. De Michaël Youn à Sébastien, de Delanoë à Élizabeth Teissier, les invités au jeu de massacre se mettent à renvoyer les projectiles.

Honnêteté douteuse
Dans les bandes dessinées de notre enfance, le pilori du Moyen Âge était couplé à un divertissement de fête foraine, le chamboul’tout, qui consiste à envoyer des balles de chiffon sur une pile de boîtes de conserve. À la place des boîtes de conserve, Nicolas Dupont-Aignan vient de conférer une actualité tardive au titre de l’émission mort-née J’y vais, J’y vais pas. Il est allé sur le plateau de On ne peut pas plaire à tout le monde. Fogiel s’est comporté envers lui avec une telle mauvaise foi que la participation des membres du gouvernement à ce genre d’émissions vient de faire l’objet, si l’on en croit l’excellent Jean-Marc Morandini (Europe 1), d’une consigne d’abstention.
Un exemple de l’honnêteté de Fogiel : dans le film liminaire qui présente l’activité du député Dupont-Aignan, nous voyons défiler une galerie de ses amis avec, en surimpression sur chaque visage, un extrait de leurs déclarations. Et sur la figure de Paul-Marie Coûteaux, que lisait-on entre guillemets ? “Israël, peuple sûr de lui et dominateur”.
Les auteurs de ce portrait, en voulant débusquer chez les souverainistes je ne sais quel antisémitisme, ont cité sans le savoir, ou même pire, en le sachant, mais en comptant sur l’ignorance des jeunes téléspectateurs, une phrase du général de Gaulle que Coûteaux citait lui-même. Déontologiquement, nous ne sommes pas loin du pire.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3546 paru le 12 Novembre 2004

Au-delà de l'écran

Large bande
La question, qui aurait paru sacrilège il y a deux ans, est posée de plus en plus ouvertement : à quoi sert l’ultra-haut débit ? S’il s’agit de consulter la page d’accueil de la SNCF, à rien : la différence entre le chargement à 2 ou à 25 mégabits est pratiquement nulle. La question pourrait d’ailleurs paraître déplacée ici. Or elle ne l’est pas. Pourquoi ? Parce que l’ultra-haut débit, qui commence où plafonnent la plupart des abonnements actuels, permettra bientôt à la télévision d’être un service Internet comme un autre.
Les commentaires se focalisent en ce moment sur le démarrage timide des offres lyonnaises de TPS, sur l’abonnement Ma ligne TV, sur la Freebox ; on nous parle de dizaines de chaînes, on évoque le numérique terrestre (non sans quelque commisération) mais la révolution réside dans le fait que la clientèle va être submergée par la tyrannie de l’image. Elle ne va pas seulement la subir : elle va contribuer à la propager.
Le coût d’une caméra numérique a été divisé par trois en trois ans. Celui d’un abonnement Internet capable d’acheminer un film de deux heures en quinze minutes suit en ce moment la même pente. Les dispositifs de téléphonie et de visiophonie en ligne sont de plus en plus accessibles. Au terme de l’évolution qui s’annonce, à quoi devons-nous nous attendre ? Au meilleur et au pire, selon une loi éternelle. Mais aussi, hélas ! dans des proportions également stupéfiantes.
Commençons par le meilleur : un jeune homme écrit un film pour quatre comédiens en participation. Il le tourne pour 5 000 euros. Il réalise effets spéciaux et titrages chez lui, envoie son œuvre à trente producteurs dans la même journée, et pour finir elle est téléchargée un million de fois dans l’année. Voilà longtemps que les jeunes cinéastes espèrent pouvoir s’épargner deux ans de démarches pour atteindre un public, c’est chose faite.
Et maintenant le pire : un autre cinéaste, cinglé celui-là, filme des humiliations, des viols, des mutilations. Pis, il les inflige pour les filmer, il participe à des bourses d’échange de ces sujets atroces, il exploite l’interphone planétaire jusqu’au crime. À cause de gens comme lui, le vecteur de diffusion finit par forcer la production, comme on le voit au Proche-Orient où l’on inflige désormais des tortures à seule fin de les montrer. Cette ubiquité devient un problème d’ordre public à l’échelle mondiale. On peut prévoir la généralisation de la propagande, l’apparition de cruautés ciblées pour faire réagir l’opinion, et un flot intarissable de pornographie. On peut aussi prévoir que les résistants iront fleurir la tombe de George Orwell.

Antidote
La France est affligée de pesanteurs qui agissent toutefois comme un antidote : essayez donc de passer du 512 kilobits aux 2 mégas chez “un grand opérateur historique”, c’est-à-dire de profiter de plein droit de l’offre réservée aux nouveaux abonnés quand vous êtes un vieux client. Vous m’en direz des nouvelles…
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3547 paru le 19 Novembre 2004

Au-delà de l'écran

Trop tard
Membre de l’Académie des sciences, universitaire, Jacques Blamont était interrogé l’autre semaine par une journaliste de France Info sur son livre Introduction au siècle des menaces. Ayant exposé la thèse de l’auteur selon laquelle les armes de destruction massive, les épidémies et la pénurie de ressources naturelles nous promettaient les pires heures de notre histoire, la journaliste a adopté l’optimisme qui convient à un “grand média consensuel” pour demander d’un ton presque guilleret à son invité : finalement, avons-nous un moyen d’éviter les désastres que vous décrivez ? Réponse du spécialiste : non, il est trop tard. Décidément, l’Université n’a aucun sens de la communication…

Onze Novembre
Dans ces conditions, il y a des coïncidences qui prennent un relief fâcheux et singulier. À Toulouse, l’Institut des hautes études de défense nationale proposait la même semaine une conférence de Geneviève de Galard. Elle racontait “son” Diên Biên Phu avec une modestie navrée. La souffrance des blessés, leurs déceptions successives quand les avions les ont laissés sur place, et leur transport dans la jungle au milieu des prisonniers affamés.
Ce tableau a trouvé un écho bizarre le lendemain sur France2 dans le film la Chambre des officiers. Voilà une histoire de compassion très semblable à celle de la petite infirmière convoyeuse de Diên Biên Phu. Ce film lumineux et sobre tourné en caméra subjective montrait la souffrance du héros défiguré, reflétée par la pitié des témoins penchés sur lui dans un hôpital pour “gueules cassées”.
Soirée éprouvante certes, mais, après tout, bien moins que sur la chaîne voisine, qui nous infligeait l’accoutrement de Mme de Fontenay. Objet du divertissement : présenter “la plus belle femme du monde” d’après un échantillon de téléspectateurs. Il faut rappeler que la semaine précédente Dechavanne-pouët-pouët nous présentait les cent meilleurs “délires de stars”, lesquels consistaient principalement à s’envoyer du yaourt en direct sur un plateau, à verser du jus d’orange sur la tête des invités, à se dénuder devant la caméra, à arroser le public de crème, etc.
Puisque le concept de TF1 semble permettre de vendre du “cerveau disponible”, selon l’aimable expression de son président, on peut suggérer les prochains numéros : les cent QI les plus faibles du Paf, les cent phrases les plus lâches et les plus consensuelles, les cent émissions politiques les plus téléphonées, les cent publicités les plus androphobes…
Ce dernier concept est particulièrement porteur : imaginez une émission qui montrerait le complot dont l’image paternelle est victime. Pères qui ne comprennent rien à leurs filles, époux puérils à tendances égoïstes, consommateurs gavés de foot et de bière, il y a de quoi faire un carton auprès des jeunes cerveaux masculins disponibles, jusqu’à leur réaction qui risque d’en surprendre plus d’un.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3548 paru le 26 Novembre 2004

Au-delà de l'écran

Fièvre porcine
Le patineur Philippe Candeloro, dont la nature est plus courtoise qu’il n’y paraît, s’est trouvé obligé de répondre à la question suivante, posée par Fogiel : " C’est pas un peu dur, de faire des ménages au centre commercial de Chelles quand on a fait courir la planète ? "
Ce qui doit être un peu dur, c’est de répondre à ce genre d’interview sans se fâcher. Mais Candeloro s’en est tiré avec classe : " Je suppose, a-t-il dit, que si demain vous vous retrouviez sur le câble, vous n’abandonneriez pas le métier. "
Bonne réponse, mais mauvais calcul. Quand on voit avec quelle impudence la direction du service public conserve aux avant-postes les têtes impopulaires (Nagui, Ardisson, etc.), on se dit que Fogiel n’a aucun souci à se faire. D’autant qu’après quelques dérives, il a corrigé le tir : la semaine passée, il recevait, au lieu des habituels parlementaires sur la défensive, deux représentants d’un groupe de rap poursuivi en justice par le ministère de l’Intérieur. Question : " Dans les paroles d’une de vos chansons, outre les centaines de morts que vous attribuez à la police, il est question de “certains porcs mariés à des truies, offusqués par tant de sans-papiers squattant les églises, et qui disent : pourquoi pas les mosquées ?” Est-ce que ce genre d’excès ne compromet pas la légitimité de votre propos ? "
Danièle Evenou, présente sur le plateau, avait choisi d’être plus offensive que son hôte. Elle a demandé avec insistance : " Et sans indiscrétion, on peut savoir qui sont les truies ? " Le chanteur du groupe s’est embourbé dans une explication selon laquelle, dans une chanson, tout devait être interprété “au niveau symbolique”. L’origine de la discussion étant le voile “de trois centimètres carrés”, dit le texte, le niveau symbolique était facile à interpréter : les cochons et les truies, c’est nous.
Quand on connaît le statut du porc dans l’imaginaire islamique, on s’étonne que le Français de base y soit assimilé sur son propre sol et sur une antenne nationale.
JT agité
Le 13 heures de Christophe Hondelatte est plus nerveux que ses concurrents, pour ne pas dire agité. Le décor est inspiré des chaînes américaines. Les petites mains de l’information traversent le champ à l’arrière-plan. Par moments, on se croirait sur Fox News, sauf que ce genre de télévision à la hussarde exige un recours aux questions abruptes.
Sur France 2, on les attend en vain. Pour cela, il faudrait recentrer la chaîne entière : les débats ne sont pas de vrais débats, les questions par SMS sont pasteurisées, le côté primesautier de la réalisation est contrebalancé par une politique très convenue dans le choix des invités. En somme, toute cette modernité reste purement formelle.
Et si l’on s’attache aux symboles, puisque c’est la mode, il y a deux nuances de rouge sur le plateau, un rose fuchsia et un rouge vermillon, deux couleurs qui se heurtent, comme on l’a souvent observé en politique. Quant à l’absence de bleu, elle n’étonnera personne.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3549 paru le 3 Décembre 2004

Au-delà de l'écran

Esprit de contradiction
Les esprits forts de la télévision contribuent à définir toujours plus précisément une esthétique obligatoire, fondée sur l’ironie envers l’ennemi de classe : l’opinion majoritaire.
Parmi leurs victimes récentes, citons Télématin, fusillée à bout portant il y a quelques mois par Guy Carlier, lequel a diffusé un passage où l’on voyait William Leymergie se pencher sur un potiron face au chroniqueur gastronomique qui parlait, lui, de la couleur de ce légume et de son aspect. Guy Carlier jugeait visiblement ces contingences matinales offensantes pour un homme de goût. Quant aux émissions vraiment populaires, dans la bouche de ses homologues, c’est pareil. Nous avons cité celle de Pascal Sevran, nous avons mentionné le cabaret de Patrick Sébastien, mais il faut revenir aux duettistes Bataille et Fontaine parce qu’ils remportent en ce moment un succès qui fait hurler les spécialistes.
La tentation serait grande de donner une leçon à ces derniers, et de chanter artificiellement les louanges de cette émission sous le prétexte qu’elle dépasse quatre millions de téléspectateurs. Et pourtant, nous n’y céderons pas. Ce divertissement est assez pauvre, il est vrai. Il ne mérite aucun éloge, il manque d’invention, son titre est nul (Y’a que la vérité qui compte), il est rythmé par une musique affreuse, et pendant l’un des derniers numéros, on a même pu entendre Daphné, sa niaise égérie, nous annoncer qu’elle se trouvait à Carpentras, " ville qui ; depuis l’Antiquité ; est chargée d’histoire ". Elle voulait probablement dire que son histoire remontait à l’Antiquité. Mais à la télévision, on est obligé de reconstituer ce que les gens ont voulu dire après avoir essayé, en vain, de comprendre ce qu’ils disent.
Malgré cela, il faut admettre que l’émotion n’est jamais absente de l’émission. On peut concéder que les présentateurs, s’ils manquent de finesse, ne donnent jamais dans l’indélicatesse, que leur réserve est pleine de respect pour les infortunés qu’ils reçoivent, et qu’à travers eux, ce que détestent les branchés, ce n’est pas l’Audimat, c’est le Peuple. On a donc presque envie de les aimer, par amour du Peuple.

Comme un chef
Sébastien Cauet est produit par les précédents. Lui s’en tire comme un chef. Sa cuisine est parfois lourde mais jamais immangeable. Son ironie n’est pas sardonique. Il ne ressemble pas aux chroniqueurs du genre “moichtrouve” qui précèdent le journal du soir sur France 2. Il pratique la loufoquerie avec une distance qui est le propre de l’âge adulte. Imaginez ses concurrents déguisés en lapin ou en agent de police : ils ne trouvent jamais le ton juste, ils ne savent pas être légers, ils font de l’humour comme les pharisiens font de la religion – en frimeurs. On peut tout reprocher à Cauet, sauf ça. Même quand il a trouvé la faille chez son invité, il n’en profite jamais pour replâtrer les siennes.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3550 paru le 10 Décembre 2004

Au-delà de l'écran

La petite fiancée du crime
Il y a des coups de pub qui mettent mal à l’aise, surtout s’ils sont diffusés aux heures de grande écoute. Sept à Huit vient de faire la promotion d’un livre qui raconte une cavale après un braquage : prise d’otages, deux morts, un magot dans une valise, une fuite à l’étranger, et une histoire d’amour pour couronner l’affaire.
En pleine France giscardienne, ce scénario a ravi les foules, c’était l’ordinaire du cinéma de l’époque. On oublie en effet de rappeler que l’aura de prestige qui entoure le banditisme violent vient de toute une mythologie introduite par les producteurs dans ces années-là (à l’image de Bonnie and Clyde). Or quand on voit la photo du prince charmant au teint mat affligé d’un strabisme prononcé, non seulement on se dit que cette jeune fille est tombée sur la tête, mais que sa fable romantique n’en est pas une. L’autre lecture des faits consiste en effet à rappeler que cette allumée de 18 ans, qui voulait sans doute donner une leçon à son milieu, a suivi un braqueur après un hold-up sanglant, qu’elle a dépensé avec lui l’argent du crime, qu’elle a été jetée comme un mouchoir, et qu’elle a appris la mort de son héros par la radio. Raconté comme ça, le livre devrait se vendre nettement moins.

Bizarreries
" Sans les oracles d’hier, nous ne pourrions pas comprendre les bizarreries de l’époque postcommuniste. " Cette phrase du Roman de la Russie insolite de Vladimir Fédorovski (Le Rocher) aurait pu servir d’exergue au film de Jean-Michel Carré Un sous-marin en eaux troubles à propos du naufrage du Koursk.
Les bizarreries dont ce film documentaire se fait l’écho (étouffement d’un incident international entre les États-Unis et la Russie de Vladimir Poutine) ne sont pas les seules. D’autres entourent sa déprogrammation par France 2. Le jour de la publication de la présente chronique aurait dû être celui de la diffusion sur la chaîne nationale. Une projection en avant-première a d’ailleurs réuni la presse le 9 novembre. Mais des difficultés de dernière minute sont apparues, difficultés dont nous ignorons le principal ; toutefois la thèse véhiculée par le film n’y est sans doute pas étrangère, ni le fait que des spécialistes comme Hélène Blanc y apportaient leur éclairage sur les improvisations de l’État russe. Le dossier de presse fait état d’un texte paru brièvement le 22 août 2000, dix jours après le naufrage, sur le site Internet de la Pravda, selon lequel " un incident s’est produit dans la mer de Barents qui a failli conduire à l’éclatement d’une troisième guerre mondiale ". Qui donc a encore intérêt à prolonger ce mystère ?

Précision
À la requête expresse de son vice-président, précisons que l’Association des officiers de réserve de la Haute-Garonne est à l’origine de la conférence prononcée par Geneviève de Galard à Toulouse le 10 novembre dernier, et non l’Institut des hautes études de défense nationale, comme nous l’avions si légèrement affirmé.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3551 paru le 17 Décembre 2004

Au-delà de l'écran

Orianne et Priscilla
Dans notre société hypocondriaque, exprimer le moindre doute devant un cas présenté chez Delarue, lui suggérer comme remède un coup de gueule, déclencheraient certainement les foudres des pédopsychiatres et de tous ceux qui font profession d’expliquer aux Français pourquoi leur fille est muette.
Mais on peut toujours essayer de s’y risquer quand même.
Pendant une récente émission de Ça se discute consacrée aux anomalies du comportement alimentaire, nous avons eu droit au portrait d’une demoiselle anorexique nommée Priscilla et de ses parents éplorés. Jusque-là, rien qui ne mérite la plus scrupuleuse compassion. Mais le cas suivant était plus douteux. Pour le décrire, la production a diffusé un reportage où la malade elle-même, nommée Orianne comme Mme de Guermantes (à une consonne près), se penchait avec complaisance sur son propre cas, en nous expliquant combien son rapport à la nourriture était digne d’étude.
Après un quart d’heure, ce sujet qui aurait dû susciter la compassion comme l’autre finissait par inspirer le contraire. Orianne n’était pas mécontente de nous montrer qu’elle se nourrissait de flocons de maïs qu’elle classait par ordre d’épaisseur, à 3 heures du matin, selon un rituel que le commentaire considérait comme pratiquement sacré. Mais surtout elle était ravie de traiter devant nous sa mère comme une esclave. " Je voudrais poser mon plateau à la cuisine ", disait la malheureuse femme. " Non ! tu le laisses dehors, va dans ta chambre, et ça m’arrangerait si tu pouvais fermer la porte. " Vous ne rêvez pas, c’est bien la fille qui traitait ainsi sa mère.
Ensuite on les voyait toutes deux dans un centre commercial à la nuit tombée, la mère lui faisait essayer cinq pantalons dont aucun ne lui convenait, avant de confier à la caméra : " Quand j’entends les thérapeutes me dire que je suis trop fusionnelle avec ma fille, ça m’irrite terriblement. " Après quoi elle se tournait vers sa Barbie de 1,70 mètre et lui disait : " Allez tu vas voir, on va s’en sortir, ma fille. "
Ça se discute devrait songer à inviter de temps en temps un personnage de Candide brutal et vengeur, un substitut du père, ce père dont notre héroïne avait visiblement besoin, car le sien se contentait de prendre un air coupable en disant que leur vie était devenue un enfer. Cet homme aurait pour mission de dire à Orianne : “Ma fille, tes flocons de maïs coupés en quatre sont la métaphore de toute ton existence : tu désignes, par ce manège nocturne et dérisoire, l’étroitesse de ta liberté dans une famille névrosée. Si tu étais née dans la bourgeoisie moyenne de Bombay, non seulement le pays entier ne te regarderait pas chipoter jusqu’à minuit sur une chaîne nationale, mais tu n’aurais jamais contracté la maladie que tu infliges à ta mère.”
Les téléspectateurs se cotiseraient pour lui offrir un stage en Inde et la France aurait l’impression qu’un peu d’air vient d’entrer sur le plateau.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3392 paru le 30 Novembre 2001

Au-delà de l'écran

Personne n’en parle
Début novembre, une émission du service public intitulée Tout le monde en parle, présentée par l’animateur le plus vertueux de la profession, s’offre la participation du mannequin vedette Karen Mulder. Objet de ces vingt minutes : faire le point sur l’affaire de l’agence Elite (allégations de prostitution de luxe lancées contre une agence de mannequins par la mafia russe, comme en témoignait un magazine de TF 1 une semaine plus tard).
Or Karen Mulder, ce soir-là, n’a pas fait ce qu’on lui demandait, à savoir répondre docilement aux questions qu’on lui posait sans déborder du cadre. Elle a nommément accusé une dizaine de personnalités de faire partie d’un autre réseau, elle a accusé son père de viol, elle a demandé le témoignage d’une chanteuse présente en prétendant qu’elle avait subi les mêmes outrages.
Le fond de l’affaire n’est pas le propos ici. On est libre d’aller lire sur Internet les accusations qu’elle a portées et le récit de la soirée, notamment sur www.actu-star.com. On aura sans doute observé que je n’ajoute pas « si on n’a pas pu voir l’émission », car cette émission, personne ne l’a vue.
Et si la production avait pu faire en sorte que les trente jeunes gens invités à applaudir dans le décor ne l’aient pas vue non plus, elle l’aurait fait. La preuve, elle a fouillé le public à la recherche des Caméscope. La bande originale a été effacée elle aussi.
L’émission n’a donc pas été diffusée. Pourquoi en connaît-on le déroulement ? Parce qu’un des spectateurs, à peine rentré chez lui, s’est rué sur son ordinateur pour raconter l’entretien sur un forum de discussion. Une fois de plus, Internet devient le refuge de la parole dissidente contre une télévision muselée où le direct est en train de devenir hors la loi.
C’est déjà plus ou moins fait. On ne tolère, en direct, que l’ouverture des robinets d’eau tiède. La présence de ce qu’on appelle pompeusement le public (et que le music-hall eût nommé la claque) va finir par être supprimée elle aussi, puisque les témoins d’un incident de plateau se mettent à “balancer” (pour reprendre le médiocre vocabulaire de l’émission). Or sans public et en différé, une émission qui se veut provocante ne provoque qu’un léger fou rire et un violent malaise.
Un fou rire quand on songe que Thierry Ardisson a joué les redresseurs de torts pendant des années, dans un magazine nommé Interview, à propos des tripatouillages de la télévision. Un malaise, parce qu’il aurait suffi de dire à la caméra « Ces propos n’engagent que vous », et juridiquement l’accusatrice se retrouvait seule en ligne, face au public qui pouvait se faire une opinion. Au lieu de quoi notre journaliste, déguisé en abbé de cour jusqu’au sourire, est allé délibérer en coulisses avant de sucrer la séquence au motif que son invitée méritait un traitement psychiatrique. Comme disent les branchés, tout cela est d’une élégance “assez moyenne”.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3552 paru le 24 Décembre 2004

Au-delà de l'écran

La maison rouge
" Pour une enfant de 11 ans, elle avait une conscience phénoménale de ce qu’elle jouait " : ainsi s’exprimait, sur Arte, l’impresario allemand d’Irina, une fillette de Kharkov venue avec sa mère partager une chambre étroite dans la banlieue de Moscou pour suivre les cours de piano de la prestigieuse École centrale de musique. De prestigieux, ce conservatoire n’a plus aujourd’hui que le renom – et encore. C’est une maison rouge à six étages dont les élèves viennent pour la plupart de la Russie déglinguée, celle qui attend pendant des heures un bus orange au milieu des palissades.
Il faut dire que les cours sont gratuits. Les mères sont vêtues d’anoraks aux couleurs improbables. Les pères sont absents ou restés au pays. Dans les appartements minuscules, entre deux tapisseries du Caucase, sous un ciel jaune et violet, trône un piano d’occasion, aux formes modernes et dont on ne voudrait pas chez nous dans une brocante. Et pourtant c’est sur cet instrument qu’Irina, Ira, Frédéric et les autres jouent des partite et des préludes depuis l’âge de 6 ans.
Parfois ces prodiges recrutés dans leurs écoles provinciales laissent pantois leurs professeurs dès la première séance. C’était le cas de la petite Ira Tchistiakovan, qui ressemblait dans le reportage à une enfant de Manet et qui jouait Chopin, à Francfort, devant un parterre choisi. Elle était accompagnée d’Irina, autre interprète, presque majeure celle-là, qui concevait ses premiers doutes après huit ans de carrière : son impresario allemand voulait la voir étudier à Philadelphie, la caméra la montrait plutôt en train d’embrasser son vieux professeur russe, qui habitait lui-même dans un taudis mais qu’elle chérissait comme son grand-père. Cet homme émouvant nous expliquait qu’en Russie les professeurs de musique ne rentraient pas chez eux après les cours comme aux États-Unis : ils vivaient au contact de leurs élèves et leur rendaient visite dans leur chambre quand ils avaient le moindre rhume.
Déjà, dans notre moitié du monde, aucun professeur de piano n’irait border son élève le soir, par crainte d’être dénoncé pour attouchements dix-huit ans après, surtout si l’enfant a raté sa carrière de concertiste. Ensuite, on voyait la petite Irina donner un récital au Vatican en 1996, en présence de sa mère, devant le pape (le Saint-Père était assis seul devant le piano et la curie derrière lui). À la fin du concert, il se levait pour caresser la tête de l’enfant en témoignage d’admiration. Et soudain on comprenait mieux pourquoi l’Occident en général et la France en particulier n’ont plus aucune amitié pour les prodiges de 6 ans : c’est par défaut d’humilité devant la Providence. Notre pays répugne à admettre le caractère déterminant du don, de la grâce et de la génétique. Au nom de l’égalité des chances, nous n’aimons plus les surdoués. J’ignore comment M 6 va se débrouiller pour contourner ce tabou dans sa nouvelle émission sur les jumeaux, mais il va falloir jouer fin.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3554 paru le 7 Janvier 2005

Au-delà de l'écran

Cibles illégitimes
Le journal de France 2 a commenté la libération des deux journalistes français en y ajoutant une touche d’analyse qui laisse un peu perplexe. Au milieu d’une explication poussive sur les différents courants qui traversent l’“armée de libération islamique”, le commentateur précise que la France diffère des autres nations par sa politique arabe intelligente.
Et là, stupeur, il ajoute textuellement : " Les ravisseurs se trompent de cible en prenant des otages en France. " Voilà qui laisse entendre non seulement qu’il existerait des cibles plus légitimes que les Français, mais que certaines exactions, enlèvements, décapitations, etc. pourraient avoir des cibles légitimes tout court. Certes la France a de quoi se réjouir que l’analyse des ravisseurs ait fini par coïncider avec celle de France 2, puisque les otages sont libres et que leur bonne santé saute aux yeux. Mais il reste là-dedans une impression de malaise, que les déclarations de Georges Malbrunot n’auront fait qu’accentuer. D’ailleurs il suffit de taper son nom dans la case “recherche” des forums d’Internet pour flairer l’état de l’opinion, laquelle s’écarte notablement des thèses officielles et ne prend rien de ce qu’on lui dit pour argent comptant.

Décalé ou malsain ?
Sur Euronews, chaîne qui se distingue pratiquement toujours par sa sobriété et son bon goût, surtout dans le traitement des catastrophes, on pouvait entendre récemment un touriste italien exprimant son impuissance à remercier les Thaïlandais très pauvres qui avaient pourtant recueilli, nourri et vêtu les survivants européens en train d’errer en maillot de bain dans les ruines boueuses de leur hôtel.
Le jour même où les journaux télévisés détaillaient l’ampleur de la détresse en Asie du Sud-Est, le soir où l’on venait de voir les morgues pleines sous les cocotiers, France 2, encore elle, osait présenter l’odieux divertissement de Nagui, Ça va être votre fête, qui consistait à envoyer quelqu’un dans le lagon de Bora Bora. Naturellement l’émission était enregistrée depuis un mois. Et naturellement aussi, la chaîne l’aurait déprogrammée si le gagnant s’était vu offrir un séjour en Thaïlande.
Mais le problème n’est pas là. Le problème est dans la vulgarité de ce machin qui était une offense à tout ce qui avait précédé. Imaginez un présentateur accoutré comme Austin Powers qui s’écrie “yeah !” toutes les trois phrases et qui demande à ses invités “vous êtes fan de quoi vous ?” en guise de carte de visite. Imaginez l’un des candidats assistant à la destruction de sa propre voiture sur le plateau, à coups de batte de base-ball. Imaginez une vidéo truquée lui montrant ses deux fils de 10 ans en train de conduire ladite voiture le pied au plancher sur route réelle, avant un simulacre d’accident.
Pour finir, imaginez de remplacer “décalé”, le mot qu’emploient le plus volontiers les promoteurs du genre, par malsain, et vous aurez une idée du niveau pélagique atteint par le service public.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3555 paru le 14 Janvier 2005

Au-delà de l'écran

Bain du premier de l’an
Quand on considère avec un peu de distance le traitement médiatique réservé aux malheurs de l’Asie du Sud, on est frappé par l’excès de zèle qui s’est manifesté d’un côté, et la goujaterie qui s’est étalée de l’autre.
L’excès de zèle d’abord : Anne Hidalgo et les brillantes équipes de la Ville de Paris en ont fait preuve, en attachant un crêpe noir aux arbres des Champs-Élysées, pour un budget sans doute non négligeable, alors qu’il aurait suffi à tous les élus parisiens de porter un brassard noir pendant une semaine. L’effet d’annonce aurait été le même et la dépense moindre. À suivre le récit du réveillon et les images du feu d’artifice sur France 3, on voyait d’ailleurs que le recueillement était très modéré sur le pavé de Paris. C’est en vain que les équipes de tournage ont cherché de l’affliction autour d’elles. La liesse était partout. Comment pouvait-il en être autrement ? Nous vivons dans une société qui a besoin de commerce, de lampions dans les rues, de boutiques illuminées. Nous avons besoin de garder le moral pour atteindre sans encombre ni mauvaise conscience la période des soldes. Nous nous contenterons donc, comme la Mairie de Paris, de “marquer notre solidarité”.
Reste à donner une illustration de la goujaterie télévisuelle. En voici une glanée le même soir. Après avoir montré les plages dévastées de Patong et de Khao Lak où errent des orphelins maigres qui fouillent les décombres, nous sommes passés, sans transition, à un reportage sur le bain du premier de l’an à Biarritz (Soir 3). À ce degré-là de maladresse, nous pouvons parler de cas d’école.

Juste pour pleurer
Le festival canadien Juste pour rire puise traditionnellement, en cette période de l’année, dans le vivier des humoristes français, pour une soirée de sketches et de caméras cachées. Le numéro de l’année se distinguait par une inspiration particulièrement dégoûtante et sanglante. En voici un extrait, interprété par le fantaisiste Franck Dubosc, un orfèvre dans le genre douteux : deux personnages, dans la jungle, l’un armé d’une machette, l’autre très pot de colle. Par punition ou par sadisme, je n’ai pas tout compris, le premier tranche un membre de son compagnon toutes les quinze secondes. À la fin c’est donc un tronc sanguinolent qui rampe dans le sous-bois. Le bourreau ayant décidé de crever les yeux de celui qui rampe, la caméra devient subjective et borgne, puis l’image tourne au noir et c’est la fin du sketch.
Pas mal, pour une soirée de premier de l’an sur le service public ! Si vous ajoutez à cela que votre neveu de 10 ans a beaucoup insisté pour voir l’émission, vous vous retrouvez blême de colère en songeant à vos propres 10 ans quand Henri Salvador égayait la soirée, déguisé en lapin de garenne, et vous demandez à votre neveu : « Tu n’as pas honte de regarder cela ? Moi, si. Et j’ai encore plus honte de le regarder avec toi. » Votre neveu se lève pour éteindre le poste. Il est au bord des larmes.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3556 paru le 21 Janvier 2005

Au-delà de l'écran

Immunité journalistique
Le fait que trois responsables de la chaîne américaine CBS aient été licenciés après la diffusion d’un faux grossier accablant l’attitude du jeune George Bush pendant la guerre du Vietnam incite à la comparaison avec ce qui se serait passé chez nous dans un cas similaire.
Une approximation nous est fournie par le sort clément réservé à David Pujadas et à Olivier Mazerolle après l’avis de retraite anticipé d’Alain Juppé (rappelons qu’il s’agissait non seulement de devancer l’événement mais de peser sur sa nature puisqu’on annonçait la mort politique d’un homme impopulaire à gauche, or les rapports entre les médias et les forces de progrès sont identiques en France et aux États-Unis).
L’impunité qui caractérise les illusionnistes de l’information dans notre pays est aussi illustrée par Karl Zéro, lequel franchit sans cesse la frontière entre le show-biz et la politique pour camper du côté qui l’arrange. Après avoir négocié, dans l’affaire Alègre, un témoignage contre des avantages en nature, il jouit d’une immunité proprement incroyable. Amuseur quand la justice se fâche, il restaure sa prétendue “dignité de journaliste” quand l’orage s’éloigne.
On pourrait continuer dans ce registre et rappeler les acrobaties d’Edwy Plenel, mais il y a mieux, c’est-à-dire plus burlesque : une affaire qui discrédite pour longtemps les méthodes et la légèreté d’une presse qui vit d’approximations et de correctifs. C’est l’article de Libération sur la sociologie du jeu vidéo repris par France 2 en novembre dernier.
Tout commence par un canular lancé sur un site Internet : le retard à la sortie d’un jeu très attendu aurait provoqué, selon l’un des intervenants du forum, le suicide de 147 jeunes Japonais, par “ingestion de poches de silicone”. Déjà, on se demande quelle mouche aurait piqué ces collégiens de s’infliger un suicide aussi ridicule et malaisé. Cette bizarrerie, à elle seule, aurait dû inspirer la méfiance. Les poches de silicone sont destinées aux implants mammaires. Au prix d’un léger effort de perspicacité, on aurait pu se figurer que l’imaginaire de l’adolescence masculine hantait cette affaire dès le départ. Mais en reprenant cette prétendue information, Libération n’a émis aucune réserve, pas même celle-là.
Ce que dit Libération relevant de l’oracle pour France 2, le journal de Béatrice Schönberg s’est ouvert quelques jours après sur une “alerte aux suicides collectifs au Japon”. Trois minutes de reportage, pas moins, avec appel de “une” : Philippe Rochot nous a refait le coup des poches de silicone sur fond de foule asiatique. Ces suicides collectifs, nous a-t-il dit, inquiètent particulièrement les autorités.
Le correctif de France 2, un mois plus tard, a duré quinze secondes. Tous les intéressés ont conservé non seulement leur poste mais l’estime générale. On comprend très bien pourquoi le service public n’aime pas la logique industrielle de ses concurrents.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3557 paru le 28 Janvier 2005

Au-delà de l'écran

Téléthon budgétaire
“Et vous Christophe ? Vous êtes plutôt cigale ou fourmi ?” C’est la question vache que posait l’autre soir Évelyne Thomas à Christophe Dechavanne, son producteur, employeur et invité. Avec une abnégation totale, le Zébulon du Paf venait en effet d’accepter de remplacer la vedette de Combien ça coûte au débotté, ce qui l’a conduit à un degré de redondance et de cynisme assez rare dans l’autopromotion, puisque pendant les spots de publicité, on vantait les mérites du DVD de ses anciennes émissions !
Passons sur ces turpitudes et penchons-nous sur la soirée qui nous réservait elle aussi un télescopage acrobatique, entre une nouvelle rubrique intitulée “Argent de famille” et une intervention d’Hervé Gaymard sur la dette publique. Le ministre nous a rappelé, lors d’un reportage liminaire, que chaque enfant qui naissait sur notre sol était endetté de 16 000 euros. Le message implicite était que nous devions consentir à un effort pour redresser les finances du pays ; or, justement, l’émission réclamait le même effort à quatre membres d’une même famille sous la direction d’un “coach financier” qu’elle appointait pour leur permettre de s’acheter le “home cinéma de leurs rêves”.
Et les recettes que l’on fournissait à ces intendants domestiques avaient tellement l’air d’une allusion du second degré à la politique économique de la nation que je ne résiste pas au plaisir d’en citer quelques-unes. La première suggestion du coach financier (un vide-grenier) était formulée en ces termes : “Est-ce que vous avez des choses à vous débarrasser” (sic). Au langage près, c’est à peu près ce qu’a dit le ministère des Finances aux responsables du patrimoine immobilier de l’État. Ensuite, la mère de famille décidait sous nos yeux de se remettre au travail.
Et là encore, les Français pourraient suivre ce conseil sans réserve. Après quoi nous avons vu deux des membres de la famille faire des économies sur les yaourts. Mais cette fois, le secteur laitier serait nettement moins favorable à ce que la nation suive l’exemple de la famille modèle.
Le seul problème – mais est-ce vraiment le seul ? – est que les cobayes de cette télé-réalité budgétaire, après trois semaines, n’avaient réuni qu’un quart de la somme escomptée. Et là nous repassons de la micro à la macroéconomie, parce que le dernier conseil du coach était de tout réinvestir dans l’organisation d’une fête pour espérer gagner en quelques heures la totalité de l’argent requis.
Mission accomplie. Mais la chaîne a pesé de tout son poids pour assurer le succès de cette opération. La souscription des invités payants a rapporté 2 000 euros uniquement parce que les amis de la famille se sont précipités sous les caméras afin de passer à la télé. Moralité : puisque, comme on l’entend souvent, “y’a plus que ça qui marche”, l’État devrait renationaliser TF 1, organiser trois téléthons budgétaires par an et diminuer la dette publique en s’amusant.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3558 paru le 4 Février 2005

Au-delà de l'écran

Le père-adjudant
Évelyne Pisier était l’invitée de Sept à Huit il y a une quinzaine de jours, pour un livre tiré de ses échecs de mère adoptante. Son témoignage jetait une lumière navrante sur les mésaventures d’une génération. Comme on l’aura compris, il s’agit des soixante-huitards, qui ont souffert sous la férule d’un père-adjudant et qui n’ont pas voulu reproduire les vieux schémas, mais qui ont compromis l’avenir de leur progéniture en lui démontrant les mérites de l’autogestion dès l’âge de 6 ans et demi.
C’est un schéma encore plus vieux. Platon en parlait déjà. Il mène au désastre en deux étapes. Dans la première, les enfants se rongent la patte comme les lièvres pris au collet. Ils se droguent, s’automutilent, fuguent, ne font plus rien à l’école. Dans la deuxième, ils deviennent pires que le grand-père fouettard, ils nourrissent les bataillons de la haine et sillonnent les rues en tenue de camouflage.
Mais leurs parents viennent nous rappeler régulièrement que leur démarche était sincère. Évelyne Pisier nous a d’ailleurs expliqué, dix ans plus tôt dans un roman à clés, que sa sincérité l’avait menée jusque dans l’alcôve de Fidel Castro, ce qui dénote un rapport au père-adjudant pour le moins perturbé. Et si quelqu’un, dans dix ans, lui reproche d’être venue faire l’intéressante sur TF 1 à propos d’un drame familial en profitant de sa notoriété pour s’autojustifier et imposer sa propre version des faits, elle nous dira encore qu’elle était d’une sincérité parfaite.
Il serait temps de dire à ces gens qu’ils éprouvent la patience de leurs contemporains. On les préférerait moins sincères mais plus efficaces ou plus discrets dans l’échec.

L’hydre du conformisme
Le départ de Christophe Hondelatte du journal de 13 heures illustre la difficulté d’asseoir une notoriété médiatique sur le franc-parler. Entre Georges de Caunes, Mourousi et Hondelatte, la filiation n’était pourtant pas si difficile à imaginer. Mais pour France 2, elle était impossible à tolérer.
La rédaction de la chaîne publique s’est longtemps efforcée de faire de l’audience en laissant le champ libre à son présentateur, mais au fil des semaines France 2 a fini par redouter son succès. Après quatre mois, son image de modernité et de pluralisme débordait déjà du cadre fixé. Finalement, Arlette Chabot a compris que le présentateur jouait le public contre elle. En laissant Hondelatte faire son numéro, caser ses petites phrases (« Gardez la pêche, la banane, la cerise », etc.), elle prenait le risque de voir sa créature échapper à tout contrôle. Or certaines carrières témoignent qu’à France 2 il importe avant tout de savoir rester sous contrôle. De surcroît, comment ne pas rappeler que Libération, qui fut cause de la dispute entre la nouvelle star du 13 Heures et sa direction, faisait lourdement allusion à son catholicisme ?
Voilà de quoi irriter ceux qui dans la maison tenaient le promu pour réac. Décidément quelque chose, dans cette affaire, rappelle l’hydre qui eut raison de Rocco Buttiglione à Bruxelles.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3559 paru le 10 Février 2005

Au-delà de l'écran

Pyramide des âges
Au moment de lancer sa nouvelle émission C’était mieux hier, Évelyne Thomas, l’égérie des élus de campagne, nous aura bien prévenus : elle veut prouver que tout n’était pas forcément mieux avant. Dans ses déclarations liminaires, elle fournit des gages à la pensée dominante, qui consiste à chanter plutôt les louanges du présent. Elle abonde dans le sens des antinostalgie qui croient que la civilisation a commencé avec la découverte de la pénicilline.
C’est faire peu de cas de l’avis de ses invités, à moins qu’elle ne les invite, précisément, pour qu’ils disent ce qu’elle veut entendre. C’est surtout une imprudence, en ces temps où nous remontons aux sources des grandes erreurs de l’après-guerre. L’école au rabais, l’esprit de Mai 68, la permissivité, la grande distribution, la retraite à 60 ans, les 35 heures, rien n’échappe à la remise à plat. La production aurait donc intérêt à corriger l’assurance progressiste de sa présentatrice, le temps de savoir si les Français ont vraiment besoin d’être convaincus que rien n’était mieux avant. Parce qu’il n’est pas impossible qu’ils cherchent plutôt la confirmation du contraire.
Si l’émission prétend amender la sensibilité générale, en nous représentant que l’attendrissement sur le passé est une tentation absurde, elle risque fort de s’arrêter avant le troisième numéro. Les gens tolèrent de plus en plus mal d’être sermonnés pour avoir nourri l’intuition de ce qui est juste. En tout cas, ils n’ont pas attendu qu’Évelyne Thomas le leur dise.
Mais on peut faire confiance aux producteurs, Bataille et Fontaine, pour analyser les dernières tendances du marché. L’an passé, par exemple, nous apprenions avec stupeur que les trois épisodes de l’Affaire Dominici avaient réalisé le meilleur chiffre d’audience de l’exercice écoulé. D’où venait ce miracle ? On avait beau se pencher sur la réalisation, elle ne justifiait pas à elle seule un tel engouement. La thèse de l’erreur judiciaire non plus. Alors quoi ? Selon toute vraisemblance, ce qui expliquait ce phénomène, c’était le désir manifeste et opiniâtre de retrouver la France d’avant le rap et les problèmes sociaux. Pour faire de l’audience, il semblerait que le recours à la Panhard Dina et au soda Vérigoud soit l’une des recettes les plus sûres. Alors, répétons-le, avant d’adopter définitivement le thème “on vit une époque formidable”, avant de prétendre que la France de Robert Lamoureux ne vaut pas celle de Joey Starr, il vaudrait mieux se mettre à l’écoute de ce qu’en pense le pays. La forme de la pyramide des âges permet déjà de deviner que la notoriété de Joey Starr n’a pas grand avenir.

Une légende
À la veille de la mort de Jacques Villeret, l’émission Comme au cinéma nous a dit qu’il appartenait, malgré son âge, à la catégorie des Raimu et des Fernandel. Elle n’a pas ajouté que pour entrer dans la légende il lui manquait une disparition prématurée, mais on ne peut s’empêcher de le penser aujourd’hui.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3560 paru le 18 Février 2005

Au-delà de l'écran

Les roses de la Commanderie
« Ici, avant, c’était une vraie résidence, avec des pelouses partout. Pour les mariages on se faisait photographier devant les rosiers. » L’homme qui parle ainsi devant des enfants goguenards conclut : « Fini les rosiers, il n’y a plus que des voitures brûlées. » Il fait partie des habitants floués de la Commanderie, près de Nogent-sur-Oise, qui ont subi successivement la filouterie de leur promoteur, le pragmatisme froid de la France gaullienne et l’angélisme farceur de celle de Mitterrand. Nous avons donc vu pendant trois semaines un reportage réalisé sur place en deux ans et demi.
Parmi les milliers d’occupants de ces immeubles, vingt voyous font la loi. Et ils font tellement la loi qu’on a l’impression qu’ils ont fait le film. C’est le reproche que l’on peut adresser au réalisateur, qui prétendait se pencher sur une troupe de mauvais garçons avec honnêteté, c’est-à-dire en prenant le temps de les connaître afin de remonter aux origines de leur violence. L’ennui est que dans l’interprétation des choses, à de rares exceptions près, la direction du discours leur était confiée. Même le Monde, qu’on ne peut pas soupçonner de se raidir facilement, a souligné que le réalisateur avait dû se plier à la loi de la bande, afin que les voyous puissent contrôler leur image. Dans le genre “jusqu’où peut-on pousser le bouchon ?”, difficile d’aller plus loin, et d’obtenir plus belle victoire.
Après avoir passé des années à terroriser deux mille habitants (alors qu’ils sont une poignée), après s’être battus à coups de rasoir dans la gare de Creil, après avoir multiplié les “conneries” comme ils disent, les voilà devenus vedettes d’une sorte de téléfilm documentaire dont ils règlent pratiquement les éclairages.
Sur la violence elle-même, nous avons entendu des choses intelligentes, mais pas de leur bouche : le discours le plus sensé est venu du vice-procureur de Pontoise, qui a souligné que ces jeunes étaient connus pour leur tendance à l’affrontement violent dès l’école primaire. Il n’est pas allé jusqu’à suggérer que la correction de trajectoire intervienne à ce moment-là, mais il l’aurait dû. C’est l’un des graves défauts du film : nous n’avons jamais vu la sortie de l’œuf. Nous n’avons jamais vu des garçons de 6 ans faire la loi dans la salle de classe, sous l’œil d’une maîtresse incompétente qui parlemente au lieu de sévir.
Nous n’avons pas vu les jeunes intimider les vieux sur les parkings. Nous n’avons pas été témoins des premières expériences de l’enfant face à la démission institutionnelle : absence d’autorité masculine dans le primaire, féminisation outrancière de la magistrature (face à de jeunes coqs qui récusent le pouvoir des femmes en général), libertés conditionnelles à répétition, etc. En somme, rien d’essentiel n’a été montré.
En revanche, nous avons eu droit à l’inévitable “rédemption par le rap”, une escroquerie qui sera bientôt protégée par décret tant elle flatte d’illusions à la fois.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3561 paru le 25 Février 2005

Au-delà de l'écran

Braconnage administratif
Pour évoquer le numéro d’Envoyé spécial consacré aux abus de la Sécu, j’ai exhumé l’un de ces prospectus dont l’administration démagogue du règne Mitterrand inondait la France au début des années 1980. Il est titré en style d’époque, qu’on m’en excuse (au passage, il faut tout de même imaginer la série de fonctionnaires qui ont approuvé ce slogan à l’usage des bac – 5) : « La Sécu c’est bien, en abuser ça craint ». Dans le premier paragraphe de cette brochure, tirée à cinq millions d’exemplaires, on lisait en outre ceci : « la Sécu est un système que beaucoup nous envient».
Vingt ans après, on se demande combien de temps il nous reste pour susciter l’envie avant la faillite. Les cas décrits par France 2 étaient tellement accablants qu’on se demande aussi pourquoi le débat n’est pas devenu national dès le lendemain de l’émission. Les cafouillages de la carte Vitale, les rodomontades de ceux qui prétendent instaurer un dispositif d’identification sans s’assurer de la vérité des informations fournies, tout cela peut attendre. Il y a mieux et plus urgent. Qu’un patient d’origine algérienne en arrêt de travail soit en mesure de retourner vivre au pays aux frais de l’État français, tout le monde l’a entendu rapporter, de source sûre, d’un ami médecin, d’un collègue de bureau, de la dame du cinquième. Et que ce patient, une fois dans sa famille, soit capable de se faire prescrire deux mois de prolongation par un praticien de complaisance à Alger, on prenait cela pour une exagération. Or l’émission l’attestait clairement en caméra cachée.
Nous avons vu aussi, à Marseille, au fond des cours miteuses du quartier Saint-Charles, se multiplier des boîtes aux lettres qui fonctionnent comme des casiers à langoustes. Une fois par mois, leur détenteur vient les relever pour toucher le RMI. Et quand l’inspecteur finit par coincer l’un de ces braconniers administratifs, l’aigrefin promet de rembourser trois ans, d’un cœur léger. Pourquoi ? Parce qu’il vient de toucher sept autres années qui, elles, sont impossibles à rappeler aux termes de la loi.
Restait le clou de la soirée : un couple de retraités, elle ancienne lingère travaillant depuis l’âge de 14 ans, lui sans revenus et malade. Ils vivotent sur six cents euros, loyer compris, pour avoir cru à la répartition et aux vertus de l’honnêteté. De l’aveu même de l’inspecteur de la Ddass, pendant ce temps, d’autres utilisent les failles du système pour rouler carrosse. « Il y a des jours où ça me révolte », disait ce monsieur à la caméra.
Nous aussi !

Sottise force 9
Au journal de TF1, nous avons vu les permanenciers affectés à la veille sismique sur la zone pacifique américaine raconter d’un air gêné que le 26 décembre, ils n’ont pas su qui appeler dans l’océan Indien.
N’importe quel gamin aurait pu leur suggérer de consulter l’Internet pour composer le numéro de dix grands hôtels, de Phuket à Khao Lak.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3562 paru le 4 Mars 2005

Au-delà de l'écran

Déontologie et propagande
L’existence d’un “médiateur” sur France 2 a déjà fait sourire plus d’un habitué de la chaîne, mais l’exercice auquel vient de se livrer Arlette Chabot chez son collègue Jean-Claude Allanic relève de la pantalonnade. À France 2 on aime à se donner les apparences de la démocratie.
On se plaît à rappeler qu’on est à l’écoute. On parle de déontologie en se référant sans cesse au principe d’indépendance. Le téléspectateur est donc invité périodiquement à exprimer son opinion en direct. Et pour prouver qu’il est en direct, il glisse de temps en temps dans les limbes de la téléphonie au lieu de poser sa question. Nous sommes même allés cette fois jusqu’à la rupture de faisceau entre Paris et Lyon, avec mire et sifflement comme dans Intervilles : un cas d’école, surtout quand on songe aux directs quotidiens avec Bagdad ou Singapour.
L’émission du jour commentait un sondage désastreux. Le public des médias, si l’on en croit la Sofres, aurait de moins en moins confiance en la télévision. Pour alléger le fardeau côté France 2, Arlette Chabot est montée en première ligne afin de nous convaincre que vis-à-vis de sa chaîne la confiance restait entière. Ce genre de critiques s’adressait donc, selon toute vraisemblance, à la télévision privée.
Le poids d’une directrice de l’information étant largement suffisant pour intimider quiconque, Jean-Claude Allanic, qui se distingue par une tendance opiniâtre à l’effacement, a vu saboter son travail en direct. L’irruption d’un poids lourd de la direction a fait tanguer sa frêle balançoire. « Bonjour, quels sont les points qui vous paraissent positifs et ceux qui, peut-être, vous paraissent négatifs ? », a-t-il demandé à l’un de ses correspondants téléphoniques. (On notera le “peut-être”.) Le téléspectateur lui a répondu que récemment des images identiques, présentées sur France 2 et sur France 3, ont été situées respectivement à Mossoul et à Fallouja. Réaction d’Arlette Chabot : ça prouve bien la vigilance qu’il faut porter sur l’origine des images (sic). Outre la qualité du style, qui rappelle la verve experte de Martine Aubry, on relèvera que la directrice de l’information s’interroge sur l’origine des reportages au lieu de critiquer l’à-peu-près qui règne au moment de leur diffusion. Circulez, il n’y a rien d’autre à voir.
Quand on analyse d’ailleurs le ton des débats qu’elle prétend ouvrir dans ses différentes émissions, on est frappé par une évidence : elle n’ouvre plus rien, elle fermerait plutôt. Deux exemples récents : “La France peut-elle encore échapper au terrorisme islamique ?” et “Pourquoi est-il impossible de réformer la France ?” Dans ces deux titres, il s’agit d’asséner une vérité, pas de poser une question. Jusqu’ici, le journalisme avait pour objet d’élargir le débat. Mais la complexité des problèmes d’aujourd’hui semble interdire le maintien, dans l’information, de ce qu’on appelle la profondeur de champ. Voilà qui nous rapproche chaque jour davantage de la propagande.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3393 paru le 7 Décembre 2001

Au-delà de l'écran

Multirésistance
A la télévision, nul besoin d’obliger les invités à défiler en rang d’oignons pour ne voir qu’une seule tête : sur les plateaux le discours tend partout à devenir le même. Ce phénomène s’explique d’abord par une sorte de sagesse immunitaire du système. L’outil télévision isole les cellules aberrantes, les foyers d’infection et les paroles dissidentes afin de s’assurer que les plateaux ne se transforment pas en pétaudières.
Jusque-là c’est légitime et pas dangereux. Dans le pire cas, on se contente de coincer les discours atypiques entre de solides guillemets, des guillemets institutionnels, en attribuant pour vocation à l’émission de donner refuge aux originalités. La condition indispensable, c’est le direct. Or on connaît ses inconvénients : dans une société qui n’est plus seulement abreuvée d’images mais dominée par elles, une émission comme Droit de réponse constituerait un véritable péril. Elle donnerait à n’importe qui le pouvoir d’attirer l’attention sur un scandale, de proférer des menaces ou des accusations sans autre garde-fou que la correctionnelle.
Elle offrirait surtout un exutoire intolérable à la vérité. Le premier remède est venu naturellement : enregistrer. Hélas, le public préfère le produit frais. Il a donc fallu s’arranger pour que le direct s’éloigne le plus possible de la nature, pour que le produit frais ne sente jamais mauvais, pour que les foyers d’infection disparaissent du discours. Le recours aux antibiotiques était inévitable. Conséquence, depuis une vingtaine d’années, deux familles d’antibiotiques ont été administrées sans le moindre discernement : le recours à la dérision et l’appel au public. Quand un personnage a quelque chose à dire de façon plus solennelle que les autres, quand un tribun organise une conférence de presse le matin, ses propos sont travestis, le soir même, pour cinq millions de téléspectateurs (feu le Bébête-Show, les Guignols, etc.). Quand le même personnage s’exprime sur un plateau, on s’arrange pour que le public ne soit plus réduit aux quatre tondus de service, mais exposé par dizaines sur des gradins, où il réagit sur invitation expresse du présentateur afin d’atténuer la portée des propos tenus.
Le terme de l’évolution n’est pas encore atteint, mais il suffit d’observer les excès de la prophylaxie médicamenteuse pour se douter de ce qui va se passer. Après vingt ans de surconsommation d’antibiotiques, les formes de pensée infectieuses sont en train de développer une multirésistance.

Antibiotiques
Pendant ce temps, que fait Françoise Laborde, la scrupuleuse “chroniqueuse politique” de Télématin ? de la retape (travers dénoncé par un téléspectateur devant le “médiateur” de France 2) en invitant cinq ministres du gouvernement de Lionel Jospin en une semaine. Hélas, quand l’antibiotique est inefficace, il est inutile et dangereux de quintupler les doses.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3563 paru le 11 Mars 2005

Au-delà de l'écran

Malheur à ceux…
L’autre matin, les deux enfants de mes hôtes (6 et 8 ans) ont voulu voir la météo afin de mesurer l’étendue des chutes de neige autour de la capitale et de supputer leurs chances de ne pas aller à l’école. Les adultes s’étant éloignés vers la cuisine pendant quelques minutes, nous avons retrouvé les bambins bouche bée devant le journal de LCI, lequel leur expliquait que les parents du procès d’Angers prostituaient leurs enfants. On voyait la confession d’Odile, 26 ans, accusée de se livrer à des rapports sexuels devant sa progéniture. La présidente d’une association venait nous expliquer que les mères pédophiles étaient plus nombreuses qu’on ne le pensait. Elle accumulait les détails sordides. Ensuite, on nous citait le chiffre d’affaires mensuel de l’une des mères maquerelles : 300 euros. Rien ne manquait au tableau, ni la nature des sévices ni le pedigree des protagonistes.
De retour au salon, nous nous sommes rués sur la télécommande pour passer sur Télétoon. Hélas, le soir, au journal de TF 1, reportage sur le lieu de l’horreur. Gros plan sur la porte orange de l’appartement (vide) où les sévices ont eu lieu. Une voisine qui possède la clé laisse pénétrer une équipe légère. On filme les baies vitrées, la porte de la cuisine, la moquette sale.
Ensuite, une caméra subjective promène un zoom sur les enfants d’un square. À grand renfort de plans flous et d’angles bizarres, on essaie de nous donner l’illusion d’une menace diffuse. Re-rappel des faits en voix off, témoignage de voisines qui se donnent une importance extrême pour nous dire qu’elles n’ont rien vu mais que “c’est vrai que c’est inquiétant”.
Ce qui est inquiétant, c’est la débauche de commentaires sur ce qui devrait à peine franchir les limites du prétoire. On nous dit que la presse sera invitée à rendre compte de ces affaires sordides de manière prophylactique, afin de contribuer à une prise de conscience.
On essaie de nous faire croire que cette mise à plat médiatique fait l’unanimité dans l’opinion. Or nombre de parents considèrent que si la télévision nous inflige pendant trois mois ce qu’elle a fait subir aux enfants le jour de l’ouverture du procès, il va falloir prendre le maquis sur Télétoon jusqu’au 15 juin.
Quant aux vertus de la prophylaxie, il est permis de défendre exactement l’inverse de la thèse officielle. La débauche de transparence peut fort bien être interprétée comme la manifestation même de ce qu’elle dénonce : le viol de l’innocence. Ces histoires-là devraient épargner l’imagination de la plupart des enfants. Or par la faute des médias audiovisuels, une proportion accablante de gamins qui n’auraient pas cru que cela fût possible en sont persuadés au-delà du nécessaire.
« Malheur à ceux par qui le scandale arrive. » Cette parole d’Évangile, on l’oublie un peu, concerne non seulement ceux qui commettent des actes scandaleux mais aussi ceux qui se complaisent à les rapporter.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3564 paru le 18 Mars 2005

Au-delà de l'écran

Semaine de l’horreur
Dès qu’il est question des rapports entre les enfants et la télévision, les gens qui conservent un fond de morale se heurtent à la mystique de la licence obligatoire, comme si cette dernière fondait la démocratie. À bien des égards, on peut pourtant affirmer le contraire : le spectacle de la barbarie est incompatible avec le respect de l’homme.
Quand vous expliquez à de jeunes parents qu’il est indécent de laisser leur fille de 10 ans regarder le feuilleton la Crim’, où les enquêteurs essaient de résoudre l’énigme d’une femme dépecée qu’on vient de retrouver dans une demi-douzaine de sacs poubelle, il est incroyable d’avoir à s’en justifier.
Quand on voit programmer un dimanche à 21 heures (TF1) le film les Rivières pourpres, délire sadique qui commence par un exercice de médecine légale en gros plan sur un cadavre aux mains coupées, dont on nous précise que « les plaies ont été cautérisées pendant la séance de torture, afin que la victime ne meure pas trop vite d’hémorragie », on peut se demander si notre pays n’est pas tombé sur la tête. Souvenez-vous : il y a trente ans à peine, une simple fusillade réaliste, dans un film de gangsters, suscitait un débat national sur la violence.
Désormais, c’est le fait de manifester son dégoût devant les amateurs de carnage qui devient un objet de scandale. Pour illustrer cet accablant paradoxe, le soir même où l’on diffusait les Rivières pourpres, tiré du roman charcutier de Jean-Christophe Grangé, Fogiel opposait la pédiatre Edwige Antier à l’acteur vedette d’une autre ignominie cinématographique qui vient de sortir, Calvaire, réalisé par Fabrice Du Welz.
Thème du débat : “Les enfants sont-ils perturbés par la violence au cinéma ?” Par un mélange coupable d’expérience professionnelle et de bon sens individuel, Mme Antier estime que oui. Et elle ose le dire sur le plateau. Face à elle, l’acteur vedette du film, dès qu’il s’agit de défendre cette bluette où un malheureux est torturé, violé, humilié, travesti et couvert de sang par un village de demeurés pendant deux heures, est à court d’arguments. Alors Fogiel vole au secours du camp des tortionnaires en disant à son invitée, sur le ton d’un garçon de bains qui aurait bachoté un entretien d’embauche chez Gallimard : « Ce n’est que votre avis, mais des gens comme Hervé Bourges, dans son livre, sont d’un avis contraire. » Bravo pour le fayotage. Hervé Bourges, qui passe en France, c’est connu, pour une autorité morale indiscutable, est censé damer le pion à une spécialiste dont la pédopsychologie est le métier depuis quarante ans.
Quant à l’affaire du téléfilm tiré, ou plutôt arraché, par TF1, de la vie de Francis Heaulme et menacé d’un référé jusqu’à la dernière extrémité, il y aurait mille reproches à faire à la chaîne (et donc au CSA), mais arrêtons-nous au premier, qui concerne le titre : Dans la tête du tueur.
Honnêtement, si l’on faisait un sondage, combien de gens voudraient savoir ce qui s’y passe ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3565 paru le 25 Mars 2005

Au-delà de l'écran

L’intouchable de la parité
Le fait d’aborder un sujet aussi frivole que l’éviction de Marlène dans 1re Compagnie paraîtra curieux à nombre de lecteurs. Et pourtant, que d’enseignements ne tire-t-on pas d’un coup de sonde dans les profondeurs de l’opinion ! Quand une fille rieuse, provocante et intelligente fait l’objet d’une motion de censure aussi radicale, il faut s’interroger. Et comme en outre il fallait bien trouver un angle pour mentionner 1re Compagnie, divertissement sans joie ni génie, c’est fait, le voici : Marlène vient d’être victime des humeurs de la ménagère de moins de 50 ans !
Selon toute vraisemblance, le vote qui l’a obligée à quitter le jeu était un mouvement de dépit féminin devant une poupée sans complexes, dégagée de toute entrave, et, circonstance aggravante, non dépourvue de neurones. Il suffit d’entendre les commentaires masculins à son sujet depuis dix ans, en France comme en Espagne, pour comprendre que Marlène entretient une connivence naturelle avec les hommes dans le dos de leurs épouses. C’est pourquoi, malgré une prestation amusante sous les cocotiers, une plastique généreuse, un parcours médiatique sans faute, elle vient d’être virée par le public féminin contre la stratégie marketing imaginée par TF1.
En voyant triompher le lobby des pasionarias de la parité, dont l’influence ne cesse de croître, on s’avisait que, depuis les actrices du XVIIe, les courtisanes du XVIIIe, les cocottes du XIXe, la réaction de la mère, de l’épouse, de la travailleuse contre les mangeuses d’hommes est toujours la même. Face à la Créature qui distribue ses sous-vêtements sur le plateau de Cauet, on assiste en France à des réactions de rejet qui tiennent de l’exorcisme. Marlène est une sorcière comme le furent Valérie Kaprisky, à l’époque de l’Année des méduses, et Vanessa Paradis, qui confiait lors d’une interview son soulagement de s’être éloignée de sa notoriété de lolita car certaines femmes, dans la rue, lui crachaient au visage.
Réincarnation Sur LCI, une bande-annonce nous invite à regarder une émission dont j’ai oublié le nom mais qui nous propose d’entrer dans l’intimité de ceux qui font la culture : l’invitée était Jenifer, égérie de la génération “j’veux dire c’est clair” et réincarnation de Mireille Mathieu, version nombril à l’air. La culture selon LCI s’éloigne un peu du Louvre…

Incongruités
Jean-Marc Morandini, dont le livre sur les salaires de la télé provoque moins de commentaires que l’appartement d’Hervé Gaymard, était reçu par Ruquier l’autre soir. Quand on compare la tâche d’un amuseur à celle d’un ministre, on s’étonne de voir que le premier gagne cinq fois plus que l’autre, mais il est incongru de le dire. Quant à suggérer qu’Hervé Gaymard, s’il avait eu le temps de réduire la dette publique, aurait mérité de s’installer gratuitement à Trianon avec sa parentèle, c’est une autre incongruité, dont la moitié de nos compatriotes seront pourtant persuadés un jour.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3566 paru le 1 Avril 2005

Au-delà de l'écran

Préséance parentale
L’histoire commence classiquement dans une officine de production londonienne. Quatre créatifs mettent au point le thème d’une nouvelle émission de téléréalité. Elle aura pour objet de rendre la main à de jeunes parents dépassés dans l’éducation de leurs enfants en faisant intervenir une super nanny suivie d’une équipe de tournage. Cette psychologue de terrain devra restaurer la préséance parentale, en évitant, par exemple, que les enfants de 4 ans ne décident eux-mêmes de leur menu, ne distribuent des coups de fourchette à table, et ne fassent la loi dans la famille.
Si cette idée avait mûri chez un producteur de la Plaine Saint-Denis, à supposer qu’elle ait pu franchir le stade de la réunion hebdomadaire, aucune chaîne française n’aurait fait le premier pas. Concept trop réactionnaire. Trop dangereux. Trop courageux dans une société où la moindre faute de goût peut déclencher une chasse aux sorcières. Tandis que Super Nanny arrive en France après une saison sur Channel 4 en Angleterre, et un succès sur ABC en Amérique. Avec un tel brevet de navigabilité, même un concept deux fois plus réac aurait marché en France et les autres chaînes ne manqueront pas de s’en souvenir.
Pour l’heure, rendons hommage à M 6 : dans le suivisme culturel, la chaîne aurait pu être nettement moins inspirée. Super Nanny, avec son mélange de dérision (le générique est une parodie de James Bond) et de sérieux pédagogique, est une émission très réjouissante parce qu’elle met en lumière la névrose des parents immatures qui prennent un air distrait lorsque leur enfant les provoque et qui craignent d’être moins aimés s’ils disent non.
Quand nous voyons la super nanny déclarer au père de famille « on ne vous entend jamais, ou bien alors il faut vraiment dresser l’oreille », quand elle souligne que la mère est brouillonne et inefficace, on se demande pourquoi elle a le droit de le dire aussi librement alors que les éducateurs traditionnels n’ont plus le droit d’en placer une.
La première explication tient à l’instrument télévision. Il permet de faire passer les leçons les plus rudes avec le sourire. Mais la deuxième est que la super nanny est une femme (ce qui lui permet de restaurer le principe masculin dans la famille sans faire hurler les louves du féminisme). La méthode est efficace : à coups de recettes éternelles et de règles simples, l’intervenante rétablit l’ordre en huit jours.
On rêve à l’application du même principe dans une école primaire. On pourrait imaginer par exemple d’adjoindre un super instit à certaines maîtresses que M 6 recruterait parmi le pourcentage écrasant de celles qui font preuve d’une hystérie bavarde et qui ne savent rien exiger. Un plateau illustrerait le rapport entre incompétence éducative et violence sociale. Un détenu viendrait expliquer qu’il regrette d’avoir eu des parents cool et des profs inexistants. Mais il faudra sans doute attendre que le concept traverse l’Atlantique.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3567 paru le 8 Avril 2005

Au-delà de l'écran

Bâton glacé
Guy Carlier aura beau invoquer l’emportement du direct, la part de l’improvisation malheureuse, le ton humoristique très balisé de sa chronique, il est sorti de la route. Il a même enfoncé le rail de sécurité lorsqu’il s’est écrié, à propos du prince Rainier mourant : « C’est triste, c’est vrai, mais on n’est pas vraiment submergé par une émotion romanesque. » Il a commis une faute. Non pour avoir fait rire aux dépens d’une famille dans l’affliction – il paraît que c’est le sommet de la modernité – mais pour avoir cru que tout le monde allait suivre. Quand il n’y aurait eu que le centième des gens à l’écoute, ce soir-là, pour songer que les enfants Grimaldi avaient le cœur gros, croire que le public (le fameux “on”) était prêt à communier dans le ricanement représentait une stupidité.
Pour notre chroniqueur, spécialiste du traitement des élites façon bâton glacé (je lèche d’un côté, je mords de l’autre), non seulement le public n’a pas toujours raison, mais c’est plutôt le contraire. Tout ce qui forme la majorité lui répugne. Sur une chaîne du câble, ce serait son droit : Canal Plus vient d’ailleurs d’établir un parallèle entre le pape et Rainier qui mérite de finir dans l’anthologie du mauvais goût à la française. Mais dans le cas de France Télévisions les choses sont différentes : la chaîne et la France ne font qu’un. France 3 devrait donc se comporter comme une chaîne du peuple, du peuple entier, parce qu’une grande part de ses subsides provient de ceux qui la regardent. Dans un pays normal l’autorité de tutelle devrait donc lui interdire d’offenser son public, sans parler de ses voisins, mais ce pays normal est-ce encore le nôtre ?

“L’empire
de la télé-réalité” Ce titre est celui d’une remarquable étude de Damien le Guay parue aux Presses de la Renaissance sur la sacralisation de la banalité par la télévision.
Parmi les articulations du raisonnement à souligner au feutre rouge, signalons l’inconséquence des intellectuels, qui dédaignent la trash télé mais qui n’ont jamais cessé d’accabler les références à la famille, à la région, à la nation, comme suspectes de dérive identitaire.
Faute de l’ancrage instinctif et traditionnel qui leur est interdit (et que les émissions culturelles, le cinéma, les téléfilms débinent depuis vingt ans), les gens du peuple et les immigrants se tournent donc vers une mythologie sociale au rabais : castings, télé-réalité, déballages douteux, la liste est longue.
Mais pour que l’identification au héros fonctionne dans le nouveau système social, il faut aussi et surtout changer la nature du héros. Plus de “grosses têtes”, plus de supériorité réelle, plus de caractères taciturnes ou originaux : il faut fabriquer des modèles qui ressemblent à tout le monde, pour pouvoir vendre à chacun sa propre image. Cette médiocrité militante, qui obéit au précepte “bats-toi pour rester toi-même”, est le creuset de la plupart de nos insuffisances, et ce livre la décrit à merveille.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3568 paru le 15 Avril 2005

Au-delà de l'écran

On a presque tout dit
Sur la mort du pape, il paraît que tout a été dit mais, à la télévision, on a surtout dit n’importe quoi. Témoin cette perle de concours, ce joyau de collection que j’extrais d’un commentaire en voix off au 20 Heures de TF1 : « En Inde, pays de religion musulmane (sic), on ne compte que 2 % de catholiques. »
Quant au reste, c’est-à-dire l’organisation des cérémonies, les voyages de Jean-Paul II, le protocole, les déplacements des grands de ce monde… tout a été couvert jusqu’à satiété en empruntant les autoroutes de la pensée. Nous nous contenterons donc, en quelques questions-réponses, d’indiquer au lecteur des chemins vicinaux.
D’abord, l’hypercouverture médiatique fut en elle-même un sujet de débat : était-il légitime de multiplier les éditions spéciales, surtout sur le service public, eu égard au caractère religieux du sujet ? Pour ce qui est du volume, la mort du pape a bénéficié d’une couverture comparable à n’importe quel événement de la même ampleur.
Mais la laïcité ? Justement, les inquisiteurs de la laïcité ont choqué nombre de Français. Leur tartuferie souligne à quel point notre vie sociale porte l’empreinte du christianisme. Vouloir extirper toute référence à cette empreinte dans les usages et le vocabulaire, notamment dans les médias, représente une mutilation. On en vient à se demander s’il ne faudrait pas fonder une association pour défendre les 4 284 communes qui ont le malheur de porter un nom de saint.
Quand on voit jusqu’où les commentaires sont allés dans la casuistique à propos des drapeaux en berne, quand on entend les arguties des uns et des autres, on se dit que les reportages sur la Saint-Nicolas, la Saint-Patrick ou le pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer seront bientôt soumis à quelque loi de quota grâce à la vigilance experte de nos députés socialistes. Ce qu’ils ne voient pas, c’est combien l’unanimisme médiatique à propos du pape désigne un sursaut d’identité dans la France discrète et secrète, celle pour qui la référence au christianisme est en train de redevenir politique.
Ensuite il y a les “prises de position” de l’Église sur l’avortement, l’homosexualité, l’euthanasie ou la contraception. Le pape, nous a-t-on rappelé, incarne un catholicisme sans concession. Pour plus d’honnêteté, les commentaires auraient dû nous rappeler les concessions consenties par les musulmans ou les juifs sur les mêmes sujets. On n’a rien entendu, et pour cause…
Reste la Chine, échec de Jean-Paul II, a-t-on souligné, l’un des deux ou trois pays qui manquent à son tableau de mission. Et là, personne ne s’est interrogé sur la persécution dont les chrétiens sont victimes en Chine, personne n’a voulu voir ce qu’elle désigne en termes de géopolitique (notamment dans nos rapports futurs avec l’islam) : les autorités chinoises ont lieu de craindre le déferlement d’une religion compatible avec le confucianisme, fondée sur l’amour du prochain et le dédain de la violence. Et nous, de nous en réjouir.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3569 paru le 22 Avril 2005

Au-delà de l'écran

Le fardeau de la liberté
Parmi ces films qui jouissent d’une rumeur favorable mais qu’on n’a pas eu le courage d’aller voir à leur sortie, le Moi César, 10 ans, 1 m 39 de Richard Berry s’est hissé en bonne place, ce qui explique la curiosité suscitée par son passage à la télévision. Il est permis d’en tirer prétexte pour illustrer l’escroquerie dont les parents modernes se rendent coupables quand ils infligent à des enfants aussi jeunes le fardeau de la liberté.
Que voit-on dans ce film ? Deux garçons, l’un, César, accablé par une famille ordinaire, affligé d’un père débordé mais sévère ; l’autre, Morgan, métis issu d’un Anglais et d’une Martiniquaise qui travaille la nuit. Les parents de ce dernier sont divorcés. Il vit seul entre l’école, le réfrigérateur et la télévision.
Aux yeux du jeune César, dont la famille est tellement ringarde que sa propre mère est enceinte et ne travaille pas, Morgan réunit tous les avantages : il est trop cool, il porte un prénom à la mode, il n’appartient à aucun groupe social défini, il passe la journée à regarder son portable, il est abonné aux chaînes du câble et zappe entre foot et porno après ses devoirs. Car en plus, il travaille bien à l’école.
Que manque-t-il donc à ce garçon pour atteindre le sommet de la félicité ? La présence de son père.
Nos deux amis s’en vont donc à Londres pendant vingt-quatre heures par l’Eurostar, pour éplucher l’annuaire à la recherche de tous les homonymes du géniteur absent.
Jusque-là, on se dit que le film pourrait rencontrer une vérité immanente, à savoir que Morgan a besoin d’une règle. Lui qui ne connaît que Canal Plus et la PlayStation, il se verrait bien délivré de toutes les angoisses que lui inflige sa condition d’affranchi. S’il retrouve son père, avec un peu de chance il va tomber sur un homme exigeant qui le consolera de dix ans de liberté. Il recommencera à prendre de vrais repas, il cessera de composer des SMS pour d’autres analphabètes issus de familles monoparentales, il ne dira pas “trop génial” toutes les trois phrases, bref il aura une chance de devenir adulte avant l’âge de la retraite.
Hélas ! quand on voit le genre du père anglais, on mesure à quel point le réalisateur a choisi de compromettre le destin de son héros plutôt que de déplaire au public. L’Anglais reçoit donc cet enfant, dont il ignorait l’existence, avec la patience niaise des pères à la nouvelle mode, ceux qui sont tolérés par leur progéniture à condition de faire oublier leur faute originelle.
Laquelle ? Pour résumer, il représente un principe masculin dans un monde émasculé. Le scénariste nous le décrit comme hyper sympa. En tout cas il n’est pas du genre à susciter l’aigreur de sa famille en exigeant quoi que ce soit. Il n’est pas comme ces mauvais pères de la publicité que nous voyons chaque soir ridiculisés en plein accès d’autoritarisme par une conjuration mère-fille.
Nous voilà soulagés pour le jeune Morgan. Mais un peu inquiets tout de même pour la morale sociale.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3570 paru le 29 Avril 2005

Au-delà de l'écran

Immodestie
Depuis dix ans, à coups de bêtisiers et de documents oubliés, la télévision s’attendrit sur les ridicules des époques passées. Depuis dix ans, les présentateurs qui se croient à la mode, c’est-à-dire ceux qui exilent dans la préhistoire la “télévision de papa”, nous présentent des morceaux choisis en essayant de prouver que pour leur part ils voyagent à bord du train de la modernité.
Or quand on y regarde de près, la plupart sont déjà tombés sur la voie. Une émission comme le Plus Grand Français de tous les temps sent le ballast à plein nez. Nos plateaux de divertissement paraîtront demain aussi grotesques et démodés que les chansons d’Ouvrard (“J’ai la rate qui s’dilate, j’ai le foie qu’est pas droit…”). Par exemple, quand les petits-enfants des participants à la Ferme Célébrités reverront leurs aïeux en train de singer l’Amérique qui singe elle-même les paysans (car on oublie que le concept est sous licence américaine), quand la France future regardera celle d’aujourd’hui, on s’apercevra que pour rester moderne il aurait fallu échapper à l’immodestie au sens classique, c’est-à-dire pratiquer la retenue et ne point sombrer dans l’excès. Au lieu de quoi, que voyons-nous ? L’inverse.
Pourtant, c’est justement en rejetant le passé dans le Moyen Âge que le système médiatique aiguise notre sens du ridicule à propos du présent. Mais il s’en moque. Les producteurs des plateaux les plus complaisants et les plus stupides n’ont que faire de l’après-déluge, puisqu’ils sont dans le nihilisme jusqu’au cou. La modestie et la pudeur ne se conçoivent que si l’on craint un recours aux archives, Dieu sait pourtant que notre époque adore l’indexation. Dieu sait qu’au temps du numérique, rien ne se perd. Dans ces conditions, on comprend mal l’impudence des bateleurs et des hommes politiques. Ne craignent-ils pas d’être jugés un jour ? Au contraire. Ils ne craignent plus rien. Ils croient que les archives seront dispersées ou ignorées parce que notre époque a la mémoire de plus en plus courte (voir le retour immodeste, toujours au sens classique, de Lionel Jospin). Mais surtout, ils nous donnent, par leur défaut de solennité, par leur mépris de la postérité, une idée indirecte des épreuves qui nous attendent. Car s’ils sont persuadés que personne, de leur vivant, ne leur fera le coup du bêtisier, c’est qu’ils connaissent ces épreuves et savent qu’elles effaceront la mémoire de leurs contemporains, ce qui n’est pas très rassurant.

Benoîtement
Il n’est pas besoin de connaître la prophétie de saint Malachie pour lire dans le regard de Benoît XVI l’annonce des tribulations de la chrétienté. Ses propos de 2004 sur l’absurdité de la Turquie européenne, que les journaux télévisés n’ont guère voulu rappeler de crainte de peser sur la campagne électorale, évoquent l’affaire du couloir de Dantzig. Il a dit, fort benoîtement, ce qu’il en pensait. Mais certains, pour protéger leurs illusions, voudraient déjà qu’il se taise.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3571 paru le 6 Mai 2005

Au-delà de l'écran

La route du danger
À première vue, tout inspirait la méfiance : le titre de l’émission (Docs de choc), l’heure tardive, le genre archi-rebattu, hyperbalisé, auquel appartiennent des programmes comparables comme Incroyable mais vrai, Ça vaut le détour et généralement tous ces plateaux où des présentateurs envoient des bandes vidéo californiennes en disant : « Quand elle sort de son cottage de Boulder City, Pamela ne pense certainement pas qu’elle va connaître la frayeur de sa vie. »
Au sommaire, outre les inévitables images de base jump et différents reportages chez les gens les plus vernis de la planète (dans l’entourage de Schwarzenegger), un document sur une “route du danger” au Kenya, la 109, qui va de Nairobi à Mombasa, où les camions se croisent et parfois se heurtent, ça dépend des jours.
Souvent les chargements sont renversés dans le fossé et les conducteurs roulés hâtivement dans un drap par la police. On voit bien que l’urgence n’est pas de prévenir la famille mais de dégager la voie.
Soudain, on nous désigne la silhouette triste et maigre de Pascal, un Rwandais de 35 ans qui a fui les massacres dans son pays pour offrir ses services comme mécanicien le long de cette route. Inlassablement il marche à la recherche d’un camion échoué dont le conducteur le paiera pour réparer un essieu.
On n’en croit pas ses oreilles. En pleine émission bas de gamme, entre deux reportages à sensation, malgré un niveau de vocabulaire visiblement calculé pour ne pas fatiguer les amateurs de mangas attardés devant leur poste un Coca light à la main, voici, dans un français parfait, la confession bouleversante d’un réfugié-philosophe : « Le Kenya, dit-il, est le seul pays d’Afrique où l’on peut encore se sentir humain. » Sa famille ? « Ils sont tous morts à cause de la guerre, de la maladie, et de la pauvreté. » Ses projets ? Aucun. « Je suis né pour souffrir, je n’ai jamais été heureux dans ma vie. » Et sa conclusion ? «J’ai quand même des raisons de vivre. Oui je sais pourquoi je vis, mais c’est mon secret.»
En voyant s’éloigner dans le champ de la caméra cette silhouette vêtue de l’éternel T-shirt bleu maculé qui sert d’uniforme au dénuement et au désespoir dans le tiers-monde, la première réaction serait de se dire : pourquoi un homme aussi travailleur, aussi émouvant, aussi francophone, n’est-il pas accueilli séance tenante par notre pays, à l’heure où d’autres y débarquent sans qualification, sans apprendre la langue, et sans nous parler d’autre chose que de leurs droits ?
La deuxième réaction consiste à réfléchir sur la légèreté, pour ne pas dire l’escroquerie dont la culture française est coupable en Afrique. Après avoir envoyé là-bas moult religieuses et instituteurs pendant cinq générations, nous laissons les surdoués de l’humanisme sans défense, les uns devant la loi de l’Islam, les autres devant la logique de la machette. Certains jours, en longeant la 109, Pascal le Rwandais doit méditer la question avec amertume.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3572 paru le 13 Mai 2005

Au-delà de l'écran

Télévision soviétique
Les frères Kahn étaient les invités de Stéphane Bern l’autre semaine sur France Inter. Au milieu de cette conversation à cinq ou six qui devient le lot de tous les plateaux, où personne n’écoute personne, où chacun cherche à dénaturer les propos de son voisin en s’adressant au public et où il s’agit de caricaturer la pensée d’autrui, de peur que les gens ne consentent à réfléchir, Jean-François Kahn a tiré à lui non la couverture, mais le tapis. En réponse à une réflexion banale, il a parlé de la campagne télévisuelle pour le référendum. Afin d’illustrer que, contrairement à la plupart des acteurs, des humoristes et des présentateurs, il n’avait aucune envie d’influencer le choix de l’électorat, il a précisé que les deux tendances étaient représentées dans sa famille : son frère le Professeur voterait probablement non, et lui sans doute oui, mais là n’était pas la question.
– Ah bon ? a dit Stéphane Bern, et quelle est la question ?
– Avez-vous déjà vu l’émission de Christine Ockrent sur la 3 ? C’est de la télévision soviétique !, répond abruptement JFK.
On est obligé de convenir qu’il ne s’abrite pas derrière la langue de bois.

Querelle de larrons
On ne va pas s’émouvoir outre mesure sur le sort de Bruno Gaccio, l’homme qui, dans un sketch des Guignols, faisait récemment des pronostics sur l’ordre d’arrivée de Rainier et de Jean-Paul II chez saint Pierre. Ses mésaventures avec Canal Plus ressemblent au monde professionnel qu’il fréquente. Les méthodes supposées de son employeur ne surprendront personne. Dans cette affaire, le cynisme que l’on prête à la chaîne ressemble à celui qu’elle attribue pour rire à ses marionnettes politiques de 19 h 30. On se demande qui a déteint sur qui.
Quelle que soit l’issue de l’enquête, on peut déjà y voir une querelle de larrons. L’employeur et l’employé sont dans le même sac à bien des égards. Ils auront durablement contribué à discréditer, dans notre pays, la vertu et la raison, en essayant de faire passer toute parole solennelle pour un tissu de mensonges, toute nouvelle loi pour un calcul, toute réforme pour une sottise, tout accès à la notoriété pour un travail d’attaché de presse. Il y a des gens qui rapetissent tout. Ce n’est pas nouveau. La nouveauté tient à la puissance qu’on leur confère. L’humour réducteur des Guignols peut être comparé à celui des bouffons de carnaval, ou à ces personnages grotesques qui précédaient le char du consul dans la Rome antique. Seule différence, le rire libérateur intervenait, en ces temps lointains, deux fois par an, quand la pression du pouvoir sur le peuple s’était accumulée. Aujourd’hui la soupape fonctionne deux fois par jour.

Rétroviseur
Le feuilleton sur Dalida, inspiré par son frère, ne manquait pas de qualités. La plus discrète était d’illustrer que la France de l’époque est minuscule dans le rétroviseur et que la nostalgie relève aujourd’hui de la politique.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3394 paru le 14 Décembre 2001

Au-delà de l'écran

Les “zinzins”
L’objet de ce couplet n’a rien de financier comme on s’en doute, il ne s’agit pas d’attirer l’attention sur les investisseurs mais sur les invités institutionnels, ceux dont la présence est quasi obligatoire à la télévision. Certains ont quelque chose à vendre de manière récurrente. D’autres restent la coqueluche pendant des mois, on ne sait trop pourquoi, mais on sait pourquoi c’est trop.
Prenez Gérard Miller, par exemple. Michel Drucker l’a licencié après plus d’un an de services (ni bons, ni loyaux, à en croire la querelle picrocholine qui vient d’éclater au sein de l’équipe, et qui déborde jusque dans les colonnes du Monde).
Le propos n’est pas d’entrer dans ces niaiseries de courtisans mais d’illustrer, à travers le cas de ce psychanalyste tête-à-claques, que la télévision généraliste dévore ses enfants. Miller, connu pour avoir milité chez les maoïstes (comme la ministresse de la Justice, et tant de ceux qui nous gouvernent), est tellement emprunté dans la fantaisie qu’il met ses voisins mal à l’aise sur tous les plateaux. Parallèlement, ce malheureux exerce son métier de psy avec une telle grossièreté dans l’analyse que ses pairs lui reprochent désormais de ruiner leur image. Pour remédier à ce double inconvénient, quelle idée originale a-t-il trouvée ? Ecrire un livre.
S’agissait-il de profiter de sa renommée pour toucher un million de francs ? Pas du tout. Qu’allons-nous chercher là ? Il s’agissait de « jeter un regard critique sur le milieu télévisuel ». Le problème est que son patron (Vivement dimanche prochain) n’a pas aimé le regard, et encore moins la critique (on murmure que Jean-Marie Messier non plus, à qui Miller a tendu, en direct, la feuille de salaire d’un smicard au mois de mai dernier). Drucker a donc signifié à Miller son congé définitif, révélant lui aussi sa vraie nature, qui n’est pas d’un humoriste patient, humble et philosophe, mais d’un caporal susceptible, qui sait à l’occasion se montrer souple avec les puissants.

Leçons de français
Il fallait voir, sur un plateau dont j’ai oublié le nom, Pierre Perret nous donner des leçons de français, après avoir siégé dans une commission de réforme des formulaires administratifs. Il fallait le voir multiplier les fautes : « J’vous ai amené c’truc-là », « C’est une mesure qui a été bienvenue par les utilisateurs » ; il fallait l’entendre confondre simplification et relâchement : « Y’a des pauv’ gens qui comprennent pas des tas de mots ». Même Bernard Pivot, son complice à la commission, lui aurait sans doute suggéré d’en faire un peu moins ce jour-là, c’est tout dire. Certes, le langage administratif manifeste une propension ridicule à la complexité (par laquelle les médecins de Molière cherchaient déjà à se protéger du vulgaire), mais en le rappelant trop souvent, on cherche à dissimuler que si les gens ne comprennent plus les formulaires, c’est avant tout parce qu’ils ne savent plus lire.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3573 paru le 20 Mai 2005

Au-delà de l'écran

Vous permettez que je termine
Une phrase a fait pouffer de rire les invités du “grand débat” de TF1 sur le référendum pour la Constitution européenne : «Je respecte les choix de chacun, en tout cas ceux de gauche.» Le défaut de respect que confessait ainsi François Hollande, homme d’apparence débonnaire, envers ceux qui ne sont pas de sa famille mériterait un débat entier.
Ces paroles, même si elles ont été proférées par inadvertance, sont détestables. Elles sont lourdes de ce qu’elles impliquent quant au passé et quant à l’avenir. Au nom d’un principe identique, celui de la séparation du bon grain et de l’ivraie, on a envoyé des millions de gens en déportation politique à travers les âges. Les cérémonies du 8 Mai nous l’ont rappelé, où Poutine s’est invité sans vergogne dans le camp de la liberté.
Pour équilibrer la critique du fameux débat, rappelons qu’on a pu entendre le même soir, dans la bouche d’un représentant du camp adverse : « Vous détruisez l’Europe sans aucune idée de comment la reconstruire. »
Là nous sommes au cœur d’une autre forme d’irrespect. Dans un livre récent sur la syntaxe, l’écrivain Renaud Camus illustrait que, dans le français moderne, le “sur comment” témoigne d’un mépris pour l’autre.
Nous ne blâmerons pas un homme public de parler le sabir de ses électeurs (encore qu’on puisse regretter que l’influence s’exerce toujours de la plèbe vers l’élite), mais il est permis de souligner que, lorsque nous entendons dire, par un invité de la télévision : « C’é-un bouquin sur comment les femmes vivent leur maternité », le respect d’autrui est compromis par le dédain de la règle.
Comme le soulignait Camus, entre le souci de la syntaxe et la faculté de se mettre à la place de celui qui écoute, il existe une continuité. Quand on entend dire “sur comment” ou “de comment”, on s’avise que l’usage de la langue est une politesse sociale bafouée comme les autres. Le mépris de nos contemporains envers leur langue relève de l’incivilité, comme le saccage des abris d’autobus.
Dans ces conditions d’irrespect généralisé, comment s’étonner que le “grand débat”, pour reprendre l’expression de TF1, se soit inspiré de la méthode américaine pour aligner chacun des participants devant un pupitre et dans un esprit de parallélisme mou ?
Ah certes, on s’est parlé. On s’est même appelé par son prénom. Mais il s’agissait avant tout d’utiliser un quota de parole publique. L’échange était facultatif. Dans la vie professionnelle et sociale en général, ce sont les mêmes règles d’argumentation autistiques qui prévalent de plus en plus. Les gens mal élevés sont nombreux à refuser désormais toute objection directe en disant “Vous permettez que je termine” et “Je ne vous ai pas interrompu”. Celui qui interrompt des propos lâches et tièdes, celui qui cherche à s’illustrer par la vigueur de sa pensée, celui qui montre des qualités d’orateur passe aussitôt pour un mauvais élément.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3574 paru le 27 Mai 2005

Au-delà de l'écran

Camarade P38
« Ça nous a paru fou que notre fils ait pu tirer sur un Africain. » Cette phrase extraite du récit du père d’Audry Maupin est un peu l’anamorphose de l’affaire dite des tueurs de Vincennes. L’émission Faites entrer l’accusé se posait la question de savoir si Audry Maupin et Florence Rey, 19 et 20 ans, étaient des tueurs-nés. Il suffisait d’entendre le témoignage des familles pour rétablir le rôle de l’acquis.
Au fil de l’interview du père Maupin, on reconstituait sans difficulté une histoire classique. Celle d’un intellectuel qui, malgré sa cinquantaine, a gardé le physique vague et bouclé de l’étudiant trotskiste. Il nous explique qu’on a promis un monde nouveau à sa génération et que son fils Audry s’est senti floué par un déni de révolution.
Le fils a donc cru à l’arrivée du “grand soir”. Sauf que ce soir-là, devant la préfourrière de Vincennes, ils n’étaient pas douze mille révolutionnaires, mais deux. C’est ce qui distingue un coup d’État d’un fait divers. L’affaire n’a jamais atteint la rubrique politique. Elle est restée dans la colonne société. On a même essayé de nous faire croire que ce qui animait ces jeunes était avant tout le nihilisme de leur époque, tel qu’il était véhiculé par le film d’Oliver Stone Tueurs-nés. Or, c’est l’époque précédente qui a commis le crime. C’est la période 1970-1980 : celle qui a tué Georges Besse, celle qui a fait la funeste renommée de Cesare Battisti. Quand on entend le père d’Audry, on est convaincu qu’il s’agissait bien pour lui d’un acte inspiré par la logique révolutionnaire. Son principal sujet de surprise n’est donc pas que son fils ait tué des policiers, mais qu’il ait tiré sur un chauffeur de taxi africain – entendez : le contraire d’un ennemi de classe.
Parallèlement, l’émission nous montrait les efforts de la presse pour dissocier les deux protagonistes. Nous avons entendu témoigner des journalistes de Libération en faveur de Florence Rey. Nous avons presque douté de la détermination de la jeune fille en la voyant craquer lors de son procès. Mais personne ne s’est interrogé sur ses mobiles politiques – et pour cause : dans nombre de cas, ceux qui commentent ces “dérives” sont ceux qui les ont inspirées. Ils n’ont aucun intérêt à rappeler que, par leurs écrits, ils ont banalisé dans l’imaginaire social le meurtre du bourgeois et du flic. Les voilà gênés de s’apercevoir que certains de leurs enfants y ont cru. À l’âge où ils pantouflaient eux-mêmes dans la pub en lisant Kundera, leurs rejetons s’inspiraient des Brigades rouges, honoraient le “camarade P38” et fondaient des groupuscules dans les squats de Montreuil.
Écoutons encore le père d’Audry Maupin, avec son style psy qui rappelle les assemblées générales de la Mnef, et mesurons son incroyable absence d’autocritique : « J’étais sur une démarche d’essayer de comprendre ce qui les avait conduits à la préfourrière de Vincennes. » La plupart de ceux qui ont vu le reportage l’ont compris avant lui.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3575 paru le 2 Juin 2005

Au-delà de l'écran

Palme du pluralisme
Vol de nuit fêtait l’autre semaine son 500e numéro. Un écrivain qui commente la télévision dans les journaux se doit doublement d’aborder le sujet. Quel sujet ? Celui de la prescription littéraire sur petit écran. C’est un domaine où la dérive, depuis l’apogée de l’ère Pivot, se mesure en années-lumière.
Contrairement à ce que prétendent volontiers les fines gueules du service public, TF1 mérite la palme du pluralisme dans ses rapports avec les lettres françaises. Et le mérite en revient pour une large part à Patrick Poivre d’Arvor, à qui il arrive sans doute de céder aux pressions, mais qui s’arrange pour maintenir un équilibre entre les invités qu’on lui recommande et ceux qu’on l’invite à dédaigner.
Sur dix ans, le bilan est très honorable. Il suffit de comparer son éventail à ceux d’Ardisson, Giesbert, Field ou Durand pour s’apercevoir que non seulement Vol de nuit ne court pas après les gens qui ont la faveur générale, mais que l’émission n’a pas de préférence pour les éditeurs qui organisent une telle unanimité. En tout cas elle garde une certaine pudeur dans la souplesse.
On ne peut pas en dire autant de ses concurrentes, qui agissent en propagandistes au point d’ignorer la moitié des parutions : soit qu’elles dédaignent les auteurs populaires comme Christian Signol, soit qu’elles consultent leur liste noire à chaque rentrée littéraire. On se souvient du cas d’Olivier Barrot, qui, à raison d’un livre par jour, a réussi à contourner certains auteurs qui publiaient deux livres par an depuis dix ans, ce qui défie toutes les lois de probabilité.
Quand on regarde la télévision littéraire à la loupe, il est facile de montrer que, faute de savoir s’écarter de la pensée obligatoire, l’instrument est impuissant à rendre compte de ce qui se passe en profondeur.
Patrick Poivre d’Arvor n’est pas assez téméraire pour organiser une spéciale sur Maurice G. Dantec ou pour commenter les derniers blogs à la mode, mais au moins il ne lit pas la presse avant de savoir de qui il faut parler. Il n’invite pas les ministres à damer le pion aux écrivains pour flatter les uns tout en humiliant les autres. Il ne coupe pas les trois quarts des interventions, quitte à ne pas être “raccord”, comme on dit dans le métier, ce qui se produit très souvent chez ses homologues.
Nous avons pu même assister en sa compagnie, sur un plateau de France 2, au “sucrage” de dix minutes d’émission au montage parce que l’invitée (Marie de Hennezel) avait été mise en difficulté. Il a retenu ce genre de leçon depuis longtemps. Il n’envoie pas une poignée de jeunes loups mordre ses invités pour leur crier “couché !”quand les choses vont trop loin. Chez lui, les choses ne vont jamais trop loin. Il sait se tenir. Il sait tenir les siens. Du coup, il arrive qu’on entende sur Vol de nuit des choses originales et intelligentes, alors que les autres émissions patinent souvent dans le suivisme rive gauche, au mépris de la littérature.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3576 paru le 10 Juin 2005

Au-delà de l'écran

Papillonnages
La Croix révélait, dans un amusant article consacré au téléthon politique des soirs d’élections, que certains personnages publics n’avaient même pas le temps de se démaquiller entre deux plateaux, et qu’ils répondaient à deux interviews dans la voiture qui les menait d’une chaîne à l’autre.
Si le journal avait recueilli les diverses indiscrétions et les commentaires qui courent sur Internet après chaque événement, l’auteur de l’article aurait été frappé par le sentiment de dédain qui se dégage des réactions sur les forums. Nous ne parlons pas des résultats eux-mêmes, mais de ces deux heures où chacun joue des coudes devant la caméra pour les commenter. Les journalistes poussent la pignouferie jusqu’à couper quelqu’un au milieu d’une phrase pour donner la parole à quelqu’un d’autre qui n’a rien de mieux à dire, mais qui est en direct au siège d’un parti.
Quand on voit l’émission sur écran, on n’a aucune idée de la solitude qui s’empare alors de l’invité de plateau, contraint d’attendre indéfiniment que des gens plus intéressants que lui s’expriment dans un vacarme de fin de banquet ponctué par des phrases du genre : “Voilà, Jean-Michel, ce que l’on pouvait dire à l’heure où nous parlons.” Ajoutez à cela un personnel plus préoccupé de ses fiches que d’écouter l’invité, et vous aurez l’explication des mécontentements qui se sont manifestés çà et là. Quelques politiques ont planté leurs hôtes en se jurant qu’on ne les y prendrait plus. Cette course à l’ubiquité est révélatrice de nos usages courants : ce dont nous disposons est moins intéressant que ce qui nous est promis. La crainte de rater quelque chose nous conduit à négliger ce que nous avons sous la main. On s’étonnera, après cela, que l’opinion papillonne et s’envole au moindre souffle.

Réactivité
Ce néologisme désigne à la fois ce qui précède, et la frénésie de commentaires qui saisit l’internaute quelques minutes après un événement. La télévision est l’un des creusets d’actualité les plus commentés sur Internet, parce que les gens ont le loisir de livrer leurs réactions avant d’aller se coucher. La réactivité de ce nouveau média est d’ailleurs telle que les émissions elles-mêmes font semblant de le récupérer. Tout le monde a vu défiler des phrases expurgées au bas de l’écran, mais il est plus instructif de les lire sur les sites des grandes chaînes avant l’intervention de la censure. Rien, sur Internet, n’échappe plus à la sévérité du téléspectateur lambda.

Politique et numérique
Ceux qui n’auraient pas vu le sourire figé de Dominique Strauss-Kahn sur la couverture de son DVD de campagne (en vente chez tous les marchands de journaux) ont vraiment manqué quelque chose. Quant au procédé, nous sommes visiblement à la veille d’un déferlement de clips politiques. On peut parier que les professionnels de l’image vont bientôt inonder les kiosques de ces travaux de circonstance.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3577 paru le 17 Juin 2005

Au-delà de l'écran

Le saviez-vous ?
À l’heure où d’autres, sous prétexte de dénoncer les “arnaques”, propagent une méfiance systématique envers la nature humaine, Jean-Luc Delarue travaille à rétablir la confiance en nous montrant des gens qui “réalisent un travail formidable sur le terrain”.
C’était le cas des pompiers de Camargue, héros d’un docu-fiction sur le réchauffement du climat aussi divertissant qu’un film de la Prévention routière projeté en salle polyvalente. L’accumulation des catastrophes qui s’abattaient sur les héros de ce téléfilm liminaire donnait envie de rire. Après avoir vu leur villa disparaître sous les flots, après avoir affronté le risque de la malaria, de la dengue et de la leptospirose, les membres de la famille assistaient au déferlement du virus du Nil, à l’apparition des allergies respiratoires et j’en passe, le tout en multipliant les gros mots parce que dans la télévision moderne on croit que la clé du naturel se trouve dans l’ordure. Suivait un plateau de sommités que dominait l’auguste Pr Montagnier (dont les cures de papaye ont visiblement stimulé les pigments capillaires), face à un Delarue très péremptoire. Rappelons que la part du réchauffement imputable à l’activité industrielle est encore très mal évaluée, mais le problème n’est pas là. Il est plutôt dans l’assurance dont les spécialistes font preuve en nous décrivant le pire.
Le principe qui régit leur raisonnement est celui du “toutes choses égales par ailleurs”. Or dans la nature, rien n’est jamais égal par ailleurs. On pourrait évoquer dix scénarios pour la fin du siècle, mais un seul a été envisagé : comme nous réchauffons le climat, nous allons connaître les sept plaies d’Égypte.
Puisqu’il est question d’imprévoyance, voici donc de quoi réveiller l’imagination de ceux que l’émission aura bercés d’une inquiétude altermondialiste, c’est-à-dire politiquement correcte. Saviez-vous que la faille géologique qui s’est réveillée lors du tsunami se situe au large du volcan indonésien Toba ? Que le Toba a expulsé dans l’atmosphère terrestre, il y a 75 000 ans, assez de poussière pour diminuer la température moyenne de 3 à 5 °C ? S’il est vrai que le Toba est arrivé en fin de cycle et qu’une telle éruption nous guette, la thèse du réchauffement en prend un coup.
Saviez-vous enfin que la caldeira de Yellowstone, autre monstre inquiétant dont la chambre magmatique a hissé le fond du lac volcanique de 30 mètres en une dizaine d’années, aurait déjà 30 000 ans de retard sur son cycle naturel, et qu’une seule de ses éruptions est capable de modifier le climat du globe jusqu’à la glaciation ? L’émission de Delarue, à force d’impasses sur l’immensité du possible, est à classer dès aujourd’hui dans le bêtisier de l’écologie.

Avant d’oublier
Relevé ce qui suit sur Europe 1 : « L’andrologie, c’est la gynécologie de l’homme. » Cette phrase ne résume-t-elle pas l’un des aspects les plus dérisoires de notre évolution sociale ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3578 paru le 24 Juin 2005

Au-delà de l'écran

Nomenclature et polochons
Europe 1 organisait récemment un débat entre quatre spécialistes, dans cette tranche horaire de fin de journée qui semble calculée pour les embouteillages. Thème du jour : “Le divorce entre les élites du pays et la base est-il consommé après le référendum ?”
L’influence de la question européenne paraît moins déterminante que l’accumulation de facteurs plus sournois. Ainsi quand nous apprenons sur France 2 que la Biennale internationale d’art contemporain de Venise vient d’ouvrir ses portes, et que nous tombons sur un reportage où la seule participante française, Annette Messager, nous présente une installation de polochons censée “revisiter l’histoire de Pinocchio”.
Revisitons. Suivons l’équipe de France 2 dans ses découvertes artistiques afin de communier, un instant, avec les émois de la nomenclature. Nous comprendrons peut-être mieux pourquoi le peuple ne supporte plus ses élites. Dans une grotte tapissée de traversins rayés, un réseau de cordes traîne au sol un polochon qui semble détaché du décor, et sur lequel est ficelé un morceau de bois. En voix off, l’artiste nous explique obligeamment que là, nous voyons Pinocchio s’avancer vers sa fin inéluctable et que c’est toute la force du mythe, etc.
Il faut savoir qu’Annette Messager n’est pas n’importe qui. En témoignent le sérieux de ses explications, les budgets que ses plaisanteries parviennent à mobiliser, et surtout le lion d’or qu’elle a remporté à l’issue de la manifestation. Mais ce qu’il faut savoir aussi, c’est que France 2, pour flatter les 4 % de téléspectateurs qui partagent ses ravissements moliéresques, a déplu à tous les autres. Pendant le journal télévisé ce soir-là, le Français de base aura confondu, dans un mépris haineux, les gens qui promènent des polochons sur un carrelage, ceux qui votent des règlements à Bruxelles, et ceux qui dînent en ville en parlant d’aménagement du territoire. Dans l’industrie, on parlerait de contre-productivité.
Au moins, dans ce cas, n’est-elle pas criminelle. Dans l’affaire du sang contaminé, sur laquelle est revenu, quelques jours plus tard, le Droit de savoir, elle l’est bel et bien. Quand on pense à la tartuferie des commentateurs à propos de la canicule, on est stupéfait de dénombrer les lâchetés qui ont conduit le parquet au non-lieu, dans une situation où la mort a été délibérément infligée.“Oui, mais les responsables ne savaient pas nommément à qui”, diront les juges. Ah oui, c’est vrai, ça change tout.
Cette émission était cruelle pour l’image du pouvoir. Des parents ont filmé l’agonie de leurs enfants hémophiles afin de nous faire honte, et ils y sont parvenus. Laurent Fabius, premier ministre, nous expliquait qu’il n’était pas au courant. Il n’y a pas de quoi être fier, surtout si c’est vrai. Quant à la neutralité du reportage, elle reste à démontrer, car si Fabius garde l’ambition de s’illustrer en politique, l’émission nous rappelait qu’à maints égards, il l’a déjà fait.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3579 paru le 1 Juillet 2005

Au-delà de l'écran

Grand prix de l’horreur
M6 a protesté auprès du CSA après la suppression de la diffusion par TF1 du Grand Prix d’Indianapolis. L’organisme de contrôle aurait été saisi d’une plainte contre cette déprogrammation sauvage et nous apprenons à cette occasion que les changements de dernière minute sont soumis à des règles. Non seulement ils doivent être justifiés par un cas de force majeure (assez douteux en l’espèce), mais il est prévu une concertation préalable avec les chaînes concurrentes et le CSA lui-même.
Pourquoi aborder ici ce problème de procédure ? Parce que le plus grave des manquements qu’a commis TF1 ce soir-là dépasse largement le cadre réglementaire. Il ne sera jamais discuté au CSA. Et pourtant lorsqu’un public sans méfiance, formé pour une large part d’enfants et d’adolescents réunis un dimanche soir devant un Grand Prix automobile, se voit infliger une série de remplacement comme les Experts, la faute est plus sérieuse qu’une simple indélicatesse envers la concurrence.
Il paraît que la série les Experts fait un carton. Raison de plus pour faire un carton sur elle. De quoi s’agit-il ? Grossièrement, il s’agit, après un meurtre, de faire parler la viande. Pourquoi cette série marche-t-elle si bien ? Parce qu’elle joue sur le cynisme du monde médico-légal et la cruauté des images.
Le roman policier à l’anglo-saxonne avait déjà tendance à négliger l’homme. La traque aux serial killers présentait depuis longtemps la particularité de n’accorder aucune importance à la victime (laquelle n’est plus le sujet d’une tragédie, mais le prétexte à nous décrire le profil du tueur et les méthodes de l’enquête). Désormais, avec les Experts et les séries comparables, nous franchissons un pas de plus dans l’horreur antihumaniste : la victime présente de larges blessures, des mutilations plus ou moins grouillantes (que nous voyons en gros plan), et le cinéaste nous inflige, au sein d’une équipe qui aligne des plaisanteries de machine à café, une vision de l’homme que n’eût pas désavouée le Dr Mengele.
Ceux qui diffusent une telle ignominie à 21 heures travaillent à la négation de ce qui fut pendant des siècles l’objet même de la civilisation : faire pousser des fleurs sur le compost de la violence. Là, c’est le contraire, c’est le fumier qui pousse. Son odeur envahit la société entière. Les enfants des banlieues se racontent les dépeçages de la veille dans la cour de l’école et le CSA n’y voit aucun inconvénient.
À 22 h 30, sur quoi enchaînait TF 1 ? Sur un autre film qui commençait par un interminable meurtre. Une jeune femme reçoit un coup de couteau. Elle s’effondre, se relève, s’enfuit, tombe à genoux, nouveau coup de couteau, on lit l’horreur dans ses yeux, elle hoquette, rampe, se retourne, l’assassin la dénude et l’éventre.
Un jour ou l’autre, le débat sur la légitimité de tout cela soulèvera les foules. Les participants à la marche blanche contre les marchands de barbarie se compteront par millions.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3580 paru le 8 Juillet 2005

Au-delà de l'écran

Pitié pour la pitié
Tout commence il y a un mois environ sur l’un de ces plateaux où la France de Ruquier inflige ses états d’âme, ses préférences culturelles et ses “coups de cœur” à l’autre France, pour qui la bonne humeur agressive des nantis devient chaque jour une offense plus grave.
Parmi les invités qui commentaient la fermeture de la Samaritaine ce jour-là, Charlotte de Turckheim. Il était question de la création du magasin parisien, du tandem Cognacq-Jay, et du prix que les glorieux fondateurs de la Samar avaient imaginé récompenser une famille “pauvre et méritante”. À l’énoncé de ces mots, Charlotte de Turckheim a bondi de manière démonstrative : « Quelle horreur, pauvre ce n’est déjà pas drôle, mais méritante en plus ! », etc.
Il faut savoir que Charlotte de Turckheim s’efforce depuis des années de faire oublier ses origines aristocratiques en nous infligeant la chronique des ridicules de la haute bourgeoisie et en multipliant les gros mots pour nous donner des gages de sa bonne volonté. En d’autres termes et pour imiter son langage, elle fayote à mort. Elle est plus antiroyaliste que les républicains, lesquels ne lui en savent pourtant aucun gré, puisque tout le monde persiste à l’appeler baronne. Ce fameux jour, son premier trait d’humour étant tombé à plat, elle a attendu le passage d’une publicité pour y revenir artificiellement, montrant par là qu’elle accordait à cette question la plus grande importance ; en quoi, avec la permission du lecteur, nous allons l’imiter.
Mme de Turckheim ne supporte pas la pauvreté méritante. Elle juge insultante la pitié institutionnelle et d’ailleurs la pitié tout court. En bonne conformiste du milieu bobo dont elle est l’une des plus consternantes égéries, elle nous laisse entendre que la pitié est un vecteur d’oppression sociale. En d’autres termes, que les gens qui consentent à faire pitié n’ont aucun sens de leur dignité. Par là elle évacue la notion de charité, suspecte d’appartenir à la morale de grand-papa. Il est permis de poser une question corollaire : à force de juger la pitié indécente, qui peut continuer à l’éprouver ? Quand on prétend qu’il faut donner aux gens les moyens de se prendre en main, que fait-on de ceux qui ont besoin d’être pris en main ? On les ignore. On les méprise. Et pour finir on les laisse périr. Au nom de quoi ? D’une mauvaise conscience de classe, d’un réflexe d’enfant gâté qui préfère la solidarité à la charité, uniquement pour ne pas être traité de “bourge” au festival d’Avignon. C’est donc, avant tout, de l’amour-propre de Mme de Turckheim qu’il est question.
En vertu de cette philosophie, les trois quarts des nécessiteux du tsunami n’ont encore rien touché des 400 millions d’euros qu’ont versés les Français. Le Droit de savoir nous montrait le cas d’une antenne locale du Secours populaire incapable, après huit mois, de percevoir 5 000 euros de sa maison mère, laquelle les garde placés en sicav monétaires au nom de la dignité des pauvres.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3588 paru le 2 Septembre 2005

Au-delà de l'écran

Tissu social déchiré
La télévision exerce une influence si déterminante qu’elle est devenue le royaume de la “modération” selon la loi Evin. Et pourtant, deux programmes de l’été ont piétiné les règles de la prudence en matière de prophylaxie sociale : Koh Lanta et Mon incroyable fiancé.
Dans le premier, nous avons assisté stupéfaits à un psychodrame à la française sous les cocotiers des Caraïbes : parmi les participants figuraient un gendarme au comportement placide et carré et une jeune banlieusarde d’origine africaine nommée Coumba dont l’agressivité a fait reculer la tolérance dans des proportions sans rapport avec l’intérêt du jeu.
À quoi sert-il en effet de multiplier les plateaux bavards sur le thème de l’intégration si c’est pour laisser une analphabète aggraver les préjugés communautaires dans un programme de télévision, et crier « Toi, tu sais pas c’est quoi le respect ! » (sic) à un candidat dont le seul crime est d’être gendarme ? La tâche du ministère de l’Intégration passe par ce genre d’analyse. Quant au rôle d’une grande chaîne de télévision, est-il d’accentuer les déchirures du tissu social ?
Mon incroyable fiancé (sous licence américaine) a pour but avoué de nous faire partager le dégoût d’une famille entière à l’égard du pseudo-fiancé de l’une des filles, laquelle est censée tromper ses parents contre 100 000 euros.
Là encore, on se demande ce qui anime la chaîne, en dehors d’un cynisme de bas étage. Depuis le temps qu’on nous présente des émissions sur les obèses, on croyait que les préjugés à leur encontre étaient hors-la-loi. Eh bien, pas du tout ! On nous désigne explicitement comme répugnant un pauvre garçon qui a vingt kilos de trop et dont l’aspect physique n’est même pas monstrueux.
On rencontre partout dans notre société de ces braves gens replets qui lui ressemblent. Leur vie va devenir un peu plus difficile pendant les cinq semaines de diffusion. Leurs collègues de bureau vont les traiter d’incroyables fiancés. Ils auront le cœur gros en rentrant le soir. Mais qu’importe, puisqu’il paraît que “ça cartonne”.

Une bonne claque
Des rediffusions nous ont permis de retrouver la Super Nanny de M 6, notamment face à un certain Dan (4 ans) qui menaçait sa mère et ses sœurs, sans doute pour illustrer à quel point il déplorait d’être né dans une famille à genoux. Pendant toute l’intervention de la nounou, on mesurait qu’il planait sur la situation un interdit absolu : la bonne claque. Toute la France avait envie de l’appliquer à ce gosse odieux. Mais ni la nanny, ni les sœurs, ni la mère n’osaient la lui donner. Et pourtant, lui, il avait le droit de frapper son entourage. Il n’existait dans son foyer qu’une brutalité légitime : la sienne. Quand on projette la situation, on comprend mieux pourquoi la violence se répand chez les adolescents et l’on se doute que quelque Super Nanny se présentera un jour aux élections pour rassurer la France qui n’ose pas dire non.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3589 paru le 9 Septembre 2005

Au-delà de l'écran

Cyclone en haut débit
Afin d’illustrer qu’à l’heure du haut débit, une chronique de télévision se doit de pratiquer l’ubiquité culturelle, j’ai testé la couverture du cyclone Katrina par les télévisions de Louisiane et du Mississippi. Le jour où le maire de La Nouvelle-Orléans a ordonné d’évacuer la ville, il suffisait de taper les mots clés “traffic-cams” et “Louisiana” pour suivre l’exode à l’entrée de Baton Rouge et le long du lac Pontchartrain. Ensuite, et à mesure que la force du vent s’accentuait, les caméras urbaines du centre-ville ont témoigné, jusqu’à la nuit tombée, de l’arrivée du monstre climatique. Sur www.nola.com, on voyait passer de rares véhicules sur Bourbon Street tandis que le ciel noircissait à l’horizon.
Une station de télévision locale affiliée au réseau ABC diffusait ses programmes en direct sur www.wlox.com. Pour un Français abonné au haut débit, l’image (plein écran) était aussi fluide que celle d’un poste hertzien. Des milliers de curieux ont pu assister, de leur bureau ou de leur appartement, à l’arrivée du cyclone le matin du 29 août, jusqu’à la destruction du siège de la télévision émettrice. Comme l’indique son nom (WLOX), la chaîne en question était celle de la cité martyre de Biloxi, où le nombre de morts a dépassé toutes les craintes.
Dans le studio ce jour-là, les marathoniens du commentaire, et notamment le chroniqueur météo, ont été gagnés par la panique sous nos yeux, malgré leur sourire stoïque et leur cravate de marque. Non seulement la ville de Biloxi n’avait pas été évacuée, mais elle n’était pas censée recevoir la tourmente de plein fouet. Quand le cœur du cyclone s’est déplacé vers elle, les journalistes ont compris qu’un désastre leur était promis. Nous avons donc eu le sentiment d’assister à quelque chose de comparable au 11 septembre, mais vu du 90e étage du World Trade Center. La caméra située sur le toit de l’immeuble a d’abord filmé des bureaux éventrés, l’incendie d’un transformateur, les voitures noyées sur le parking. Les commentateurs, sous le coup de l’effroi, nous ont ensuite prévenus que l’émission pouvait s’interrompre à tout instant, non sans envoyer des publicités pour occuper l’antenne. Le sommet du surréalisme fut atteint quand le clip publicitaire d’un concessionnaire nous a annoncé pour le jeudi suivant « la plus grande liquidation de voitures d’occasion qu’ait jamais connue l’État du Mississippi ».
Aux dernières nouvelles, la liquidation du concessionnaire lui-même paraît probable.
Ironie à part, l’une des leçons de tout cela est que, dans la France d’aujourd’hui, l’ampleur des moyens disponibles pour contempler le malheur des autres est devenue stupéfiante. Nous l’avons vu lors du raz de marée asiatique. La leçon corollaire est que, si le moral des Français a baissé de moitié selon un sondage Ifop depuis l’année dernière, c’est moins à cause des événements eux-mêmes qu’à cause de la place qu’ils ont conquise dans notre quotidien.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3395 paru le 21 Décembre 2001

Au-delà de l'écran

Mélange des genres
L’animateur Laurent Ruquier s’est naguère payé la tête du malheureux André Santini, député-maire d’Issy-les-Moulineaux, au motif qu’« un homme politique (je cite à peu près) doit rester à sa place, et ne pas se commettre sur les plateaux où l’on fait de l’humour ». Et il concluait : « Je n’aime pas le mélange des genres. » Ruquier, qui n’a pas un cheveu sur la langue, mais deux, tant elle est fourchue, a traité ce soir-là son invité avec rancœur. André Santini, habitué à être bien accueilli, n’en est sans doute toujours pas revenu.
Voilà qui prend un relief nouveau après la visite de Laurent Fabius sur le plateau du même Ruquier, dont les préventions semblent avoir disparu d’un seul coup (probablement d’un seul coup de téléphone). Le ministre est venu nous donner une leçon d’euro, entouré des chroniqueurs de l’émission. Il s’est fait tutoyer par une grand-mère en socquettes, taper sur le ventre par un type affublé d’un bonnet rouge, haranguer par un humoriste originaire de sa circonscription qui a débarqué sur le plateau déguisé en loubard, l’a appelé “mon pote” et lui a dit : « Alors, tu t’occupes du pognon ? » Jusque-là, rien que de normal. J’entends, normal pour l’époque. Quant à savoir ce qu’en penseront nos arrière-petits-enfants, leur regard sera d’autant plus sévère qu’ils sauront où cela nous a menés. Mais ce n’est pas le sujet. Du moins, pas avant que nous ne le sachions nous-mêmes.
La compromission de la classe politique française avec le monde du divertissement fait désormais l’objet de thèses universitaires. André Santini est justement le seul qui s’en tire avec dignité. On a pu faire la comparaison quand Lionel Jospin a entonné le Temps des cerises chez Patrick Sébastien, quand les Lang ont participé à Tournez manège, quand Léotard est venu faire le crooner sous les projecteurs, etc.
La véritable anomalie n’est donc pas le fait qu’un ministre des Finances en exercice consente à donner dans le genre “tirelipimpon”, elle tient plutôt à la personnalité de Laurent Fabius. Je ne le voyais pas dans ce rôle-là. Déjà, quand j’étais son élève à Sciences Po, je ne me suis jamais avisé de ses talents de comique. Et le jour où il a rabroué Jacques Chirac lors d’un débat, en lui rappelant qu’il avait l’honneur de parler “au premier ministre de la France”, l’humble fantaisie du personnage ne m’était pas apparue non plus.
A moins qu’il n’ait choisi de forcer ici sa nature par nécessité. En ce cas nous avons le droit d’être inquiets. Son numéro chez Ruquier était politiquement si périlleux qu’il s’explique peut-être par l’urgence de sauver la popularité du passage à l’euro.
L’inquiétude vient de cette précaution hâtive. Il est vrai que dans l’hypothèse d’un cafouillage après le 1er janvier 2002, l’opération s’annonce plus risquée pour sa future carrière qu’une prestation ratée sous les caméras.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3590 paru le 16 Septembre 2005

Au-delà de l'écran

Un bon relationnel
« Véro, elle a instauré un relationnel avec Clémence qui est bon. » Cette phrase ahurissante, tirée de la bande-son de Koh-Lanta, est un exemple de ce qu’on a pu entendre, toutes les semaines, chez les naufragés de TF1. Mais dans l’équipe, le plus féroce ennemi de la langue française était encore le présentateur.
« Je vous préviens je serai-z-intransigeant avec vous (…)Véronique, l’aventure se termine, ils en ont décidé-r-ainsi (…) Rappelons-le, Mohamed, c’était un monde qui était totalement étranger de ce que vous connaissiez. » (Le jeune Mohamed, à qui il s’adressait en ces termes, n’a pas pu s’empêcher de le corriger).
Le reste, le jeu de piste où les jaunes et les rouges font des patouilles sur la plage pour décrocher un repas au Sofitel, la robinsonnade au milieu de trois tonnes de matériel hi-fi et de capteurs CCD, était un révélateur des dysfonctionnements du corps social français. La production, alertée par les commentaires de la presse, a d’ailleurs chapitré Coumba, la jeune Noire, afin qu’elle corrige le tir pendant la finale à Paris. « Pour prouver que Jérôme est mon ami, a-t-elle dit, je lui fais la bise. »
Jérôme, vous savez bien, le gendarme. Elle l’avait traité durant trois semaines avec un dédain de principe, en affichant devant Mohamed une solidarité banlieusarde d’un genre poisseux contre les “keufs”, qu’on ne peut pas “kiffer”, qui manquent de respect, etc. Au moins la France est-elle désormais convaincue que les préjugés n’ont pas de couleur de peau.

Sainte transparence
Le fondateur du groupe de production Endemol vient de signer un contrat avec une femme enceinte pour inclure son accouchement dans une émission. La mère, interrogée, s’est dite persuadée que son enfant serait fier d’être filmé.
Elle ferait mieux d’y réfléchir car rien n’est moins sûr. Les parents qui prennent ce risque dans le cadre familial suscitent la réprobation de l’intéressé à l’âge de la puberté. On pourrait déjà créer une association pour rassembler les victimes de l’impudeur de leurs proches.
Au train où vont les choses, une chaîne va nous sortir bientôt un nouveau concept consistant à filmer l’agonie de quelqu’un avec le seul accord de ses enfants. Où serait la différence ? Dans les deux cas, il s’agit d’un viol, et de l’irruption du public dans le privé, au nom de la sainte transparence.

Sacrée tolérance
Laurent Ruquier recevait, l’autre soir, les organisateurs des jeux olympiques gays. La candidature de Paris au montage de cette nouvelle usine à gaz événementielle ressemblait à un canular. Mais le sérieux de ses auteurs était attesté par leur profession de foi : « ça participe complètement au lien social », nous ont-ils dit. Je suppose qu’il fallait comprendre que cette manifestation se veut un facteur de tolérance mais il est permis d’y voir exactement le contraire. Vous imaginez les épreuves à Saint-Denis, au milieu de jeunes supporters qui se traitent de “fiottes” toute la journée ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3591 paru le 23 Septembre 2005

Au-delà de l'écran

Dès que le vent soufflera
On hésite à regarder comme intentionnelle la vilaine faute de français que nous inflige chaque jour 9 Telecom dans sa dernière publicité. Elle est tellement grossière qu’on se demande vaguement s’il n’y a pas là quelque provocation, mais il est possible aussi qu’il s’agisse d’une inadvertance. Dans les deux cas, un tel manquement à la règle signifie que dans un monde peuplé d’ignorants, passer pour un ignorant n’a plus la moindre importance.
Pour ceux à qui ce petit film aurait échappé, rappelons qu’on y voit un chevalier en armure débarquer dans le salon d’un jeune couple et s’écrier : « Moi, Hippolyte de Montoseille, j’ordonne que vous payâtes (sic) une gabelle atteignant moult piécettes. » Nous n’aurons pas l’outrecuidance de rappeler aux auteurs de cette plaisanterie poussive la forme idoine du subjonctif. En revanche, nous aurons bel et bien la cruauté de souligner l’indigence de ce nom propre, qui essaie de se donner une connotation “retour de croisade” mais qui paraît sorti d’un album de Pif le Chien. De même, le mot “gabelle” désigne un impôt sur le sel et non le paiement d’un service.
Tout là-dedans semble trahir la médiocrité de ses concepteurs. Malgré tout, quand on y réfléchit, on se dit qu’il est impossible que les “créatifs” d’une grande agence parisienne, soient issus du ruisseau linguistique à ce point-là. Quelle serait donc l’explication ? Ces rédacteurs en publicité, élevés dans un milieu lettré, formés sur les bancs de l’université, ont-ils fait exprès de s’abaisser au niveau de langage où ils croient rencontrer leur cible ? Et s’ils le croient, peut-on leur donner tort ? N’est-ce pas leur métier ? Il ne faut peut-être voir là aucune maladresse de leur part, mais un comble d’habileté qui consiste à flatter le peuple dans son ignorance pour lui vendre un abonnement haut débit en lui faisant croire qu’il est dans le coup.
Il y a quinze ans, Renaud chantait une parodie qui donnait à peu près : « Dès que le vent soufflera je repartira, dès que les vents tourneront nous nous en allerons. » Depuis cette époque, le pourcentage de nos contemporains capables de rétablir la forme correcte de ces deux verbes a dû baisser de moitié. Le langage publicitaire est-il en train d’en prendre acte ? On peut se poser la question.

Autisme
Un reportage diffusé par le 13 Heures de TF1 illustrait à quel point le journalisme télévisuel tourne parfois à l’autisme. Une jeune femme nous explique que certains médicaments viennent d’être “déremboursés”. Suit l’interview d’un médecin. Des tentatives comparables, dit-il, ont eu lieu en Allemagne, mais sans résultat, les médecins ayant prescrit des médicaments voisins qui, eux, étaient remboursés. Là-dessus, la journaliste n’hésite pas à conclure comme si son interlocuteur n’avait strictement rien dit : « En attendant, ces économies ne sont pas négligeables, puisque la Sécurité sociale va s’épargner chaque année une dépense de 430 millions d’euros. »
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3592 paru le 30 Septembre 2005

Au-delà de l'écran

Ratissages
En regardant Taxi 3 l’autre soir, d’une oreille distraite c’est-à-dire sans cesser de lire le journal, j’ai songé que cette série avait un peu changé de nature depuis ses débuts. La seule chose qui présentait quelque intérêt dans le premier numéro était le côté Rabbi Jacob du scénario. À la fin du film de Gérard Oury, juifs et Arabes se réconciliaient dans la cour des Invalides. La République, intégratrice et maternelle, veillait sur le destin de ses “composantes”. De même, dans Taxi 1, le chauffeur marseillais “issu de l’immigration” faisait équipe avec la police, courtisait la fille d’un général et se retrouvait dans la cour de l’Élysée.
Depuis dix ans le chemin parcouru est prodigieux, mais à l’envers. D’abord le film est explicitement parrainé par Sylvester Stallone, qui est là pour authentifier sa touche américaine. Ensuite il n’est plus question des institutions françaises. Les Chinois ont pris la place des Japonais, mais la tendance à définir ethniquement les méchants s’est accentuée. Enfin et surtout, le mythe du rodéo automobile en zone urbaine est devenu si délirant qu’il invite à une réflexion sur l’influence exercée par ce genre de films sur la paix sociale.
Qui n’a déjà remarqué des traces de pneus suspectes, le matin, à certains carrefours, aux sorties des zones industrielles et sur les échangeurs ? Qui n’a entendu les soupapes hurler à 2 heures du matin à la périphérie des villes ? Qui ne s’est déjà fait doubler, en rentrant d’un dîner, par trois voitures en train de faire la course sur une voie rapide, au son d’une stéréo saturée ?
Les vrais observateurs ont pris depuis longtemps la mesure de nos hypocrisies obligatoires. Par exemple, on prétend vous empêcher de téléphoner au volant, fût-ce avec une oreillette, mais nombre de jeunes conducteurs s’envoient impunément 100 décibels de rap dans le cockpit en regardant les patrouilles de gendarmes d’un air goguenard.
On prétend déplorer la violence routière. Or, dans Taxi, elle est omniprésente. La plupart des adolescents s’échangent des jeux vidéo comme GTA San Andreas ou Need for Speed, qui propagent le contraire des prescriptions officielles et véhiculent un fascisme de proximité basé sur le culte de la force et le mépris des faibles.
Depuis dix ans, les gens de bon sens attirent l’attention sur le message social véhiculé par ce genre de divertissements implacables. Il était inévitable qu’une poignée d’intellectuels finissent par braver le politiquement correct et s’en émeuvent. Finkielkraut vient de rejoindre la résistance sur le plateau d’Edwy Plenel (LCI) et de rappeler une évidence : la licence ne saurait aller jusqu’au crime sans rencontrer d’obstacle.

Une citation
« Dans ma jeunesse, on croyait que les religions c’était dépassé » (Alain Souchon).
Qui ça, “on” ? Nombre d’entre nous ont vécu leur jeunesse à l’abri de cette prétendue unanimité dans le doute et ne s’en portent pas plus mal.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3593 paru le 7 Octobre 2005

Au-delà de l'écran

Tabac tabou
Je n’ai pas très bien compris si Marc Cohen, qui défendait l’autre jour, sur Europe 1 son recueil de textes Je fume, pourquoi pas vous ? (Pauvert), est médecin ou non, mais une chose est certaine, c’est qu’il est courageux. Il nous a rappelé, avec une indignation ricanante, la campagne télévisuelle récente où l’on voit des enfants prendre le pouvoir contre les adultes en criant : « Le tabac, c’est tabou, on en viendra tous à bout ! »
Il suffit de lire sur Internet les réactions que suscite ce petit film pour s’apercevoir que Marc Cohen n’est pas le seul à y déceler une anomalie. L’impudence du bon droit chez les enfants commence à sentir le roussi.
Quand on cherche à mobiliser la jeunesse contre les mauvaises habitudes de ses aînés, on croit faire de la prophylaxie, mais on emprunte un chemin balisé par le Diable. Quand on réalise une série comme l’insupportable campagne didactique diffusée par les chaînes publiques cet été, où l’on voyait des enfants rééduquer leurs parents en faveur de l’écologie domestique, on ne se doute pas qu’on est entré en zone rouge. Et pourtant c’est le cas. En 1937, les enfants russes contrôlaient les tendances bourgeoises de leur père dans les mêmes conditions. Quand on voit au journal de 13 heures un reportage sur une école modèle où les élèves apprennent le français de manière atypique, ce qui leur permet, nous dit-on, d’en remontrer à leurs parents le soir, on est stupéfait d’entendre une mère expliquer avec satisfaction que sa fille lui fait chercher la solution de ses exercices, et l’oblige à se “remettre en question”.
On aimerait qu’une fois, une seule fois, quelqu’un se dresse contre nos institutions et nos associations pour rappeler que dans une société saine les enfants ne rééduquent pas leurs parents. On aimerait que quelqu’un ose dire sur un plateau que la vertu, quand elle est imposée par les pré-adolescents avec l’approbation explicite et démagogue du pouvoir politique, n’a jamais mené qu’à un seul régime : la tyrannie.

Courage discret
Charles Villeneuve et son Droit de savoir se penchaient récemment sur les actions du Raid. On accuse souvent les chaînes de rouler pour l’un ou l’autre, mais l’émission, quand elle a évoqué la prise d’otages de Neuilly-sur-Seine, n’a pas cité le nom de Nicolas Sarkozy. Les images le montraient : il était pourtant au cœur de la négociation.
L’honnêteté oblige donc à rappeler, comme l’a fait une autre émission d’actualité il y a plusieurs mois, que le maire de Neuilly est entré dans la classe, où il a parlementé avec un homme armé pour lui arracher finalement un jeune otage en n’hésitant pas à lui tourner le dos au moment de sortir de la salle. J’ignore quel est le destin politique de Nicolas Sarkory. Mais c’est incontestablement durant cette épreuve, du 13 au 15 mai 1993, qu’il s’est forgé aux yeux du public une stature d’homme d’État.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3594 paru le 14 Octobre 2005

Au-delà de l'écran

Chantage institutionnel
À propos de l’ouverture des négociations avec la Turquie, les chaînes de télévision et les stations de radio ont fait preuve d’un zèle impressionnant dans la propagande.
On a pu entendre un recteur d’académie, un Turc, nous dire en résumé : “Donnez de l’argent et du travail à nos jeunes, sans quoi ils vont se fâcher contre vous.” Nos instances nous disaient à peu près la même chose en nous rappelant que la menace intégriste était à nos portes, et qu’il ne fallait pas mécontenter des voisins si nombreux et susceptibles.
Une journaliste n’hésitait pas à demander à une jeune étudiante : « Quelle opinion vous faites-vous de la France et de son comportement des derniers mois à l’égard de votre pays ? » L’emploi du mot “comportement” est significatif. Il veut dire que la partie qui mérite d’être jugée n’est point celle qui réclame, mais celle qui résiste.
Tout cela est inquiétant : d’abord, l’insistance médiatique en faveur de la politique de la porte ouverte sent un peu le coup monté. Ensuite, toute résistance au chantage à l’intégrisme est désormais perçue comme un repli identitaire. Enfin, l’ignorance historique dont témoignent nombre de commentaires effraie. La palme revient à un prétendu spécialiste qui nous a dit sur Europe 1 : « La France et la Turquie avaient historiquement de bons rapports et puis soudain, depuis trente ans, on ne sait pas pourquoi, les choses se sont dégradées. »
Evidemment, on sait très bien pourquoi. L’histoire remonte à François Ier qui, prisonnier de Charles Quint, a signifié son accord à Soliman pour la prise de Budapest afin d’affaiblir le camp allemand. Depuis trente ans nos rapports avec l’Allemagne se sont fortement améliorés, et la tradition proturque s’est perdue parce que la solidarité européenne est meilleure.
Notre distance avec la Turquie semble donc proportionnelle à nos dissensions continentales. Quand les Européens s’unissent, Istanbul s’éloigne, quand ils se querellent, elle s’invite. Est-ce de très bon augure ?

Frime et châtiment
Le m’as-tu-vu de la semaine était un jeune homme de 24 ans qui se prétendait producteur à Cannes et que nous présentait le magazine Strip-Tease. On aura rarement vu un tel condensé de vanité ! Flanqué d’une attachée de production ramassée dans un tabac de Meurthe-et-Moselle, il débarquait au volant d’une voiture de location dans les soirées sur invitation pour vendre un scénario qui réclamait le concours de 13 000 figurants au Venezuela !
Ce reportage, qui aurait pu être tendre si le personnage avait consenti à ne croire à ses fadaises qu’à moitié, nous brossait le portrait d’un mythomane en pleine bouffée délirante. Les singeries auxquelles il se livrait pour avoir l’air d’un gagnant sur la Croisette nous emplissaient de pitié. Elles étaient surtout accablantes pour le monde auquel il voulait appartenir et qui était incapable de le repousser avec la fermeté nécessaire.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3595 paru le 21 Octobre 2005

Au-delà de l'écran

Génération Narcisse
L’autre soir devant la Star Ac’, un vieil ami dont la petite fille est âgée de 17 ans me parlait de l’escroquerie qui consiste à prétendre que Johnny Hallyday ou Serge Lama gardent une popularité parmi les adolescents.
L’an passé, Michel Sardou parrainait la fameuse académie et le malentendu sautait aux yeux : la génération du baby-boom n’en finit plus de se regarder dans le miroir. Le public sexagénaire s’attendrit sur sa propre jeunesse, obligeant enfants et petits-enfants à communier dans le culte du rock d’après-guerre et de la Harley Davidson. Mais les adolescents n’en pensent pas moins que de Brialy à Ardisson, ce monde-là est truffé de raseurs nostalgiques.
D’ailleurs, paradoxalement, ce qui témoigne de l’indifférence des prépubères à l’égard des vieilles gloires de la scène française, c’est que les disques de Sardou, Michèle Torr ou Aznavour se vendent bien. Ils sont peu piratés sur Internet, la proportion de téléchargeurs compulsifs étant assez faible entre 50 et 70 ans.

Malaise sur la “Marseillaise”
Il n’y a guère que Pierre Bénichou qui ose ricaner ouvertement de l’intouchable Zidane dans l’émission de Ruquier, en singeant son éternel “Ils nous ont mis la pression”. Le reste des commentateurs est saisi d’un respect stalinien devant cet emblème d’intégration qui ne chante pas la Marseillaise. Quand on regarde un match de football, il faut être vraiment myope pour ne pas mesurer le malaise qui s’installe. La caméra l’illustre de manière impitoyable : pendant que l’entraîneur et le gardien de but s’époumonent, la plupart des autres serrent les lèvres de manière explicite. La génération d’enfants à qui le gouvernement a choisi d’apprendre de nouveau la Marseillaise dans les écoles va s’inspirer du rejet de l’équipe de France au lieu d’écouter l’institutrice, c’est couru d’avance. La situation est d’autant plus caricaturale qu’un canular vient de nous rappeler une évidence : la fermeté en la matière aurait pu payer depuis longtemps. En se faisant passer pour le président de la République, en réclamant un geste en faveur de la Nation, un imitateur vient d’obtenir un chœur patriotique unanime.
Et puisqu’il est question de mauvaises influences, comment ne pas déplorer que Zidane crache avant le match sur la moquette verte des vestiaires, devant dix millions de téléspectateurs ? L’entretien des couloirs dans les collèges “difficiles” va s’en ressentir. Mais le gouvernement préférera lancer une campagne nationale en faveur du civisme, plutôt que d’en rappeler les règles à qui les ignore.

Dans le texte
Entendu sur France 2, d’une jeune généraliste parisienne, ce témoignage que j’ai consigné d’une plume fébrile : « Il y a des gens mal mutualisés pour lequel je suis obligée de faire très attention à comment j’oriente les examens. » On dirait du Martine Aubry.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3596 paru le 28 Octobre 2005

Au-delà de l'écran

Cosmétique de la pensée
Il existe à la télévision un phénomène que l’on remarque de moins en moins mais qui s’installe de plus en plus, c’est la démocratie du micro-trottoir. Quand on veut demander aux gens leur avis, que fait-on ? On leur tend le micro.
Ce n’est pas un procédé nouveau : les vieux présentateurs, qu’on appelait encore des speakers, le faisaient déjà en 1965. Ils précédaient une équipe technique très lourde avec une bonnette à fil, ils tiraient le passant qu’ils interrogeaient vers un projecteur, ils lui orientaient le visage vers la caméra, c’est à peine s’ils ne redressaient pas sa cravate au milieu de la prise. Et pourtant, généralement, on entendait l’interrogé proférer une vraie opinion, avec ses hésitations et ses incongruités. Non seulement elle n’était pas dénaturée au montage mais elle avait le droit de rester la seule.
Ce qui a changé, ce ne sont pas seulement les moyens techniques, mais la cosmétique de la pensée. Aujourd’hui une opinion n’a pas le droit de rester la seule, il faut absolument trouver quelqu’un qui ne la partage pas, ce qui oblige à des acrobaties douteuses. Imaginez que la question (comme souvent d’ailleurs) cherche à enfoncer une porte ouverte. Il ne faut pas que la porte cède trop vite. Il faut d’abord jouer à la démocratie. Un exemple : “Cette statue en céramique jaune d’or, qui orne le rond-point d’entrée de ce village du XVIe siècle, est-elle à sa place dans un décor classé ?” Pour répondre, on choisit deux personnes qui trouvent la sculpture immonde et qui fournissent des arguments de bon sens. Mais il faut absolument trouver une troisième personne qui déclare que ça ne la choque pas du tout. Peu importe que cette personne représente un centième de l’opinion, la voilà promue, par la télévision, à un tiers.
Vous appliquez le principe qui précède à n’importe quoi, le coût de la vie, la candidature de Jack Lang ou la popularité du pape, et vous obtenez des affirmations qui, annulées en permanence par leur contraire, ne reflètent jamais l’état réel de l’opinion. Jamais vous n’arrivez à dégager une impression d’unanimité, ou tout au moins de majorité écrasante. On a l’impression que le journalisme télé est toujours là pour modérer le sentiment des Français sur tel ou tel sujet au lieu d’en rendre compte. Il se creuse sans cesse pour avoir l’air d’un contre-pouvoir devant les réactions de la rue. Quand une indignation se manifeste, il la livre au doute avant qu’elle ne s’affirme.
À force, les gens qui la partagent s’en rendent compte. Ils enragent de sentir partout l’empreinte du modérateur, comme on dit sur les forums d’Internet. Ils se plaignent en privé qu’aucun enthousiasme, aucune réprobation ne sortent intacts de ce laminoir. Quand on tempère ainsi la majorité par l’exception au point de donner, à l’un et l’autre, par exemple à Dominique de Villepin et à Noël Mamère, le même temps de parole, on agace sérieusement la majorité, ce qui n’est jamais très prudent.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3597 paru le 4 Novembre 2005

Au-delà de l'écran

Principe de précaution
Grippe aviaire, récidivistes, violeurs en série, les campagnes dites de sensibilisation sont toujours justifiées par un fond de vérité. Mais à la télévision, le fond tapisse les murs. La vérité est multipliée par dix. Or, quand on multiplie la vérité, elle devient un mensonge.
Dans une émission qui prétend combattre les arnaques et prendre la défense des consommateurs abusés par un agent immobilier ou un assureur, on nous montre certes des gens étranglés par le système, haïs par leurs voisins, harcelés par leur employeur. Mais ce qu’on ne nous montre pas, c’est combien, dès le lendemain, nous changeons de regard sur notre employeur, notre voisin ou sur notre assureur. Quitte à devenir injustes nous-mêmes à leur égard.
À la télévision, il suffit de quelques minutes pour que l’exception ait valeur d’exemple – à charge. Après une émission sur la criminalité, les escrocs, les filières d’immigration clandestine, le principe de précaution exerce une véritable tyrannie sur les esprits.
Il y a un an, en pleine vague terroriste, on interrogeait des grands-mères dans un village du Cantal, région où la menace islamiste, convenons-en, est assez modérée. Eh bien les grands-mères du Cantal étaient décidées à tout faire pour échapper aux terroristes. Elles se promettaient de raser les murs entre l’église et la supérette.

Couverture démocratique
On parlait l’autre jour des multirécidivistes sur Public Sénat (une chaîne qui gagne à être regardée, comme le souligne son directeur, et je ne dis pas cela uniquement parce qu’il me l’a recommandé). Le plateau de débat s’appelle Bouge la France, hommage involontaire au slogan de campagne de François Bayrou, qui ajoutait à la tendance jeune-sympa le tutoiement super-cool, ce qui donnait “Bouge ta France” (défense de pouffer).
À part ce léger détail, l’émission est très regardable et la chaîne aussi. Les parlementaires et les autres (qu’on serait presque tenté d’appeler les laïques de la politique) ne sont ni interrompus ni malmenés par un personnel médiatique narcissique et grossier. Les présentateurs ne gardent pas une oreille en régie et un œil sur l’Audimat. Leurs invités n’en sont que plus détendus.
Rappelons que la conduite du personnel télévisuel exerce une influence considérable sur le comportement de l’invité. Ceux qui ont répondu à un présentateur qui regarde ses fiches, ou qui vérifie son maquillage sur l’écran de contrôle, savent de quoi il est question. À l’inverse, quand l’important est le contenu, ça finit par se voir. Et sur Public Sénat, ça se voit.
Reste à savoir qui regarde. Quand on n’est pas abonné à TPS, quand on n’a pas la TNT, on fait partie des citoyens qui n’ont qu’à se débrouiller. Le problème est encore plus aigu pour France Info, une station de radio qui n’atteint même pas 90 % de couverture dans les villes de plus de 20 000 habitants, sans parler des campagnards et des montagnards, qui la financent sans la recevoir.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3598 paru le 10 Novembre 2005

Au-delà de l'écran

Reverse engineering
Après un reportage montrant une douzaine de voitures retournées, au deuxième jour des incidents dans la banlieue nord, le préfet de Seine-Saint-Denis nous a divertis en déclarant textuellement sur TF1 : « Je ne pense pas qu’on puisse parler d’émeutes, puisqu’il n’y a pas eu d’affrontement entre les policiers et les jeunes. »
Voilà qui est commode. En somme, pour ne pas avoir à qualifier les faits, il suffisait que la police évite le contact. Les jours suivants, comme on le sait, la méthode s’est révélée insuffisante et le contact fut difficile à éviter. Mais la télévision n’est pas avare de ressources. Non seulement elle est capable de modifier la lecture de l’événement, mais elle peut changer sa nature. Nous avons vu des habitantes de l’une des cités en flammes s’adresser aux jeunes pour les conjurer en direct d’arrêter de brûler des voitures. Au nom de quoi ? De l’ordre public ? De la morale ? De la raison ? Pas le moins du monde. De la solidarité de classe. Je cite l’une d’elles : « Ça n’a aucun sens de brûler nos voitures, on n’est pas des bourges, on travaille, nos voitures, on en a besoin. »
Explication de texte : les bourges, c’est connu, n’ont pas besoin de leurs voitures. Ils ne travaillent pas pour les acheter. C’est pourquoi on peut les brûler impunément. Pratiqué dans les arrondissements chic, cet exercice peut même signifier quelque chose.
Quand on entend proférer un jugement à la télévision, il faut donc toujours en tirer la philosophie implicite, en remontant aux sources idéologiques du discours. La méthode du reverse engineering s’applique très bien à la psychologie.

Intimidation
Dans ce contexte assez particulier on s’interroge beaucoup, comme l’autre soir sur Europe 1, sur les méthodes à adopter pour juguler la violence juvénile. Des spécialistes défilent sans arrêt au micro, mais aucun d’eux ne consent à nous dire l’essentiel : il s’agit avant tout d’une affaire d’intimidation. Le pouvoir est désormais obligé de parler à ces jeunes un langage qui lui répugne, celui du caïd. C’est pourtant le seul qu’ils veulent entendre. Et ils ont raison de l’exiger puisqu’il s’agit de savoir qui fait la loi, au propre comme au figuré.
Si la question se résume à cela, autant s’inspirer tout de suite des méthodes de Supernanny, par exemple. Il faut inviter le pouvoir politique à méditer l’une des grandes leçons de cette émission : l’intimidation des enfants est beaucoup plus facile avant l’âge de 10 ans qu’après la puberté. Aussi conviendrait-il peut-être d’empêcher le personnel de l’Éducation nationale de ruiner l’image de l’autorité dès l’école maternelle. Une politique efficace de la ville devrait donc commencer par le recrutement de maîtres d’école capables de donner une âme, une morale, une discipline aux enfants avant que la rue ne s’en charge. Mais qui, dans la France d’aujourd’hui, osera intimider les enfants de 5 ans contre le lobby des pédagogues et celui des parents incapables ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3599 paru le 17 Novembre 2005

Au-delà de l'écran

Trois ridicules
Dans une certaine génération, la mienne, tout le monde est tombé au moins une fois sur un album de Druillet, généralement chez un ami étudiant en médecine, ou un élève des écoles scientifiques, enfin quelqu’un qui n’avait pas toujours eu le temps de lire les Mémoires de Saint-Simon. Pourquoi cette précision qui hésite au bord du dédain ? Parce qu’il faut bien dire que le dessinateur Druillet, malgré un univers graphique éblouissant fortement inspiré des murailles de Piranèse, n’a jamais passé pour un scénariste de génie. Côté dialogues, c’était encore pire, son héros couvert de cuir et de clous débarquait dans le coin droit d’un palais improbable érigé en spirale sur un ciel volcanique, une sorte de représentation architecturale de l’enfer de Dante étalée sur une double page et il criait un truc banal du genre : “mince alors”.
Eh bien, dans les Rois maudits, nous avons vu le contraire. Les dialogues, la malédiction, tout cela était hautain et solennel à souhait, avec une pincée de vieux français, mais le décor de Druillet avait un côté “Opéra de quat’sous” qui faisait un peu pitié.
Oui, je sais, la presse a paru ravie de voir transformer la France de l’époque en “univers baroque”, et il n’y avait rien là de gênant, sauf que la production s’est arrêtée en route. Si les personnages avaient été grimés eux-mêmes de façon baroque, si on avait confié les costumes à Jean-Paul Gaultier comme dans le Cinquième Élément, c’était cohérent (Maurice Druon, qui d’après la rumeur n’était pas très content, l’aurait été encore moins, mais il y a longtemps que l’auteur, dans ce genre d’opérations, n’a plus son mot à dire).
Le premier ridicule résidait dans le mélange entre les costumes à tendance Malet-Isaac et le baroque du décor. Il fallait choisir. De même, on n’a guère vu de personnages édentés, scrofuleux, aux cheveux gras, et pour cause : le casting était beaucoup trop rive gauche. C’est le deuxième ridicule. Par moments, on avait l’impression d’être sur le plateau d’Ardisson. Jeanne Moreau rayonnait, Brialy avec son bonnet en poil de chat ressemblait à un Lapon d’Avignon, Line Renaud était dix fois moins truculente que dans les films de Gabriel Aghion, en résumé c’était une boum costumée à l’usage des people.
Mais le plus ridicule de tout, c’est le budget qui a été mobilisé sur fonds publics pour un machin pareil. En somme, pour la direction de Marc Tessier, non seulement le bouquet final a coûté cher mais toutes les fusées ne sont pas parties. Heureusement qu’avec le couvre-feu, l’audience était au rendez-vous.

Stage de parentalité
À ce propos, RMC, qui a couvert les émeutes de façon exemplaire (témoignages d’auditeurs, points de vue contradictoires), nous a rapporté qu’une certaine Farida M. , dépassée par ses cinq garçons, avait été gardée à vue puis condamnée à suivre un stage de “parentalité”. À tous ceux qui ont été élevés par une veuve de guerre, cette information doit paraître offensante.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3397 paru le 4 Janvier 2002

Au-delà de l'écran

Catilinaires
Quand on voit l’usage qu’en fait la télévision, on comprend que le monde politique français se méfie de la démocratie directe.
Tout a commencé il y a trente ou quarante ans, quand Pierre Tchernia venait présenter aux enfants des extraits de dessins animés le dimanche après-midi. On votait pour Blanche-Neige. Le standard “sautait”. C’était la préhistoire, l’Atlantide, l’Antiquité grecque du plébiscite cathodique.
Ensuite les standards téléphoniques sont devenus des instituts de sondage. L’apparition de la touche “étoile” a permis de raffiner les choix. Le public a pris l’habitude de se regarder dans le poste, comme la méchante reine de Perrault, pour être flatté toujours davantage. Désormais, on commande des sondages partout. On en suscite. Quand bien même aucun thème particulier ne serait abordé sur les plateaux avec le secours de la Sofres, les chiffres d’audience tombent le matin pour nous dire qui a “cartonné” la veille.
Il n’y a qu’un seul ennui : nos contemporains sont consultés de plus en plus souvent sur des sujets de moins en moins importants. Par exemple, on leur demande leur avis sur Loana mais pas sur les Balkans.
A bien y réfléchir, ce n’est pas le seul ennui. Parce qu’au bout d’une génération, ils déplorent ce mépris jusqu’à infliger aux politiciens des gifles du type “candidature de Coluche” ou “plébiscite de Bernard Tapie”.
La dernière s’appelle Jean-Pascal. Elle nous vient de l’affligeant Star Academy, dont les producteurs ont livré la plupart des clés au public. But du jeu : désigner une vedette de la chanson au terme d’un processus de sélection mal ficelé, où le vote des téléspectateurs revêtait une importance démesurée. Le critère dominant devait être le talent. Les professeurs de l’“académie” étaient là pour le déceler. Or l’identification au héros a joué presque jusqu’au bout en sens contraire.
Le sous-doué de la bande, un nommé Jean-Pascal, une sorte de Cantona qui aurait fait un stage chez Patrick Sébastien, a multiplié les foucades et les faux départs. Il a fini par exciter chez le public un désir de revanche contre la mécanique élitiste. Son comportement de forte tête qui n’a d’autre génie que l’appel au peuple a contraint la production à changer les règles du jeu pour juguler une popularité à la Catilina. Sa vulgarité, sa mauvaise humeur, son vocabulaire de cinquante mots ne lui ont pas nui. Dans les dernières semaines, le vote l’a remis en selle à chaque fois. Il a promis de s’amender, d’être moins paresseux, et hop ! 60 % des téléspectateurs ont réclamé son retour par téléphone.
C’est bien fait. Il ne fallait pas donner le micro à un crooner de café-tabac qui déclare : « Moi j’aime pas la danse, c’est un truc de pédés ! » Il ne fallait pas laisser vibrer la corde de la médiocrité vengeresse. En revanche, il faudrait que le personnel politique se procure les cassettes de l’émission avant le mois d’avril…

Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3600 paru le 25 Novembre 2005

Au-delà de l'écran

Haricots pirates
Arte se penchait récemment sur l’affaire du haricot jaune du Mexique, qu’un fermier américain a fait breveter subrepticement aux États-Unis, obligeant les exportateurs mexicains à payer des royalties sur une variété qui remonte chez eux à l’ère précolombienne.
L’émission montrait d’autres cas de biopiraterie, comme celui du margousier, qui secrète une sève miraculeuse dont le brevet illégal vient d’être annulé, sous la pression du peuple indien, par l’office compétent en Europe.
De tout cela, il résultait que l’usage des brevets est dévoyé jusqu’à obliger les hommes à réfléchir sur la philosophie de la propriété. L’un des Amazoniens interrogés pendant le reportage disait fort justement que ce n’est pas nous qui sommes détenteurs de la nature mais « une force qui nous est supérieure ».
Tout le monde admet pourtant qu’une juste codification de la propriété est source de richesse. Dans tous les pays collectivistes où le patrimoine individuel a été rétabli, le revenu par habitant s’est rapidement élevé. Il reste à définir le champ de ce qui peut être aliéné. Une firme de papiers peints ne peut tout de même pas breveter les rayures du zèbre !
Les abus les plus graves sont d’ailleurs les moins visibles. Nombre de parents, par exemple, se comportent comme s’ils étaient les auteurs de la vie de leurs enfants, tout en renonçant à leurs responsabilités dans leur éducation. Ce devrait être l’inverse. Chacun commence à s’en douter.

Âneries télé
Il suffit d’ouvrir une page “âneries télé” dans son calepin pour qu’elle se comporte comme un attrape-mouche. Voici quelques exemples à la volée.
Pendant les émeutes, une Beurette surexcitée commente le couvre-feu au micro de TF1 : « Franchement, j’suis bac +5, Madame, et j’peux plus sortir dehors. » Avec un style pareil et en vertu de la discrimination positive, elle devrait être agrégée.
(Notons au passage que, lorsqu’une phrase sur deux commence par “franchement”, il est permis de douter de la franchise de celui qui parle, or dans les “quartiers” c’est devenu la ponctuation ordinaire).
Le lendemain, sur une autre chaîne, nous apprenons que « neuf personnes ont été interpellées, dont presque la moitié n’avait pas 18 ans ». Traduction : quatre étaient mineures.
Retour sur TF1 pour une mention particulière : lors d’une émission de Julien Courbet, la situation de la malheureuse invitée est résumée en sous-titre : « Erreur de diagnostique (sic), son mari décède. »
Certes, tout le monde commet des bourdes. Mais pendant dix minutes devant quatre millions de téléspectateurs, c’est trop. Le ministère de l’Éducation nationale devrait taxer les chaînes qui compromettent l’efficacité de son travail dans des proportions aussi effrayantes. Le même principe pourrait être appliqué à la barbarie, qui se propage, elle aussi, par l’exemple. Et Dieu sait qu’en ce moment, les exemples ne manquent pas.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3601 paru le 2 Décembre 2005

Au-delà de l'écran

Cet homme va mourir
En apprenant que Le droit de savoir (TF1) avait décidé de revenir sur les images du tsunami, « au terme d’une enquête minutieuse », on a craint le pire. L’enquête minutieuse a consisté, principalement, à collecter les vidéos de l’événement au prix de transactions qu’il vaut mieux ignorer. Mais par bonheur la vérité du témoignage a prévalu sur le commentaire du style “Cet homme va mourir”.
Le plus effarant de ces films montrait une famille indonésienne un jour de mariage. Il était tourné d’une terrasse à Bandah Aceh. L’opérateur a suivi la galopade des rescapés sur le torrent de planches qui dévalait la rue principale, avant une sorte de pont métallique où s’engouffrait la marée des débris. Seul détail gênant, le reportage n’a montré qu’un seul cadavre au bord d’un chemin. Le sort des innombrables victimes aurait sans doute mérité de sortir de l’abstraction. Mais l’émission n’aurait pas fait la même audience, or son seul but était visiblement de faire le plein.

Lâcheté
Les journaux télévisés ont largement couvert le procès en appel d’Outreau et l’occasion a été donnée plusieurs fois de revenir sur la cascade d’incohérences dont le juge Burgaud s’est montré coupable. On s’est interrogé sur le fait que les trois magistrats de la chambre d’instruction et le procureur de la République qui dirigeait l’enquête n’ont pas décelé les anomalies du dossier. L’une des victimes relaxées lors du premier procès, la jeune Karine, a rappelé que « les accusations partaient de n’importe où », et que « les plaignants se contredisaient d’un jour à l’autre ». Mais tous les commentaires sont allés dans le même sens, celui d’une distraction coupable, d’une légèreté scandaleuse de la Justice.
On a fait grief à l’institution de ses défauts d’organisation, de contrôle et d’expertise. Mais personne n’a évoqué la simple hypothèse de la lâcheté. Vous savez, ce sentiment bizarre d’irresponsabilité panique qui vous incite à suivre la pente générale. Quand on a jugé les possédées de Loudun, quand Staline a envoyé ses médecins juifs au poteau, les faiblesses du dossier n’ont sauté aux yeux de personne. Ce que désigne le procès d’Outreau c’est avant tout l’aveuglement et la crainte qui se sont emparés de la Justice devant un sujet préalablement empoisonné par les médias. Au temps où l’on brûlait les sorcières, les experts étaient, eux aussi, tous formels et les magistrats craignaient de n’en jamais faire assez pour contenter la foule.

Anniversaire
Le site Internet de France 2 nous a montré les nostalgiques du franquisme célébrant les 60 ans (vous avez bien lu) de la mort du Caudillo. Si c’est un lapsus, il était répété cinq fois, sur deux pages différentes, avec une légende que voici « Messe de la Phalange espagnole à la Vallée des Morts, pour les 60 ans de la mort de Franco ». Le niveau de culture que l’on exige du journalisme audiovisuel rend décidément la carrière très abordable.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3602 paru le 9 Décembre 2005

Au-delà de l'écran

Tonicité
On me pardonnera de revenir sur une phrase entendue il y a deux mois à la radio, et dont un reportage de France 2 vient de nous fournir, à son insu, la philosophie implicite : « L’andrologie, c’est la gynécologie de l’homme. »
Eh bien le congé paternel, à en croire les spécialistes, c’est le congé maternel du mari.
Voilà en tout cas ce qui ressortait du sujet traité par le journal d’Élise Lucet le 30 novembre dernier. Nous avons vu un psychiatre, dont j’ai oublié le nom par charité, nous expliquer que, grâce aux quatre mois attribués au père, l’enfant savait désormais qu’il y avait autour de lui deux personnes distinctes. Entre ces deux personnes, nous disait-il encore, le bébé pouvait observer certaines différences « dans la voix et dans la tonicité ». Enfin, grâce au trio papa-maman-bébé, la femme pouvait échapper au huis clos qui l’étouffait dans son « rapport à l’enfant ».
L’explication de texte est facile. Dans la première phrase, il s’agit de se rendre à une évidence embarrassante : l’enfant a besoin d’un père. Mais, comme certains pourraient en tirer prétexte pour rétablir son rôle dans ce qu’il a d’irremplaçable, d’irréductible, de masculin en somme, on nous explique que la seconde voix qui résonne aux oreilles de l’enfant se caractérise par sa “tonicité”. Ce mot bizarre reflète une forme d’énergie qui n’appartient pas spécifiquement au genre masculin. Il présente tous les avantages. On ne nous dit pas que la voix du père est grave ou grosse, non. Elle est tonique. Dans le couple, chacun à sa guise peut donc assumer la charge de cette tonicité, ce qui garantit la parité homme-femme. Afin de parfaire cette construction vicieuse, il reste à illustrer que le congé paternel est avant tout un instrument de la libération féminine. C’est l’objet de la troisième phrase : la femme respire mieux, nous dit-on, elle échappe à une relation “étouffante” avec son enfant.
Grâce à quel genre de conduite masculine ? Son mari joue-t-il le rôle de celui qui gronde, rassure, répare les fenêtres, refait le toit du nid conjugal ? Pas du tout. Il change les couches. Il promène la poussette. Il assume les tâches maternelles, afin de montrer qu’aucune d’entre elles n’est spécifiquement féminine. À l’exception, peut-être, de l’allaitement. Mais au train où vont les choses, un fabricant de lait maternisé va lui proposer une poche pectorale équipée d’une tétine…

Au pied de l’arbre
Retrouvons le même père dix ans plus tard : une publicité pour un opérateur Internet nous le montre accablé par des enfants suractifs, exigeants et bruyants, qui l’obligent à se réfugier au sommet d’un arbre pour avoir la paix. Voilà qui surprendra peut-être les magazines féminins, mais la mode est en train de changer. Cette pub est déjà en retard. On nous parle souvent des nouveaux pères, on nous dit qu’ils sont plus ceci et moins cela. En vérité, tout le monde sent qu’ils s’apprêtent à descendre de l’arbre, et le plus tôt sera le mieux.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3603 paru le 16 Décembre 2005

Au-delà de l'écran

Saint Nicolas priez pour eux
Le 5 décembre, l’animateur météo de France 2 nous l’a annoncé avec la jovialité contrainte de celui qui a quelque chose à cacher : « Demain nous fêterons les Nicolas. » Derrière lui, l’écran montrait la phase de la lune et le prénom Nicolas.
Trois ou quatre millions de nos concitoyens auront effectué d’eux-mêmes la correction : le lendemain, on fêtait la saint Nicolas. La disparition du mot saint devant le prénom sautait aux yeux parce que le 6 décembre ils sont indissociables, notamment dans le Nord. Le péril que j’évoquais il y a quelques mois se précise donc. Pardonnez à votre serviteur, élu d’un village nommé justement Saint-Nicolas (Savoie), de flétrir les sournoiseries militantes des laïques obsessionnels. Mais au train où vont les choses, certains vont protester auprès de la préfecture au nom de l’égalité des cultes, contre les communes affligées d’un nom de saint. La période de Noël étant propice à toutes les dérives cafardes, les crèches dans les vitrines vont disparaître sous la pression des esprits faibles. Les cartes postales seront expurgées de tout sujet chrétien pour ne pas offenser les facteurs issus d’une “autre culture” et nous aurons, un jour ou l’autre, notre affaire Zwarte Piet, comme en Hollande.
Dans cet aimable pays qui semble en avance sur nous en matière de mauvaise foi d’importation, le Père Noël est accompagné d’un Pierrot noir qui chante : « Je suis gentil, même si je suis noir comme de la suie. » Cette coutume, qui remonte à des temps immémoriaux, offense, paraît-il, les Noirs établis dans ce petit royaume. Certains ont porté plainte. L’affaire agite les journaux à l’approche des fêtes.
Chez nous, des protestations se sont élevées en Guadeloupe et Martinique contre le simple fait qu’on ait voulu rappeler les manuels scolaires au devoir de neutralité. On se demande pourquoi, en haut lieu, personne ne rappelle que l’esclavage n’est qu’un sous-produit monstrueux de la colonisation, mais que le destin de Charles de Foucault ou des moines de Tibehirine mérite d’être placé en regard.
Hélas, il semble que nous soyons entrés dans une phase de rétraction du crédit. Je ne parle pas des taux d’intérêt, mais du crédit que, naguère, nous consentions moralement à autrui, et qui porte le nom désuet de civilisation.

Une certaine télévision
Le fait que quatre spécialistes se soient penchés dans C dans l’air (TV5) sur la question « Peut-on cloner le Christ grâce au suaire de Turin » n’a rien de blâmable (encore qu’il s’agisse d’une stupidité scientifique, doublée d’un non-sens religieux). Non, la chose gênante est que le service public se rende grossièrement complice de la promotion d’un roman de Didier Van Cauwelaert sur le même sujet. On trouvera probablement des gens qui n’y voient aucun inconvénient. Ma remarque s’adresse donc aux autres, qui instruisent le procès d’une certaine télévision et qui ont accueilli la nomination de Patrick de Carolis avec espoir et soulagement.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3604 paru le 23 Décembre 2005

Au-delà de l'écran

Minuit chrétien
Fox News, la chaîne conservatrice américaine, est devenue très difficile d’accès pour un Français, non à cause de sa francophobie, mais parce que nous n’y avons plus droit, tout simplement. Les Danois, les Russes, les Suédois, les habitants du Venezuela et ceux du Pakistan ont le privilège d’entendre ce que dit de nous l’Amérique. Mais pas nous. Grâce à la vigilance de TPS, qui nous a privés de ce spectacle il y a plus d’un an sans prévenir, nous voilà donc protégés contre la sédition conservatrice.
Pour se procurer les émissions de Fox dont parlent les journaux américains, il faut passer par le Net. Et pour jeter un coup d’œil sur la dernière campagne du père fouettard Bill O’Reilly, dont la presse parle beaucoup outre-Atlantique, il faut aller sur le site de la chaîne. Dans son émission The O’Reilly Factor, qui se flatte d’écarter tous les faux-fuyants, le Kill Bill de l’Amérique profonde s’inquiète du sort réservé aux festivités de Noël dans les écoles, les livres et les médias de son pays. Si nous devions suivre un jour, comme il est de coutume, l’exemple de la première société multiculturelle du monde, il est bon de savoir ce qui nous attend. Voici quelques traits du tableau qu’il vient de brosser à son public et qui prouve que, pour les chrétiens, il est plus tard qu’on ne le pense.
Le grand sujet de scandale et le prétexte de toute l’émission était la controverse au sujet de l’arbre de Noël du Capitole que les démocrates avaient renommé holiday tree du temps de Clinton, et qui vient de retrouver son nom de Christmas tree. Vous vous rendez compte de l’audace ? USA Today ricane sur les chrétiens traditionalistes. La radio CBS dénonce leurs menées intolérables. Pourquoi tant de mauvaise foi soudaine sur ce thème ? À cause du mot “Christ” dans Christmas. À Dodgeville, Wisconsin, les enfants des écoles ont dû apprendre à chanter « Cold in the Night » au lieu de « Silent Night », afin de supprimer toute idée de recueillement religieux. Au Texas, les élèves d’un collège ont été priés de ne pas s’habiller en vert et rouge, pour ne pas faire référence à la fête de Noël, qui pouvait offenser les élèves de religion non chrétienne.
Dans le même esprit, France 2 nous montrait récemment une équipe de communicants de la Croix-Rouge qui venait d’inventer le symbole universel destiné à remplacer croix et croissant sur le terrain, afin de garantir la neutralité religieuse dans l’intervention humanitaire.
À première vue, on dirait un losange rouge, mais la conférence de presse nous apprend qu’il s’agit plutôt d’un cristal. Oui, parce qu’outre sa neutralité religieuse, le mot “cristal”, nous disait le communicateur-chef, présente l’avantage d’être identique dans la plupart des langues.
Ah bon ? On se demande dès lors par quel aveuglement les cinquante membres de la commission, après plusieurs mois de travaux, n’ont pas remarqué que dans le mot “cristal”, il restait une fâcheuse allitération avec le mot “Christ” !
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3606 paru le 6 Janvier 2006

Au-delà de l'écran

Sauce aigre-douce
Devant le spectacle le plus convenu il arrive que l’on connaisse un accès de lucidité, comme si la conscience, le jugement, le goût se défendaient une dernière fois avant de capituler. En ce moment l’émission la plus propre à susciter la révolte des neurones et la révulsion des papilles est la dominicale de Michel Drucker. On a l’impression de contempler un tableau à la Fellini. Vivement dimanche, c’est le Ginger et Fred de la flatterie consensuelle à la française. De temps à autre le présentateur s’esclaffe, bascule en arrière, se cache les yeux, tord la bouche avec une telle précision dans l’enchaînement et un œil tellement froid dans le fou rire qu’on se demande s’il ne s’agit pas d’une parodie. Eh bien pas du tout. Comme dans les dernières pages de la Recherche du temps perdu, comme dans ces films qui montrent les fastes de l’Ancien Régime avant la chute, les automates du manège dominical continuent à hocher la tête en songeant qu’un jour ou l’autre le ressort va lâcher. En attendant, de semaine en semaine, il tient toujours. Depuis vingt ans, devant ce genre d’émissions, la presse hausse les épaules avec indulgence. Les commentaires insistent sur le professionnalisme et la gentillesse de l’équipe. Le tout ressemble pourtant à une vente flash dans un supermarché rouge vif qui serait ouvert le dimanche mais justement, on est là pour promouvoir. On brandit un double DVD. On “met le paquet sur la sortie de l’album”. On rappelle qu’“il y aura une série de concerts au printemps à Bercy”.
Il arrive que l’esprit réagisse quand même lorsqu’il est confronté à tant d’excès dans le niaiseux. Ce mot canadien illustre très bien le ton qui s’est installé, par exemple, sur le plateau du spécial Céline Dion. On agrippait l’accoudoir de son fauteuil en se demandant jusqu’où la spirale allait descendre. La production a trouvé, tout l’après-midi, de nouvelles ressources pour prolonger ce vertige mais le fond fut atteint par la recette de bœuf de Mme Dion mère, servie par Jean-Pierre Coffe sous les piaillements de la chanteuse, complètement ravie-là (en canadien dans le texte).
Dans le genre niaiseux, il faut en effet se garder de mettre en phase les tendances de l’émission et celles de l’invité, sans quoi l’aiguille ne quitte plus la zone rouge du cadran. Une semaine plus tard, Drucker recevait les Bronzés, dans un genre certes moins convenu. Mais lorsqu’un gentil invité fait face à un gentil présentateur au milieu d’un gentil plateau, charmé par tant de gentillesse, on a l’impression de reprendre quatre fois du dessert chez une tante sourde et radoteuse, un dimanche d’automne pluvieux et sinistre. À l’annonce du café, on a envie de briser une vitre et d’aller faire un tour dans le jardin.
Philippe Geluck a beau verser un filet de vinaigre sur cette mélasse, quand on y pense, c’est un peu comme si la gastronomie entière se résumait à une sauce aigre-douce. De l’estragon, que diable ! De la coriandre. De la ciboulette. Du poivre. Du talent.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3607 paru le 13 Janvier 2006

Au-delà de l'écran

Le ton juste
On néglige souvent de s’apercevoir que les grands succès populaires à la télévision sont bâtis sur des fondations sociologiquement stables. Quand on voit ce que plébiscitent les téléspectateurs depuis quelques années, on est presque gêné de faire la comparaison avec la laideur du tout-venant. Parce que la faveur du public est un véritable bulletin de vote.
Or, à l’évidence, les gens ne votent plus pour les feuilletons policiers où l’on s’invective en verlan pendant les gardes à vue. Il y a pourtant, dans Une famille formidable, un “jeune issu de l’immigration” (le gendre du héros), un fils homosexuel, une fratrie recomposée…
Mais le principal n’est rien de tout cela. Le succès du feuilleton ne tient pas au côté formidable, entendez moderne, branché, libéré, cool du scénario. Il tient plutôt au fait qu’il s’agisse d’une famille, et d’une famille qui cumule, a priori, tous les handicaps : le père n’essaie pas de se faire pardonner ses humeurs en imitant les vertus féminines. La mère, énergique, passe du rire à l’abattement, de la gravité à la futilité comme au théâtre. Les enfants portent des chemises à carreaux et non des blousons de marque. Le tout donne l’impression d’une réalité recomposée elle aussi, c’est-à-dire qui se donne les apparences du naturel, mais qui est reconstituée dans l’artifice, dans l’ellipse, dans le raccourci permanent.
Tout l’équilibre de cet aimable feuilleton tient à ce paradoxe : les épisodes sont invraisemblables, mais les personnages sont d’une vérité parfaite. Les dialogues sont presque littéraires mais tout est si juste que les acteurs pourraient jouer en alexandrins. Quand la fillette s’écrie : « C’est dommage que vous ne veniez pas ! », quand le père observe : « Je pense qu’il faut que nous gardions une certaine dignité », on comprend qu’on n’est ni dans Navarro, ni dans Commissaire Moulin. Les fictions qui essaient de coller au langage de la rue pour ne pas déplaire aux QI à deux chiffres font un calcul idiot. Ici le compte est bon.

Le ton monte
Il fallait entendre, sur Europe 1, Michel Vauzelle, président de la région où s’est déroulée l’affaire du “train de l’enfer”, s’exprimer une heure avant le passage de Nicolas Sarkozy sur TF1. Il a essayé désespérément de rejeter la responsabilité de l’épisode barbare du premier de l’an sur la SNCF ou la police, au lieu de se demander si l’opération “un train vers Nice à 1,20 euro” n’avait pas pour objet de délester Marseille d’une jeunesse encombrante lors d’une nuit difficile. On envoyait le fardeau à d’autres communes, et pourquoi pas gouvernées à droite ? On faisait ainsi d’une pierre deux coups.
Quant aux responsabilités, tout le monde, y compris Nicolas Sarkozy, se contente d’évoquer les dysfonctionnements de la justice, de la police, de la brigade SNCF, mais personne ne consent à admettre que le principal problème réside dans le degré de civilisation de la jeunesse concernée.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3608 paru le 20 Janvier 2006

Au-delà de l'écran

Retour à la civilisation
On se demande si les services chargés du débriefing de l’ingénieur Planche, après sa libération, ont fait leur travail dans l’avion. Le jour de son retour à Paris, devant une sorte de pupitre monté à la hâte sur un parking, l’ex-otage français en Irak s’est adressé aux journalistes en leur disant textuellement : « Je suis heureux d’être de retour dans le monde civilisé. »
C’est dire l’estime dans laquelle il tient les chiites et les sunnites. Dans un esprit d’apaisement, sa déclaration a été coupée lors des éditions suivantes du journal télévisé mais on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il exprimait par inadvertance une opinion quasi générale dans le pays.

Fascisme de proximité
C’est un nouveau concept, nous dit-on. Le titre de l’émission prête à confusion puisqu’il évoque le Big Brother hollandais et le Grande Fratello italien. Dans le Grand Frère de TF1, il ne s’agit pas de rééditer le télé-voyeurisme du Loft, mais de réaliser un sauvetage moral, dans le genre Super Nanny. Le bénéficiaire de l’opération, ou prétendu tel, était un jeune homme de 16 ans que son père avait abandonné et qui vivait dans un pavillon de banlieue, entre une mère un peu niaise et un beau-père dépassé. Une brigade de psychologues était chargée de remettre ce garçon dans le droit chemin. Tâche bâclée sous les caméras, dans un goût qui évoquait plus les Queer que la brigade des mineurs. Mais l’essentiel se trouvait moins dans le résultat que dans l’analyse des symptômes. Ce garçon élevé dans une maison à jardinet sortait en effet toutes les nuits jusqu’à 5 heures pour casser des voitures. Selon sa mère, il choisissait souvent, avec ses copains, un vieux monsieur à intimider physiquement dans le voisinage. C’est la première étape du fascisme. De temps en temps, il allait aussi narguer la police avec sa bande. Ça, c’est la deuxième étape – la troisième étant l’organisation paramilitaire. Quand le psychologue de service essayait de connaître ses raisons, il avouait ne pas avoir supporté qu’on “parle mal” de son père.
On aimerait que les femmes qui ont imposé leurs droits depuis vingt ans en rétrocèdent quelques-uns avant qu’il ne soit trop tard. Avant, par exemple, que leurs enfants mâles ne les reprennent avec violence au détriment du corps social entier.
En attendant, le vieux monsieur d’en face a quelque souci à se faire.
La production a eu la prudence de ne pas choisir un jeune “issu de l’immigration”, mais le genre verbal de ce garçon désignait assez ses fréquentations ; tant il est vrai que de nos jours, la jeunesse à la dérive attrape l’accent d’Alger sans même s’en rendre compte.

Dissertation
Une suggestion pour les classes de philo : les fêtes de l’Aïd et celles de Noël ont fait l’objet d’un traitement télévisuel quasi équivalent en pourcentage, en dépit d’une disparité démographique de un à dix entre les religions concernées.
Vous montrerez que la parité n’est pas toujours synonyme de justice.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3609 paru le 27 Janvier 2006

Au-delà de l'écran

Casquette et couteau
Voilà quelques semaines, un lycéen lyonnais qui attendait le bus sous un abri au milieu d’autres voyageurs a été surpris par deux agents de police en train de cracher par terre. Les policiers lui ont infligé une amende de 135 euros pour avoir souillé « la dépendance d’un service public », mais l’affaire ne s’arrête pas là. C’est même ici qu’elle commence, puisque TF 1 a décidé de s’en mêler. Le 20 Heures a diffusé un reportage au commentaire ironique, pour abonder dans le sens du jeune homme, lequel a pris un avocat bien entendu. Nous avons vu la mère du contrevenant, une jeune femme satisfaite d’elle-même, nous expliquer que la loi appliquée à son fils datait de la France de Vichy. Un adolescent qui crache par terre au milieu des voyageurs devait donc bénéficier de l’impunité, du simple fait que l’interdiction n’a pas été votée par le peuple au bon moment.
Cracher en public sous un abri de six mètres carrés est un acte délibérément antisocial qui mérite une sanction comme toute provocation, mais la télévision s’en moque. Et elle s’en moquera tant qu’on trouvera des mères pour contester la réalité de l’offense, pour faire appel devant le proviseur en cas de différend avec un prof, et pour hurler devant la caméra, dans le sabir particulier à ce genre de situations : « Mon fils, je vous jure, il a rien fait, Madame ! »
Le résultat, nous le connaissons, notamment parce que TF 1 a la tartufferie de déplorer, tous les trois jours, dans d’autres reportages, les incivilités (récemment encore lors d’une intervention de la Bac sur la ligne D du RER).
Nous avons la chance de ne pas vivre une époque législative scélérate. On peut donc suggérer sans risque que les règles élémentaires soient toilettées au Parlement. Quand Zidane crache en direct sur la moquette d’un couloir, l’amende devrait être proportionnelle au nombre de téléspectateurs. Quand de jeunes voyageurs du métro appuient leurs jambes sur la banquette d’en face on devrait déchirer leur carte Orange. Et quand un jeune homme se présente en classe coiffé d’une casquette et refuse de l’ôter, la sanction devrait être impitoyable.
On pourra objecter que c’est du fascisme, mais quand la jeune prof d’Étampes affirme, dans la presse, que tout a commencé par le coup de la casquette pour finir par celui du couteau, on se demande de quel côté est le fascisme.

Le divin
Le même journal de TF 1 nous a montré un enfant situé à l’opposé dans le spectre de la civilisation. Il allait donner son premier concert de piano à 10 ans, et il jouait les yeux fermés, réfugié dans un monde où les enfants ne s’échangent pas de vidéos douteuses et ne menacent pas leur professeur en disant : « Tu sais que t’es bonne ? ».
« Qu’est-ce que la musique ? demandait la journaliste. – C’est le divin. »
Si la télévision devait pratiquer une discrimination positive, il est permis de souhaiter qu’elle s’applique à ces enfants-là, parce qu’ils sont les premiers “en difficulté”.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3610 paru le 3 Février 2006

Au-delà de l'écran

Embrouiller le peuple
Difficile, la semaine dernière, de se soustraire à la promotion des Bronzés 3. J’ai donc cédé à la paresse et j’ai regardé l’une des nombreuses soirées d’autocélébration de la troupe du Splendid. J’ai cédé aussi, autant l’avouer, à une curiosité sournoise devant cette bande de copains qui ont fait fortune dans la dérision graveleuse. Leur carrière est issue d’un malentendu qui se perpétue au seuil de la vieillesse : enfants des beaux quartiers, anciens élèves du lycée Pasteur à Neuilly, ils ont compté parmi ces jeunes gens qui, pour leur propre gouverne, ont digéré le message culturel et moral de leur classe d’origine, mais qui l’ont renié devant le peuple en 1968. En d’autres termes, pendant qu’ils propageaient dans la société française une indulgence générale à propos des coucheries, de la frime, des pétards, des combines et de l’“éclate” sous les cocotiers, ils menaient pour la plupart une carrière de gestionnaires financiers avisés, envoyaient leurs enfants dans les meilleures écoles et suivaient le sillon banal tracé par leurs parents.
À présent, la soixantaine les a gagnés à leur tour. Il est facile de déceler l’amertume dont témoigne leur sourire au moment où le présentateur annonce que « les Bronzés 3 vont sûrement faire un carton ». Pour commencer, Arthur a presque l’âge de leurs enfants. Ensuite, il s’efforce lui-même de rester dans l’infantilisme alors qu’il passe des journées au téléphone pour monnayer son Audimat.
Finalement, le seul qui soit sincère dans cette histoire, le seul qu’on ait floué d’un bout à l’autre, de l’adolescence à la retraite, c’est le public. Combien de gens se sont abandonnés à la frénésie de liberté individuelle qui a caractérisé l’époque Mitterrand, pour s’apercevoir qu’à force d’inconséquence, ils ont ruiné leur mariage, perdu l’amour de leurs enfants, leurs illusions devant la vie et parfois jusqu’à leur aisance matérielle – le tout pendant que leurs inspirateurs, repus et contents, lisent Montaigne, collectionnent l’art moderne et nous parlent de leur vieux père professeur de médecine ?
De l’autre côté, les gens du peuple, en voyant les promoteurs de l’esthétique déjantée rouler carrosse et sortir du George V, ont l’impression que leurs élites ont menti. D’ailleurs, certains membres de l’équipe du Splendid semblent sur le point de l’avouer. Gérard Jugnot confesse qu’il est resté boy-scout. Dominique Lavanant est redevenue la bourgeoise au grand cœur qu’elle n’a probablement jamais cessé d’être. Et l’on s’attend à ce que Michel Blanc, philosophe inquiet, finisse par balayer le passé pour écrire un chef-d’œuvre.
Voilà donc une parabole à la française, une énième version de la perpétuation des privilèges par la méthode connue qui consiste à embrouiller le peuple. À travers l’équipe du Splendid (mais aussi l’humour de Canal Plus), c’est toute une classe sociale qui s’est arrangée pour rester aux affaires, en accentuant le nihilisme général au détriment des gens simples.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3398 paru le 11 Janvier 2002

Au-delà de l'écran

Noël barbare
Une dépêche en provenance de Roumanie nous rapporte que le CSA local s’est fâché de ce qu’un opérateur de téléphonie mobile ait trouvé malin de mettre en scène trois Pères Noël en plein combat de karaté. D’après le Conseil national pour l’audiovisuel à Bucarest, cet emblème de bonté universel subissait là une atteinte de nature à choquer le public et à altérer la perception de la morale de Noël.
Quand on voit la publicité qu’un opérateur de télévision ose infliger au public français depuis trois semaines, on se dit que le CSA roumain en deviendrait fou.
Une petite fille descend un escalier d’un air menaçant. Gros plan sur son frère se préparant au combat. La mère armée fourbit un rouleau à pâtisserie. Le père brandit une pagaie. La famille énumère les nombreux avantages du bouquet satellite convoité, « le cadeau qu’il ne fallait pas oublier cette année ». Or le Père Noël l’a visiblement oublié. Il est ligoté, bâillonné au pied du sapin, les lunettes en déroute, le regard écarquillé d’effroi. Le père élève à deux mains sa pagaie pour assommer le vieil homme, et sa famille semble décidée à participer au châtiment d’un cœur léger.
Je sais, les trois quarts des gens n’y trouveront rien à redire. Et pourtant, nous entrons ici au royaume de la barbarie par la porte de service. Ne parlons même pas de l’emblème de douceur que représente le Père Noël, des valeurs qu’il incarne, etc. Cet argument est tout juste bon pour les Roumains. Dans notre pays, il serait balayé comme grotesque. Evoquons plutôt le mobile du sacrilège. Ce qu’on nous donne comme passible de cette raclée préméditée, c’est le crime de lèse-convoitise. Le Père Noël est coupable de n’avoir pas anticipé, chez une famille ordinaire, le désir de recevoir dix-huit films par jour et les matchs de première division en Dolby stéréo. Résultat, le même ressentiment haineux s’empare du clan tout entier. Répétons-le, il y a passage à l’acte, usage d’une arme, la victime est bâillonnée et entravée. Circonstance aggravante, elle a soixante-quinze ans. Les psychiatres pourraient gloser longtemps sur la “symbolique” de tout cela. La tribu est réunie pour procéder au meurtre de l’ancêtre au nom de la jouissance immédiate.
Ici je conçois volontiers qu’on m’accuse de manquer d’humour. Alors, comme le sujet s’y prête, faisons intervenir une parabole. Par exemple, imaginons un enfant de six ans adopté, en Somalie ou en Inde, par une famille française. La seule langue qu’il connaisse est encore celle du cœur. Il vient de débarquer à Paris pour les fêtes de Noël. Un soir à la télévision, que voit-il ? Un vieil homme chenu semblable à ceux qui, dans son pays d’origine, prient et mendient aux marches des temples. Or des enfants aux parents, chacun tombe sur ce vieillard à coups de pelle.
En quoi consiste la parabole ? En ce que malheureusement, pour les quatre-cinquièmes de l’humanité, le Père Noël, c’est nous.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3380 paru le 7 Septembre 2001

Au-delà de l'écran

Émission impossible
Quelques années après que François Mauriac eut présidé la distribution des prix dans mon collège, à l’époque où les écoliers sortaient le jeudi, où il y avait encore des garages Simca, des képis noirs, je me souviens que lors du Salon de l’enfance, manifestation saisonnière assez courue, on pouvait voir et même essayer une invention sensationnelle : des patins à roulettes en ligne qui permettaient d’exécuter, sur une piste en ciment, la plupart des figures du patinage sur glace.
Il y a donc trente-cinq ans que le roller fut inventé, probablement par un ingénieur européen qui n’a pas déposé de brevet. Pendant les vingt premières années cette invention n’a fait l’objet d’aucune curiosité. Pour quelle raison ? Etait-elle dangereuse ? Sa mise au point était-elle bâclée ? Pas le moins du monde : la vraie raison est que l’Amérique n’avait point daigné plébisciter ce nouveau patin à roulettes. Quand ce fut chose faite, on nous le renvoya, rebaptisé et paré de la mythologie urbaine de Chicago.
Pour certaines émissions de télévision, le principe est identique : il y a vingt ans, le fantaisiste Daniel Prévost présentait en fin d’après-midi un jeu dont j’ai oublié le nom, mais où il se montrait, envers les invités, d’une sévérité incongrue et burlesque. Il rompait ainsi avec le robinet d’eau tiède des discours de plateau du style : « Ça va Marie-Hélène ? En forme ? » Son genre à lui était plutôt : « MarieHélène, vous parlerez quand vous y serez invitée, ôtez vos mains de la table, je vous prie. » L’émission suscitait douze lettres de protestations par jour mais ravissait les trois quarts des gens normaux. Le présentateur Arthur (depuis lors rentré dans le rang) pratiquait la même politique en s’écriant sur l’antenne d’Europe 1 : « Ce que tu nous racontes, Marie-Hélène, ne présente aucun intérêt, tu nous as fait perdre une demi-minute, je te raccroche au nez, au revoir. »
On a compris où je veux en venir : tout l’été, nous avons vu des Marie-Hélène livrées à un adjudant-chef de comédie (le Maillon faible) dont la gestuelle, l’habillement, le visage impassible ont été attribués à Laurence Boccolini, bien qu’en vérité cette aimable comédienne n’eût été que l’instrument d’une opération de marketing. Les moindres détails de son comportement étaient définis pour tous pays par un bureau californien. A voir se multiplier les pages pour ou contre Boccolini dans les journaux populaires de l’été, on éprouvait un peu de peine. Imaginez un référendum sur le thème “pour ou contre le Gendarme dans Guignol ?”. La presse en question était informée du cahier des charges et de la nécessité, pour la présentatrice, d’adopter le même comportement que celui de son modèle anglo-saxon.
Alors où est l’honnêteté ? Peut-être du côté de Vincent Lagaf, qui a repris avec son équipe une formule dont il est l’auteur et pour laquelle il ne verse de droits à personne.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3499 paru le 19 Décembre 2003

Au-delà de l'écran

Redevance et révérence
Depuis une semaine, on annonçait la présence de Marc Tessier dans une émission en direct consacrée à l’usage de la redevance. Nous nous promettions de nous glisser parmi la piétaille téléphonique afin de poser la question qui nous agite depuis des semaines : combien a coûté l’achat d’Alien 4 à la télévision française ?
Le jour dit, nous laissons donc un message dans la boîte d’Yves Calvi (sur Europe 1), pour lui demander d’interroger là-dessus son invité. Puis nous parlons à son adjoint dans les bureaux de La Cinquième, lequel note scrupuleusement notre question.
En fin d’après-midi, Yves Calvi est à l’antenne en direct. Le premier de ses invités, qui est aussi son patron, le président de France Télévisions, le remercie chaleureusement. De quoi ? D’avoir pris l’initiative d’organiser “un débat aussi utile”.
Visiblement, on se fiche de nous et la suite le confirme. La direction de France Télévisions joue la surprise à propos d’une émission qu’elle a organisée depuis trois semaines. L’onction du meneur de jeu frise la complaisance. Il s’agit d’offrir une tribune à la direction, pas d’interroger le public. De temps à autre, Yves Calvi fronce le sourcil mais c’est pour écarter les bonnes questions.
La preuve : la nôtre ne sera pas posée. Il ne peut pas prétendre qu’elle soit hors sujet. Il ne peut pas dire qu’elle soit trop générale. Il ne peut pas prétexter qu’il ne l’a pas reçue à temps. Hélas, demander ce qu’a coûté l’achat d’un film à une chaîne publique, c’est comme exiger la facture d’une sculpture moderne achetée par une municipalité : c’est une faute de goût. Alors à quoi bon inviter M. Martin-Lalande, rapporteur de la commission des finances à l’Assemblée (pour l’audiovisuel), si l’on s’offre le luxe de contourner devant lui les zones opaques avec un tel cynisme ?
On a beaucoup parlé de transparence, mais les opacités sont restées nombreuses. Or les simulacres de ce genre débouchent tôt ou tard sur un phénomène impossible à juguler : le mani pulite, l’opération mains propres. La télévision publique française s’y expose chaque jour davantage.

Mains propres
Quand l’heure de la propreté aura sonné, Julien Courbet aura beaucoup fait pour attirer l’attention sur le cas de la DDE. Sans aucun doute nous présentait, l’autre soir, l’histoire d’une famille de cinq personnes réfugiée dans dix-sept mètres carrés pour n’avoir pu obtenir le droit de redresser un mur écroulé. La mauvaise foi de la direction départementale de l’équipement dans cette affaire donnait envie d’envoyer des bataillons de Fouquier-Tinville à la recherche des fonctionnaires qui ne “veulent pas le savoir”. Après deux heures de négociations, Courbet finissait par obtenir une réunion de conciliation à laquelle la DDE, malgré sa promesse devant les caméras, n’a pas daigné participer.
Il est temps, pour ces gens-là, de se persuader d’une chose : ceux qui “ne veulent pas le savoir”, le pays ne veut plus les voir.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3611 paru le 10 Février 2006

Au-delà de l'écran

Plus un sou
Une coïncidence vient de décupler la portée du film de Nils Tavernier l’Odyssée de la vie, présenté par France 2 il y a quelques jours. La diffusion de ce documentaire a été précédée d’une affaire affligeante, celle du Sou médical, organisme qui renoncera bientôt à assurer les médecins accoucheurs. Si cette mutuelle, la première à garantir les cliniques privées, baisse les bras devant l’énormité des conséquences juridiques de l’arrêt Perruche (par lequel, rappelons-le, un médecin peut avoir à indemniser une anomalie naturelle non décelée), c’est parce que l’attitude générale devant la procréation relève du consumérisme. L’enfant est devenu un produit comme un autre. S’il n’est pas conforme, on se réserve le droit de le renvoyer à l’usine.
Il n’est donc pas inutile de rappeler ce qui se passe avant la naissance. Le film de Tavernier nous faisait pénétrer dans la matrice. Un déploiement d’images de synthèse nous persuadait rapidement que l’usine, ce ne sont ni les parents, ni la clinique, mais l’insondable immensité de la Nature. Et quand on s’attaque à un médecin qui n’a pas pu sonder l’insondable, que fait-il ? Il réagit comme le prévoyait le docteur G., auteur du fameux Accouchement sans honneur (Le Rocher, 2004), il rend son tablier. « Au point où nous en sommes, écrivait ce praticien anonyme, tout peut arriver, y compris le retour à la vieille dame du voisinage qui vient délivrer la mère avec des serviettes chaudes et du savon de Marseille. Les accoucheurs payent, en assurance, le prix de deux voitures neuves par an. Ils sont surveillés par le matériel et les parents les traitent, une fois sur deux, comme des exécutants. »
Le comble du paradoxe, nous l’avons eu sous les yeux la semaine dernière. D’un côté, un film qui nous laisse assister à des échographies en couleurs sur fond de commentaires lyriques, de l’autre le cauchemar de risquer la ruine sur une mauvaise lecture du monitoring. Les praticiens sont en train de comprendre que les nouveaux outils sont leurs ennemis et la gestation va retourner à son mystère, comme en Hollande où un tiers des femmes accouchent déjà chez elles, faute de spécialistes. À moins que la sagesse ne finisse par prévaloir. À moins que la formation d’un embryon, l’agencement de ses neurones, la proportion de ses membres, ne redeviennent ce que nous montrait le film, c’est-à-dire un miracle fragile. Personne n’a le droit d’appliquer, à un processus aussi aléatoire, les règles en vigueur contre le risque industriel. Faute de quoi, les hommes finiront par avoir la même dignité que les poulets de Bresse.

Traite et mémoire
Cette mention de la dignité humaine me servira de transition pour exprimer un vœu : lors de la retransmission prochaine des cérémonies de la journée anti-esclavage du 10 mai, il serait souhaitable que les représentants des nombreux pays du tiers-monde qui ont pratiqué la traite des êtres humains dans leur histoire soient présents eux aussi.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3612 paru le 17 Février 2006

Au-delà de l'écran

Petits juges
La cafétéria du tribunal de Créteil telle que nous la montrait le journal de TF 1, la veille de l’audition du juge Burgaud, permettait de comprendre la dérive de la magistrature française : on y mesurait à la fois l’écrasante majorité de femmes et leur extrême jeunesse. Pour rétablir l’équilibre, le journaliste prenait soin d’interroger l’un de leurs collègues masculins, mais il ne pouvait nous empêcher de le trouver, lui aussi, fâcheusement juvénile.
Le lendemain, l’audition du juge Burgaud confirmait ce malaise : si un jeune magistrat français ressemble à ce que nous avons vu, il faut réviser d’urgence les procédures de recrutement.
Il y a un siècle, quand on parlait d’un juge, on imaginait un homme quinquagénaire. Aujourd’hui c’est un godelureau qui semble sorti d’une pièce de Labiche ou – le plus souvent – une femme de 30 ans. Même l’ancien garde des Sceaux s’est aperçu, en 2003, que l’École de la magistrature avait perdu les clés de la parité.
La soirée du 7 février sur TF 1 nous a offert, en moins de deux heures, un résumé du problème : après le tribunal de Créteil et son personnel très peu représentatif de la répartition par genres de la population, nous avons vu un reportage sur l’apprentissage de la mécanique automobile chez les jeunes filles. Ensuite l’inévitable conjuration mère-fille s’entendait à ridiculiser un pauvre bougre qui ne voulait pas boire de lait (publicité Lactel). Et pour comble, le feuilleton de la soirée s’appelait Femmes de loi.
Quant au surnom du magistrat d’Outreau, le “petit juge”, il donne froid dans le dos. Imagine-t-on de confier ses coronaires aux soins d’un “petit chirurgien” ? Qu’on nous rende de grands juges, des humanistes qui inspirent le respect. Cela nous épargnera des auditions consternantes comme celles du 8 février. Avant ce psychodrame national, l’avocat général auprès de la Cour de cassation, Laurent Davenas, a longtemps appelé Fabrice Burgaud “ce garçon”. Il aurait dû dire “ce petit garçon”. Autisme dans l’argumentation, syntaxe rudimentaire : son style personnel serait risible s’il n’avait eu le pouvoir de condamner huit innocents à la mort sociale.

Muselière
Au dossier de la liberté d’expression, dont il est souvent question en ce moment, il faut verser la scène qui a opposé Salman Rushdie à Samy Nacéri sur le plateau de Thierry Ardisson en octobre. Le présentateur le plus honnête de la profession aurait, selon des rumeurs insistantes, coupé au montage des menaces de mort à peine voilées proférées par l’acteur au nom de l’islam. En tout cas son hôte, l’écrivain anglais, a quitté le plateau furieux. Il faut consulter un site Internet (www.acrimed.org) pour se faire une idée de ce qui s’est passé. Visiblement, ce n’est plus sur la presse qu’il faut compter pour le savoir. Le contexte actuel jette une lumière supplémentaire sur les privilèges d’extraterritorialité dont jouissent en France les enragés de la muselière. Voilà un débat qui va finir au porte-voix.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3613 paru le 24 Février 2006

Au-delà de l'écran

Catherine et Caton
Il n’est pas interdit de paraphraser l’article que Patrick Besson vient de consacrer à Catherine Ceylac dans le Figaro Magazine, car le sujet recèle une des clés de fonctionnement du service public à la française. La productrice vient de fêter dix ans de rencontres dominicales, soit environ cinq cents entretiens qui collent à la pensée dominante comme le sparadrap à sa paire de ciseaux. Chaque semaine, elle affiche la modestie souriante et primesautière de la fille qui est là par hasard, mais elle a joué des coudes pour être sur la photo ; on songe à ces commodes hérissées de clichés mondains qui, dans les familles de parvenus, montrent la grand-mère en train de serrer la main à Reagan ou la tante Micheline en audience privée chez le pape.
Certes la portée de tout cela est à peu près nulle, comme le suggère d’ailleurs le titre, Thé ou café ? Autant demander au héros du jour s’il préfère la mer ou la montagne. Mais on peut reconnaître, dans ce babillage, une preuve supplémentaire de la prépondérance du médium sur le contenu. Voilà qui rappelle une lointaine émission de la Cinq nommée l’Esprit du sport où Georges Marchais venait parler de ses promenades à vélo. Le principe est d’offrir un temps d’antenne aussi consensuel que possible.
Parallèlement, il existe comme on le sait une poignée d’autres émissions qui travaillent en sens contraire, j’entends contraire à l’invité. Fogiel, Ardisson, Ruquier, siègent au sein d’une sorte de commission d’épuration permanente dont le député Montebourg vient de dénoncer les activités. Tantôt ils font tomber de la passerelle les gens capables de gouverner le navire, tantôt ils cherchent à les ridiculiser en les mélangeant à des rappeurs, à des humoristes ou à des actrices qui disent “Moi j’ai aucun souci par rapport à ça”.
Ainsi, au fil des semaines, voit-on clairement se dessiner une frontière entre ceux qui consentent à ne rien dire pour rester à leur poste et ceux qui prennent le risque du bannissement en annonçant les prochaines guerres puniques. Mais même en ce cas, n’ayons aucun souci pour Catherine Ceylac : le jour où se réglera le sort de Carthage au Parlement, elle va brandir une photo de cocktail en nous disant qu’elle a très bien connu Caton.

Le tutu sur la glace
S’il fut difficile, ces derniers jours, d’éviter le compte rendu quotidien des jeux Olympiques sur France 2, il fut pratiquement impossible d’échapper à l’“humour” de l’équipe. La fausse bonne idée consistait à parodier les émissions de la chaîne entre deux reportages. Il s’agissait de viser le second degré. Dommage que personne n’ait atteint le premier. Nelson Montfort, à force de multiplier les triples axels linguistiques, a fini le tutu sur la glace en mainte occasion.
Si l’on confiait le commentaire du patinage à un grammairien, sur le plan sportif il n’est pas certain que ce soit pire, mais la syntaxe y gagnerait énormément.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3614 paru le 3 Mars 2006

Au-delà de l'écran

Banalisation
Sur Europe 1, l’autre semaine, Jean Marc Morandini commentait la décision prise par TF 1 de diffuser cinq épisodes des Experts, une série américaine qui hisse la médecine légale au rang des beaux-arts. La seule anomalie qu’il relevait dans cette programmation grotesque était relative à l’ordre de passage des épisodes – en quoi il n’avait pas entièrement tort, puisque l’un des personnages mourait en début de soirée pour ressusciter dans un autre épisode, après 22 h 30.
En revanche, le journaliste ne disait rien sur la méthode qui consiste à aligner cinq numéros d’une série sanglante pour bloquer la soirée sur une audience prévisible, au mépris des 40 % de téléspectateurs qui n’ont aucune envie de voir un spectacle aussi cruel pendant quatre heures – surtout s’ils n’ont que trois chaînes à leur disposition, ce qui est encore fréquent dans la France dite profonde.
Les médecins et les policiers new-yorkais qui se penchent sur des corps mutilés, ceux qui réalisent des prélèvements sous nos yeux en faisant tinter leur scalpel sur une coupelle de cristal, ceux qui nous expliquent après quels sévices la victime a succombé dans une cave nous rappellent l’affaire Ilan, ses cruautés et ses hypocrisies. Voilà dix ans que la télévision nous inflige chaque semaine la description des mutilations et des humiliations subies par de pauvres gens tombés par hasard sur un tueur en série. Voilà dix ans que le CSA ne fait strictement rien pour juguler cette banalisation du crime.
Si, en matière de violence, les esprits faibles s’inspirent du tout-venant, c’est avant tout parce que personne n’a voulu contrôler la nature du tout venant. On nous dit que le “gang des barbares” était formé de gens influençables. On nous dit qu’ils ont accrédité le cliché de la famille juive qui cache un magot.
Mais on ne nous dit pas qu’ils ont imité les films où un chef de bande dit à ses hommes « OK, je vous le laisse » en désignant un captif ensanglanté. On ne nous dit pas qu’ils ont vu cent fois Scarface, les films de Tarantino, les âneries sanglantes de Luc Besson et les adaptations de Jean-Christophe Grangié. On ne nous dit pas que dans certains jeux vidéo on voit un otage recroquevillé contre un radiateur dans un appartement vide. On ne nous dit pas que les producteurs des machines à propager le sang et la haine tirent leur argent des grands groupes et roulent carrosse sous les cocotiers tout en déplorant la disparition de la morale sociale.
D’autre part, le fait que la série le Royaume n’ait pas trouvé l’audience escomptée ne doit pas nous faire oublier la place insidieuse qu’y tenait la torture. Plonger dans une eau glacée des jeunes filles liées à une roue, les maltraiter de mille manières supposément moyenâgeuses n’est pas innocent non plus. D’une façon générale, toutes les émissions où l’on inflige à autrui un traitement dégradant rôdent autour de la zone interdite en attendant que l’imagination des demeurés fasse le reste.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3615 paru le 10 Mars 2006

Au-delà de l'écran

Mercredi, c’est barbarie
Il paraît que Ségolène Royal a un plan médias, qu’elle ne fait rien au hasard, et qu’elle ne répond plus à n’importe qui. Du coup on est obligé d’interpréter chacune de ses apparitions à la télévision comme le fruit d’un calcul. Par exemple, si elle passe dans l’émission matinale de Sophie Davant, c’est pour aller chercher, au fond du vivier télévisuel, les poissons pilotes de son éventuel électorat : des femmes qui viennent d’envoyer leur progéniture à l’école et qui regardent la télé pendant le repassage.
En somme, c’est le public d’Évelyne Thomas. Seulement, si elle veut lui plaire, elle devra le persuader qu’elle n’a pas dix ans de retard dans l’analyse. Un grand nombre de mères de famille, déçues par les prêchi-prêcha et les conséquences de la licence généralisée, souhaitent aujourd’hui un retour aux “fondamentaux”. De même, un grand nombre de pères se rendent à l’évidence que leur progéniture réclame une règle ; leur navire, un capitaine ; et leur nation, un projet.
Or à entendre les tièdes déclarations télévisées de Ségolène Royal, on ne devine aucune perception du raz de marée qui a pris naissance au tréfonds de la société française pendant les années de plomb. Elle se propose simplement de s’asseoir sous le tableau noir et de chercher la vérité en même temps que nous. Elle nous promet une gouvernance “associative”, c’est-à-dire l’un de ces moments de démocratie qu’ont connu les établissements scolaires il y a une génération, avant que les proviseurs ne consentent à retrouver l’essence du métier, en saisissant au collet les fauteurs de chahut.
Il suffit de regarder, tous les mercredis, la matinée pour enfants de France 2 pour se demander si une houlette féminine du genre “Mon papa était militaire, mais je me soigne” est ce que l’on peut souhaiter de mieux dans un pays où pullulent les bandes de caïds.
Un indice nous est fourni par le clip d’un certain Booba diffusé par Top of the Pops à destination des 7-15 ans et dont les paroles sont disponibles partout sur Internet. En voici des extraits :
« Il faut les mettre en taule, dans des geôles, si tu parles comme ça, même si t’es personne âgée, ferme ta gueule grosse pute, ou tu vas déménager. » Vous avez bien lu. L’émission, servile démarquage de son homologue anglais à la botte des maquignons de la musique, est diffusée sur le service public, le mercredi, pour infliger à vos enfants ce style de vocabulaire. Sous prétexte qu’il s’agit de l’album le mieux vendu du moment, on y diffuse un message d’intimidation limpide. Certes, parmi les acheteurs de cette “musique” une bonne moitié se précipite sur l’album pour braver un interdit. Le succès du rap dans la jeunesse doit donc être évalué en tenant compte de ce facteur permanent de correction. Mais une autre chose est certaine : Youssouf Fofana et ses copains tortionnaires, dans l’appartement de Bagneux, n’écoutaient ni Lorie ni Raphaël.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3616 paru le 17 Mars 2006

Au-delà de l'écran

Du vélo avec Sarko
L’autre soir, Canal Plus désignait “en clair” l’une des grandes plaies de la société française, la paralysie inquiète qui saisit les médias devant ceux qui pourraient un jour ou l’autre détenir les clés de leur avenir. Un an avant les grandes échéances, comme on dit pudiquement en France, la glaciation commence. Tout le monde se ménage et chacun se surveille.
L’invité du Grand Journal était Nicolas Sarkozy. Certes, quand on anime un programme du style info-show, il n’est pas interdit d’afficher une sympathie m’as-tu-vu pour l’invité. C’est la méthode Drucker. Il l’a d’ailleurs appliquée devant nous en posant au président de l’UMP une question enregistrée : « Alors, quand la fait-on ensemble, cette prochaine balade à vélo ? » On aura complété de soi-même : « Je suis l’ami des stars, j’ai toujours une anecdote à raconter sur mon intimité avec les gens célèbres. Je suis le Zelig du PAF. Je fais du vélo avec Sarko, de la bécane avec Strauss-Kahn et de la trottinette avec Arlette. »
Mais Beigbeder, Michel Denisot, Ariane Massenet étaient censés multiplier les vacheries dans l’esprit insolent qui caractérise Canal Plus. Or on s’apercevait très vite qu’en période pré-électorale, l’insolence de la chaîne est réservée à ceux qui ne sont pas susceptibles d’arriver au pouvoir. Elle accable les prétendants dont elle n’a rien à craindre. Aux autres elle réserve un traitement si clément qu’on finit par se demander pourquoi la perspective d’un changement de règne lui inspire une trouille si profonde. En tout cas, il est certain que l’argumentation de l’invité n’a pas eu à franchir de très grands obstacles pour atteindre le public.
Le contenu des propos de Nicolas Sarkozy importe peu, du moins ici. Il s’agit seulement de souligner que ses interrogateurs se sont dégonflés en direct. Comment François Bayrou aurait-il été traité à sa place ? Question intéressante qui admet un corollaire, comment Beigbeder, qui a signé la campagne présidentielle de Robert Hue, peut-il manquer de mordant à l’égard d’un invité aussi éloigné de sa sensibilité ? Dans deux ou trois ans, nous connaîtrons l’explication de ce mystère en voyant quel poste occupe Beigbeder.

Menaces obscènes
Il est au moins un thème sur lequel le fond des propos de Nicolas Sarkozy concerne cette chronique, c’est l’apparition, sur i-télévision, de l’horrible Fofana en train de déjeuner dans une prison d’Abidjan. Le ministre de l’Intérieur n’a pas apprécié cette latitude offerte à un criminel de s’exprimer et d’illustrer devant la jeunesse que l’enlèvement crapuleux était une pratique sociale juteuse plus ou moins justifiable – en somme, un business comme un autre. Si, au cours du reportage, il avait menacé ses accusateurs de représailles, comme il l’a fait auprès du père Halimi deux jours après l’assassinat de son fils, i-télévision aurait-elle acheté, vendu et diffusé ses propos comme un scoop ? On ose espérer que non. Dans le cas contraire, l’obscénité menace.
Christian Combaz














Valeurs Actuelles n° 3617 paru le 24 Mars 2006

Au-delà de l'écran

Terreur du rejet
Quand on contemple l’agitation médiatique avec l’œil plissé du peintre qui cherche à dégager les grandes lignes, on les reconnaît à chaque instant. Pour qui observe la ruche humaine avec froideur, les comportements deviennent de plus en plus prévisibles.
On s’étonne de ne jamais trouver de philosophes dans l’entourage des ministres car, si les auteurs du CPE avaient été mieux conseillés, leur dispositif aurait été mieux accueilli. Ils auraient évité de donner à la jeunesse l’impression qu’elle allait être évaluée, alors que la terreur du rejet, le besoin de reconnaissance affective, caractérisent toute cette génération, sans compter la précédente qui n’a aucune maturité malgré ses cheveux gris. Dans les familles modernes, le défaut d’estime de soi fait des ravages.
Pour en avoir une idée, il faut lire les consternantes Particules élémentaires de Michel Houellebecq, et certains ouvrages de Christophe Donner, qui trahissent une crainte majeure : celle de ne pas trouver sa place dans le regard et dans l’amour d’autrui. On la décèle dans toutes les interviews : les jeunes face au CPE n’envisagent jamais l’hypothèse où leur futur patron serait convaincu de leurs mérites. Ils sont plutôt accablés par la crainte d’être mal aimés. Osons ajouter : comme ils l’ont été en famille à cause de l’égoïsme parental, de la dérive matérialiste du corps social entier, des divorces, de l’amoindrissement de la figure du père, tous facteurs qui concourent à fabriquer des geignards dont la devise est “Chérissez-moi d’abord, je vous donnerai satisfaction après”.
Un débat sur i-Télévision réunissait récemment, à ce propos, des commentateurs d’horizons divers. La présence de Gérard Gachet tempérait l’agacement que l’on éprouvait à voir le bilieux Stéphane Pocrain s’emparer du sujet, sur le ton péremptoire et vengeur qu’il inflige à tous ses interlocuteurs. Une idée a été proférée ce jour-là par l’un des participants : certains jeunes de milieu modeste, très éloignés des protestataires bacheliers, verraient dans la réforme de l’embauche une occasion de faire leurs preuves. Les autres, les enfants de la petite bourgeoisie vindicative, ceux qui font la loi chez eux depuis la maternelle, se méfient de tout système d’évaluation parce qu’il risque de malmener leur amour-propre. Le gouvernement aurait dû s’adresser aux premiers d’abord. Pour couvrir la voix des mal-sevrés, à présent il va falloir hausser le ton.

“Au revoir madame”
Dans le même débat, il fut question de la campagne électorale italienne et de Silvio Berlusconi. Un lecteur m’écrit sa satisfaction d’avoir vu Sua Emittenza se lever souriant et dire à une journaliste : “Vous êtes partiale, vous devriez avoir honte, au revoir madame.” On imagine mal Dominique de Villepin dire une chose pareille à Christine Ockrent. Et pourtant en pareil cas les sondages révéleraient, dans l’heure, qu’il aurait dû le faire depuis longtemps.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3618 paru le 31 Mars 2006

Au-delà de l'écran

Nouveau continent
Il existe un phénomène souterrain qui se développe depuis des mois mais dont la “grande presse” va nous dire, un jour ou l’autre, qu’il fait fureur depuis trois semaines : la télévision sauvage. Je ne parle pas des quelques chaînes qui fournissent des sujets vidéo à la demande sur leur site Internet, mais des terres nouvellement émergées qui agrandissent sans cesse le continent des images.
Je parle de ces archipels qui apparaissent partout et se réunissent dans le dos du législateur dépassé. Il faut d’abord citer les innombrables blogs où figurent des extraits d’émissions. Ensuite, les clips que l’on s’envoie par courrier électronique, les plaisanteries visuelles, les publicités humoristiques. Les plateaux des grandes télévisions nationales sont déjà contraints de nous présenter, la queue basse, “ce qui circule sur le net”. Ils ont beau nous prévenir “Vous allez voir, la qualité n’est pas très bonne”, il leur est difficile de cacher que la liberté et l’imagination sont en train de quitter les studios.
Et puis, il y a cette poudrière de l’échange d’image par BitTorrent. Il s’agit d’un programme de partage de fichiers dont l’usage est impossible à juguler, et qui va devenir tôt ou tard un continent à lui seul. Pour résumer, quand on a raté une émission, on la trouve sur Internet dès le lendemain. Ah, certes, pas les Cordier, mais qui s’en plaindrait ? En revanche, la descente olympique de Deneriaz, le dernier épisode de Lost ou de Friends, le débat dont tout le monde a parlé à Washington, les talk-shows les plus savoureux, tout y est.
Mais ce n’est pas tout. Le vrai continent caché, le phénomène imminent, surtout en période électorale, c’est l’originalité future des contenus et leur caractère militant. Aujourd’hui, le principal de ce qui s’échange est composé de films et de documentaires. Demain, ce seront des sujets originaux, des conférences, des colloques politiques, des reportages-samizdats, des enquêtes à la Michael Moore. Il suffit de taper le mot Bush dans le moteur de recherche qui figure sur la page www.conspiracycentral.net pour comprendre où nous allons. La facilité de tourner, de monter et de diffuser des images n’a jamais été aussi grande. Elle a pour corollaire le besoin de s’affranchir des grands médias, comme en témoigne le succès des blogs. La conjonction de ces phénomènes induit non seulement une révolution numérique, mais une révolution tout court.
Le problème des droits, qui occupe tant nos parlementaires, va devenir secondaire dès que les gens se précipiteront plutôt sur les révélations douteuses, les reportages du genre télé-corbeau, et les vidéos des candidats marginaux à la présidentielle. Les films de propagande délibérément introduits dans les circuits d’échange entre particuliers n’ont pas été prévus par les textes. Le CSA, si oublieux en matière de violence, va se réveiller sous la pression des politiques et nous allons assister à la plus belle pagaille depuis l’apparition des radios libres.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3619 paru le 7 Avril 2006

Au-delà de l'écran

Il est déjà là
Le téléfilm présenté récemment sur la vie de Charles de Gaulle comportait des leçons cachées. La première est qu’à travers l’agitation et le tumulte se manifeste toujours le profil d’un ordre futur. La France a ceci de particulier qu’elle ne sait pas enfanter de périodes de stabilité sans douleur, ni trouver de majorité sans s’infliger le frisson de l’insurrection. Le film de France 2 nous rendait témoins des tractations entre les équipes d’Alger et l’entourage du Général sur le thème : comment laisser mûrir une crise pour imposer un nouveau régime ?
Pour peu que l’on consente à faire le parallèle avec le présent, la seconde époque du feuilleton était passionnante. Les phrases du Général sur le régime des partis s’appliquaient très bien à ce que nous vivons. Quand on imagine Dominique Strauss-Kahn ou Laurent Fabius dans le bureau du Grand Charles, on les voit encore plus petits que Guy Mollet, c’est dire. Mais surtout, la première leçon de notre histoire récente est que la France d’aujourd’hui nourrit déjà depuis vingt, trente, cinquante ans, ceux qu’elle acclamera demain. Inconnus ou méconnus, ils sont parmi nous. Ils analysent la vie sociale en attendant l’heure d’agir. Nous nous demanderons bientôt comment nous avons pu les ignorer si longtemps. Nous sommes semblables à ces myriades d’objets célestes dont le tournoiement est influencé par un puits de gravité invisible, dans lequel ils tomberont un jour.
Pendant la moitié de sa vie, le général de Gaulle fut un officier obscur qui passait pour un théoricien un peu raseur. Personne n’aurait imaginé qu’il allait exercer une attraction newtonienne sur le pays entier. Aujourd’hui, c’est cette force dense et secrète que nous devons déceler autour de nous malgré la médiocrité de la comédie sociale. Il suffit de regarder la télévision en se demandant ce qu’on nous cache pour en mesurer l’énormité. Quand nous apprenons sur TF 1 que le taux de fécondité français est l’un des plus élevés d’Europe, tout le monde sait ce que cela signifie. Quand nous entendons sur France 2 que 62 % des votants du référendum illégal de Saint-Denis sont favorables au droit de vote des étrangers, personne n’ajoute que la participation a été de 30 %. Et pourtant tout le monde s’en doute. Quand on nous dit (sur Télématin) que « trois millions de personnes ont défilé hier », on ne précise pas que ce chiffre provient de la CGT. Et pourtant tout le monde le sait.
Quand on nous affirme que « personne n’a la trempe d’un De Gaulle aujourd’hui », on ne veut pas admettre que son successeur est là, devant nous, perdu dans la foule, et que le pays l’a déjà plébiscité sans le connaître.

Propositions
Au journal télévisé, nous voyons un professeur qui fait la navette entre deux classes pour remplacer une collègue gréviste : « Si je vois que ça bouge, je passe dans l’autre classe pour renouveler les propositions. » Tout le monde a compris : l’école moderne, c’est un lieu où l’on propose.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3620 paru le 14 Avril 2006

Au-delà de l'écran

Effet Doppler
Le personnel médiatique n’a rien trouvé de mieux, pour devancer et pour influencer les échéances françaises, que d’aller chercher à l’étranger ses modèles et ses sujets d’indignation.
On se souvient avec quelle insistance les plateaux nous annonçaient la victoire de John Kerry. On se souvient des louanges de la gauche française pour Al Gore. On a vu les télés se précipiter au Chili pour y couvrir la victoire d’une femme, dans l’espoir d’accréditer chez nous une candidate en tailleur beige. On a vu des reportages diffusés en direct de Minsk où la police embarquait les manifestants. Aux rares Français qui séjournaient dans la ville (parmi lesquels votre serviteur), le journal de 13 heures de France Inter a essayé d’arracher des témoignages épouvantés en faveur d’une révolution orange à la biélorusse, or elle n’a jamais eu lieu. Le même dimanche, à Kiev, un scrutin sans trucage écornait le mythe du miracle ukrainien.
N’importe, les télévisions étaient déjà passées à un autre sujet : les élections italiennes. Pour nous imposer plus sûrement l’Internationale du centre gauche (celle qui lit le Guardian et La Reppublica), le Paf français découvrait les mérites de Romano Prodi.
Comme beaucoup de Français, j’ai profité de la disponibilité des chaînes italiennes via Eutelsat pour regarder le débat Prodi-Berlusconi sur la Rai Uno.
Le lendemain, j’ai écouté les commentaires du plateau radiophonique de Ruquier sur Europe 1, afin de mesurer l’effet Doppler – vous savez bien, le décalage vers le rouge qu’on observe dans l’opinion quand elle s’éloigne à grande vitesse de la réalité.
Dès qu’on a prononcé le nom de Berlusconi, Steevy Boulay, le politologue du Loft, a devancé ses compagnons pour décréter qu’il avait été très mauvais. Pierre Bénichou, plus circonspect, a donné les protagonistes pour égaux sans avoir vu le débat, ce qui, après correction idéologique, atteste que Berlusconi a été nettement supérieur à son adversaire, et j’en témoigne : il a été drôle, mordant, imagé, notamment quand il a décrit les composantes de la gauche italienne. Or, le lendemain, le fait d’avoir caricaturé ses ennemis nous fut présenté dans les journaux français comme un “dérapage”. Avant tout débat, c’est le même stratagème : la gauche adore priver ses adversaires des avantages qu’elle ne possède pas elle-même. Le pittoresque en fait partie. Il suffit d’employer le verbe déraper et le tour est joué.
Cela dit, le personnage de Berlusconi mérite une analyse plus fine que celle des oligarques du commentaire à la française. Parmi les extraits vidéo que l’on voyait sur les chaînes italiennes, plusieurs étaient accablants, notamment celui où, dans un curieux accès de paranoïa, le Cavaliere présente sa propre crypte funéraire (monumentale) à un Gorbatchev stupéfait. Ou ceux qui établissent les liens de ses fidèles avec la Mafia. Il faut croire que plus un pays a soif d’ordre, moins il est exigeant sur sa nature, et la France devrait méditer là-dessus.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3501 paru le 9 Janvier 2004

Au-delà de l'écran

L’archipel des images
Pendant les fêtes où la télévision subit la concurrence d’écrans rivaux : ordinateurs, jeux vidéo, téléphones portables, on a l’impression que l’archipel des images se rassemble pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, à condition de posséder un peu d’éducation et de sens commun, représente 80 % de l’offre : îles au trésor semées d’énigmes et de merveilles graphiques, courses à la barre sur des voiliers mythiques, architectures d’une complexité piranésienne, mondes ultragalactiques balayés par des tempêtes de sable. Le virtuel électronique, avec la complicité des écrans plats et des techniques sonores immersives (en attendant le relief) est vraiment devenu l’un des beaux arts.
Hélas, il y a aussi le pire. Depuis le premier simulateur de vol sur lequel cent millions de joueurs, au bas mot, ont traversé les tours du World Trade Center avant le passage à l’acte, le jeu vidéo est devenu le vecteur de sottise et de méchanceté le plus puissant qu’on puisse imaginer. Dans l’un des titres que je viens d’examiner, Need for Speed Underground, il s’agit de se livrer à une course urbaine et nocturne au milieu du trafic, au volant de voitures “tunées”, pour un public de zonards gesticulants. Le départ est donné par des rappeuses en boléro de cuir. La notice d’emploi précise obligeamment : « Tu auras le temps de conduire comme un bon père de famille quand tu seras vieux. Pour l’instant, conduis comme un malade, ta réputation en dépend ! »
J’ai aussi acheté une bluette, Rayman 3, destinée aux enfants de quatre à douze ans. Après deux tableaux, que croyez-vous que le petit personnage crie au joueur ? « Eh ben ? Qu’est-ce que t’as ? T’as fumé ou quoi ? »

Publicité de poche
Les passerelles entre le cinéma, la télévision et le jeu vidéo sont déjà nombreuses, mais l’irruption du téléphone portable dans cette ronde des images représente une nouveauté qui n’est pas sans conséquences. Pour le bénéfice de téléphoner en 65 000 couleurs, nous allons bientôt recevoir publicités et bandes-annonces directement dans nos poches, en attendant que notre cervelet lui-même soit équipé d’une prise bluetooth.

Redondances
Dans les entretiens télévisés, si la plupart des réponses commencent par “C’est vrai que”, c’est parce que les journalistes ont pris l’habitude de caser dans les questions ce qu’ils veulent entendre. D’où une impression de redondance assez pénible.
Au même chapitre, citons l’habitude de livrer le contenu d’un reportage au moment de l’annoncer. Ce désamorçage ridicule donne à peu près ceci : « La police est sur la piste d’un trafic de voitures volées qui aurait des ramifications jusqu’en Turquie et en Egypte et qui concernerait des berlines allemandes. Reportage de Frédéric Moreau. »
Que nous dit Frédéric Moreau ? Strictement la même chose, bien malgré lui. L’autre a parasité son travail, ses arguments et son vocabulaire en écoutant la bande avant de prendre l’antenne.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3399 paru le 18 Janvier 2002

Au-delà de l'écran

Un cœur simple
L’un des derniers refuges de l’imagination pour un cinéaste, l’un des exutoires du rêve, dans un monde où les scénarios sont devenus aussi linéaires que les rayons de supermarché, c’est le clip.
Dans un clip le projet est circonscrit dans la durée. L’invention devient donc déterminante. Avec le clip, le cinéma devient elliptique. Impressionniste ou surréaliste, il se joue de la physique, de la logique, il multiplie les changements d’échelle et les paradoxes. Le clip appartient au royaume des contes et légendes.
Les chaînes musicales diffusent en ce moment l’une de ces paraboles que j’invite le lecteur à traquer pour savourer deux minutes de poésie. Il s’agit de l’illustration d’une chanson dont mon seul souvenir est que l’auteur s’appelle Robert, mais l’essentiel n’est pas là.
Le film est en noir et blanc, ou presque. On y voit une jeune femme hésiter à un carrefour en plein Manhattan, encombrée d’un paquet rouge tellement gros qu’il traîne par terre et tient à peine entre ses bras. La caméra change d’angle pendant que la jeune femme, qui paraît épuisée, essaie de traverser un passage clouté dans la foule. Elle se heurte à ses voisins. Personne ne l’aide à porter son paquet rouge. Elle le traîne, le pousse, le pose contre un mur. On s’aperçoit qu’il s’agit en vérité d’un cœur de plus d’un mètre soixante, lisse et gonflé comme un ballon dirigeable.
L’allusion paraît un peu grossière mais elle est déchirante. Bousculée dans la rue, ignorée dans le métro, vouée à la laideur et à la solitude urbaines, la jeune femme transporte son cœur qui devient de plus en plus petit. Il est à peine gros comme un ballon de foot quand elle arrive en vue de son affreuse maison de Brooklyn. Une aimable et tendre détresse se lit alors sur son visage, si aimable et si tendre qu’un jeune passant lui offre un café.
Changement de plan. Le cœur est posé entre eux contre la vitre. Sorti du café, le jeune homme raccompagne sa Cendrillon qui a quelque difficulté à franchir la porte de sa maison, le cœur ayant retrouvé sa taille d’origine.
Le lendemain on guette sur MTV ou FunTV la rediffusion de cette minuscule œuvre d’art qui dure autant que la lecture d’un poème, qui n’est pas la seule de son espèce et qui vous réconcilie à jamais avec la vidéo-minute.

Flics et voyous
En comparaison, un téléfilm policier de TF 1 paraît aussi talentueux qu’un manuel de droit commercial. Prenons la série marseillaise où Alain Delon joue les redresseurs de torts : sanglante et raisonneuse, cette affaire nous ramène trente ans en arrière, à l’époque où notre ténébreux sociologue des bas-fonds jouait et produisait des films où les flics se montraient cruels avec les malfrats tout en fomentant des complots contre la République. La production de Fabio Montale a été lancée au moment du vote de la loi Guigou. Aujourd’hui tout semble avoir pris l’eau en même temps : et la loi, et le film.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3621 paru le 21 Avril 2006

Au-delà de l'écran

Humour et dérision
La soirée Shirley et Dino présentée par Patrick Sébastien illustrait très bien, c’est-à-dire aussi bien que les plus vigoureuses professions de foi technocratiques, l’existence d’un champ culturel européen. Après le transformiste Arturo Brachetti, qui nous rappelle à la fois le Moulin Rouge et le monde de Fellini, un fantaisiste suisse interprétait Beethoven et Vivaldi à l’aide d’une batterie de klaxons, ensuite nos duettistes ringards se livraient à une parodie de caf’conc’ et multipliaient les allusions littéraires (Cyrano, les Trois Mousquetaires), le tout devant un public non seulement gagné à leur humour mais ravi par un spectacle qui relevait de l’histoire de famille. Ce music-hall qui sent la Vieille Europe, qui rappelle les attractions des casinos d’avant-guerre, qui remonte aux saynettes des Tuileries et des Grands Boulevards, c’est notre passé, c’est notre âme.
Le style parodique de Shirley et Dino jouit en France d’une faveur très grande parce qu’il nous ramène à une mémoire instinctive, celle des jongleurs de foire, du Kid de Chaplin, de Laurel et Hardy, celle des pauvres gens qui essaient de réussir sous la rampe en autodidactes.
Bien entendu, on trouvera toujours des grincheux pour parler de ringardise franchouillarde. Ceux-là ne supportent pas les formes d’humour capables de rassembler trois générations. Ils n’aiment ni Shirley, ni Dino, ni Bigard, ni Chevalier, ni Laspalès. Ils préfèrent Guy Bedos, Ruquier, les Deschiens, Laurent Baffie, Karl Zéro, etc. Quelle est la différence ? Dans un cas c’est de l’humour, dans l’autre de la dérision. L’humour rassemble. La dérision offense et divise. Quand on compare Shirley et Dino aux Deschiens, on s’aperçoit que les premiers font le plein sur une antenne nationale, tandis que les autres ont fait ricaner une moitié du pays aux dépens de l’autre, et de surcroît sur une chaîne payante.
Si l’on veut pousser l’analyse jusqu’à un excès de sérieux, on observe que les partisans de la société sans classes et sans frontières introduisent paradoxalement une guerre civile larvée dans les esprits depuis plus de vingt ans, tandis que les humoristes de papa ont la faiblesse de désigner ce qui rend les hommes semblables : la ruse, la vanité, la convoitise, la lâcheté, le machisme, la coquetterie, le snobisme.
Voilà ce qui explique la célébrité des films de Louis de Funès en Europe centrale et dans un grand nombre de pays latins. Voilà ce qui a fait de l’acteur italien Toto (le Fernandel transalpin) un personnage culte. Voilà la raison pour laquelle les Bronzés ne parvient guère à s’exporter, sauf chez les inconditionnels de la France, comme le Japon.
Lorsqu’on voit Thierry Ardisson recevoir Boutros Boutros-Ghali ou Salman Rushdie pour leur infliger l’ironie de son plateau, lorsqu’on voit que l’émission est rediffusée dans le monde entier sur TV5, on se dit que le fameux esprit français tourne au dîner de cons à l’échelle planétaire et que c’est dommage.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3622 paru le 28 Avril 2006

Au-delà de l'écran

La gloire de l’Agneau
Qui eût dit que CNN serait capable d’arracher une larme au voyageur pressé lors d’un dimanche pascal, dans une chambre d’hôtel anonyme ? Et pourtant, en diffusant un documentaire en deux parties sur l’histoire cachée de la fin de Jean-Paul II, la chaîne internationale a su comprendre et représenter l’essence de l’événement pour un chrétien. Certes, elle fut aidée en cela par les commentaires intelligents de la plupart des intervenants, mais il fallait parvenir à échapper à la logique forcenée de l’information. C’est-à-dire ne rien couper au montage sous prétexte que le sujet était trop statique ou le commentaire trop abstrait.
L’affaire commençait d’ailleurs assez mal, c’est-à-dire dès la bande-annonce, puisque le soin de présenter le sujet, sous la forme d’un extrait d’entretien, était laissé à monseigneur Wilton Gregory, le très médiocre archevêque d’Atlanta, qui n’a pas hésité à nous livrer un scoop : « Jean-Paul II était un homme animé d’une très grande foi » (sic).
Le sourire angélique de ce Monsignore d’Atlanta faisait un peu froid dans le dos, surtout si l’on se souvient que les journaux progressistes nous le donnaient pour papabile. Un prélat capable de proférer ce genre de sottises nous rendait encore plus noble et plus chère la figure auguste de Jean-Paul II. Et tout le reportage nous a montré combien le pape a voulu incarner, à travers son calvaire final, le triomphe de la faiblesse qui est l’essence de la philosophie chrétienne. Rendons grâce à René Girard de nous avoir expliqué, dans Des choses cachées depuis la fondation du monde, que le christianisme s’écarte des lois de la nature en se laissant dévorer par elles pour signifier qu’il appartient à un ordre supérieur. Et remercions Jean-Paul II de l’avoir illustré.
Pape conquérant, chef d’État, statue du Commandeur, Jean-Paul II s’est livré délibérément à la décrépitude, comme ses lointains prédécesseurs ont choisi de rester immobiles face aux fauves du Colisée.
Puisqu’il est question des cardinaux américains, un autre prélat interrogé par CNN, visiblement très proche de Jean-Paul II, nous a décrit la nature du message et le sens des derniers jours avec toute l’émotion souhaitable. Il a raconté en pleurs que, dans le silence retrouvé après les clameurs, avant le scellement du tombeau, on a ôté sa mitre au Saint-Père, et que d’un mouvement unanime, les cardinaux ont enlevé leur propre couvre-chef en silence. L’homme qui racontait cette scène a laissé échapper un sanglot très bref sous la caméra en concluant : « He was a great guy. »
Il est bon de rappeler que le fondateur du christianisme, non content de prôner la gloire de l’Agneau, prescrivait le pardon des ennemis quand d’autres prophètes, qu’on ne peut plus ni nommer ni dessiner, décapitaient les leurs par milliers. La liberté de rapporter ce genre de faits est déjà largement compromise dans les classes d’histoire. Si nous n’y prenons garde, elle finira encadrée par les juges.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3623 paru le 5 Mai 2006

Au-delà de l'écran

Dans cent cinquante ans
L’une des chaînes de TPS diffusait l’autre jour un film des années 1990 dont le seul mérite était d’avoir offert sa chance à Julia Roberts. Ce n’était pas tout à fait le seul, l’autre était son sujet : l’après-mort. Une équipe d’étudiants en médecine jouait avec les techniques de défibrillation afin de provoquer des arrêts cardiaques de plus en plus longs. Le but de l’opération était de voir ce qu’il y avait de l’autre côté, de faire l’expérience du fameux tunnel, de la décorporation, etc. C’est un très vieux thème mais ce n’est pas celui de cette chronique. Non, il ne s’agit pas de savoir ici s’il y a quelque chose après, mais de regretter que des sujets aussi féconds soient grillés par des cinéastes ou des littérateurs sans talent à la recherche d’une idée commerciale.
Dans les sociétés où le niveau est faible, la recherche du sujet fort est une catastrophe. Quand on regarde ce film, on a l’impression que ce thème, magnifique, a été gâché par la hâte d’un scénariste qui croyait “tenir” là quelque chose, malgré une vision de l’existence réduite à des bredouillages pentecôtistes. Les étudiants du film ne frôlent pas des gouffres pascaliens, ils sont prisonniers d’une morale de souriceaux. Leur imaginaire de l’Au-delà ne quitte jamais la psychanalyse : l’un d’eux regrette d’avoir abusé de la confiance d’une femme, l’autre est obsédé par le souvenir d’un accident vécu dans son enfance, un troisième se souvient d’avoir persécuté une petite fille ; bref, on se demande où sont la théologie, le vertige, l’éblouissement, la révélation dans tout cela.

Le grand Rien
La même question se pose à l’observateur quand il écoute avec attention les paroles de l’une des chansons plébiscitées par la jeunesse française cette année : Dans cent cinquante ans, refrain composé par le chanteur Raphaël (Victoire de la musique 2006), lequel nous explique en gros que tout est non seulement pourri mais sans importance et voué à disparaître. C’est la raison pour laquelle il nous invite à trinquer « à la santé des voleurs des rues ». Passons sur sa morale sociale qui ressuscite l’anarchisme bêta de Georges Brassens, pour nous intéresser à sa métaphysique : elle est nulle, tout simplement. « On ne s’en souviendra pas, nous dit-il, des marchands d’armes, des types qui votent les lois, de leurs signes de croix (notez l’allusion), des salauds de chasseurs, des juges qui condamnent », etc. Il conclut à l’adresse de son amour : « Je ne veux rien te faire croire».
On peut observer qu’il essaie au contraire expressément de lui faire croire à la vanité de toute morale au-delà des apparences. Il est donc en pleine propagande nihiliste. Il véhicule, avec une foi de charbonnier athée, le message inverse de celui du cinéaste ci-dessus, mais avec un niveau d’expression tout aussi médiocre.
Rassurons-nous, dans cent cinquante ans, quoi que nous réserve l’Au-delà, cinéastes nuls et chanteurs sans syntaxe auront quitté la mémoire collective.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3624 paru le 12 Mai 2006

Au-delà de l'écran

Zéro pointé
Avec la gourmandise d’un journaliste de Paris Presse qui aurait décroché une interview de la Callas, Jean-Marc Morandini, l’autre matin sur Europe 1, nous annonçait qu’il aurait Karl Zéro en direct après son éviction de Canal Plus. Pour ceux qui n’auraient pas suivi les premières étapes, en voici le résumé : producteur du Vrai Journal le dimanche sur Canal depuis dix ans, Zéro vient d’être remplacé par une journaliste de TF1, Laurence Ferrari, que le milieu appelle déjà “Zéro virgule cinq”.
Karl Zéro accuse expressément CanalSatellite d’avoir ainsi scellé son rapprochement avec TF1 en se tournant vers ce que les spécialistes appellent le journalisme de révérence. À l’en croire, la chaîne aurait troqué « le panache de Zorro pour le charisme de Bernardo ». C’est assez sévère pour la présentatrice, mais ce n’est pas entièrement faux. Comme le soulignait au téléphone un auditeur de l’émission, nombre de gens, dans ce métier, sont convaincus que Laurence Ferrari ne possède ni l’envergure ni l’expérience nécessaires pour remplacer un bateleur aussi malin que Karl Zéro.
Mais s’il faut chercher un malin, c’est probablement dans l’organigramme de Canal Plus qu’il se trouve. Cette chaîne, née sur le terreau de la gauche prospère, a compris qu’il faut se recentrer d’urgence. Et la manœuvre permet de souligner les naïvetés de la méthode Karl Zéro.
Il est puni, nous dit-on, pour avoir acheté un témoignage contre Dominique Baudis dans l’affaire Alègre. C’est possible. Mais il est surtout châtié pour avoir pratiqué le fayotage idéologique en affichant une horreur m’as-tu-vu à l’égard de la droite à principes.
En l’occurrence la chaîne ne lui reproche pas expressément son intransigeance envers le Front national. Elle lui reproche de l’avoir compromise dans le registre de l’indignation, en exigeant de la plupart de ses invités qu’ils abjurent toute indulgence envers les idées inadmissibles. Or, si l’on écarte deux ou trois convictions criminelles, la notion de l’inadmissible est très relative en politique. Par exemple, la répulsion épidermique à l’égard de tout débat sur l’immigration est passée de mode. Mais Karl Zéro ne l’a pas compris à temps. Il se retrouve dans la position d’un apparatchik russe qui organiserait des réunions sur l’impérialisme capitaliste à l’heure où Poutine reçoit le président de Microsoft.
Quand on entendait son argumentation à la radio, on était empli de pitié. En gros il nous disait : “Grâce à mes imprécations dominicales, vous avez tenu le pragmatisme de droite à l’écart des idées républicaines.” Et dans une parodie de dialogue faustien, le groupe Canal semblait lui répondre : “Non mais, sincèrement, tu as vraiment cru qu’on était de gauche ?”

Tiendra-t-elle ?
« C’est, disait Ségolène Royal sur une radio, la question que les spécialistes politiques se posent à mon sujet. » « Oui, reprenait-elle, et c’est vous qui peuvent m’aider (sic). » On peut déjà suggérer une aide grammaticale.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3625 paru le 19 Mai 2006

Au-delà de l'écran

Musique de casbah
La télévision nationale devrait se garder la première de diviser la nation. Or, pour des raisons incompréhensibles, sur un sujet aussi sensible que les mariages franco-musulmans, France 2 vient de verser, sur des braises rouges, un verre d’alcool à brûler. Certes le téléfilm À la recherche de Sarah, présenté en deux épisodes, est inspiré d’un fait divers réel, il a été primé dans plusieurs festivals, mais il fait décidément trop peu de cas des risques d’incendie. Cette histoire d’une femme à qui un mari iranien, musulman déclaré, fait subir humiliations, violences, mutilations avant de lui voler sa fille, est diffusée dans un contexte social qui exigerait la prudence.
On la cherche en vain dans le scénario. Comme à chaque fois qu’on aborde dans un téléfilm un sujet épineux (la perception des homosexuels, le racisme, l’injustice économique etc.), on peut parler d’une véritable témérité du bon droit. Le problème, avec cette télé qui dénonce, qui appuie là où ça fait mal, est qu’à force de faire réagir le peuple, elle le dispose à la colère. À force de souligner l’intolérance, elle la propage. En l’occurrence le cinglé du film concentre, en un quart d’heure, la plupart des sujets de rancœur qui traversent la société française à propos des musulmans intégristes. À la plage, il couvre les jambes de sa femme. Il l’accuse d’être « la putain de l’hôpital » (elle est infirmière). Un jour où elle rentre avec une bouteille de vin rouge, il lui crie : « Je t’ai dit de ne pas faire entrer d’alcool dans cette maison. » Il charge sa sœur (voilée) de veiller sur leur fille. Et, comble de maladresse scénaristique, à chaque fois qu’il bat sa femme, l’humilie ou essaie carrément de la saigner avec un couteau de cuisine (scène réaliste qui joue, de manière très malsaine, sur l’horreur culturellement connotée de l’égorgement), on entend, à l’arrière plan, une musique de casbah.
ça fait tout de même beaucoup pour la simple satisfaction d’avoir raison contre l’obscurantisme. La défense du bon droit, la lutte contre l’injustice ne devraient jamais frôler l’offense à ce point-là. À la télévision, le service public et l’ordre public entretiennent des rapports qu’il faudrait rappeler davantage.

La vente continue
Sur la RAI, une série de reportages essaie de nous prouver que les attentats dans les stations balnéaires de la mer Rouge n’ont eu aucune incidence sur la fréquentation touristique. Un retraité nous explique qu’on court plus de risques comme piéton à Milan que comme touriste à Dahab.
Parallèlement, une campagne publicitaire lancée voilà longtemps sur les chaînes mondiales (CNN et BBC World) nous diffuse du Verdi huit fois par jour sur un clip de fonds marins, de cocktails multicolores et de maillots échancrés. “Riviera de la mer Rouge, dit le slogan, où le soleil brille tous les jours de l’année, tous les ans”.
Le jour du dernier attentat, CNN n’a même pas pris soin d’interrompre la diffusion 24 heures par égard pour les victimes.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3626 paru le 26 Mai 2006

Au-delà de l'écran

Lâches apostats
Autour du film tiré de l’apostasie de Dan Brown, la télévision a diffusé nombre de documentaires, mais celui que présentait La Cinq s’en distinguait opportunément.
On pouvait craindre qu’il ne s’agisse encore de l’un de ces films produits par une chaîne du genre Discovery pour “accompagner” le phénomène Da Vinci Code. Or, pour une fois, le film donnait la parole à des Français, des conservateurs de musée, des villageois cités comme témoins sur une histoire qui leur appartient, celle de Rennes-le-Château. Le mystère de l’abbé Saunière n’est pas une invention mais il s’arrête avant les maquignonnages antichrétiens de Hollywood. La fortune d’un modeste curé de campagne, le fait que l’Europe couronnée se soit discrètement tenue informée de ses recherches, les symboles bizarres dont son église était couverte, ses relations à Paris, l’absolution qu’on lui refusa le jour de sa mort, tout cela est digne d’intérêt.
Si l’auteur du livre avait ménagé la part des ténèbres, il n’aurait offensé personne. Mais on peut l’accuser d’avoir condamné les portes qui ne lui convenaient pas, pour accréditer une thèse puérile qui ramène le christianisme à un montage et l’histoire de notre civilisation à une espèce de thriller grotesque.
La même semaine, une autre émission qui n’avait en apparence aucun rapport avec tout cela permettait de retourner la thèse du complot contre ses auteurs. TF 1 nous présentait les “cinquante personnes qui ont le plus choqué les Français”. À condition de changer de focale et d’oublier les Joey Starr, Lolo Ferrari et autres provocateurs qui encombraient le classement, on s’apercevait que parmi les succès mondiaux les plus écrasants des vingt dernières années figure un nombre impressionnant de gens qui ont parié sur la perversion du christianisme. De Madonna à Marilyn Manson, de l’héroïne sulfureuse de Basic Instinct aux moines criminels d’Umberto Eco, on est frappé de mesurer à quel point la culture de la barbarie, de la violence, de la profanation a trouvé ce que les commentateurs appellent niaisement “le chemin du public”.
En tout cas, s’il est permis à Dan Brown d’imaginer que l’Église romaine, accrochée à ses privilèges terrestres, tient sous le boisseau une vérité interdite, il nous sera permis, à notre tour, de penser que les zélateurs du Diable, en incitant les foules à l’apostasie générale, font strictement la même chose. Observons en outre que leur message ne concerne jamais le judaïsme ou l’islam.
On imagine mal en effet Hollywood tournant un film sur les impostures des défenseurs du Coran. On voit mal un éditeur new-yorkais publier un livre présentant une cohorte d’imams conjurés depuis dix siècles pour abuser les foules au nom de préceptes apocryphes. À moins que le producteur et l’éditeur en question ne soient résolus à courir le risque de l’égorgement – risque auquel les ennemis du christianisme, rappelons-le, ne s’exposent plus depuis Henri IV.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3627 paru le 2 Juin 2006

Au-delà de l'écran

Désamorçage thérapeutique
Il aura fallu attendre deux jours pour que le système médiatique nous offre une explication de l’affaire dite du chauffard de Marseille : figurez-vous que le demeuré de 15 ans qui a écrasé deux lycéens avant de reculer pour en écraser deux autres était sous l’emprise du cannabis ! En d’autres termes, il est coupable d’imprudence. Suivait un peu partout, sur France 2, sur Europe 1, un exposé relatif aux altérations du jugement provoquées par la drogue, le rétrécissement du champ visuel, etc.
Ce désamorçage thérapeutique rappelle les déclarations des enquêteurs lors de l’assassinat à coups de hache d’un adolescent du Gard, il y a deux ans. Les téléspectateurs se souviendront que le magistrat instructeur déclarait dès le lendemain à la télévision : « L’assassin ne jouit vraisemblablement pas de toutes ses facultés, car il n’a pas dissimulé les pièces à conviction. »
Le cas vient d’être jugé en cour d’assises. L’état mental du coupable, un clandestin marocain, ne le dispensait nullement d’assumer ses responsabilités si l’on en croit les jurés. Mais il a encore fallu que l’avocat de la défense nous déclare, au 20 Heures de TF 1 : « On n’imagine pas le monde culturel d’où il sort. » Une question est aussitôt venue à l’esprit de chacun : pourquoi n’y est-il pas resté ?
La relative clémence du verdict a indigné la famille et les témoins. Nous avons vu des images de pugilat dans le hall du prétoire. Elles font partie de celles que nous reverrons dans vingt ans, quand les dossiers spéciaux fleuriront sous le titre “Comment avons-nous pu en arriver là ?”.

Bonne question
La question se pose à propos de l’imaginaire de la violence qui semble préparer le corps social entier à quelque tribulation fâcheuse. Le film Doom, tiré du jeu vidéo du même nom, est en vente partout “chez votre marchand de journaux”. Pour ceux qui l’ignoreraient encore, rappelons que Doom est ce jeu qui a lancé la mode de tous ses homologues qu’on appelle des Doom-like, des jeux où l’on tire sur tout ce qui bouge dans un délire de férocité hystérique. M 6 nous présentait un corollaire niais, le film X-Men 2, qui annonçait opportunément le lancement à Cannes du volet 3 de la série, présenté au journal de TF 1. Là encore, violence grotesque et vocabulaire étroit. Mais cette fois le tout était assorti d’une nouveauté : le sentiment d’appartenir à une humanité supérieure, dotée de “super-pouvoirs” et vouée à s’affronter dans les rues. Thème de la série : de jeunes Américains, tirés de leur existence quotidienne par un fait divers ou une injustice, deviennent des X-Men, des superhéros capables de défier les forces du mal.
Quel est le rapport avec l’incident du chauffard de Marseille ? Ceux qui connaissent l’univers des jeux vidéo l’ont déjà compris : la faculté de monter sur le trottoir pour faucher tout exprès des passants, puis de reculer pour en faucher davantage, est offerte dans une demi-douzaine de jeux vendus en ce moment même.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3628 paru le 9 Juin 2006

Au-delà de l'écran

Éden et Chine
Zone interdite n’a sans doute jamais autant mérité son nom que le soir de la fête des Mères. M 6 nous a montré un reportage sur des quadruplés qui rappelait la remise du prix Cognac-Jay dans les années 1960, mais le clou de la soirée fut le tour de piste d’une certaine Sylvie, une mère célibataire multirécidiviste qui nous a dit textuellement : « Moi, je suis un peu avant-gardiste, je suis de moins en moins un cas isolé. »
La citation textuelle est importante parce qu’elle commence par “moi je”. Dans le comportement de cette mère qui prétendait représenter la norme future, on relevait le narcissisme d’une « créative » Parisienne qui payait le loyer de son appartement grâce une accumulation de pensions alimentaires en nous parlant de sa propre enfance.
Le ridicule commençait dès l’énoncé des prénoms de sa tribu. Nous n’en citerons que deux par charité, Éden et Chine. Ensuite aucun des quatre enfants n’était du même père, ce qui ne l’empêchait pas de minauder à l’idée d’en avoir un cinquième. Enfin, nous citerons la phrase centrale du reportage, clé de voûte de toute sa construction psychologique : « Y’a moi, les enfants, et puis y’a les satellites, c’est les pères. » Ce qu’elle n’a pas compris, ce que la suite lui rappellera certainement, c’est qu’à l’âge de 15 ans, ses enfants vont vomir sa bonne conscience de bourgeoise allumée qui a des comptes à régler avec son propre père. Sa fille aînée nous le laissait entendre sans aucun détour. Elle se promettait de connaître pour sa part un grand amour, un seul, scellé par un vrai mariage. Quelque chose dans son regard disait qu’elle ne compterait jamais parmi les adeptes de la méthode “satellites” dans le domaine matrimonial, et nous la comprenons.

Match truqué
Le débat qui oppose Thierry Ardisson au service public à coups de lettres ouvertes a été commenté l’autre soir sur Direct 8, où Morandini recevait des représentants du camp de la vertu : le chroniqueur télé du Monde et Jacques Séguéla. Ce dernier a essayé de nous convaincre que l’émission d’Ardisson était un havre de liberté, cependant qu’Ardisson lui-même accusait son président de « changer les règles pendant le match ».
La plupart des polémistes qui ont participé à Tout le monde en parle peuvent témoigner que les règles y changent jusqu’au matin de l’enregistrement. On annonce six participants, sur le plateau ils sont huit, les deux derniers sont venus avec leur clique et leurs gardes du corps, expressément pour descendre l’invité, surtout s’il est écrivain ou homme politique.
Question inévitable : pourquoi y allez-vous ? Parce qu’en cas de refus, les écrivains sont de plus en plus nombreux à encourir les représailles de leur éditeur. Parmi les gens de plume qui osent défendre des idées impopulaires, nul ne peut désormais se soustraire à la perversité de la télévision, faute de quoi leur directeur littéraire leur annonce, un jour ou l’autre, qu’ils n’auront pas de contrat l’année prochaine.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3629 paru le 16 Juin 2006

Au-delà de l'écran

Énorme frustration
Il aura fallu la Coupe du monde de football pour voir surgir çà et là une information qui relève de la géopolitique : l’ampleur du piratage dont les chaînes cryptées sont victimes à travers le Maghreb. Voilà des années que les rivages sud de la Méditerranée voient se multiplier les décodeurs, les cartes d’acquisition et les clés de contrebande. Mais depuis que les chaînes ont altéré leurs logiciels de cryptage, nous viendrions d’échapper, à en croire les commentateurs algériens, à une explosion sociale. Un responsable interrogé par TF1 parlait d’“énorme frustration”.
On observe à ce sujet une amusante cascade d’hypocrisies dans les journaux télévisés : la première concerne l’importance du phénomène. On appuie volontiers sur le thème du trafic de fausses cartes à puce qui prospère dans les souks et les cafés portuaires, afin de ne pas mentionner le fait qu’aujourd’hui n’importe quel ordinateur équipé d’un récepteur PCI à 50 euros est capable de déchiffrer un signal crypté. C’est une pratique courante partout en Europe. Sur le territoire français elle est même devenue la règle parmi la jeunesse des “quartiers difficiles”.
Ensuite les commentaires de TF1 évitent de souligner l’anomalie qui consiste à protester aussi haut et fort parce que la clé de cryptage, illégalement obtenue tous les deux mois, change désormais toutes les trente minutes. En d’autres termes, le journal télévisé ne tire pas pour nous la morale de l’histoire : en ce moment, nous voyons des gens réclamer le droit de voler des programmes, tout simplement, des gens qui de surcroît profèrent des menaces si l’on persiste à infliger aux voleurs contrariés une “frustration”.
De mystérieuses interventions de part et d’autre de la Méditerranée semblent avoir permis de réduire la pression “le temps de la Coupe du monde”, mais il reste un problème sur lequel tous les commentaires font l’impasse : on feint de nous faire croire que cette fameuse frustration ne concerne que le seul football, on n’hésite pas à nous parler de francophonie la main sur le cœur, de rapports culturels compromis entre l’Algérie et la France (alors que les décodeurs flashés présentaient insolemment le drapeau algérien sur leur écran d’entrée), mais les connaisseurs des bouquets satellite savent qu’il existe une autre frustration dont personne ne consent à parler. Le spectacle offert par les chaînes à péage après 23 heures entretient un rapport très lointain avec la Coupe du monde, et encore plus lointain avec la vertu islamique.
Pour parler sans détour, si la suppression de la pornographie vespérale, dans des pays qui prétendent nous donner des leçons, constitue réellement une menace à l’ordre public, on a le droit d’afficher une certaine ironie. Faudra-t-il régulariser les propriétaires de décodeurs pirates sous prétexte qu’ils regardent le porno sur Multivision depuis dix ans ? L’emballement de la surenchère électorale en France peut nous le laisser craindre.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3503 paru le 16 Janvier 2004

Au-delà de l'écran

“Dépotoir Prod”
La fin de l’émission Scrupules me chagrine.
Non pour sa présentatrice qui jouit d’appuis solides (puisqu’elle vient de réapparaître avec un concept bâclé nommé Appels d’urgence) mais pour le psychosociologue de l’émission, dont j’ai oublié le nom et dont je m’apprêtais à chanter les louanges.
Affligée d’une réputation trash-télé dès son premier numéro, Scrupules présentait des gens qui n’avaient pas agi selon la morale commune.
Au tableau de chasse de l’émission : l’épouse qui murmure qu’elle va refaire sa vie à l’oreille de son mari tétraplégique (lequel est mort dix jours après) ; la jeune femme jalouse de sa sœur jusqu’à la névrose ; la femme de quarante ans qui a placé ses deux enfants dans un foyer d’accueil ; la fille de vingt-cinq ans qui vole à sa propre mère l’homme qui partage désormais sa vie (et dont elle a deux enfants). Tollé justifié dans la presse parisienne, ricanements sur les plateaux concurrents, remontrances à TF 1.
D’après la rumeur et les journaux, l’audience de l’émission a fait l’objet d’une tentative de sauvetage au milieu de l’automne. Il s’agissait notamment d’éviter de donner dans la complaisance, afin de récupérer la partie du public qui n’a rien contre le voyeurisme à condition que la morale soit sauve. C’est là qu’intervient le psychologue de service. Ce personnage m’a laissé pantois. Entendre quelqu’un s’en prendre aussi fermement à la déliquescence générale est si rare que j’ai regretté d’avoir raté les numéros suivants. La belle-fille quasi incestueuse aurait pu participer à C’est mon choix. Le producteur est le même. Il se défausse de certains sujets jugés trop périlleux pour sa tête de gondole (Ça se discute) vers des émissions dépotoir comme celle d’Evelyne Thomas. En attendant, le correctif apporté à Scrupules nous a donné, par inadvertance et pendant quelques semaines, un échantillon de ce que pourrait être une télévision équilibrée. Une télévision qui jusque dans la fiction nous présenterait alternativement deux familles de sensibilités : la licence militante, revendiquée, assénée (le genre Ardisson), et l’indignation rampante, le refus de l’excès, le besoin de retour à la raison. Les stratèges de l’Audimat ont dû observer le destin de Scrupules à la loupe. Si la moitié seulement du public a réagi comme je l’ai fait, le concept d’une émission qui inviterait la France à “freiner sur les dérives” finit par devenir économiquement viable. Quand le psychologue de Scrupules s’est écrié : « Vous n’avez pas hésité à détruire votre famille entière pour ne pas réfréner vos pulsions, je ne vous approuve pas, c’est la preuve d’un égoïsme qui mènerait la société à sa perte si chacun s’en inspirait », on s’est demandé un moment si quelque chose changeait dans notre aimable pays.
C’était même “limite inquiétant”, comme dit la jeunesse. Heureusement, l’émission a disparu depuis la mi-décembre et tout est rentré dans l’ordre.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3630 paru le 23 Juin 2006

Au-delà de l'écran

Bonjour le niveau !
Quand on entend proférer des sottises à la télévision il n’est pas toujours facile de prendre des notes, aussi me pardonnera-t-on de commenter de mémoire les propos qui nous ont été infligés à la sortie des épreuves de philosophie du baccalauréat.
La première chose qui frappait, c’était l’invraisemblable niveau d’expression des candidats. Pour un élève moyen, l’emploi des mots “en fait” remplace pratiquement toutes les conjonctions dans le raisonnement. Afin de donner l’illusion qu’une réflexion est intervenue entre “moi j’pense que” et “c’est clair”, les élèves utilisent volontiers “en fin de compte”, ce qui les dispense de trouver un terme à leur pensée, laquelle se présente généralement comme une simple énumération d’affirmations et d’impressions.
Ensuite, certains journalistes, notamment à la radio, ont organisé ce jour-là un plateau de débat autour du thème “À notre époque, la philosophie sert-elle encore à quelque chose ?”
La question elle-même témoigne de l’énormité de la tâche, si nous voulions retrouver ne fût-ce que la moitié du niveau de nos pères.
Il y a cinquante ans, quand on demandait à un cantonnier ce qu’était la philosophie, même s’il ne la pratiquait pas, il avait son idée. Il lui suffisait d’avoir perdu un frère en bas âge ou d’avoir vu mourir sa mère et l’existence lui devenait une énigme.
Aujourd’hui tout se passe comme si les gens répugnaient à formuler l’énigme. En dehors de la solidarité, bonne conscience qui mène souvent à la ruine de l’âme, et de la psychanalyse, qui relève du bien-être consumériste, que nous reste-t-il pour réfléchir à la condition humaine ? La philosophie qu’on enseigne à l’école est-elle autre chose qu’un exercice rhétorique sur la répartition du savoir, des richesses ou de la liberté ? Où sont les étonnements sur le silence des espaces infinis, où est l’interrogation sur la nature du réel, où trouve-t-on des professeurs pour s’interroger, en public, sur la signification du vivant ?
Mais restons dans la rhétorique et penchons-nous sur ce qu’un prétendu spécialiste avait à dire au journal télévisé à propos du sujet du bac « Faut-il préférer le bonheur à la vérité ? » Il nous a improvisé un plan convenu en mordillant son crayon assis à un bureau d’écolier, pour pondre l’inévitable thèse-antithèse selon laquelle d’un côté il y a la vérité qui ne mène pas au bonheur, et de l’autre le bonheur qui éloigne de la vérité. Pas un instant il n’a envisagé, même de loin, même par inadvertance, la possibilité que le bonheur puisse se confondre avec la vérité. C’est évidemment faute d’avoir essayé de définir le bonheur, et faute d’avoir la moindre idée de ce qu’est la vérité.
La phrase de conclusion était laissée dans le reportage à un autre professeur qui ramassait les copies : « C’est une façon de se remémorer sur les épreuves (sic) que nous avons passées il y a un demi-siècle. »
Comme disent les lycéens eux-mêmes, “bonjour le niveau !”
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3400 paru le 25 Janvier 2002

Au-delà de l'écran

Un dimanche comme les autres
Puisque la pêche aux idées semble ouverte avant les élections, voici quelques réflexions suscitées par un dimanche ordinaire sur France 2.
Pour gagner du temps, nous sauterons directement à la conclusion : la télévision courtise le pouvoir de manière burlesque. TF 1 et France Télévision, c’est Versailles et Trianon. Les discours qui s’offrent le luxe de l’insolence relèvent de l’opposition institutionnelle et les socialistes commencent à délivrer à leurs adversaires une sorte d’agrément préalable. Ces jours-ci, ils ne tendent le micro qu’à ceux qu’ils désignent eux-mêmes comme “premier-ministrables” en cas de gouvernement de droite, sans doute afin de mieux les circonvenir une fois nommés.
Ce dimanche-là, France 2 nous a montré six membres du Conseil constitutionnel en bleu, face à trois rouges, afin de nous faire comprendre que l’institution n’avait rien d’une juridiction, qu’il s’agissait d’une machine de propagande à la solde des réactionnaires. A midi, la femme du premier ministre est venue papoter sur France 5 avec l’un des thuriféraires du régime. A 18 heures, Michel Drucker a ricané de Michèle Alliot-Marie, ce qui n’est pas interdit, mais il l’a fait en appuyant les propos de son invité avec une hilarité ostentatoire assez pénible. Le soir, nous avons échappé à un film de Roger Hanin sur son enfance (à cause de la mort d’Henri Verneuil), mais pas à son portrait sous le titre Roger Hanin, cet inconnu. Il fallait oser le cliché. D’autant que pour un inconnu, on le voit énormément. Ensuite, le journal nous a montré un reportage sur Guy Bedos à l’Olympia “en participation avec France 2”, avant de recevoir, devinez qui ? Jacques Attali pour son dernier livre.

C’est tout ? Vous êtes sûrs ? Vous ne voulez pas nous mettre Julien Dray à Télématin, François Hollande chez Sophie Davant, Laurent Fabius chez Patrice Laffont, Strauss-Kahn dans Une famille en or ?
A droite, il serait temps que l’on consente enfin à se saisir de ce thème pour faire campagne. L’expérience prouve que dans une élection présidentielle, il faut un peu de couleur, un ruban, une note florale, un bouquet dans la corbeille de mariage. Il faut quelque chose qui sorte du discours économique et social. La libération des ondes a compté pour beaucoup dans l’accession au pouvoir de François Mitterrand. Il reste en France un continent qui n’a jamais été découvert, celui de la télévision hertzienne de proximité. Un candidat président aurait tout à gagner en promettant la liberté d’émettre. Parce qu’en émettant on émet surtout des idées. En ce moment, comme ce sont toujours les mêmes qui émettent, ils émettent toujours les mêmes idées. Il n’y a aucun exemple dans l’histoire où la diversité de la nature et des espèces ait subi une telle atteinte sans recouvrer ses droits. Le problème n’est plus de savoir si le phénomène aura lieu, mais quand, et grâce à qui.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3631 paru le 30 Juin 2006

Au-delà de l'écran

Pouvoir prescripteur
Dans les semaines qui suivirent la disparition de la famille Flactif, à l’époque où la France s’interrogeait à propos d’un véhicule tout terrain abandonné dans la forêt, tandis que l’on détaillait les acrobaties immobilières de la victime et que l’on caressait l’hypothèse d’une fuite par l’aéroport de Genève, le magazine Sept à Huit interrogeait l’un de ceux que l’on juge aujourd’hui aux assises, David Hotyat. L’entretien suintait la jalousie sociale dans des proportions qui ont sans doute éveillé les premiers soupçons des enquêteurs. On y voyait l’interrogé évoquer la diagonale de l’écran plat de son voisin avec un dédain vengeur, ce qui trahissait la médiocre hiérarchie de ses valeurs. On l’imaginait très bien en train de regarder le magazine Sagas et de s’extasier sur des maisons de multimillionnaires avec jacuzzi géant. En tout cas, le témoignage de son épouse nous apprend que l’idée du crime lui est venue d’une autre émission de télévision, où l’on décrivait le cas d’un assassin qui supprimait un couple d’hôteliers du Cantal pour s’emparer de leurs biens. Pour qui douterait du pouvoir prescripteur de la télévision chez les imbéciles en matière criminelle, Le Droit de savoir nous racontait la semaine suivante le cas d’un violeur qui s’arrangeait pour laisser, sur sa victime, la trace ADN de l’un de ses voisins. Stratagème directement issu, nous disait l’émission, du scénario d’un feuilleton policier américain.
La plupart des assassins ne possèdent, heureusement, ni le jugement ni l’intelligence nécessaires pour appliquer les recettes des scénaristes sans commettre des erreurs puériles. Mais il est permis de se demander s’il est normal que les méthodes pour réussir le crime parfait soient si largement diffusées.

18 brumaire
La fameuse loi Davdsi sur le numérique sera bientôt présentée au vote. C’est le moment d’attirer l’attention sur le fait que l’on peut visionner sur Internet des contenus sous licence sans passer par un programme de pair à pair. Il suffit de taper le nom de Christophe Willem, le talentueux gagnant de la Nouvelle Star, dans la case de recherche du site youtube.com, pour le voir interpréter en vidéo toutes les chansons qui l’ont hissé en finale. Sur le même site, le nom Ardisson mène à un catalogue d’extraits de ses émissions.
On y voit aussi le sujet réalisé dans Arrêt sur images à propos du silence imposé aux médias sur l’importance du plagiat littéraire dont le même Ardisson s’est rendu coupable. Sujet escamoté de manière quasi unanime par la presse, ce qui justifie un hommage à Daniel Schneidermann, car il a le courage de monter au front quand les autres se dégonflent. La suppression de son émission, dont il est question, serait perçue comme la preuve que le monde médiatique est plein d’autoamnistie. Après l’ancien régime et la révolution des années Mitterrand, un 18 brumaire audiovisuel serait décidément le bienvenu.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3632 paru le 7 Juillet 2006

Au-delà de l'écran

Vigilance
Le saviez-vous ? Le cochon de la série Winnie l’Ourson fut remplacé, lors de la fabrication du premier film, par un aimable écureuil que Walt Disney préférait au Piglet parce qu’il était plus proche des racines campagnardes américaines. Dès les numéros suivants, le cochon timide, que les Français appellent Porcinet, est devenu le grand ami de Winnie – mais le lecteur se demandera pourquoi je lui inflige ce paragraphe d’exégèse historique sur un humble personnage de dessin animé. Si je le lui dis, il ne voudra pas me croire.
Jusqu’ici, Porcinet menait une carrière paisible à l’ombre de Winnie, mais, au mois de juin 2006, la chaîne d’État turque TRT s’est avisée qu’il s’agissait d’un cochon, un animal impur, donc susceptible de déchaîner la colère des foules islamiques, et l’a supprimé de sa grille de programmes.
Quand on lit les commentaires publiés sur Internet à propos de cette affaire, on s’aperçoit que la seule justification que la chaîne est capable de fournir est qu’au moment de l’interdiction, « la négociation avec les Studios Disney n’était pas finalisée ». À l’en croire, il ne s’agit donc pas d’une suppression mais d’une erreur de programmation corrigée avant la première diffusion.
Si quelqu’un trouve cette tartufferie rassurante, pas moi.
La question de savoir si la série a été achetée ou non avant d’être écartée par la chaîne nationale de Turquie (un pays qui aspire à devenir, rappelons-le, notre égal dans le club européen) est à peu près indifférente. En revanche, les Européens attachent une grande importance à la compatibilité des cultures sur leur continent. Si le casting de Winnie l’Ourson déplaît à la chaîne turque, on se demande ce qui empêcherait une Turquie siégeant à Bruxelles d’élever en plein Parlement une protestation contre l’impureté de nos usages. On se demande pourquoi, une fois entrée au club, elle n’exigerait pas que les autres membres s’amendent pour ne pas l’offenser.
Elle critiquera la nudité sur nos plages, la décence sur nos chaînes – voire nos publicités Cochonou.
On aimerait que les adeptes de la sacro-sainte vigilance nous parlent un jour de tout cela. Mais sur cette question, il faut croire qu’ils n’ont rien à dire.

En marge
Les marges du chroniqueur sont truffées de notations dont il doit se défaire avant de changer de carnet. En voici deux avant l’été.
Sur l’anniversaire de la triste fin du petit Sidi Ahmed, tué d’une balle perdue, ce commentaire au 20 heures de France 2 : « Tout le monde se souvient de ce drame du nettoyage au Kärcher selon Nicolas Sarkozy ». À ce degré de mauvaise foi et d’amalgame, on peut parler de faute journalistique lourde.
D’une publicité radiophonique sur les Fiat utilitaires, cette phrase : « Inutile de se faire du mouron, mouron qui, dans le vieux français, veut dire cheveux. »
C’est faux, c’est une herbe des prés qu’on utilisait contre la rage. Mais quel est le poids d’un instituteur contre un publicitaire ?
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3640 paru le 1 Septembre 2006

Au-delà de l'écran

Tout le monde le fait
Le feuilleton de l’été ne fut ni le Zodiaque de TF1, ni les commentaires sur la canicule qui ont pris le relais de l’affaire Clearstream, mais ce bon vieux Tour de France, un sujet tellement increvable qu’on commence à comprendre ce qui permet, chaque année, de regonfler la baudruche avant les cols alpins.
On pratique la vertu avant et après la course, mais jamais pendant. À deux jours du départ, on congédie des vedettes pour transfusions frauduleuses, on nous promet du sang neuf (c’est bien le moins), ensuite la presse interroge les cyclistes du dimanche qui haussent les épaules en disant “de toute façon tout le monde le fait”, tandis que le bocal médiatique met l’accent sur le risque de désaffection du public. Enfin on en rajoute sur le thème “personne ne regarde plus le Tour à la télé, c’est un désastre”. À force de l’affirmer, la zone rouge se rapproche. Au début juillet, dans une émission ouverte au public, on pouvait entendre, sur Europe 1, les commentaires d’un membre de la caravane qui prétendait que les coureurs américains n’étaient jamais contrôlés. Ils le furent le lendemain. Les médecins se sont réveillés et le maillot jaune s’est endormi.
Lors de l’étape suivante, ce fut le contraire. Le hasard m’a permis d’assister à cette résurrection sur les pentes des Aravis. La plupart des spectateurs, des vieilles dames aux enfants de douze ans, ricanaient au passage de Landis en s’écriant : “Il a changé de pilules”. C’est en mesurant l’importance de la caravane publicitaire que l’on comprenait qu’aucun contrôle ne serait jamais rendu public avant l’arrivée. Il faut se représenter ce déferlement de vulgarité fellinienne à travers la montagne, ces chars couverts de personnages gargantuesques, ces haut-parleurs dans le battement des hélicoptères, ces colifichets roses et jaunes jetés dans la foule, ces sexagénaires déguisés en coureurs disputant aux enfants les échantillons Cochonou au milieu des fleurs des champs. Les intérêts en jeu sont tellement considérables qu’on n’imagine pas que la vérité sportive puisse sortir intacte de ce tourbillon.
Dans un tel contexte, les révélations concernant les athlètes de Göteborg (flacons et seringues trouvés dans les poubelles de l’hôtel) ne surprendront que les naïfs même s’ils sont de plus en plus rares. Raison de plus pour faire attention. Nous relèverons par exemple l’imprudence de Marc Raquil, champion du monde français du relais 4x400 mètres, qui, malgré une vertu exemplaire, une droiture à toute épreuve, une probité qui n’est plus à démontrer, malgré la noirceur des soupçons qui pèsent sur ses rivaux, persiste à arborer des cheveux décolorés, alors que tout le monde sait qu’une répétition de colorations-décolorations permet de masquer les traces des substances interdites. Quand on donne un magnifique exemple à la jeunesse, a-t-on le droit de compromettre aussi légèrement sa réputation ? Nous nous poserons la question.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3641 paru le 8 Septembre 2006

Au-delà de l'écran

Antiphrases
C’est un procédé publicitaire vieux comme le monde, dont les règles d’application se sont raffinées jusqu’à faire l’objet d’un paragraphe dans les manuels de marketing : lorsqu’on veut promouvoir un produit qui présente une faiblesse, il faut lui attribuer ce qui lui manque. Par exemple, si l’on veut vendre des saucisses de Francfort polyphosphatées de couleur orange, calibrées par une chaîne de production en inox, et vendues sous vide en supermarché, on doit montrer un grand-père en chemise à carreaux qui fait griller le produit sur un feu de bois. Le slogan sera obligatoirement : “le goût de l’authentique”.
En vertu de ce principe, la production de la nouvelle émission de Guillaume Durand n’a pas dû se creuser longtemps pour s’appeler “Esprits libres”. C’est comme si une soirée Ardisson s’intitulait “Franc du collier”, comme si Fogiel recevait ses invités sur un plateau “Spécial bienveillance”. Dans notre meilleur des mondes médiatiques, l’antiphrase installe son impudence un peu partout. Aldous Huxley, qui a longtemps commenté l’évolution de la société d’après guerre, insistait de surcroît sur la méthode des prédicateurs qui consiste à affaiblir le jugement de l’auditoire en faisant précéder le raisonnement d’une émotion négative. C’est la méthode qui fut employée dans le traitement de la guerre du Liban. Après un reportage qui montrait des femmes en pleurs et des cercueils d’enfants, il devenait difficile d’évoquer l’éventuelle légitimité de la colère d’Israël. Il était même indécent de l’évoquer. Les télévisions ont fait l’impasse (pour la plupart) sur les images des dix années précédentes où l’on voyait les conjurés du Hezbollah, leurs femmes et leurs enfants adolescents, ceints de cartouchières, brandissant des lance-roquettes (financés par qui l’on sait), défiler par milliers dans les rues poussiéreuses du Sud en défiant Israël et en proférant des menaces de mort à l’encontre de leurs voisins.
Et c’est probablement en vertu de la loi de l’antiphrase que les miliciens prosyriens, armés par l’Iran, ont drapé leurs morts dans le drapeau libanais.

Roche Tarpéienne
Il existe une autre loi, qui veut que le Capitole soit proche de la roche Tarpéienne. Dans le milieu médiatique, entre les deux, on voit rôder des chroniqueurs impatients de voir trébucher leurs semblables, des spécialistes souvent recrutés parmi ceux qui ont trébuché eux-mêmes. Le plus flamboyant spécimen en est Jean-Marc Morandini, dont la première des qualités n’est pas la pudeur et qui pose à ses invités des questions élégantes du genre : alors maintenant, est-ce que vous êtes devenu tricard dans le monde de la télé ?
Comme il reprend du service en ce moment sur Europe 1 (et sur un blog narcissique dont il annonçait la fermeture définitive avant l’été pour le rouvrir deux mois plus tard), on lui souhaite de parvenir à juguler cette tendance perverse à l’occasion de la rentrée.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3642 paru le 15 Septembre 2006

Au-delà de l'écran

La guerre des versions
La densité des dossiers spéciaux sur les événements du 11 septembre n’a guère varié depuis cinq ans, à l’exception notable de CNN, qui a décidé cette année d’organiser une journée de rediffusion complète et gratuite sur son site Internet. Cette initiative souligne une nouveauté apparue dans les commémorations, nouveauté qui ne concerne pas leur nombre, mais leur nature. Pour une partie des médias, il s’agit visiblement d’asseoir avec fermeté la version officielle. Il faut dire que les autres versions, qu’on peut qualifier d’alternatives, ont tendance à se multiplier.
Au début, les choses étaient simples : il y avait, d’un côté, ceux que les Américains appelaient les “conspirationnistes”, et de l’autre, ceux qui haussaient les épaules quand on leur parlait des nombreuses anomalies de l’enquête. Cinq ans après, la frontière devient floue. Des journalistes sérieux commencent à déplorer la disparition de plusieurs milliers de documents et la mise à pied de certains témoins. D’autres remontent avec insistance aux origines des relations entre l’Amérique et l’Arabie saoudite. Les sites Internet consacrés aux failles des rapports officiels se multiplient.
Dans une tentative pour enrayer le phénomène, le Pentagone a rendu publique, il y a trois mois, une bande de surveillance montrant un trait de lumière orange derrière une station-service (l’appareil qui s’est encastré dans le bâtiment). Quoi que l’on pense des conclusions de l’enquête, la révélation de ce clip de quatre secondes, annoncé tardivement à grand fracas, témoigne que les médias américains sont entrés à reculons dans la guerre des versions, ce qui revient à reconnaître l’existence du camp alternatif. Mais CNN ne lutte pas à armes égales contre les textes, les photos et les vidéos conspirationnistes diffusés sur Internet. Le lecteur curieux peut télécharger par exemple deux documentaires disponibles sur Google video, Loose change 2 et surtout Everybody’s Gotta Learn Sometime. Les chiffres de leur diffusion mondiale attestent l’existence d’un cinquième pouvoir, celui de la rumeur sur le Net, qui est capable d’asseoir n’importe quelle thèse en deux semaines.
Côté télévision française, outre le film des frères Naudet, qu’a diffusé TF 1 (sorte de retour sur l’événement, dont le principal objet était de paver la voie au film d’Oliver Stone), France 2 rediffusait le Monde selon Bush, seul document qui ne va pas plus loin que les archives. Mais c’est aller déjà très loin. Nous avons revu la prestation du doyen du Sénat, Robert Byrd, 85 ans, qui accablait l’administration Bush en séance solennelle, non seulement au nom de la rigueur et de la diplomatie, mais de la morale et de la vérité. Un jour ou l’autre, concluait-il, le château de cartes du mensonge s’effondrera. Et encore : s’il s’agit de verser du sang américain, de semer le chaos parmi les civils, hommes, femmes, enfants innocents, une manipulation cynique est inacceptable. Bizarre, tout de même.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3643 paru le 22 Septembre 2006

Au-delà de l'écran

La vie à la découpe
Comment blâmer les mères qui ont renoncé à arracher leurs enfants à la télévision ? Les chaînes déploient toutes les ruses pour appâter les familles dès le matin et les annonceurs les y encouragent. Si l’on veut faire patienter les plus jeunes pendant que leurs frères aînés se ruent sur le bol de céréales, le dessin animé est devenu le recours obligatoire. Dans certains foyers, on voit des bambins de 5 ans hirsutes, recroquevillés sur le canapé, le pouce aux lèvres et le doudou sous le bras, regarder des histoires de princesses galactiques pendant que la maisonnée s’éveille.
Dix ans plus tard, on retrouve les mêmes enfants vautrés sur le même canapé, mais cette fois ravagés par Star Academy tandis que les producteurs commentent la prestation d’un élève en s’écriant : « C’était très générationnel » (sic, entendu début septembre). La télévision s’installe comme rivale des parents en toute occasion. Quand ces derniers réprouvent certaines fréquentations, attitudes ou tenues vestimentaires, des animateurs-copains prescrivent le contraire du message familial : vocabulaire grotesque, rodéos de banlieue, culte du décibel, cannabis tolérable, sexualité hygiénique, rock déjanté, les exemples pullulent. Cette aliénation devient telle que l’adolescent vraiment moderne s’enferme désormais dans sa chambre avec son propre poste pour se réfugier dans un imaginaire de zombie où tout le monde est “supersympa”, écoute Raphaël et communie dans le culte de la “jante alu”.
Mais, arrêtons-nous là. Pourquoi ressasser toutes ces choses cent fois entendues ?
Pour introduire une observation qu’on entend moins souvent : la vieillesse est exposée à la “zombitude” affective et sociale dans les mêmes proportions. Les adultes d’âge moyen peuvent déplorer chaque jour de nouveaux cas de démission de l’esprit chez les plus de 75 ans, par la faute de la télévision. Quand on débarque à l’improviste chez ses vieux parents, il est fréquent aujourd’hui d’être supplanté dans leur cœur par les héros des feuilletons de l’après-midi. Le patriarche brandit la télécommande pour hausser le volume et couvrir la conversation de son entourage en lui infligeant les propos de Rick ou Jason. Les dîners sont écourtés par le journal télévisé. Les coups de fil du matin sont victimes d’Amour, gloire et beauté. Et trop souvent, dans les fêtes de famille, quand la grand-mère s’agite sur sa chaise après le déjeuner, ce n’est pas parce qu’elle souhaite entendre sa fille en confidence, mais parce qu’elle est en train de rater les Feux de l’amour.
Or justement, il s’agit d’un feuilleton où personne ne regarde jamais la télévision, et où toutes les filles parlent à leur mère après le déjeuner. On dirait donc qu’après avoir congédié la vie sociale, la télévision exploite la nostalgie que nous en avons, pour nous la revendre, impudemment, par petits morceaux, à coups de Dolmen et de Zodiaque.
En somme la télé, c’est de la vie à la découpe.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3644 paru le 29 Septembre 2006

Au-delà de l'écran

Elle te plaît ma sœur ?
Nous connaissons tous cette blague que nous qualifierons de “méditerranéenne” pour n’offenser personne : un homme farouche se penche vers un godelureau dans une fête de village et lui gronde à l’oreille : « Elle te plaît ma sœur ? » L’autre, effrayé, lui répond : « Mais non, pas du tout. » Alors le frère susceptible l’intimide de nouveau et dit : « Comment ça ? Elle ne te plaît pas, ma sœur ? »
Dans nos rapports sémantiques avec l’islam, le tableau est identique. Le prétendu dérapage du pape aura beau être analysé sous tous les angles au journal télévisé, l’analyse, au sens psychiatrique, devrait s’appliquer d’abord aux accusateurs. La mauvaise foi des querelleurs enjambe les tentatives d’explication jusqu’à ce qu’ils parviennent à entraîner leur interlocuteur sur le terrain de la guerre. Une fois qu’ils y sont parvenus, le schéma psychologique rappelle une autre scène célèbre, issue du cinéma : dans les Aventuriers de l’arche perdue, film dont le héros est devenu un mythe au point que sa psychologie se confond dans l’imaginaire planétaire avec celle de l’Américain moyen, on voit un guerrier menacer Indiana Jones d’un sabre qui étincelle au soleil. La scène se passe au fond d’un souk. Ce détail n’est pas sans importance. L’enturbanné a l’air vraiment très méchant. Il fait virevolter son instrument pour impressionner l’adversaire, lequel, excédé par tant d’orgueil inutile, dégaine finalement son revolver et l’abat.
Alors quoi ? Alors rien. Mais de nos jours, celui qui a le don de déchiffrer les images possède celui de divination.

Enterrement à Montréal
On a vu sur TV 5 Monde l’enterrement de la jeune femme tuée par Kimveer Gill, le tireur fou du collège Dawson. Une journaliste idiote du Globe and Mail attribue la pulsion violente du tireur aux “tensions intercommunautaires”, et notamment au fait qu’étant d’origine extracanadienne pour parler pudiquement, il était traité de manière injuste par les Québécois “pur laine” – oui c’est comme ça qu’on dit au Québec.

Aucun rapport
Un universitaire français m’envoie plutôt la liste des jeux vidéo et des films qu’il aimait entre tous et qu’il classait pieusement sur son blog, liste qui a été publiée par le site watercoolergames.com. On y retrouve toutes les bluettes habituelles, Postal, GTA, etc. et les films du genre Scarface, qui visent le public des sinistrés du lobe frontal. Bien sûr les psychiatres mous, calibrés pour les débats sur la Cinq, viendront nous expliquer que tout cela n’a aucun rapport. Ils nous diront aussi que le succès du jeu Super Columbine Massacre RPG, dont le tireur était un adepte, n’a aucun lien non plus avec la réalité.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3645 paru le 6 Octobre 2006

Au-delà de l'écran

On se lâche
On s’est demandé un moment si le Droit de savoir se prenait pour Capital, mais au bout de dix minutes on a compris qu’il n’en était rien : naturistes camarguais répondant aux interviews en nu intégral, femmes sans soutien-gorge préparant la salade de tomates entre deux bottes de persil, très vite les considérations sociologiques sur les neuf millions de campeurs français se sont éloignées pour faire place à une tranche de vie épaisse, en liaison avec la promotion d’un film, mais surtout en prélude à un exercice de voyeurisme déguisé en enquête sérieuse sur la “nouvelle fièvre des Français”. En vérité l’enquête tournait autour de l’essentiel avec un entêtement assez divertissant dans la mauvaise foi.
La vraie raison pour laquelle neuf millions de nos contemporains partagent la promiscuité sous les pins ou les palmiers, ce ne sont ni les élections de miss Camping, ni l’attente le savon à la main devant les douches, ni la vaisselle dans le chant des cigales, mais la nostalgie de la vie sociale d’avant.
Avant quoi ? Avant la solitude généralisée. Ce qui est tendance, comme disait le reportage, ce n’est pas “la marche des tongs” ou “la danse des canards”, mais la simplification des codes sociaux, la redécouverte brutale du corps d’autrui, la variété des âges et des physiques, en somme la vie.
Dans Koh Lanta ou l’Île de la tentation, on observe le même étonnement ravi chez le spectateur : c’est une mémoire lointaine de l’espèce qui revient, quelque chose qui rappelle la loi de la meute, avec ses dominants et ses dominés, ses vieux mâles, ses jeunes présomptueux, ses femmes farouches, attirantes ou jalouses.
Depuis un siècle que les plages attirent du monde, on finit par se douter que ce n’est pas pour la satisfaction de passer huit heures sous un parasol. Il s’agit plutôt d’un lieu où les codes changent, comme on dit pudiquement. Si l’on préfère la vérité à la pudeur, on avoue plutôt qu’on y va pour se lâcher.

Points de suspension
Une activité de représentation hors frontières m’oblige à interrompre cette chronique que je tenais depuis huit années. De nombreux lecteurs m’ont fait la confiance de me lire avec assiduité, quelques-uns me l’ont écrit, je les remercie avec chaleur. Les liens tissés par cette familiarité d’esprit hebdomadaire sont souvent très solides. Aujourd’hui ils sont de surcroît aisés à entretenir grâce à l’Internet qui permet d’envoyer huit lignes quand on hésite à écrire huit pages.
En attendant de retrouver ici une tribune sans doute différente, en tout cas plus compatible avec le devoir de réserve que m’imposent mes nouvelles fonctions, je me permets de recommander, à ceux qui souhaitent poursuivre notre commerce en coulisse, de m’écrire sur Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3401 paru le 1 Février 2002

Au-delà de l'écran

La famille à dos
Au mois de novembre, le président de TF 1, dans un entretien accordé au Monde, s’alarmait du jugement porté sur sa chaîne par la ministresse de la Culture. « Un ministre de la République, disait-il, n’a pas le droit de détester une entreprise. » Et il ajoutait un peu hypocritement : « Comment peut-on dire que les téléspectateurs vont être condamnés à regarder une chaîne qui réalise 95 % des meilleures audiences chaque année ? »
Eh bien, la réponse est claire : on peut le dire quand on s’appelle Catherine Tasca. On peut le dire quand on pratique une méthode qui ne consiste pas à analyser le réel mais à lui préférer les délices du fantasme. On peut le dire quand on est la seule titulaire du poste à avoir menacé un écrivain de l’envoyer au tribunal. Renaud Camus a été soupçonné d’antisémitisme par des gens sans innocence à qui, visiblement Mme Tasca voulait plaire. Conseillée dans cette affaire par de vrais techniciens, ou qui sait ? par de vrais lecteurs, elle s’est arrêtée de justesse au bord de la forfaiture. Mais ce jour-là, elle a durablement discrédité sa fonction et incité une poignée d’artistes, dont je fais partie, à se souvenir de Lyssenko, ministre de l’Agriculture stalinien qui déclarait : « Un ennemi de classe est toujours un ennemi, qu’il soit ou non savant. »
Voilà qu’elle recommence, à propos de Silvio Berlusconi, dont elle réprouve, nous dit-on, la politique culturelle, jusqu’à refuser d’inaugurer avec lui le Salon du livre. Télévisions et radios se font timidement l’écho de cette susceptibilité embarrassante, sans souligner vraiment ce qu’elle signifie : nous avons là un exemple clinique de “m’as-tu-vuisme” idéologique. En d’autres termes il devient moins important d’analyser les dossiers, voire d’adresser des remontrances à ceux qu’on n’approuve pas, que de refuser de figurer avec eux sur la photo. Il ne s’agit plus de gouverner, mais de présenter son meilleur profil et d’en remontrer à la terre entière par une apparence de vertu. Laquelle désigne, en fait, une névrose d’autosatisfaction. Quand Martine Aubry refuse de siéger quelque part où l’on annonce la présence d’un ministre de Jörg Haider, quand Catherine Tasca fait son caprice contre l’Europe qui pense “mal”, quand Ségolène Royal claironne sa « vigilance », elles ressemblent à ces fillettes qui, jusque dans le salon familial, ne disent plus bonjour à l’oncle de Corrèze depuis qu’il vote Front national.
D’abord, ce n’est pas le meilleur moyen de l’en dissuader. Ensuite, elles se mettent à dos toute la famille. Enfin, prisonnières de leur bon droit, par esprit de système et par orgueil, elles finissent par tomber dans le délire. Contre toute espèce de politesse, c’est-à-dire de respect d’autrui (ce respect qu’elles exigent des autres à la moindre occasion), elles préfèrent claquer la porte.
Il arrive aussi, Dieu merci, que la famille la leur désigne. On appelle ça une élection.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3504 paru le 23 Janvier 2004

Au-delà de l'écran

La France de Papa
La publication des meilleures audiences pour l’année écoulée permet de s’apercevoir que le succès est moins facile à induire en télévision qu’en littérature. Certes on voit bien de temps à autre surgir un produit marketing destiné au petit écran, mais il est rare qu’il fasse recette aussi vite qu’un livre de Beigbeder. La télévision ne peut pas compter sur les réseaux pour assurer la promotion de ses “coups”. Il ne suffit pas d’apposer un panneau “Nous avons beaucoup aimé”, comme on le voit souvent à l’entrée des librairies, pour conjurer l’effet “temps réel” et la sanction par la télécommande.
Quand on parle de temps réel, on a l’impression qu’il est facile d’accrocher l’intérêt en improvisant, mais quand on voit les chiffres, on s’aperçoit que le temps réel ramène au pays réel. Le public télévisuel a l’inertie d’un pétrolier. Pour le mouvoir, pour l’émouvoir, il ne suffit pas de donner de la corne de brume et d’agiter les bras. Quand il entend dire : “Nous avons beaucoup aimé”, le public répond : “Moi j’aime ce que je veux.”
Et l’an passé, il a tourné le dos aux choix parisiens. L’Affaire Dominici finit en tête du classement. On peut épiloguer sur le fond et prétendre que les téléspectateurs ont aimé le genre “film à thèse”, il est probable qu’ils aient surtout aimé le rappel à la “France de Papa”. De même, il serait intéressant de montrer la continuité qui existe entre Maigret, le commissaire Bourrel, Julie Lescaut et le juge Cordier (les deux derniers étant classés très haut dans le palmarès 2003). Pour qui douterait encore de cette tendance, on peut prédire un succès identique au Dirlo, une série très bien écrite qui présente Bigard en directeur d’école (dix millions de téléspectateurs). D’abord, le décor évoque la communale de Jules Ferry (nous sommes loin des préfabriqués de l’Instit). Ensuite, la popularité de Bigard s’appuie sur le pays réel depuis longtemps.
Mais le clou de ce bilan est que 95 % des meilleures audiences 2003 soient le fait de TF 1. Qu’une chaîne privée fasse la part belle au pays profond, et que le service public dédaigne le peuple, quoi de plus jacobin, et quoi de plus français ?

Camarade Fogiel
La façon dont Marc-Olivier Fogiel (toujours sur le service public) a rendu compte des succès littéraires de l’année illustre le phénomène. Pendant l’émission, nous aurons guetté en vain la mention du dernier livre de Brigitte Bardot, dont les éditions du Rocher ont vendu, grâce à lui, 275 000 exemplaires. Elle est l’une des trois meilleures ventes de 2003. Même si l’on s’attendait à peu de commentaires (ils sont en procès), il suffisait d’une allusion goguenarde, et Fogiel était quitte.
Or le nom de l’actrice n’a pas franchi ses lèvres. Voilà qui relève de la psychiatrie. Rappelons que les dissidents étaient gommés dans les portraits de groupe au temps du camarade Staline. Un coup de Photoshop, et hop, Bardot va bientôt quitter les archives de l’émission dans les agences de presse.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3402 paru le 8 Février 2002

Au-delà de l'écran

Sauvons les saucisses
Un récent couplet sur les rapports entre publicité et barbarie m’a valu un courrier abondant. (Je veux dire qu’il abondait dans mon sens.) Une dame me rappelle qu’une marque de saucisses mettait récemment en scène quatre jeunes gens dans une montgolfière : après avoir jeté par-dessus bord le lest disponible, les aéronautes avaient le choix entre le plus faible de leurs compagnons et un paquet de saucisses. Trois d’entre eux sacrifiaient le quatrième pour garder les saucisses.

Le triomphe de Scapin
Puisque l’occasion m’est donnée de revenir aux dérives publicitaires, un procédé très à la mode consiste à pervertir le regard des enfants sur leurs parents. Quand, pour se venger de leur propre enfance chez les prêtres, des directeurs d’agence qui se sont partagé le festin de l’après-68 nous infligent des campagnes où l’on voit bafouer l’image de l’adulte, de l’aînesse, de la masculinité, ils ne font rien d’innocent. Une mode tyrannique exige aujourd’hui que le père de famille soit ridicule, de préférence devant une conjuration mère-fille. « Je ne sais plus quoi faire de ton père », dit une femme excédée par son mari coureur de jupons. Une fille de six ans explique à son géniteur qu’avec le nouveau produit Candia il peut recommencer à digérer le lait. L’épouse appuie avec une vague ironie. Après la première gorgée, le papa se retrouve en culottes courtes.
On ignore si la campagne est un succès, mais le message sociologique, lui, est reçu cinq sur cinq par les enfants et les épouses : les pères sont ridicules. S’ils affectent la fermeté elle est tournée en dérision. Partout dans la publicité ils sont bernés par leurs enfants, comme les gérontes de Molière l’étaient par leurs valets. Sauf que les Scapin d’aujourd’hui n’ont pas l’âge de raison. Les seuls adultes tolérables à leurs yeux sont ceux qui cèdent à leurs caprices.
Parallèlement, la campagne télévisée relative à la pédophilie tend à établir une conjonction douteuse entre l’autorité et l’abus d’autorité, entre le privé et l’abus du privé. L’intimité familiale est suspecte de favoriser le viol. On a introduit, qu’on le veuille on non, le ferment d’un doute systématique dans les esprits juvéniles, à propos de ce qui est domestique, masculin et autoritaire. “L’idée”, comme disent les branchés, c’est de prévenir. Mais la prévention se traduit par une exigence excessive de transparence, par une négation du secret familial, lequel est pourtant le lieu même où se forgent l’identité, le caractère et la volonté.
L’autre idée consiste à épargner à l’enfant toute résistance. Du coup il est contraint à la chercher hors du foyer. Il affronte tout ce qui porte un uniforme. Il piétine le territoire de ses rivaux. Sa violence rend hommage à l’autorité jamais subie, en cherchant à la réinventer. Les deux courbes, violence en hausse, autorité en baisse, se sont croisées autour de 1990. Elles vont se croiser dans l’autre sens inévitablement. Jusqu’où ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3403 paru le 15 Février 2002

Au-delà de l'écran

Métaphore filée
Dans le domaine des idées, c’est connu, il y a la confection et le prêt-à-porter. Cette métaphore qui relève du lieu commun n’est pourtant pas assez exploitée. On peut la filer comme une laine, on peut accumuler indéfiniment les traits de ressemblance entre le monde de la pensée et celui de la couture.
Par exemple il existe sur France 2 un atelier dominical nommé J’ai rendez-vous avec vous dont le patron, Rachid Arhab, vient de quitter le prêt-à-porter pour se lancer dans le sur mesure. C’est dommage, car il était meilleur que son remplaçant au journal télévisé. Et c’est regrettable pour lui car il a beau essayer de recoudre sa formule, elle s’en va de tous les côtés.
Il faut dire qu’il travaille beaucoup aux ciseaux et très peu à l’aiguille. Son émission a pour objet d’évoquer des questions d’actualité avec l’aide de la rue et le concours des téléspectateurs. Thème du jour : “Critiquer la politique de Sharon, est-ce faire preuve d’antisémitisme ?” Pour répondre à cette question hérisson, posée à des habitants de la Goutte-d’Or à Paris, qui croyez-vous que la caméra ait interrogé ? Un imam ? Un Beur de la banlieue ? Un “grand frère” qui circule en Mercedes à vingt-deux ans ?
Pas du tout : Madeleine de Grenoble, André de Paris, Marc d’Etrépagny et Jeanine d’Evreux. Ils sont invités à se prononcer sur une éventuelle résurgence de l’antisémitisme en France comme s’ils devaient répondre, au nom de notre “terre d’accueil”, d’exactions dont nous avons surtout accueilli, il faut le rappeler, la plupart des auteurs.
Le clou du défilé fut cette dame qui est venue réclamer davantage de mosquées « parce que les imams en train de noter les noms sur les boîtes aux lettres, à six heures du matin dans les immeubles, ça fait mauvais effet, ça donne une mauvaise image de l’islam » (sic).
Devant tant de pesanteur propagandiste, on se dit que ces archives devenues inaltérables avec l’avènement du numérique serviront au moins aux historiens. Elles illustreront que les propriétaires du discours, au tournant du millénaire, ont perdu les pédales avant les élections.
Il n’est que de citer la scène finale de ce Rendez-Vous où le présentateur, toujours brandissant son micro comme un animateur de vente flash au rayon chemisiers, nous annonce qu’une dame a tenu à apporter un témoignage sur l’affaire Schuller « sous la forme d’une chanson ».
Une passante, qui attend en effet depuis vingt minutes derrière lui, se rengorge à l’idée de nous faire une bonne blague. Elle nous chante sur l’air du Furet : « Il court il court, le Schuller, le Schuller du RPR. » A quoi le meneur de jeu croit bon d’ajouter « Eh bien merci Geneviève, c’est une façon de lancer le débat. »
Là-dessus, gêné de voir tailler du sur mesure dans une étoffe aussi grossière, Michel Drucker reprend l’antenne et se demande, en spécialiste, si le surpiquage ne se voit pas un peu trop.
Nous nous le demanderons avec lui.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3404 paru le 21 Février 2002

Au-delà de l'écran

Tête de gondole
Que penserait-on d’une agence publicitaire qui se mettrait à fabriquer les produits qu’elle promeut ? Que dirait-on si les “créatifs” construisaient des usines ?
Toutes proportions gardées, c’est ce qui se passe dans l’audiovisuel. Radios et télévisions jouent les deux rôles à la fois : celui de vecteur de promotion et celui d’agent de production.
Quand on visionne un DVD dont le générique porte le logo “TF 1 Vidéo”, on s’avise rapidement que l’effort publicitaire, les plateaux de complaisance, les invités vedettes, les bandes-annonces diffusées jusque dans les émissions du matin, tout cela est rendu indispensable par cette confusion des genres.
Canal Plus a longtemps pratiqué la même méthode, laquelle a contribué, nous dit-on, à améliorer les chiffres du cinéma français. Mais c’est une santé illusoire. Avec dix millions de spectateurs pour Astérix, le magasin France réalise tout son chiffre de l’année sur un seul produit placé en “tête de gondole”.
Nous obtenions naguère des chiffres voisins (enfin, les bonnes années) sur dix films à un million d’entrées. Cela répondait davantage aux exigences de l’art et de la diversité. Mais c’était aussi plus risqué pour la trésorerie. Tandis que, désormais, le lancement à la Harry Potter est devenu la règle : les recettes sont encaissées massivement en quelques semaines, au mépris du reste de la production. Le pouvoir d’achat culturel est aspiré par une pompe à finances dont l’échelle est continentale.
Côté chansonnette, le tableau est identique. Chaque année, TF 1 s’arrange pour lancer un “tube” qui rafle, en quinze jours, les 15 euros du budget que l’adolescent moyen consacre à la musique.
Dernière étape : Star Academy. A quoi bon parier sur une nouveauté ? Il suffit de reprendre un vieux succès assaisonné à la sauce boum-boum. Le matraquage fait le reste.
En radio, le phénomène existe aussi. C’est la “coédition France-Inter”. Evidemment nous ne parlons pas des mêmes chiffres, ni d’ailleurs du même produit. Il s’agit de librairie. Même si une grande part du catalogue consiste encore en des livres du genre Mémoires de poilus pendant la Grande Guerre, il est bon de rappeler que des radios financées par l’argent public n’ont aucune vocation à jouer les éditeurs. Or cette vocation est de plus en plus apparente. Il existe à présent des “livres Inter” dont on nous dit qu’ils ont été “élus par le public” (bien qu’en vérité le public ait le choix entre douze titres, dont la liste a été établie par cinq personnes, lesquelles, en général, aiment bien le Monde et Télérama).
Intéressante évolution du métier d’éditeur, puisque, en cas de mauvaises recettes, c’est le contribuable qui paie. Les artistes n’ont pas de quoi s’en réjouir, ni les vrais éditeurs, qui eux prennent des risques. Pourquoi ne le disent-ils pas ? Parce qu’ils craignent de se voir interdire la tête de gondole.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3405 paru le 1 Mars 2002

Au-delà de l'écran

Léger problème de niveau
Deux cent mille candidats (!) se sont présentés, dans une dizaine de villes, aux éliminatoires de la deuxième session de Loft Story, l’émission de “télé-réalité” qui sera diffusée en avril sur M6. Quarante-cinq mille postulants âgés de dix-huit à trente ans ont été auditionnés. Voici un condensé des commentaires que l’émission suscite sur les forums de discussion d’Internet. Nous offrons au producteur un critère de sélection supplémentaire : jauger les candidats à l’aune de leur niveau en orthographe…
« Il passe des pubs pour s’inscrire mais il ne dise pas quand cela aura lieue.
Si vous savez des choses écrivaient moi. Merci. Mathilde.
Tu aurais u l’occasion d’y participer tu y serait aller.
Personne ne vous a demander de regarder ou de participer au casting, je suis sur ke vous serait tous les premier a le regarder en disant c cool mais alors ne regarder pas. J’ai passer le casting et j’en suis fiere et je pense bien reussir l’experience aller bon courage a tous les lofteurs.
Réaliser un tel concept résulte du délire des esprits complètement tordus et "dégentés" d’individus profondément frustrés par leur carence de voir un jour leur nom affiché sur tous les ecrans ».
Cette collecte a été réalisée sur une seule page, à la volée, sans volonté de noircir le tableau : 90 % des interventions sont de la même eau. Quand on parle du niveau des participants au “Loft”, on oublie de dire qu’il n’a aucune raison d’être plus élevé que celui du reste de la population.
Médailles en chocolat
‰ L’autre soir, les duettistes Bataille et Fontaine étaient en piste pour Drôles de petits champions (quatre heures d’antenne à trois jours d’intervalle, la lassitude s’installe). Enthousiasmes téléphonés, petits garçons élevés dans le milieu du “ski de haut niveau”, fillettes pomponnées qui chantent comme Céline Dion, danseurs de dix ans en costume lamé, etc. Ces vedettes précoces aux talents outrageusement surestimés par l’orgueil parental m’ont tellement excédé que j’ai regardé un DVD, Buena Vista Social Club. Par une aimable fantaisie du hasard, ce film de Wim Wenders racontait l’histoire inverse : une demi-douzaine de musiciens cubains octogénaires ayant appris à jouer dans les arrière-cours du Cuba d’avant-guerre ont mené leurs carrières d’artistes parfois si obscurément, qu’ils ont dû abandonner la pratique de leur instrument faute de moyens.
Un musicien américain les décide à faire un disque ensemble, gloire mondiale, Grammy Awards, Carnegie Hall, etc.Ces pauvres gens découvrent le bonheur d’être honorés à quatre-vingts ans. Les voilà médaillés par la providence juste avant de tirer leur chapeau. Leurs mérites sont reconnus par tous au moment où ils y songeaient le moins.
Dans le cas des “petits champions” les médailles sont en chocolat, les dons souvent imaginaires, la reconnaissance préalable à tout le reste. On nous fait croire qu’ils peuvent tutoyer l’accomplissement avant la puberté. Hélas, cette démagogie a besoin de tricher sur la nature de l’exploit : l’émission préfère donc les skaters aux musiciens prodiges.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3407 paru le 15 Mars 2002

Au-delà de l'écran

Génération Hulot
Le nom de Nicolas Hulot sonne si bien qu’il semblait promis dès le début de sa carrière à quelque forme de célébrité. Laquelle exigeait toutefois d’être légitimée par autre chose que son aimable sourire et ses activités ludiques à travers la planète : c’est fait. Il vient de passer un dimanche à nous raconter sa vie, qui est un peu la nôtre : compliments !
En vingt ans nous avons assisté à l’heureuse métamorphose de l’explorateur-copain en une sorte de philosophe tranquille dont la syntaxe s’est affinée, dont le vocabulaire s’est enrichi, dont les connaissances se sont affermies. Si toute la génération Hulot avait suivi la même pente dans les mêmes années, la société française n’en serait pas là. A le voir s’expliquer chez Drucker et surtout à entendre les commentaires du lendemain on comprend mieux ce que lui reprochent les aigris, les sceptiques et ceux qui ne croient en rien généralement : il s’est construit. Il a empilé le savoir dans la région de l’esprit où se forment les cristaux. Ceux qui feuillettent leur vie comme une poignée d’instantanés dans une boîte à chaussures ne supportent pas les gens qui font un album. Pourtant c’est le degré le plus élémentaire de la sagesse. Dans le cas d’Hulot, l’album est couvert de plages et de palmiers, mais l’essentiel est ailleurs. On sent chez lui un honnête désir de payer la Providence après tant de bienfaits.
Il a raison de remercier le ciel, car il revient de loin. Non seulement il aurait dû cent fois laisser sa vie sur le terrain, mais à ses débuts il manquait gravement de qualification. On avait pitié de ses propos, de ses liaisons fautives, de ses approximations. On le croyait voué au fun. On le voyait finir l’œil et le cheveu délavés comme un surfeur, tanné par le soleil des tropiques, consumé par l’attente de la vague. Or le voilà plutôt paisible et gai. Accompli, en somme.
Reste un détail naturellement monté en épingle par les commentaires du lendemain : Hulot “téléphone à Chirac”. Vous vous rendez compte ? France Inter, fébrile à l’idée que vingt ans d’oligarchie audiovisuelle vont peut-être enfin voler en éclats dans quelques semaines, nous affirme tranquillement que Jacques Chirac a « envoyé Nicolas Hulot sur le plateau pour assurer sa publicité personnelle ». La chaîne de radio prétend même qu’on l’a donné comme futur ministre de l’Environnement, ce qui m’a échappé pendant l’émission, mais ce n’est pas forcément une mauvaise idée.

En québécois dans le texte
Il faudrait en finir avec le mythe de la vertueuse francophonie québécoise. Désormais quand on visionne un DVD américain doublé à Montréal, on entend des dialogues du genre : « Tu dis ça pour vrai (sic) ? – Oui Jérémie, il faut apprendre à faire tes propres décisions pour rester en contrôle de ta vie. »
Rappelons que dans les rues de Québec, No parking at all times se traduit par : “Pas de parking en tous temps”.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3408 paru le 22 Mars 2002

Au-delà de l'écran

En piste avec le CSA
Le film du dimanche soir est une institution et une grand-messe. Il y a vingt ans à peine, il réunissait les familles et rassemblait la nation. Cette vocation lui est restée peu ou prou, mais de temps à autre le pays entier, des grands-mères aux enfants prépubères, à cause d’une aberration de programmation, à l’heure où l’usage veut que l’on passe le Corniaud, Nuit d’ivresse ou Independence Day, se retrouve devant une ignominie.
Léon appartient à cette catégorie. Ecrit et réalisé, nous dit le générique, par Luc Besson, ce film tire la quintessence du pire cinéma américain et nous la ressert sous label français. Le cinéaste du Grand Bleu est devenu le pape noir du mimétisme culturel. Quand Léon est sorti, la mode était aux rues de New York, aux massacres et aux lolitas : il a réuni les trois.
Imaginons maintenant une famille rentrant d’un dimanche à la campagne. Dans la voiture, les enfants réclament sur tous les tons l’autorisation de “voir le film de TF 1”. Après une demi-heure d’insistance et quelques conditions préalables (devoirs, affaires rangées, douche, etc.), ils obtiennent gain de cause. Deux heures plus tard, tout le monde s’installe devant le poste. L’apparition du triangle orange (“œuvres cinématographiques interdites aux mineurs de douze ans pouvant troubler le jeune public, notamment lorsque le scénario recourt de façon systématique et répétée à la violence”) n’impressionne personne.
Générique. Une bande de trafiquants de drogue canarde une famille dans son appartement. Sauvagerie à bout portant dans une baignoire, dans un couloir, murs constellés de sang, le père se traîne sur le carrelage, cinq balles successives sur cet homme qui rampe. Ça dégouline de partout, dans une atmosphère de réalisme intolérable. Un des hommes désigne une photo de famille : « Il y a trois gamins ici. Stan a tué la grande, Bill le petit (quatre ans), il manque celle-là : trouve-la ! »
Le film raconte la tentative de survie de la dernière enfant du couple massacré. Un tueur la prend en pitié, et lui apprend à tuer elle-même.
Ces scènes d’une cruauté déjà difficilement supportable par un quadragénaire sont jugées tolérables pour des enfants entre douze et seize ans. On aimerait que le CSA nous explique quels sont ses critères, surtout dans le contexte social actuel.
On peut même suggérer le principe d’une émission “En piste avec le CSA”. Les membres de l’institution réunis au complet sur des gradins seraient sommés de réagir en gros plan après visionnage de la scène, puis de justifier la cotation du film et l’opportunité de sa diffusion.
A la fin de la saison, les membres du CSA dont les arguments se seraient révélés insuffisants ou spécieux seraient éliminés et privés de leur salaire par les téléspectateurs, comme de vulgaires candidats à Star Academy.
Au prix de ce régime, en matière de violence, les chaînes auraient vite fait de trouver le point d’étiage.
Christian Combaz


Valeurs Actuelles n° 3409 paru le 29 Mars 2002

Au-delà de l'écran

Show platonicien
Pour ceux qui auraient raté la diffusion de l’excellent Truman Show, voici un résumé de l’action et quelques réflexions à l’adresse des happy few.
C’est un film à plusieurs lectures, comme on dit généralement dans les journaux qui ont choisi la leur. La première, c’est une critique féroce de la télévision réalité. Un pauvre garçon, parvenu à l’âge de vingt ans dans un univers provincial harmonieux, employé modèle d’une banque modeste, dans une ville américaine d’opérette, s’aperçoit qu’il est manipulé depuis sa naissance. Un producteur, l’ayant arraché à un orphelinat dès le premier âge, a choisi de créer un monde de figurants autour de lui afin que son évolution, ses émois, ses passions, soient livrés en pâture quotidienne à la terre entière par le biais d’un impitoyable réseau de caméras. L’émission s’appelle le Truman Show. Son succès est planétaire.
Voilà pour la première lecture, celle qui blâme le spectateur de son goût pour le voyeurisme et ressortit plus ou moins à la satire sociale. Elle permet de faire un dossier magazine à la sortie du film et de s’extasier sur cette Amérique qui sait si bien fustiger ses défauts. Mais le scénariste, tout en respectant le cahier des charges, semble s’adresser, par-dessus l’épaule de la production, à ce spectateur idéal que tout artiste vise à l’insu de son commanditaire.
Certains auront éprouvé, en voyant ce film, un vertige philosophique à l’idée que nous sommes abusés par le réel lui-même. Notre univers n’est probablement qu’une séance de diapositives sur les parois d’on ne sait quelle caverne platonicienne. Plus les illusions se multiplient et se répondent dans nos sociétés, plus le ballet des images s’accélère, plus le vacarme s’accentue, et plus l’idée que nous sommes issus d’une réalité supérieure, immobile, silencieuse, à quoi nous devrons retourner un jour, s’impose aux esprits avisés.
La fin de Truman Show est miraculeuse d’intelligence : on y voit ce pauvre type affronter ses traumatismes d’enfant (la crainte de la noyade) pour voguer sur une mer artificielle démontée, rompre ses chaînes et se retourner, triomphant, sur celui qui projette les ombres au fond de la caverne. The show is over, la vraie vie est au-delà de l’écran, il faut remonter la lumière du projecteur pour savoir qui nous sommes.

Sacrée Florence
Dans les dîners en ville, l’allusion à l’émission de Patrick de Carolis sur Florence (Des racines et des ailes, fin février) est devenue si fréquente, et l’éblouissement de ceux qui l’ont vue si constant, que je lui dois une mention. Florence est une ville que l’on répugne à voir livrée à des curiosités profanes, mais l’émission ménageait la part du sacré. On n’oubliera pas le français remarquable parlé par les Corsini, on rêvera longtemps de ce jardin à colonnes où les enfants sont priés de ne pas monter sur les statues romaines. On ne se plaindra pas qu’on nous juge encore dignes de ce genre de spectacle.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3379 paru le 31 Août 2001

Au-delà de l'écran

L’aventure au coin du hamac
Il paraît que le service public va pâtir de la télé-réalité, c’est probable et alors ? A-t-il vocation à enchérir sur le marché mondial aux côtés de TF 1 ?
Est-il moral de débarquer au Four Seasons Hotel de Beverly Hills, et d’acheter une série puérile où une bande de flics plaisante lourdement entre la salle de gym et la machine à café, au prix d’un million par épisode, quand on prend la moitié de cet argent dans la poche des téléspectateurs ? Le défaut de recettes que l’on prévoit cet automne chez France 2 est un désastre, nous dit-on, parce que la télévision française ne pourra plus s’aligner. Est-ce vraiment un désastre ? Avons-nous vocation à nous aligner, à acheter clés en main des programmes aussi franchisés que le Maillon faible ou Survivor ?
Evidemment non. Pourtant la nouveauté, le scandale ne se trouvent pas, comme on nous l’affirme, dans le niveau à peine croyable de ces émissions, ni dans le principe de l’éviction sur lequel elles reposent : la plèbe romaine avait elle aussi droit de vie ou de mort sur les champions du cirque, et le radio crochet existait déjà il y a quarante ans. Non, le vrai scandale consiste à nous faire passer une expédition à peine digne du Manuel des castors juniors pour une grande aventure humaine. Ces gens à demi-nus qui courent après un fanion sur la plage en deux équipes (les jaunes et les rouges), sous les ordres d’un chef de meute entouré de trois tonnes de matériel, c’est un peu comme si le plus fastidieux de nos jeux de piste chez les louveteaux était sponsorisé par une firme pharmaceutique.
La vraie aventure consisterait à priver de leurs papiers huit personnes pour les débarquer au cœur de Sao Paolo avec trois sous en poche, puis à les suivre dans les rues pendant six semaines, à la recherche de leur nourriture et de leur gîte. Le vrai défi consisterait à fournir une carte verte à dix jeunes gens de toutes origines et à leur donner un an pour fonder une entreprise à New York.
Nous avons connu, il y a une vingtaine d’années, des tentatives voisines du genre la Course autour du monde. Elles ont coûté le vingtième de ce que coûte la logistique grotesque de Koh-Lanta (où l’exploit, quoi qu’on veuille, reste au coin du hamac). En ce temps-là, le service public comptait une poignée de généraux qui avaient une stratégie personnelle et savaient compenser la suppression d’un budget par un coup de génie. Le règne du marketing a suivi. Or dans ce domaine, le privé a toujours joui d’une avance considérable. Personne ne s’étonnera qu’elle soit devenue écrasante.
Que fait France Télévision ? Faute de pouvoir s’aligner, elle ne cherche pas à détourner les humbles de ces jeux du cirque en leur proposant mieux, moins cher et tout aussi populaire : elle préfère investir dans une dérision très parisienne (Laurent Ruquier-Thierry Ardisson), c’est-à-dire le dédain de ceux qui la font vivre et qu’on appelle le peuple.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3410 paru le 5 Avril 2002

Au-delà de l'écran

Sécurité passive
Quand on regarde la télévision en entomologiste ou en philosophe, on voit s’agréger des modes de pensée qui conditionnent déjà la vie des générations futures.
On ne compte plus les reportages sur la sécurité passive. Ici, le maire d’une commune de dix mille habitants fait voter un budget d’équipement pour une protection vidéo. Là, on installe un portique électromagnétique à l’entrée d’un collège, d’un tribunal ou d’une prison. Là encore, on obtient des constructeurs d’avions qu’ils fassent équiper leurs futurs appareils d’un poste de pilotage blindé. Partout se multiplient les systèmes d’identification par l’iris, par la voix, par les empreintes digitales. Partout on réclame la surveillance de vos faits et gestes et la dissuasion généralisée.
Or, c’est toujours en aval.
Il s’agit en effet d’intervenir afin qu’un malfaiteur, ayant conçu le projet déraisonnable de tirer aveuglément dans la foule, en soit dissuadé par la présence d’un portique, d’une caméra ou d’un agent de police.
Observons qu’il n’est jamais question, en revanche, de l’empêcher de concevoir son funeste dessein. Il ne s’agit jamais de lui donner une éducation qui sache exclure jusqu’à l’imagination du crime. Ce serait attenter gravement à sa liberté. Moyennant quoi, vingt ans après, il achète des armes de guerre, viole les femmes, défie l’autorité, menace d’un couteau quiconque le regarde dans les yeux, etc.
En se livrant à ce genre de fantaisies dérogatoires à l’ordre commun, il exerce sa liberté mais limite celle des autres dans des proportions spectaculaires. En sorte que dix ans plus tard, si aucune réforme brutale de l’éducation n’est intervenue, on assiste à l’apparition d’une caste de 5 % de citoyens dont le comportement “à risques” justifie pêle-mêle et pour tout le monde : le quintuplement des rails de sécurité, la présence d’agents de la force publique dans chaque wagon de chemin de fer, l’identification dans tous les aéroports, la protection magnétique dans tous les hôpitaux, écoles, musées, etc. On ne peut plus prendre un avion sans décliner son pedigree, prendre le bus sans être filmé, monter dans le TGV sans garder sa valise sur les genoux. La liberté des 5 % devient tyrannie.
La télévision aura beau nous seriner que l’omnisurveillance représente l’avenir, il suffit d’un effort de jugement pour se convaincre de l’inverse. Dans une société ouverte, comme on l’a vu le 11 septembre 2001, la sécurité passive a ses limites. Les premières sont budgétaires : personne n’aura jamais assez d’argent pour rendre sûre une société démocratique si ses habitants ne le sont plus. Les autres tiennent aux capacités matérielles dont nous disposons pour juguler une aberration : jamais personne n’empêchera un anonyme de se promener dans la foule avec un détonateur et du plastic.
Moralité : plutôt que de multiplier les garde-fous, diminuons le nombre de fous.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3411 paru le 12 Avril 2002

Au-delà de l'écran

Impératrice d’un jour
Une chaîne de télévision (TF1) se met en quatre pour exaucer le vœu d’un lauréat choisi sur dossier. Dans Rêve d’un jour, l’application de ce principe frôle souvent le mauvais goût sans y tomber jamais. Ce conte de fées lyophilisé force l’intérêt, parvient à vaincre nos résistances, et nous oblige à l’indulgence devant le bonheur d’autrui, tout l’art (ou le cynisme) de la production consistant à choisir des bénéficiaires à qui la foule peut s’identifier.
Il y a quelques mois, on offrait un voyage au Portugal à un couple de braves gens. Pendant leur absence, leur appartement était entièrement refait, décoré, équipé. C’est la version consumériste de Surprise sur prise. Pendant la deuxième émission, l’histoire continue. La production ayant appris qu’en vingt-huit ans de vie commune les bénéficiaires de ses largesses (décidément très occupés) n’ont jamais trouvé le temps de se marier, TF 1 organise un mariage sous les stucs de la mairie de Levallois avec la complicité de leurs trois filles et de leurs amis. C’est là que nous atteignons les limites du système TF 1 : non seulement les sommes investies suffiraient à ôter toute authenticité à l’événement (traiteur prestigieux, buffets tape-à-l’œil, personnel pléthorique), mais le mariage, bâclé par une adjointe, ne comportait aucune mention de l’état civil des époux, aucun nom de famille, rien. C’est à se demander si nous n’avons pas été abusés.
Le deuxième sujet du jour ressemblait à une fable sociale. Dans un pays où les rejetons de l’aristocratie portent la casquette en arrière et parlent le verlan jusque chez les jésuites, on voyait une élève de terminale, au physique très ordinaire, découvrant les fastes de Schönbrunn avec un prince autrichien de location, avant de participer, à son bras, au bal des débutantes de la Hofburg.
On a le droit de préférer les fantasmes qui montent à ceux qui descendent, et les impératrices d’un soir aux rappeurs de la rue de la Pompe.

Fin de règne
On persiste à nous parler de la “reine Christine” à propos de Christine Ockrent, mais le règne s’achève dans la crispation. J’allais renoncer à souligner l’anomalie qui consiste à présenter une émission électorale quand on est la femme d’un ministre en exercice. Mais la conjonction de trois événements m’y oblige. Le premier, c’est que Bernard Kouchner a refusé l’accès d’un hôpital parisien à Jean-Pierre Chevènement. Le deuxième, que Chevènement, offensé, a renoncé à l’émission de la reine Christine “pour raison familiale” en s’excusant une semaine à l’avance. Le troisième est l’hypocrisie avec laquelle la reine a dardé son œil de dauphin sur Max Gallo au début de l’émission, en lui demandant si par hasard son patron était “malade”.
Non seulement le journalisme américain, à qui l’on prétend que notre héroïne doit son “professionnalisme”, n’aurait jamais toléré pareille confusion des genres, mais il l’aurait fusillée pour cette mascarade.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3505 paru le 30 Janvier 2004

Au-delà de l'écran

Nouvel an chinois
Vu dans Capital, un reportage sur un Français “ashramisé” près de Madras, un homme de soixante ans converti à l’hindouisme et qui vit comme un sadhu. Jusque-là, rien de très singulier, sauf que cet homme dirige un empire commercial (dont il ne possède rien). Il centralise l’offre des manufactures de vêtements de sa région vers les marques de prêt-à-porter européennes. Ses associés indiens le vénèrent comme un saint homme et il se promène pieds nus en sari jaune dans les décors high-tech de son empire textile, où il rend hommage aux dieux dans un petit temple.
Vus aussi, dans les journaux télévisés, de nombreux reportages sur le nouvel an chinois, avec ses coutumes culinaires et sa référence pittoresque au bouddhisme, son lien avec les ancêtres et la famille, etc.
Dans tous ces sujets, les signes religieux distinctifs sont parfois extrêmement visibles (comme ils le sont lorsqu’une bonne sœur traverse la rue de Vaugirard), et pourtant nul ne songerait à s’en offenser. Pourquoi ? Parce que ni les adeptes de Krishna, ni les adorateurs du Grand Véhicule, ni les confucianistes, ni les chrétiens, ni les juifs ne font de leur religion une machine de guerre.
Peut-on en dire autant de tout le monde ? C’est une question qu’il faudra se poser un jour ou l’autre. Quant à traquer les signes ostentatoires, le bon sens permet déjà de penser que la méthode a ses limites. Le ruban rouge de la lutte contre le Sida ou l’épingle de la Croix-Rouge les jours de quête vont-ils entrer dans le champ d’application de la loi ? Et si les musulmans militants décident de porter un pull vert à l’école, qui le leur interdira ?

PPP
Il suffit de suivre les débats d’idées sur LCI, France 5, etc., pour s’aviser qu’il existe un Parti des penseurs patentés qui a seul le droit de reprendre publiquement à son compte ce que des intellectuels sans attachée de presse ont écrit de plus sensé depuis des années.
Le portrait-robot des oligarques de la causerie télévisée est assez facile à tracer : ils sont passés par le militantisme rocardien à vingt ans, ils ont connu leur période californienne, ils ont largement profité de l’époque Mitterrand, ils se font appeler philosophes avec la complicité des éditeurs scolaires, ils communient dans la détestation de Bush (ce qui est une façon commode de faire excuser leur “retour aux valeurs”) et ils tiennent des propos contraires à ceux qu’ils proféraient il y a dix ans.
Ces raisonnables de la vingt-cinquième heure qui froncent le sourcil sur les plateaux en nous parlant des nouveaux barbares commencent à éprouver notre patience. Sur les familles recomposées, l’image du père, l’école au rabais, le communautarisme, etc., nous sommes nombreux à pouvoir attester qu’ils ont prêché dans le sens du désastre.
Alors d’où vient que les journalistes de télévision se précipitent vers eux dès qu’ils émettent leurs premiers doutes ?
De ce qu’ils ont commis pour la plupart les mêmes erreurs.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3412 paru le 19 Avril 2002

Au-delà de l'écran

Semaine du cuir
Le soir du grand débat approche, celui où notre démocratie se réjouit de ressembler toujours davantage à son modèle américain. Une fois de plus, trois mimiques et deux hochements de tête à la télévision vont suffire à balayer cinq ans de gouvernement et six semaines de sondages. La France s’apprête à passer une heure à l’affût du moindre signe de faiblesse, comme s’il s’agissait moins d’élire le vainqueur que d’accabler le vaincu.
Et dans le rôle du vaincu, qui voit-on d’emblée trébucher devant l’obstacle, blêmir sous l’allusion, bafouiller après l’outrage ?
Devinez.
Certes, on devrait faire crédit aux deux candidats des mêmes chances avant l’oral. Toutefois il est permis d’observer que Lionel Jospin s’arrange toujours pour rater une marche au sommet de l’escalier. Appartient-il à cette catégorie de convives qui s’étalent dans les glaïeuls les jours de cérémonie ? Nous le saurons bientôt. Mais il existe un faisceau d’indices. Par exemple il a échappé, les lunettes sur l’oreille, à la gifle d’une élue au pied de la tribune de l’Assemblée. Il a reçu des cailloux en Israël. Il s’est mis à bafouiller au milieu de la seule phrase qui devait ramener le calme après la grève des routiers. Pendant cinq ans il a multiplié les cuirs dans ses déclarations au point que nos arrière-petits-enfants ne croiront pas qu’un styliste aussi médiocre ait pu atteindre, dans l’Etat, un niveau si élevé.
Un exemple (à propos des cinq cents signatures) : « Il semble quand même cette fois-ci qu’il y ait eu des pesées qui aient été faites de façon systématique pour interdire à certains de pouvoir être candidat. »
On a envie d’écrire le mot sic en majuscules.
Nous avons appris en outre, stupéfaits, qu’il était capable de débiner la forme physique de ses adversaires. Nous l’avons vu commettre les lapsus les plus fâcheux : au temps « où la Corse gouvernait », ce changement que j’appelle « de mes vieux », la « privation des retraites » (au lieu de privatisation), etc.
Il serait étonnant que le grand débat ne finisse enfin par révéler chez lui le désir caché de l’échec, comme s’il n’aspirait qu’à une chose : expier son passé, être confondu comme l’ancien conjuré qu’il fut, être jugé indigne du rôle de Père de la nation auquel il prétend, contre toute logique psychanalytique et donc probablement contre l’avis de sa femme. S’il bafouille une fois de plus, s’emporte, frôle le mauvais goût, ruine sa propre image pendant le dernier tour de piste, il faudra savoir interpréter le message. Il y a toutes les chances pour qu’il signifie “Ne votez pas pour moi”.

La peur du facteur
TF1 a eu la faiblesse d’esprit d’importer le concept d’émission-réalité Fear Factor sans en modifier le titre (clause probablement imposée par le producteur américain), de sorte qu’une forte proportion de Français vont être tentés de le traduire par “la peur du facteur”. Les services de la Poste devraient songer à s’en émouvoir.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3413 paru le 26 Avril 2002

Au-delà de l'écran

L’heure des comptes
Patrick Poivre d’Arvor a rappelé, lors d’une récente édition de son journal, que sa chaîne avait « souvent évoqué la thèse de l’arc électrique » comme déclencheur de la catastrophe de Toulouse (reprenant ainsi explicitement et fort honnêtement les conclusions de Valeurs Actuelles). Il a bien fait de prévoir que l’heure des comptes sonnerait un jour ou l’autre car dans quelques mois les responsabilités seront réparties entre AZF et EDF. Celles des journalistes deviendront embarrassantes. La Fondation nationale des sciences politiques, les principaux historiens de la période, les spécialistes des médias, les universitaires américains qui suivent la vie publique française à la loupe, tout le monde se demandera pourquoi le reste de la presse dans notre pays n’a pas montré le même courage. Il est même possible (allez savoir) qu’on parle de lâcheté.

Les “feuj”, le soleil et ta mère
Décidément, nombreuses sont les évidences qui ont du mal à faire surface. Cependant, comme la période semble propice aux révélations, on peut rappeler que la télévision a présenté il y a six mois un film nommé le ciel, les oiseaux, et ta mère où l’on voyait Djamel tombant amoureux d’une jeune fille et s’apercevant, avec un haut-le-corps, qu’elle portait sous son corsage une étoile de David.
Lors de la sortie du film (et à maints autres indices antérieurs), on aurait pu s’apercevoir qu’il existait chez nous un antisémitisme sans rapport avec Drumont. Depuis une décennie, dans les lycées de la couronne parisienne, le mot feuj (verlan pour juif) est employé avec une dérision haineuse dont personne, jusqu’ici, n’a semblé s’émouvoir. Pendant les années Mitterrand on a longtemps essayé de nous faire croire que les braises de l’entre-deux-guerres rougeoyaient dans l’ombre, mais c’était un mensonge.
Tout indique que l’antisémitisme nouveau ne mérite plus ce nom-là. Il n’est que l’importation récente d’une guerre civile étrangère. L’animosité que l’on observe contre les synagogues peut se retourner demain contre une autre communauté, voire contre une pratique sociale. (A quand les commandos sur les plages contre l’indécence, ou dans les boucheries contre la viande de porc ?)
Il convient donc de corriger les commentateurs sans innocence qui parlent de “résurgence de l’antisémitisme”. “Résurgence” signifie qu’un courant souterrain alimentant cette source proviendrait des couches profondes de l’histoire de France. Chacun sait qu’il n’en est rien.

Livre noir
Interview de Françoise Sagan, prise dans la toile d’araignée du fisc. Des dizaines de “redressés” se suicident chaque année en France pour des montants plus modestes, après une procédure au hachoir. Pour ceux-là aucune émission, aucune pétition. Peut-être qu’un jour un éditeur aura le courage de faire témoigner leur entourage et de publier le livre noir de l’impôt à la française.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3414 paru le 3 Mai 2002

Au-delà de l'écran

Fayotages
La période que nous traversons s’annonçait propice à la carrière (désormais compromise) d’un certain nombre de nouveaux Vychinski du Paf. Dès la semaine qui a précédé le premier tour de la présidentielle, plusieurs journalistes au sourire aigu, dont les apparitions à l’écran restaient jusqu’alors discrètes, se sont distingués par un zèle de procureur excessivement voyant. A l’époque où l’on donnait pour seuls en lice les partis “classiques”, ils se sont acharnés sur les autres, afin de montrer aux futurs vainqueurs qu’ils savaient mordre en public.
Certains chiens de meute font de même : ils ne provoquent les fauves, ils n’osent leur agacer les moustaches, qu’une fois le gibier entravé ou blessé. On les voit rarement aux avant-postes avant l’hallali.
Dans les cas qui nous occupent, ces commentateurs ont non seulement vendu la peau de l’ours un peu tôt mais ils ont prétendu donner le signal de la curée avant que la bête soit morte. Une semaine avant le premier tour, la froide courtoisie de Bruno Mégret face à l’un d’entre eux laissait déjà paraître le caractère fielleux de son inquisiteur dans des proportions gênantes. C’est toute la différence entre l’analyse politique et le fayotage : le courtisan doit d’abord donner des gages à ceux qui l’ont nommé.
Il y a pire : on peut affirmer que lors de l’interrogatoire de Jean-Marie Le Pen mené en vue du second tour, les journalistes qui lui faisaient face, par leurs mimiques de procureur, par la fréquence de leurs interruptions, la mauvaise foi qui émanait de leur attitude militante, ont fini par rendre sympathique, aux yeux d’un grand nombre de Français, le tribun qu’ils voulaient accabler.

Vieux monsieur défavorisé
J’ai eu les larmes aux yeux, comme cinq millions de personnes au bas mot, en voyant la silhouette voûtée de Paul Voise, soixante-douze ans, visitant les ruines calcinées de sa maison d’Orléans. Cet homme au visage tuméfié par de jeunes brutes venues des “quartiers défavorisés” nous a été présenté au journal deux soirs de suite avant le premier tour. Il est donc difficile de ne pas supposer que ce vieux monsieur (assez peu favorisé lui-même, on en conviendra) ait influencé le vote. Il l’a certainement influencé par son malheur bien davantage qu’un éventuel sondage de dernière minute n’eût pu le faire. Faut-il pour autant l’en blâmer ?
Les uns disent qu’il est scandaleux de flatter les peurs de la population en montrant cela avant un scrutin. Les autres font observer qu’il n’est pas légitime non plus de dissimuler ce genre de faits au seul motif qu’ils infléchissent le vote. Les uns et les autres ont peut-être raison. Pour ma part, je penche pour la compassion sans autre calcul.
Est-il tolérable d’exiger de la réalité sociale un effort de neutralité avant l’élection ? Ne serait-il pas indécent d’ignorer un vieillard battu, sous prétexte que “ça fait monter Le Pen” ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3415 paru le 10 Mai 2002

Au-delà de l'écran

Supports mobilisés
« Vous avez de la chance, me disait pendant l’élection un écrivain rive gauche, vous devez être moins submergé de pétitions que moi en ce moment ». A l’instant où j’hésitais à en convenir, il m’a expliqué que la situation était devenue insupportable. Pour quiconque gardait un peu de sens commun le concert des médias, le débordement des mises en garde jusque dans les émissions de variétés, les rassemblements, les protestations symboliques, tout faisait froid dans le dos. Cet unanimisme, cette rage d’arracher à autrui son indignation, cette adhésion forcée au club des gens honnêtes, sentaient le roussi pour la démocratie.
On s’en veut, dans ces conditions, d’émettre la moindre critique à son tour (surtout si l’on ne reçoit pas les pétitions). On n’ose pas ricaner des uns sans craindre d’être classé parmi les autres. Pourtant, il faut dire que certains journalistes ont témoigné, pendant ces quinze jours, d’un manque de mesure, de courage et d’honnêteté qui a rappelé les pires heures de notre histoire. On ne peut pas se réjouir d’entendre répéter « sus à l’ennemi » aussi fort, aussi souvent, aussi absolument. On ne peut pas aimer ces débats qui n’en sont pas. On ne peut pas hurler avec les chasseurs de loups. Demain qui traitera-t-on ainsi ? Quelles campagnes lancera-t-on ? A qui nos grands humanistes, adversaires de la peine capitale, destineront-ils leurs banderoles “A mort” ?
Entre les deux tours, Arte nous a rediffusé une soirée entière sur l’extrême-droite. France Info interrogeait dans la rue les enfants de six ans qui répétaient en zézeyant le nom de leur candidat favori. Tous les “supports” (comme on dit aujourd’hui) ont été “mobilisés” (comme on dit encore). J’invite le lecteur à réfléchir sur ces deux mots. Ils en disent plus long que ce qui précède et me dispenseront de l’illustrer davantage.

La grande muette
Il n’est pas question ici de l’armée mais de l’équipe de France de football qui a rencontré la Russie il y a quelques semaines. Chanter la Marseillaise lui est un exercice visiblement douloureux. Les joueurs s’en dispensent, pour la moitié d’entre eux, sans doute afin de ménager leurs forces avant le match. Le fait que la caméra leur passe sous le nez ne les trouble même pas. Ce fut le cas de Zidane et d’Anelka. Quant à Zidane, qui a donné au pays une leçon de citoyenneté fort applaudie entre les deux tours, cette réserve est incompréhensible. Quelques semaines après, les télévisions nous montraient une centaine de personnalités réunies au Trocadéro pour entonner « Aux armes citoyens ». Zidane allait-il s’y rendre afin de se faire pardonner son mutisme sur le stade ? Ne rêvons pas, tout de même.

Un brin de cynisme
« Avec nous, disait au journal de TF un vendeur de muguet du parti communiste, vous savez où va l’argent ».
Une dame lui a répondu « justement ! », avant de passer son chemin.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3416 paru le 17 Mai 2002

Au-delà de l'écran

Recours cathodiques
Puisque la “France d’en bas” est à l’honneur, l’autre devrait prendre le temps de regarder la télévision. La mode est à l’audit : nos ministres devraient passer trois semaines à enregistrer les programmes où l’on se plaint, où l’on récrimine, où l’on prend la France à témoin. Au lieu de dîner entre eux d’un plat surgelé sur une table encombrée de dossiers, les secrétaires d’Etat et les directeurs techniques des ministères devraient se faire un plateau-télé devant Julien Courbet.
Depuis dix ans, le peuple remplit ses cahiers de doléances à la télévision dans des émissions du genre Combien ça coûte, Sans aucun doute, Ça peut vous arriver, les Sept Péchés capitaux, etc… On y voit des gens écrasés par l’administration, le fisc, les juges, les règles d’urbanisme, la législation du travail, et pour qui la dernière solution est d’appeler la caméra au secours.
Quand on a vécu les vingt dernières années en province, on peut témoigner que partout le réflexe médiatique a pris le pas sur les recours hiérarchiques ou administratifs. En cas d’abus de pouvoir, il est plus efficace de menacer les gens d’un reportage que d’un contentieux. Tous les élus, tous les préfets savent désormais qu’il est plus utile d’avoir des relations à France 3 qu’au Parlement.
Dès qu’un agriculteur rencontre l’opposition de ses voisins pour s’installer, dès qu’un permis de construire est retiré, dès qu’un droit de passage légitime est refusé, il suffit de laisser entendre que la télévision va interroger tout le monde pour que l’on commence à négocier. Si les équipes posent des questions en caméra cachée, c’est la débandade, l’abandon de poste, la capitulation : la puissance publique parvient à régler en quatre jours un contentieux de dix ans, donnant au téléspectateur l’impression qu’il suffit d’intimider un élu ou un chef de bureau pour avoir gain de cause. En quelques minutes de reportage la France est donc convaincue qu’“il n’y a plus que ça qui marche”. Accessoirement, elle prend la mesure des pesanteurs, des lâchetés, des vanités personnelles qui régissent certains secteurs de la vie publique, et qui rendent, à tant d’égards, notre administration et notre justice comparables à celles du tsar en 1910.
L’illustration la plus émouvante de ce phénomène nous a été fournie par l’émission Confessions intimes, qui présentait récemment les déboires d’une mère malade et d’une grand-mère courageuse à qui la Dass cherchait à arracher deux enfants de huit ans après une décision de justice. Les enfants se cachaient en hurlant sous les meubles pour échapper à l’obligation d’aller “en foyer” pendant que l’affaire était jugée en appel. Il paraît que la juge était intraitable. On n’a pas vu cette magistrate, mais on l’imaginait sûre de son droit (genre Martine Aubry sur les 35 heures).
Il ne faut pas l’oublier, c’est avant tout la nature de nos élites qui est à l’origine de la multiplication des recours cathodiques.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3418 paru le 31 Mai 2002

Au-delà de l'écran

Le gui empoisonné
Une rediffusion de la Grande Vadrouille est-elle un sujet de chronique intéressant ? A première vue, non. A moins qu’on ne se demande pourquoi, au fil des années, le comique au cinéma a perdu un peu de son universalité et beaucoup de son indulgence.
Gérard Oury peint le réel aux couleurs de la satire sans jamais utiliser de solvants, sans altérer le vernis, sans “décaper”. Quelques autres ont suivi son exemple, comme Francis Veber. Mais la plupart excitent chez le spectateur le ricanement au lieu de provoquer le rire.
D’abord ils pratiquent une satire sociale trop allusive, trop datée, c’est-à-dire vouée à disparaître avec son modèle. (Quand un roman commence par “A l’époque Marie-Cécile était très Golf GTI”, on sait qu’il s’agit d’un livre jetable et d’un auteur à courte vue. Lorsque, dans un film comme Astérix, on fait allusion à la publicité Itinéris, l’ambition du scénariste n’est pas non plus de franchir les générations. Il entend plutôt “faire le plein” sur une saison.)
Ensuite la férocité est devenue le genre obligatoire. Revoir la Grande Vadrouille permet de mesurer la distance entre l’humour de Gérard Oury et celui des films comiques qui remplissent les salles aujourd’hui. Le propre des Oury et autres Veber est de préserver l’intégrité de la société à laquelle ils s’attaquent. L’humour est une sorte de parasite. Il s’accroche, comme le gui, à la stature majestueuse d’un peuplier ou d’un chêne pour lui donner un air ridicule. Mais il n’a aucun intérêt à tuer l’arbre.
Or depuis vingt ans le gui est empoisonné. Le Père Noël est une ordure, film d’une drôlerie incontestable, est en même temps si corrosif que l’écorce est attaquée. En ce moment un humoriste canadien triomphe avec un spectacle où, pour se moquer du langage politiquement correct, il prétend qu’« on ne dit plus un pédophile, mais Monsieur le curé ».
Là, nous sommes dans l’humour Canal Plus, lequel va finir par trouver ses limites parce qu’au-delà il n’y a plus grand-chose, à part la guerre civile.
Entre les bonnes sœurs de Gérard Oury et ce qui précède, on mesure qu’un gouffre s’est ouvert. On imagine ce qu’un cinéaste de la génération Pédale douce eût fait de la scène du bain où Bourvil et Louis de Funès cherchent un officier traitant, en sifflotant autour d’un moustachu. Pour se livrer à ce genre d’équilibrisme, il faut non seulement que les militaires trouvent ça drôle, mais les homosexuels aussi.
Avec les nouveaux comiques, ce serait plutôt les uns ou les autres. Il y aurait, de toutes façons, un côté offensé. Certains trouveraient le moyen d’accabler les deux. De dénoncer “l’odieux et l’inadmissible”, d’inviter à une “prise de conscience”, d’évoquer les “non-dits”.
Finalement la Grande Vadrouille inspire notre nostalgie parce qu’elle dessine le portrait d’un pays lointain où l’on s’entendait sur l’essentiel et qui nous manque beaucoup.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3419 paru le 7 Juin 2002

Au-delà de l'écran

Chroniques larzaciennes
Sous le titre « le Paysan et la Comtesse », la télévision (TF1, Sept à huit) vient de nous infliger l’une de ces enquêtes hâtives par lesquelles elle choisit d’abonder dans le sens de l’opinion aux dépens de la vérité.
L’affaire se passe à Saint-Maurice-de-Navacelles (et non Sainte-Marie, comme le disait le commentaire), un petit village de l’Hérault. Le journaliste la résume ainsi : « C’est le droit au travail contre le droit de propriété » et il affirme : « Une nouvelle guerre du Larzac a commencé. »
Un pauvre petit paysan sans terre, soutenu par José Bové, s’installe chez une comtesse qui possède 26 % de la commune. Avec cette goguenardise qui caractérise la jeune garde journalistique quand elle évoque les malheurs de “la Haute”, l’auteur du reportage nous apprend que « le domaine de la comtesse, horreur ! s’est transformé en squat ».
Là-dessus, interview de Mme de Montcalm à Paris. Le reporter qui se croit malin lui demande s’il doit l’appeler Madame la Comtesse, ce qui prouve que le niveau a beaucoup baissé à TF1 depuis Yves Mourousi. Elle lui récite une partie de ses titres. Le jeune homme, qui cette fois se croit non seulement malin mais drôle, lui répond « c’é-un nom à rallonge, ça ! ».
Si rien n’oblige un reporter à posséder des usages, tout lui conseille de faire son métier honnêtement. Or il aura fallu cinq minutes de ces pitreries pour apprendre qu’en vérité Mme de Montcalm louait ses terres à un éleveur local, lequel venait d’être privé de ses droits par le coup de force de José Bové. La thèse “paysan contre comtesse” était donc un mensonge par omission.
Mais surtout, si le journaliste avait fait preuve d’une conscience professionnelle à peine supérieure au zéro absolu, il aurait enquêté sur le fait que, pendant cinq ans, le jeune squatter avait essayé, en vain, de louer des pâturages sur le plateau.
Le journaliste se serait rendu au Clapier et à Cornus (moins de dix kilomètres à vol d’oiseau) où un autre jeune paysan, M. Van Villingen, qui a acheté son domaine à la Safer locale et qui est soutenu, lui aussi, par José Bové, se bat contre ses voisins paysans (eh oui !) pour leur faire admettre son installation.
La véritable explication de l’affaire de la comtesse, la voici : dans un pays rural où tout est verrouillé par un droit coutumier qui rappelle les déboires d’Ugolin dans Jean de Florette, la solution la plus aisée, pour un jeune éleveur, est de s’installer illégalement sur les terres d’une aristocrate. (Au besoin on la ridiculisera dans les médias pour faire passer le coup de force).
Parce que, pour s’installer légalement après avoir acheté sa terre, au pays des éleveurs de droit divin et des Papet tout-puissants du Larzac, c’est une autre affaire. La preuve, même José Bové est en train d’échouer contre la paysannerie du coin, laquelle n’a aucune amitié pour les jeunes qui s’installent. Ce sujet méritait un autre reportage que nous attendons.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3420 paru le 14 Juin 2002

Au-delà de l'écran

La cantine de l’audiovisuel
Un compliment n’est jamais tout à fait utile s’il ne permet pas de faire honte à ceux qui ne l’ont pas mérité.
A regarder l’excellent Une famille formidable, feuilleton fleuve souvent drôle, parfois profond, jamais convenu, on a l’impression qu’il n’est pas sorcier d’intéresser tout le monde sans rebuter personne, de trouver un dialoguiste qui connaisse son métier, de réunir des acteurs qui possèdent une âme, et d’amuser les gens sans leur taper sur le ventre.
C’est pourtant si difficile qu’en vingt ans de socialisme, à quelques exceptions près comme les Quatre-Vingt-Unards qui racontaient la vie d’une chorale de quartier, les chroniques sociales sur petit écran auront été noyées, engluées, caramélisées dans le prêchi-prêcha, les fictions policières et les drames écrits sur mesure pour illustrer les turpitudes bourgeoises.
Les scénaristes qui ont leur rond de serviette à la cantine de l’audiovisuel ont appris à compter davantage sur leur carnet d’adresses que sur leur inspiration. On se demande comment tant de dialogues poussifs, tant de plaisanteries lourdes, tant de situations jobardes peuvent se retrouver dans un film alors qu’aucun éditeur ne les publierait. L’explication tient à la conjonction de deux phénomènes : le feuilleton télé, de nos jours, est calibré idéologiquement comme les poires passe-crassane, qui doivent entrer tête-bêche dans une barquette de polystyrène. La qualité est moins importante que la norme, mais surtout les sommes en jeu sont considérables. Elles sont supérieures à celles auxquelles pourraient prétendre la plupart des écrivains. Si supérieures qu’on peut se demander s’il ne s’agit pas de prébendes déguisées. Le fait que les “œuvres” issues de ce creuset soient conformes à l’esprit du temps, à la couleur politique du pouvoir (Navarro, Le juge est une femme, l’Instit, etc.) s’explique ainsi plus aisément. Quant aux manifestations de soutien à Lionel Jospin qui se sont multipliées dans le milieu des Sept d’or avant les élections, nombre d’entre elles ont eu pour origine une banale reconnaissance du ventre.
Si l’une des conséquences du prochain changement de majorité pouvait être de nous épargner la douzième saison de l’Instit, ce serait déjà quelque chose. Mais si l’attribution des budgets de création à la télévision pouvait faire l’objet d’une procédure contradictoire fondée sur des critères artistiques, au sein d’une commission multipartite, ce serait encore mieux.

Les inédits de Zidane
Les sorties de DVD du genre Les Bleus se racontent, les Inédits de Zidane, Marcel Desailly par lui-même, inspirent en ce moment quelque pitié au point que le journal télévisé de France 2, après le premier match, a osé poser la question suivante : « Est-ce que l’échec ne s’explique pas par une confiance exagérée, par un unanimisme médiatique qui semblait considérer la victoire comme une formalité ? »
Ayant pris le journal en route, j’ai cru un instant que le présentateur nous parlait des socialistes et des élections.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3381 paru le 13 Septembre 2001

Au-delà de l'écran

Aboiements
Le hasard a voulu que la diffusion d’un long métrage du délicieux Jamel précédât d’une soirée celle du Droit de savoir consacré à la délinquance des banlieues débarquant sur la côte. Le thème était identique : une bande “met le souk” sur la plage. Dans un cas à Biarritz, dans l’autre à La Grande-Motte.
On ne peut pas dire que le film ait été de nature à attendrir le regard du spectateur. Il expliquait pourtant très bien pourquoi la jeunesse qui grandit d’Abribus en services sociaux se heurte aux barreaux de sa cage, détériore le matériel, mord ses gardiens, et cherche à se dégrader par tous les moyens : ce n’est pas qu’elle soit maltraitée puisque tout le monde se penche sur elle, les médias, les maisons de disques, les “grands frères”, les agents d’ambiance, les juges d’instruction et désormais les marchands d’armes kosovars. Non, son vrai drame, la source de tous ses ennuis, c’est qu’elle dispose d’un vocabulaire de trente mots. Dans le film le glossaire monte à quarante, avec des récurrences sur lesquelles il n’est pas permis d’insister ici. Le mot est perçu comme un signal, un aboiement, un grognement au sein de la meute. Il ne désigne plus rien, il sert à flairer le derrière de ses ennemis. Seul compte le ton sur lequel on éructe. Et le ton est effarant, comme dans ce passage de la Haine, où l’un des protagonistes répète devant sa glace : « Non mais t’as vu comment tu me parles ? » Quand on a vu “comment ils se parlent”, on n’a pas envie de leur dire quoi que ce soit. Mais surtout on se demande comment, après l’incident de Béziers, la puissance publique pourra se garder d’aboyer à son tour.

Paix civile
Le plus irritant, quand on connaît quelques-uns de ces Français de base à qui personne ne demande jamais leur avis, est d’imaginer ce qu’ils peuvent penser d’un film pareil à 20 h 50 sur la principale chaîne nationale. Il aurait fallu procéder à des tests dans les locaux de France 2, convoquer une salle correspondant à la pyramide des âges, et compter le nombre de ceux qui, dans le meilleur cas, ne comprenaient strictement rien à ce qui se disait à l’écran, et dans le pire, le réprouvaient avec violence. C’était du langage ghetto, pour un film ghetto, propre à propager ce qu’il dénonce : l’exclusion absolue, résolue, d’une jeunesse qui ne reconnaît ni la langue, ni la morale communes de ceux qui ne pratiquent pas ses usages, et qui représentent, quoi qu’on veuille, les trois quarts du pays. Quand on pense que c’est le service public qui par faiblesse d’esprit se rend complice de cette opération de division civile, on est confondu de voir commettre une telle imprudence. Et on aimerait voir confondre ses auteurs.

Post-scriptum
Sera-t-on surpris de reconnaître dans ce film l’un des visages d’une série publicitaire pour un yaourt qui vous invite à « parfumer la tuyauterie » ? Pour ma part, j’ai changé de marque.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3506 paru le 6 Février 2004

Au-delà de l'écran

Cathodic Park
Lorsqu’on consent à s’attarder devant la télévision en compagnie des plus de soixante-cinq ans (qui représentent un pourcentage écrasant de l’audience), on s’avise qu’il existe un Jurassic Park cathodique, où des espèces de téléspectateurs et d’animateurs qu’on croyait éteintes survivent comme dans les romans de Jules Verne. De temps à autre, l’existence de ce monde parallèle nous est révélée par le succès d’une émission du genre le Plus Grand Cabaret du monde. Elle vient de distancer un prétendu divertissement (les NRJ Music Awards) présenté comme “à ne pas manquer”, mais que nous avons manqué massivement sans aucun scrupule.
Pour mesurer l’épaisseur de ce qu’on nous cache, il n’est que de regarder la télévision aux heures où la population active est au travail : il existe encore des gens bien élevés, cultivés, talentueux. Ils défilent tout l’après-midi sur France 2, ils ont leurs habitudes après la messe chez Pascal Sevran, ils font le succès de Shirley et Dino, ils aiment Ushuaïa nature et ils ont réussi à perpétuer quelques usages comme la politesse et la réserve. C’est à cause d’eux qu’il flotte parfois un silence gêné dans les émissions d’Arthur. Par exemple quand Jamel s’écrie devant un chanteur américain : « Qu’est-ce que j’ai pu niquer grâce à vot’musique ! » Ou bien encore quand l’actrice Michèle Laroque, éperdue de lâche approbation devant un sketch du même Jamel, relatant une “tournante” sur Adriana Karambeu, s’écrie : « Il est génial, quand même, non ? »
Non.

Montée des périls
Le téléfilm canadien présenté par TF 1 sur l’accession au pouvoir d’Hitler mettait l’accent sur le destin personnel du Führer puis sur la fascination qu’il a exercée sur les foules, mais beaucoup moins sur les phénomènes de mimétisme et de mutuelle intimidation dont ses partisans auront été tantôt victimes et tantôt coupables. Une seule phrase les résume : “Nous n’avons pas su réagir avant qu’il soit trop tard.”
L’actualité du débat était illustrée le jour même par le journal télévisé, lors d’un reportage sur la pression endurée par les jeunes femmes non voilées dans “certaines cités”.
Décidément, l’esprit de Munich devant les chefs de bande ne vaut rien à la paix. Ni à Dantzig, ni à Saint-Denis.

Registre naturel
Arthur, dont la lourdeur amphigourique aux Enfants de la télé et sur le plateau de Nice People a souvent battu des records, revient avec un jeu quotidien. Il s’y rapproche de son registre naturel, qui semble plus acceptable : humour désinvolte, insolence sans méchanceté, aisance réelle (probablement due à l’étroitesse de son plateau). L’atmosphère très peu solennelle de ce divertissement lui va bien. Le jeu n’a rien de culturel, mais justement, lui non plus. Quand il pose une question niaise à un acteur ou quand il s’écrie « C’est que du bonheur ! », il nous fait un peu de peine. Mais quand il plaisante avec ses candidats, il parvient à nous convaincre qu’il s’amuse, donc à nous amuser aussi.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3421 paru le 21 Juin 2002

Au-delà de l'écran

Menottés au radiateur
Un billettiste de télévision exerçant son apostolat quotidien à la radio écrivait récemment une “lettre ouverte à une action de TF1” où il se réjouissait de l’échec de l’équipe de France parce qu’il allait faire plonger le titre de la chaîne, et que “les petits porteurs portent à droite”.
Après avoir accablé tous ceux qui défendaient “le patronat et les licenciements”, il a blâmé, pêle-mêle, les jeux où l’on gagne une auto, les émissions-déballage (Combien ça coûte ?), a accusé la chaîne de coprophagie (en termes moins choisis). En somme il nous a donné un avant-goût de l’honnêteté avec laquelle les journalistes qui sont en train de se menotter aux radiateurs du service public vont accomplir leur tâche au cours des cinq prochaines années (à moins que la direction de Radio France ne change les radiateurs, mais il faudrait pour cela qu’elle change elle-même).
Encore peut-on concéder au chroniqueur dont je parle un certain humour. Quand l’humour vient à manquer, quand la tartuferie partisane, l’amphigouri à la Bourdieu et le népotisme s’en mêlent, cela donne le reportage réalisé par Jean-Jacques Beneix sur la télé-réalité (Arte). Ce cinéaste au talent surestimé a promené sa caméra sur les visages d’Edwy Plenel, Philippe Sollers, Gérard Miller, Julien Dray, le Professeur Choron, etc, ce qui prouve que chez les subventionnés le défaut d’imagination commence au stade du carnet d’adresses. Ensuite, pour nous parler de la télé-poubelle, qu’a fait notre génie du cinéma ? Il nous a montré des images de bennes à ordures, avec un écran mauve en surimpression pour nous faire comprendre que c’était du second degré. Le visage des interviewés lui-même était couvert de carrés transparents de couleurs différentes, un peu dans le genre Mondrian. Or on n’avait pas besoin du procédé pour naviguer dans le second degré. La quatrième dimension du raisonnement, l’analyse pharisienne sur le ton “le Loft nous interpelle”, on était en plein dedans.

Crime et discernement
Les mêmes tartuffes ne sont jamais “interpellés”, en revanche, par l’indulgence des chaînes envers le cinéma violent. Après le meurtre au couteau d’une jeune fille par un adolescent de Nantes qui se réclamait du film Scream (deuxième attentat du genre, un adolescent ayant poignardé ses parents l’an passé sous la même influence), qu’on me permette de citer ce que j’écrivais dans le numéro de Valeurs Actuelles du 2 mai 1998 : « Le commentaire de Canal Plus, parfaitement servile, nous renvoie aux sites Internet qui font de Scream une saga culte : on y apprend que dans Scream 2 le nommé Phil Stevens reçoit un coup de couteau dans la figure, que Casey Becker est éventrée, Maureen Evans hachée menu, Derek crucifié, Hallie égorgé, Rendy dépecé, Cicci défenestrée, etc.
L’émission est diffusée en clair à une heure où le public jeune est visé. Bravo à toute l’équipe, et compliments à Canal Plus pour son discernement. »
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3422 paru le 28 Juin 2002

Au-delà de l'écran

Une visite à la passerelle
Le best of est un genre saisonnier assez pénible dont je n’aurais pas eu l’idée de parler si je n’avais été, à mon tour, “coupé-collé” dans l’un de ces fourre-tout de l’été.
Il y a quelques mois j’ai accepté de participer à une émission que je ne citerai pas, non pour la ménager mais pour préserver mes chances d’être invité ailleurs. Ce best of, cette télé en conserve, où tout s’enchaîne sans temps morts, sans hésitations, est l’écrémage de l’écrémage, la remise en boîte d’un produit déjà calibré. Dès l’enregistrement initial, les mécanismes de sélection et de censure fonctionnent dans des proportions que le public ignore.
Voici donc le témoignage d’un humble visiteur de la passerelle sur le fonctionnement du navire.
Une demoiselle appartenant au secrétariat d’une émission vous poursuit d’abord au téléphone afin d’obtenir votre participation. « Il faudrait qu’on se voie pour que je vous explique comment fonctionne le plateau », vous dit-elle. Profitant d’un séjour à Paris, vous passez, à sa demande, dans les bureaux du producteur pour bavarder une heure avec elle. L’enregistrement a lieu cinq jours plus tard. Retour en province. Trois jours avant l’enregistrement, coup de téléphone de la demoiselle : vous venez d’être récusé par sa patronne comme un vulgaire juré d’assises. Votre présence sur le plateau n’est “plus nécessaire”. (A en croire certains témoignages, cette émission enregistre jusqu’à cinq heures pour n’en garder que deux.)
Autre chaîne, autre sujet. Cette fois pas d’annulation mais le débat, vaguement agité, inspire à la production un tripatouillage au montage. Oh ! ce n’est presque rien. Une phrase par ici, une autre par là. Et pourtant, ce petit rien fait toute la différence entre le direct et le surgelé-pasteurisé…
Il rétablit un tiède équilibre entre les invités, les arguments, les thèses en présence. Ainsi, sur le plateau de mon best of, l’un des participants assommait les présents de mots tirés de l’œuvre de Freud. Je lui a fait courtoisement observer que cet étalage ne servait à rien car nous avions eu les mêmes lectures. La phrase a été coupée avant diffusion. Un peu plus tard, une des personnalités présentes (une comédienne) se tournait vers l’un des invités pour s’écrier, admirative : « C’est génial, ce que vous venez de dire ! », apportant à un propos réactionnaire un crédit que la production a jugé exagéré. Toujours est-il que la phrase a disparu dans l’épuisette du monteur.

Disparition progressive de l’opinion
Tout cela est le symptôme de la disparition progressive du direct, de la spontanéité, en somme de l’opinion. Pour restaurer la vérité du discours à la télévision, des recettes existent, des solutions appliquées par de nombreuses chaînes américaines ou italiennes, faute desquelles la France d’en bas risque un jour de ne plus se reconnaître dans le poste. Comme la moitié du sentiment démocratique passe aujourd’hui par là, il faudrait d’urgence rétablir la ressemblance.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3433 paru le 13 Septembre 2002

Au-delà de l'écran

Bacheliers à l’arraché
La production de Qui veut gagner des millions ? a eu grandement raison d’organiser, au creux de l’été, un “Spécial nouveaux bacheliers” : il nous aura permis d’envoyer un coup de chalut dans les abysses. L’année prochaine on peut suggérer que l’oral du bac ait lieu dans le même décor, sur l’air des Pêcheurs de perles de Bizet.
Le ministère a-t-il entendu résonner la corne de brume quand, à la question « Rousseau a-t-il écrit le Contrat moral, féodal, social ou national ? », la bachelière candidate a répondu (sur le ton d’une toiletteuse pour chiens dans un sketch de Sylvie Joly) : « Ah ben alors ça tombe mal, j’y connais rien en littérature, mais j’dirais : moral ? »
Le ministère va-t-il se décider à envoyer des abeilles sur zone, comme on dit dans le sabir du sauvetage en mer, après avoir entendu que, selon un autre bachelier (section sciences économiques), d’ailleurs aidé par dix personnes au téléphone (dont le porte-parole était “absolument sûr” de sa réponse), Odessa se trouvait en Pologne ? Pour peu que l’un de ses conseillers ait vu, pendant l’émission, une bachelière (mention bien) hésiter devant la question « Le Niagara est-il une rivière ou un désert ? », et répondre : « Un désert ! »
Luc Ferry a-t-il entendu le tocsin ? Va-t-il sonner les cloches, à son tour, aux syndicats de professeurs, lorsqu’on lui dira que la candidate suivante a situé l’assassinat de Rémus par Romulus sur les bords du Tage ?
Quant à Sophie Thalmann dans un numéro suivant du même jeu, à la question : « Du rosier, de la tulipe, du dahlia, de la pomme de terre, quelle plante n’a pas de bulbe ? », elle a répondu qu’elle ne savait pas, illustrant pourtant par là, fort ingénument, qu’il y a de très belles plantes qui n’en ont pas.

Injurieux parrainage
L’ai-je rêvé, ou parmi les sponsors publicitaires de l’émission l’Ile de la tentation (servilement démarquée de son modèle américain) figurait “le Thon au naturel” ?

Un voile de cirage
Encore un rêve sans doute : Michel Drucker interrogé par Guillaume Durand sur la notion de service public (Europe 1). Après avoir appliqué, comme toujours, un léger voile de cirage sur les Weston de son hôte (« votre excellente émission », etc.), Drucker énonce abruptement : « France 2 a fait deux cent mille personnes avec le Roméo et Juliette du théâtre antique d’Orange cet été. Moi j’échappe à l’élitisme, en invitant Françoise Giroud et Bernard-Henri Lévy. »

Moulin à clichés
De l’avis unanime, l’Eté rouge fut la surprise la plus heureuse de ces vacances. Et le feuilleton Garonne la plus décevante. D’un côté une mécanique adroite qui exploite avec habileté les ressorts de la vengeance. De l’autre un moulin à clichés dont le scénario semble sorti d’une réunion de conseil général. Le service public télévisuel, c’est ça aussi.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3434 paru le 20 Septembre 2002

Au-delà de l'écran

Savonarole et Catilina
Argument de vente de Bernard Tapie, pour son émission A tort ou à raison : « Que vous soyez pour ou contre, je vous aiderai à y voir clair. »
Durant les dix dernières années, comme chacun sait, nous avons toujours pu compter sur Bernard Tapie pour y voir clair.
Il nous aura éclairés sur tout : l’origine de sa fortune, les dessous de ses élections, les pratiques de la banlieue, les mystères de la coupe d’Europe, la mansuétude du président Mitterrand à son égard. Il aura jeté une lumière inédite sur les mécanismes de l’intimidation en politique. Un documentaire de M 6 nous l’a montré, récemment, en train de s’écrier : « Qui peut croire ? Mais qui peut croire que j’aie acheté le match OM-Valenciennes ? » Pendant le même reportage, le procureur de Montgolfier nous confiait l’avoir entendu dire au téléphone : « Monsieur le juge, je ne voudrais pas qu’il vous arrive quelque chose… » Dans une autre séquence, on voit notre Catilina se tourner vers la caméra et demander : « Est-ce que c’est ça, la justice de ce pays ? »
Quand on le voit statuer à la télévision sur nos problèmes de société, on est fondé, tout de même, à retourner la question : est-ce que c’est ça qu’on appelle, chez nous, une autorité morale ? Est-ce que nous méritons vraiment d’être invités à la réflexion par un homme qui s’est fait une spécialité de culbuter la vérité en public ?
La question n’est pas sans rapport avec le sujet de sa première émission puisqu’on s’interrogeait sur la prostitution. Introduction : « M. Rigourd, patron de la brigade antiproxénétisme, a accepté de venir. » A peine cinq minutes se sont écoulées, et déjà un premier mensonge. En effet, ce fonctionnaire, qui avait d’abord refusé de se commettre sur le plateau, y a été obligé par sa hiérarchie (si l’on en croit France Info).
Ensuite, Tapie nous prône l’interdiction pure et simple de la prostitution. Si, vous avez bien lu.
Savonarole commence à percer sous Catilina. En tout cas, il s’est arrangé pour que ses invités, en s’interrogeant sur la multiplication des prostituées bulgares, ne remettent jamais en question les conditions de leur immigration. Le policier présent nous a rappelé que la plupart ont des passeports en règle. On s’est gardé de dénoncer la suppression des visas, de nous parler de Schengen, etc.
Interrogé par la presse avant la première, Tapie-Savonarole a déclaré que sa série de débats serait « rock and roll ». Eh bien, c’était plutôt le genre “Chéri, j’ai endormi le public”. Bernard Kouchner n’a pas dit un mot sur la mafia des proxénètes kosovars. L’émission a interrogé l’inévitable Ulla, une ex-prostituée en colère qui avait l’air de brandir sa carte Vermeil toutes les cinq minutes. Quant à Philippe Sollers, qui semblait avoir égaré la sienne, il a marmonné des choses obscures jusqu’au moment où quelqu’un lui a probablement demandé d’éteindre le studio en partant.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3435 paru le 27 Septembre 2002

Au-delà de l'écran

En direct du front
Le magazine Reportages nous entraînait il y a peu sur les lignes de banlieue desservant le nord de Paris, à la suite de la brigade antidélinquance des chemins de fer. Atmosphère : néons blêmes, moleskine marron gribouillée au feutre violet, vitres couvertes de tags, squatters, voyageurs épuisés prenant le dernier train… Le fonctionnaire interrogé par la production décrivait calmement les manœuvres de l’adversaire sur le terrain : dans une série de gares de la ligne B, les “jeunes” saisissent leurs portables pour se rassembler toujours plus nombreux afin d’intimider directement la brigade. « Leur but, disait le policier, c’est de nous obliger à partir, tout simplement. » Et le pire, c’est qu’il avouait y être contraint dans de nombreux cas. Il confiait n’avoir plus, depuis douze ans, aucune illusion sur l’utilité de sa vocation, et se demandait où était passé le courage des politiques (il est bon de préciser que le tournage datait de quelques mois avant les élections).
Mais le pire du pire se trouvait dans le volet suivant du même reportage : autre opération, réalisée cette fois à l’heure du premier train. Et là (il fallait l’enregistrer pour le croire, et le repasser en boucle), que nous disait ce policier ordinaire ? « Il faut être vigilant, à cette heure-là, ils descendent en bandes et ils agressent tous les voyageurs de type européen. »
La première partie sentait déjà la guerre civile mais cette fois, c’était “bienvenue au Zimbabwe”. Les policiers de la brigade SNCF semblaient détachés par on ne sait quelle force d’interposition sur le front de la banlieue Nord pour venir en aide aux petits Blancs transformés en gibier. On ignore pourquoi ce sujet, tourné il y a plusieurs mois, a fait si peu de bruit. Que ce soit vrai ou faux, dans les deux cas il faut sonner l’alarme.

Babylone future
La scène représente un enfant aidant son père à décharger la voiture familiale. Tout en portant les paquets le quadragénaire explique à son fils combien l’abonnement Canal Satellite est riche de possibilités. L’enfant laisse rouler quelque chose sur le trottoir et s’écrie : « Sorry Daddy ! »
Pour ce trait de niaise soumission à l’esprit du temps le gamin mériterait d’être réprimandé, mais au contraire, son père le félicite et lui dit : « Tu vois ? Tu parles déjà anglais. »
Et sur quoi, je vous prie, anticipe ce déjà ?
Ce père de famille évoque l’avènement d’une Babylone future où des adolescents portant la casquette en arrière iraient déposer des citrouilles dans les cimetières à la Toussaint, et où Petit Papa Noël serait, à jamais, remplacé par les clochettes de Jingle Bells. On y communierait, dès l’âge de dix ans, dans la pratique de l’anglais bas de gamme, en disant yes ! okay, super, wow, cool, just-too-cool, à tout bout de champ. Bref tout se passerait, dans cette cité idéale, comme sur Canal Plus à la belle époque, celle où Jean-Marie Messier menait grand train aux frais du capitalisme français.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3436 paru le 4 Octobre 2002

Au-delà de l'écran

Filigrane
L’une de ces émissions d’information thématiques du dimanche après-midi présentait, il y a peu, un reportage affligeant sur le divorce après soixante-cinq ans. On y voyait une vieille dame nommée Bernadette qui allait en boîte de nuit. On se penchait sur le sort de divers personnages du même genre. Mais surtout, on entendait témoigner une grand-mère qui venait de quitter son mari septuagénaire lequel répétait, la gorge nouée et l’œil humide, qu’il aimait toujours sa femme et qu’il n’avait encore rien compris.
« Il y a tout de même des souvenirs entre vous, des moments heureux ? », demandait le journaliste, insistant, à la vieille dame évasive. « Oui, répondait-elle, mais des souvenirs gommés, des souvenirs dans la brume, enfin pas grand-chose. » Les enfants du couple, navrés, hochaient la tête. On revoyait le regard d’épagneul du mari, un ingénieur, souvent absent certes, mais pas plus que les autres, et qui disait : « C’est comme ça. »
Alors au bout d’un quart d’heure, un doute surgissait. On voyait apparaître en filigrane le dessin d’une vérité importune. Cette vieille dame répétait tout le temps « quelque part » comme une intellectuelle rive gauche. Elle hochait la tête d’un air déterminé. A bien la regarder, sa détermination avait un côté masculin qui attirait l’attention sur le reste : la coiffure grise, dégagée sur les oreilles et dégradée sur la nuque. L’absence de maquillage et de bijoux. Le profil d’oiseau de proie. Les gestes brefs, la voix grave, la veste grise, le gilet sans manches. On n’en apprenait pas davantage mais soudain on se disait que sa vocation tardive pour le célibat avait dû être induite par une rencontre ou une lecture. Une biographie de Nathalie Barney par exemple.

L’ai-je bien entendu ?
Chez Julien Courbet lors d’une émission sur les cambriolages, un malfaiteur de dos : « Oui j’ai tiré, lors d’un braquage, c’était un pompiste, je ne sais pas s’il est mort ou vivant, je préfère ne pas y penser… c’est sûr, c’est de l’argent facile, je fais aussi des distributeurs, ça me rapporte 70 000 par mois environ, mais je vois mal mon avenir, c’est un métier à risques. »
Autre morceau d’anthologie, sur le viol en banlieue : « Delphine a décidé de porter plainte contre ses agresseurs. Ses parents, martyrisés par les amis des violeurs, ont dû changer de quartier mais l’entourage des jeunes gens ayant retrouvé leur trace, ils vont devoir déménager de nouveau. »
Et si on se décidait, en cas de représailles de ce genre, à menacer l’entourage des violeurs de peines spectaculaires, écrasantes, afin de montrer que l’intimidation de proximité est résolument hors la loi en France ?
Faute de montrer ce courage, nous nous exposons à voir l’avènement d’une société où tout repose sur le principe de l’omerta et du règlement de comptes. Après deux cents ans de droits de l’homme, il y a peut-être un meilleur sort que d’être attendu le matin par une “bande de jeunes” au pied de son escalier.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3437 paru le 11 Octobre 2002

Au-delà de l'écran

Faut-il consulter ?
Le bouquet TPS vient d’accueillir Fox News (chaîne 206), le pendant populiste de CNN. Les anglophones de chez nous devraient regarder vivre ce monde-là, afin qu’il ne devienne jamais le nôtre. Voici pourquoi.
Nouvelles du matin. On nous annonce la diffusion d’une séquence tournée sur le parking d’un supermarché. Une mère de famille approche de sa voiture une clé à la main. L’autre bras est chargé d’un sac en papier rempli de produits alimentaires. Autour d’elle, sa fillette de quatre ans bondit et lui échappe au lieu d’entrer dans la voiture. La mère pose les paquets en hâte sur le siège, rattrape la fillette au moment où elle s’apprête à courir dans l’allée du parking. L’enfant est agrippée sans ménagement, giflée, poussée dans la voiture où elle se livre à ce qu’on appelle chez nous un caprice, ce qui lui vaut une nouvelle volée parmi les yaourts. La mère claque la porte et s’installe au volant. Durée de la scène : dix secondes.
Durée de la garde à vue : dix heures. La mère est privée de ses trois enfants, aussitôt placés en foyer d’accueil malgré l’existence d’une famille et d’une belle-famille légitimes. Elle est libérée sous caution pour être livrée en pâture aux caméras le jour suivant, entretien qui fait l’objet de bandes-annonces pendant plusieurs heures sur le ton : ne manquez pas, ce soir, les explications de la mère indigne, en exclusivité. Le soir venu, la malheureuse en pleurs explique : « Je n’ai rien d’un monstre, ce jour-là Martha sautait partout, elle ouvrait toutes les boîtes de Barbie, j’ai perdu patience, je n’aurais pas dû, d’ailleurs je me suis excusée dès la sortie du parking. »
Le lendemain, même cirque (reportages en direct, interviews fébriles) sur le cas d’un passager aérien jeté en prison pour avoir transporté dans sa trousse de toilette une paire de ciseaux plantée dans un savon. Le malfaiteur a eu beau expliquer qu’ainsi ses ciseaux ne risquaient pas de percer le tissu, le montant de sa caution a été fixé à 100 000 dollars et le juge n’a rien voulu savoir. Idem pour le steward français de Virgin qui a signalé une menace d’attentat gribouillée sur la glace des toilettes lors d’un vol Londres-Miami : Sept à huit nous le montrait en train de bachoter son procès. Son avocat lui conseillait explicitement de plaider non sur les faits, mais sur son amour de l’Amérique.
En refermant le livre de Jean-François Revel sur “l’obsession antiaméricaine” on avait presque envie d’aller se faire soigner, mais après cette série d’indices j’ai décidé, pour ma part, de ne pas consulter immédiatement.

Ancien Régime
On ignore si le policier Sœur Thérèse.com (avec Dominique Lavanant et Martin Lamotte) est destiné à devenir une série, mais c’est écrit et joué par des pros qui s’amusent, et non par des amateurs qui pérorent. En d’autres termes, les productions tournées sous Lionel Jospin (Le juge est une femme, Cordier juge et flics, etc.) commencent à faire Ancien Régime.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3438 paru le 18 Octobre 2002

Au-delà de l'écran

Tapie à la “Starac”
Quelle pitié que de voir Bernard Tapie parasiter l’audience de Star Academy ! On finirait par croire que la sienne s’épuise et on aurait raison. L’expression “glisser dans les profondeurs du classement”, qui s’applique au football, risque de s’étendre à son Audimat s’il continue à apostropher les invités d’A tort ou à raison sur le ton : “Ecoutez, je vais vous dire, hein, moi, ce que j’en pense.” Visiblement, il ne se doute pas que tout le monde se fiche de l’apprendre. En tout cas, les pensionnaires du prytanée de la chansonnette (que son présentateur appelle désormais la Starac) n’en revenaient pas de le voir débarquer, dans leur salle à manger, pour une leçon express sur le thème : “Il importe de savoir communiquer avec ceux qui vont vivre l’échec.”
Excellent sujet en effet. Le propos était tellement téléphoné et la séquence si brève que la direction de TF1 a dû inspirer cette visite éclair de Tapie afin de sauver les meubles (nous savons qu’il s’y entend). Le présentateur nous a obligeamment rappelé que l’émission A tort ou à raison attendait notre visite.
Puis il a lancé Céline Dion dans une série de duos avec les élèves de la Starac véritable épreuve car ils chantent faux pour la plupart. Ensuite, entre deux couacs, le sémillant Nikos a poussé des “Wou !” qui rappelaient, de manière affligeante, les habitudes des chauffeurs de salle à Las Vegas. La présence de Céline Dion lui a permis de donner dans le cliché en anglais (“The show must go on”). Il a dit, à un autre chanteur « ne changez rien, c’est top » et lui a demandé, toujours en anglais, s’il était plus facile de jouer au basket que de chanter en direct à la Starac, le tout avec traduction simultanée à l’usage des maladroits qui seraient restés francophones.
Après quoi, les élèves ont posé à Céline Dion des questions originales, du genre : “Durant toute votre carrière, quel est votre plus beau souvenir ?” (sic) La réponse évoquait de si près les sketches de Laurent Gerra qu’on finissait par se demander s’il n’était pas l’auteur du scénario de la soirée.

Belle marquise
Philippe Barthelet a-t-il déjà relevé la propension à l’inversion des termes, des adverbes et des propositions dans le bavardage télévisuel ? Voici des exemples récents pour nourrir le dossier : « Une carcasse qu’ils aimeraient voir disparaître, pour un jour pouvoir oublier. »
Et pourquoi pas « pour pouvoir oublier un jour » ?
Même verlan syntaxique dans l’expression « sans pour l’instant l’aide de l’Etat » ou dans « pour définitivement marcher sur les traces de leurs illustres aînés ».
On a pu relever, au journal de TF1, la phrase suivante, qui se voulait une conclusion et s’achevait par un point : « Une chose est certaine, ce sont dans ces quartiers populaires où les stigmates restent le plus visibles. »
Belle marquise, d’impatience vos pataquès trépigner me font.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3439 paru le 25 Octobre 2002

Au-delà de l'écran

Absolu et résolu
L’émission s’appelle Ça peut vous arriver. Elle n’est pas méchante en apparence, puisqu’elle nous montre des maux auxquels nous sommes, pour la plupart, convaincus de pouvoir échapper : la soumission aveugle à une secte par exemple. Il s’agit de mésaventures si exceptionnelles qu’on les écarte aisément de son imagination.
Du titre, on se défait moins vite. Il est difficile de ne pas l’appliquer aux attentats dont il est question aujourd’hui : celui du RER dont le procès est en cours, celui de Bali. Certes l’énormité de ces événements les rend encore faciles à conjurer par l’inconscient collectif, mais il est une autre forme de danger que l’esprit se représente de mieux en mieux. Ce danger est de loin, et de tous, le plus préoccupant : le besoin d’enrayer la machine se démocratise à toute allure.
Les chaînes américaines, Télématin et le journal de TF1 se penchent en ce moment avec une horreur compréhensible sur le cas du tireur fou de Washington. Quiconque réfléchit à cette histoire est saisi de vertige. D’abord l’assassin, qui signe “Je suis Dieu”, s’inspire d’un film diffusé trois jours avant le premier meurtre, nous rappelant ainsi la longue liste des crimes perpétrés en référence à une œuvre de fiction.
Mais surtout, si ça peut vous arriver, ce n’est plus seulement en tant qu’individus. Les sociétés commencent à mesurer qu’elles ne peuvent rien contre un désir de nuire absolu et résolu. Le seul remède qu’elles aient trouvé pour l’instant est de rebaptiser malveillance les actes criminels. C’est la méthode française. Elle se pratique beaucoup dans les chemins de fer. La méthode américaine consiste à demander (sans rire) aux cinq millions d’habitants de Washington de se déplacer en zigzag dans la rue. Si les snipers se multiplient, il va falloir zigzaguer entre les sacs de sable. Et si le risque bactériologique ressurgit, ce sera avec un masque à gaz. Mais personne n’aura le droit de parler de guerre civile pour autant.

Sous Ponce Pilate
Retour des Bogdanoff, les duettistes high-tech en combinaison alu. La presse révèle un détail intéressant : dans leur jeunesse leur famille était fort liée à celle de Guy Béart lequel, comme on le sait, fut d’abord ingénieur avant d’écrire de jolies chansons et d’être invité chez les Pompidou (peut-on cumuler à ce point les imprudences !). Banni des plateaux pendant les années de plomb, il fut réputé n’avoir aucun talent par décret de Ponce Pilate. Les jumeaux Bogdanoff, chassés comme lui, reconnus comme surdoués (après avoir été élevés dans un château, pour comble de scandale), furent livrés à la populace et accusés de plagiat. Je n’ai pas la date en tête et n’ai guère eu accès au dossier. Mais que l’on considère la bonne foi qui régnait en France dans ces années-là et le doute leur devient favorable.
Il l’est encore davantage si l’on songe qu’ils faisaient de la cosmologie sur la chaîne d’On a tout essayé.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3440 paru le 1 Novembre 2002

Au-delà de l'écran

“Mani pulite”
Il y a les déboutés du droit d’asile et ceux du droit de savoir. C’est ce que nous expliquait, à propos de l’immobilier sur la Côte d’Azur, l’émission de Charles Villeneuve dont le titre n’a jamais été aussi bienvenu. On a vu un maire se plaindre de la paresse de la DDE, administration au fonctionnement mystérieux qui se déplace à contrecœur pour constater les infractions une fois sur quatre et qui laisse acheter, par des innocents, des terrains inconstructibles pourtant déjà construits bâtiments dont elle n’a pas su empêcher l’érection, mais dont elle exige la destruction dix ans plus tard, quand les propriétaires ont changé et quand l’application de la loi équivaut pour eux à une spoliation.
Il est fréquent toutefois qu’elle fasse preuve de zèle quand les caméras tournent : « Quelques jours après notre première visite, disait le commentaire, gendarmes et DDE viennent recenser les constructions illégales. »
On voit en effet apparaître une équipe de messieurs dont le chef se fâche contre l’équipe de tournage. La scène respire la mauvaise foi, le corporatisme administratif et la raison d’Etat.
Lorsque la mode mani pulite aura débarqué en France, les juges sauront certainement par quoi commencer, mais on aimerait aussi qu’ils sachent par qui. Si la puissance publique ne consent pas à restaurer l’image de vertu et d’équilibre chez les agents de l’Etat, elle s’expose aux mêmes déboires que les parents dépassés par leurs enfants. Car le plus souvent, insolence et violence n’expriment pas la haine de l’ordre établi mais le désir de le faire rétablir.

Finesse néanderthalienne
A dix minutes d’intervalle, TF 1 vient de nous offrir un condensé des contradictions dans lesquelles se débat notre société en matière de violence.
Première séquence, un reportage complet au journal sur un couple de policiers obligés de déménager pour échapper aux menaces, représailles et insultes dont les accablent ceux qu’ils sont censés poursuivre.
Deuxième séquence, un homme humilié par les quolibets de ses voisins. Au marché, au café, il subit tous les affronts. On le voit hâter le pas sur le trottoir et se précipiter vers une cabine téléphonique, d’où, toujours poursuivi par ses voisins haineux, il appelle son agent pour lui dire : « Les rôles de salauds dans les feuilletons, je n’en veux plus. » Et l’agent lui répond, furieux : « Va expliquer ça au juge, enfoiré ! »
Brève explication de texte : par ce film d’une finesse néanderthalienne, TF 1 prétend assurer la promotion de son “polar du jeudi” en banalisant des rapports sociaux de type mafieux à une heure de grande écoute. Si on leur reproche de pratiquer les usages de la meute, les adolescents “en difficulté” devraient pouvoir en tirer argument devant le juge. Mais je me demande si le rôle d’une chaîne de télévision est de les répandre aussi ingénument.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3507 paru le 13 Février 2004

Au-delà de l'écran

La princesse d’Aubervilliers
L’interview que Clotilde Courau, princesse de Savoie, a livrée à Sept à huit m’a rappelé un souvenir désagréable. Le petit scoop qui va suivre en dit long sur les rapports de la nouvelle altesse avec
la morale ordinaire qu’on appelle civilité. Sans parler de l’autre, plus générale, plus généreuse, à laquelle on se doit d’obéir quand on fait partie du gotha, et qui devrait refléter une vision sereine, égale, impartiale, de l’édifice social.
Il y a quelques mois, nous avons fait partie du même plateau chez Ardisson. Moi, pour un pamphlet sur la violence juvénile ; elle, pour un film dont j’ai oublié le nom. Celle qui n’était pas encore la “princesse rebelle” m’a contredit sèchement sur le thème : “Je n’ai jamais subi d’autorité, et pourtant voyez comme je suis devenue recommandable.” A quoi j’ai répondu : « Vous êtes comédienne, vous avez donc déjà subi l’autorité d’un metteur en scène. » Cette réplique a été coupée au montage.
Chez Ardisson, la balance penche toujours du côté des favoris de la production. Clotilde Courau a communié dans le mépris avec le chanteur de NTM, Joey Starr, lequel s’est adressé à moi en disant textuellement : « J’vais t’dire, mon frère, t’as un p’tit slip ! » Ensuite la jeune actrice s’est penchée vers lui d’un air de contentement goguenard, elle lui a dit un mot, elle m’a désigné du menton et son regard a balayé le plateau en quête d’approbation.
Après quoi encore Ardisson a jugé bon de l’asseoir à ma droite où elle a remplacé Olivier de Kersauson qui a dû quitter l’émission. Mlle Courau a aussitôt requis contre moi un surcroît de sévérité de la part
des procureurs qui m’entouraient.
On eût dit une impératrice romaine réclamant la mise à mort d’un philosophe. Mais tout cela n’est rien encore auprès de la conclusion. Quand j’ai quitté à mon tour mon tabouret après un quart d’heure, sa future altesse m’a tourné le dos comme une fillette qui ne veut pas dire bonjour. Je lui ai tendu la main, elle l’a refusée.
Si je raconte cet épisode, c’est afin de mettre cette grossièreté en rapport avec ses propos de l’autre dimanche sur le rôle et la dignité des princesses. « Princesse, j’ai encore du mal avec cette information », nous a-t-elle confié. Nous aussi. (Nous avons déjà du mal avec sa syntaxe.) Quand elle explique qu’elle est gênée de voir des femmes âgées lui faire la révérence, c’est qu’elle n’a pas compris grand-chose à la nature
du prince.
Quand elle nous dit « chui pas évidente à vivre tous les jours, mais ch’trouve ça chouette de la part d’Emmanuel de m’avoir épousée », on a envie de croire qu’elle plaisante. Et quand, du haut de ses trente-quatre ans, elle prétend “rester elle-même”, on se demande au nom de quoi. Si rester soi-même consiste à hurler avec les loups quand un agneau vient de tomber dans l’arène, on n’aimerait pas voir cette princesse d’Aubervilliers régner sur l’Italie. Parce qu’elle en a parlé aussi, figurez-vous…
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3382 paru le 21 Septembre 2001

Au-delà de l'écran

Le film des événements
Une comparaison hâtive avec les émissions spéciales sur l’attentat de New York révèle les insuffisances de la méthode française : aux Etats-Unis, le texte est souvent présent à l’image, il n’est pas rare que le rappel des faits fasse l’objet d’un banc-titre entre les plans (CNN). Sur NBC, ABC et Fox, c’est parfois un tiers de l’image qui est consacré aux dépêches pendant que le présentateur parle, et quand on nous propose de « revoir le film des événements », on sait qu’il s’agit d’une récapitulation.
Durant le direct de Patrick Poivre d’Arvor, la première tour du World Trade Center s’est effondrée sans que visiblement les gens sur le plateau comprennent ce qui se passait. Ensuite, on a revu dix fois l’arrivée du deuxième avion, puis l’effondrement de la deuxième tour. Et c’est là qu’on apprenait que l’autre était tombée aussi. A quoi il fallait comprendre encore que le plan fixe, interminable, sur les malheureux employés enjambant les fenêtres, n’était pas du direct mais datait d’une demi-heure. Ils étaient donc tous morts. L’ennui c’est que la chaîne « venait de recevoir les images ». C’est cela, sans doute, qu’elle appelait du direct. Un téléspectateur débarquant sur la chaîne vers 16 heures ce jour-là déclarait encore « il faut faire quelque chose pour ces gens », alors qu’il n’y avait plus rien à faire. Il aurait suffi d’un bandeau pour nous le dire. Mais comment exiger pareille prouesse de la rédaction alors qu’elle n’est pas capable d’employer, à l’incrustation vidéo, quelqu’un qui sache orthographier les noms propres ? Pendant toute la soirée, Newark est devenu Newarck sur les cartes, ce qui n’est pas un crime mais une faute : il suffisait de taper le début du nom sur Internet pour savoir comment l’épeler. Mais en régie, sait-on seulement consulter Internet ?

La leçon du film
Dans quelques semaines, après bien des plateaux et des débats, les commentateurs finiront par trouver le grand remède à ce genre de crises.
Multiplier les représailles ? Redéfinir notre politique étrangère ? Mettre les réservistes en alerte ? Chercheront-ils à nous convaincre que les scénarios de destruction de villes entières par l’atome sont devenus plausibles ? Prescriront-ils un retour des enquêtes sérieuses sur l’immigration ? Critiqueront-ils le plan Vigipirate (qui protège les poubelles, les gares, les aéroports, les Galeries Lafayette et la tour Eiffel mais n’empêche personne de faire sauter trente supérettes de villes moyennes en un quart d’heure) ? Non : il est probable que la grande découverte, ce sera l’avion au cockpit doté d’un guichet blindé comme les banques. On nous a déjà fait le coup dans les autobus de banlieue : extirper la violence suppose d’avoir compris qu’on est malade, donc de montrer du courage. Installer des cages de verre pour protéger les chauffeurs, c’est lâche, peut-être, mais quel soulagement de croire qu’on est guéri !
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3441 paru le 8 Novembre 2002

Au-delà de l'écran

Chiens d’infidèles
Il est parfois utile de regarder les chaînes américaines pour corriger les oublis des nôtres. Au sujet des “combattants tchétchènes”, l’exercice devient indispensable. Le fait que les membres du commando de Moscou aient libéré, dans les premières heures, outre quelques femmes enceintes et une poignée d’enfants, les musulmans présents dans la salle, a été rapporté scrupuleusement par CNN. La précision n’a pas effrayé non plus les radios françaises, lesquelles ont pourtant laissé s’exprimer nombre d’auditeurs sur le thème : “Pourquoi accabler l’islam ? Ce n’est pas parce que les femmes du commando portent une cagoule qu’il faut parler de tchador” etc. A quoi Michel Field (Europe 1) n’a pas cru bon de répondre que la libération de musulmans était un puissant indice, mais passons.
En tout cas cette libération révélait le peu de cas que font les activistes des “chiens d’infidèles” que nous sommes. Quant à la télévision, on ne peut pas dire qu’elle en ait beaucoup parlé. On peut même dire le contraire. Sauf erreur de ma part, elle n’en a pas parlé du tout.
Pour connaître la vraie nature du combattant tchétchène, il fallait donc se reporter une fois du plus au remarquable reportage de Christiane Amampour sur CNN : pendant plus d’une heure nous avons eu droit à des confessions de soldats russes qui témoignaient que leurs compagnons tombés aux mains de l’ennemi étaient découpés en morceaux tout vivants, éventrés au soleil, pendus avec leurs tripes, etc., le tout fort explicitement au nom de l’islam, et aux cris d’Allah Akhbar par des gens qui, par ailleurs, se livrent au trafic de drogue, de femmes, de matières radioactives et de pièces de rechange jusqu’au Pakistan. Ils infestent la vie sociale russe d’une criminalité endémique depuis deux siècles et Dostoïevski rapportait déjà qu’ils écorchaient vifs les agents de l’empire. Ce qui n’empêche pas nos médias de nous parler à tout bout de champ de la barbarie russe et du martyre tchétchène.

Rebelles de salon.

Causerie matinale sur Europe 1 entre Benjamin Castaldi et son invitée. L’émission est fondée sur un test en direct. Par chance pour les participants il ne s’agit pas d’un test d’intelligence mais de personnalité. Et ce jour-là le thème était : “Etes-vous rebelle ?”
Il fallait entendre l’invitée, rédactrice en chef sur une chaîne publique de télévision, qui naguère n’hésitait pas, dans son émission matinale, à recevoir quatre ministres de Lionel Jospin dans la même semaine, conclure qu’elle était « plutôt du genre rebelle ». Pour vous donner l’échelle, ce serait comme si Philippe Sollers se présentait comme un écrivain pauvre et maudit.
Mais surtout, quand on y réfléchit, il conviendrait de se demander si la rébellion permanente, vécue, décrite, promue comme une nécessité par toute une génération (celle de 68), n’explique pas qu’une grande partie des enfants d’aujourd’hui soit incontrôlable.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3442 paru le 15 Novembre 2002

Au-delà de l'écran

Chantiers de jeunesse
Imaginez un pensionnat qui recevrait des post-adolescents ou de jeunes adultes “en recherche”. A l’arrivée, une seule valise autorisée. Confort décent mais spartiate : dortoirs de six. Garçons et filles séparés. Décoration de style réfectoire.
A 7 heures, réveil au clairon. Le professeur d’éducation physique tirerait tout le monde du lit avant le jour, pour obliger les pensionnaires à courir dans le parc, qu’il vente ou qu’il pleuve. Une demi-douzaine de professeurs seraient chargés des apprentissages en tous domaines. Dès le début des cours, ils harangueraient leurs élèves sur un ton légèrement passé de mode : ici la paresse, la médiocrité, le défaut de volonté ne jouiront d’aucune indulgence. Ceux qui s’abandonneront à la pente du découragement seront aussitôt éliminés. Vous serez notés, comparés, évalués en permanence. Le degré d’exigence que nous vous imposerons doit vous obliger à exiger le meilleur de vous-même. Les contacts avec votre famille et votre entourage seront limités au strict nécessaire. Le soir, extinction des feux à 22 heures. Toutes les semaines, vous subirez un examen. Votre existence entière en dépendra peut-être. Rompez !
A l’énoncé de ce qui précède, un adolescent d’aujourd’hui haussera certainement les épaules en s’écriant : “Et pourquoi ne leur donnerait-on pas un uniforme, tant qu’on y est ?” avant de retourner s’infliger sa dose quotidienne de Star Academy.
Or dans ce qui précède, il est justement question du Saint-Cyr de la chansonnette, de la Légion étrangère des pousseurs de romance : la Star Academy. On aura beau prétendre que la jeunesse plébiscite l’émission parce qu’elle aime les paillettes, il est permis de se demander s’il n’y a pas autre chose de plus profond là-dessous.
Pour ma part, j’observe que les jeunes gens qui vont se coucher à contrecœur, qu’on n’arrive pas à tirer du lit, qui déplorent la sélection à l’école, qui sont insolents avec leurs profs et n’ont aucune ardeur à la tâche, passent désormais une heure par jour devant la Starac, éperdus d’admiration pour un univers où douze de leurs homologues se font botter les fesses du matin au soir. Il faut sans doute y voir le signe que les temps vont changer.

Un pour cent, cent pour un
Combien ça coûte se penchait récemment sur les avatars du “un pour cent culturel”. On nous apprenait que ce pourcentage était voué à l’art contemporain. Entendez abstrait, moderne ; car si un sculpteur se mêlait de proposer à sa ville une statue de jeune fille, son art serait indiscutablement contemporain sans être pour autant capable de décrocher la timbale, faute de modernité.
Dans le cas de la double parabole incrustée de chaises métalliques qui enlaidit la gare de tramway de Montpellier, le prix de la timbale est de 300 000 euros. On s’aperçoit vite que le “un pour cent” profite moins à l’art qu’au commerce et moins au citoyen qu’à l’artiste.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3443 paru le 22 Novembre 2002

Au-delà de l'écran

Génération “Valseuses”
Imaginez un film diffusé sur le service public où deux compères de vingt ans terrorisent des ménagères dans un parking, leur disent « casse-toi la vieille », intimident un couple de bourgeois sur la route des vacances, leur arrachent leur fille, leur voiture, et parviennent à convaincre la demoiselle de les mener jusqu’à la maison de campagne familiale. En arrivant dans ce pavillon forestier, après avoir commenté la décoration des lieux sur le ton du mépris dont les oisifs et les jouisseurs accablent ceux qui achètent leur confort à crédit, ils décident de “se taper la nana”, à tour de rôle avec son consentement lassé, il est vrai, ce qui permet de prétendre qu’on assiste à un déniaisement plutôt qu’à un viol, mais la limite est aussi mince qu’une pelure d’oignon. La scène entend illustrer que la jeunesse obéit à ses propres codes, lesquels prévalent toujours sur ceux des adultes, et qu’elle est, par définition, solidaire contre l’ordre établi.
Ce film, qui nous a été présenté sur fonds publics pour la nième fois par France 3 et en plein vote de la loi Sarkozy, s’appelle les Valseuses. On le qualifie d’“œuvre culte” mais il aura fonctionné pour toute une génération, la mienne, comme une invitation à la barbarie. Il prescrit à la jeunesse de s’affranchir de toute bienséance, par la menace si nécessaire, et nous montre des voyous abordant des gens ordinaires avec le sourire du tortionnaire. Il nous présente une humanité juvénile sûre de son droit, celui du plus fort, prête à l’appliquer, prête à pratiquer sur autrui ce que Platon appelait le début de la tyrannie.
Parallèlement Paris-Match nous annonce les retrouvailles entre Depardieu et son fils, après trente ans de négligences et d’indifférence. Un film “dérangeant” nous dit-on, les réunit, qui aide à mieux comprendre le chemin parcouru, à lever les malentendus, à faire le point, etc. On aimerait que notre Falstaff, désormais abonné à la Gazette de Drouot, propriétaire de vignobles et membre de la jet-set, nous dise ce qu’il compte faire pour restaurer l’équilibre de la génération “Valseuses”.
S’il désavouait le film et si le service public renonçait à le programmer, ce serait déjà un commencement.

Boîte à idées
Le ministre de la Culture semble chercher des idées pour sa télévision de service public. S’il est permis de distraire quelques lignes de cette chronique pour donner de l’imagination à ceux qui garnissent la boîte à images, pourquoi France Télévision ne ratisse-t-elle pas dans le jardin de la Star Academy en organisant un concours de création, dans un esprit voisin de la défunte Course autour du monde, afin de révéler les génies de la réalisation et de la mise en scène dont elle a tant besoin ? Quand on mesure le talent déployé pour un simple clip musical, quand on voit la modicité des coûts du matériel numérique, on se demande pourquoi la production télévisuelle publique chez nous reste molle et oligarchique.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3444 paru le 29 Novembre 2002

Au-delà de l'écran

Clark a quitté la ville
Nombreux sont les lecteurs qui par lettre auront essayé d’orienter cette chronique vers un sujet qu’elle n’a jamais abordé : les feuilletons à l’eau de rose, qu’à bien des égards on pourrait prétendre à l’eau de boudin car c’est ainsi qu’ils tournent en général.
Dans ce genre difficile, ce ne sont pas les artifices de scénario qui sont intéressants à relever, mais les tics comportementaux et verbaux qui finissent par acclimater chez nous des usages ridicules. En voici quelques exemples.
Sharon et Victoria sont seules dans une pièce meublée comme un appartement témoin. Sharon, debout, le coude dans une main, affecte une attitude de perplexité profonde, Victoria, assise, rumine des pensées sombres en lui tournant le dos. Soudain Sharon décide de crever l’abcès : « Vic, veux-tu qu’on en parle ? » Pour inciter son amie Victoria à lui ouvrir son cœur, elle lui masse délicatement les muscles trapèzes des deux pouces et profère une allusion obscure.
Victoria se retourne et réplique : « Hé, attends une minute ! Qu’est-ce que tu veux dire ? »
A quoi Sharon protestant de sa bonne foi répond : « Mais je t’assure, je croyais que Clark avait quitté la ville. »
Pour le quadragénaire pressé qui vient embrasser ses parents entre deux rendez-vous et qui les trouve plantés devant le poste à 14 h 30, le caractère sibyllin de la situation est toujours le même depuis neuf ou dix ans. Ce qui a changé, c’est qu’on commence à dire « Hé, attends une minute ! » dans les cafés, que les adolescents menacent de quitter la ville quand on leur dit d’aller réviser leurs mathématiques et que les filles de quinze ans trouvent leur petit ami “très spécial” comme dans les Feux de l’amour. Ce qui a changé, c’est que le couple idéal, la grand-mère intrigante, la demoiselle qui veut se faire épouser, l’avocate brillante finissent par revêtir, dans l’imaginaire général, les traits de ces héroïnes qu’on dirait coiffées de laitues et qui respirent fort en pressant une main couverte de bijoux fantaisie sur un décolleté fuschia. Ce qui devient ennuyeux, c’est d’entendre valser les millions de dollars dans les lounge-bars des grands hôtels.
On aimerait que pour une fois les protagonistes s’appellent Suzette ou Léon. On aimerait qu’ils montent une brasserie dans le vieux Colmar. Pour leurs vacances ils iraient passer une semaine à Budapest au lieu d’Atlantic City. Ça nous ferait des vacances, à nous aussi.

Renvoyons la censure
Elisabeth Lévy, auteur des Maîtres censeurs, préfère les vérités qu’elle observe à celles qu’on lui recommande. Lors d’une émission d’Ardisson sur Paris Première, à l’instant d’interroger l’écrivain Renaud Camus, elle a tenu à préciser qu’à son avis il ne méritait nullement d’être soupçonné d’antisémitisme. Cette précision liminaire a sauté au montage. C’est un peu comme si la grâce du duc d’Enghien avait servi à cirer les bottes du peloton : l’histoire s’en serait souvenue. Nous nous en souviendrons.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3445 paru le 6 Décembre 2002

Au-delà de l'écran

La noblesse du direct
La semaine passée je révélais, pour l’avoir entendu raconter par sa victime, la mésaventure suivante : un écrivain français, invité chez Ardisson sur Paris Première, voit couper au montage une déclaration d’Elisabeth Lévy, laquelle balayait l’accusation d’antisémitisme qui pesait sur son invité. Alain Finkielkraut se répand lui aussi dans la presse depuis deux ans pour lever la fatwa lancée sur Renaud Camus car c’est de lui qu’il s’agit. Mais les ayatollahs de Saint-Germain-des-Prés ont des agents jusque chez Rive droite Rive gauche, et la production vient donc de détruire une pièce essentielle à la défense (dans une affaire qui, rappelons-le, équivaut pour un écrivain à une sentence de mort sans jugement).
Cette omission délibérée, qui ressemble au faux patriotique destiné à accabler Dreyfus, a fait quelque bruit dès le lendemain. Pour apaiser les premières rumeurs, Thierry Ardisson a décroché son téléphone afin de proposer à l’accusé une autre invitation, dans l’émission Tout le monde en parle (de plus en plus mal nommée). J’ai interrogé Camus sur le déroulement de ce deuxième enregistrement. Voici sa réponse : « J’ai cité les propos d’Elisabeth Lévy et j’ai ajouté, à l’adresse d’Ardisson : “Vous avez fait disparaître son intervention en ma faveur”. »
Or cet échange-là, personne ne l’a vu non plus dans Tout le monde en parle. Eh bien, il faudrait justement qu’on en parle. Il faudrait que les intellectuels français qui gardent un peu de courage écrivent une adresse au ministre de la Culture afin de lui signaler que la télévision, dont l’importance est considérable dans la vie intellectuelle du pays, procède désormais à une dénaturation, à une castration systématique des propos qu’elle recueille.
Lors d’une autre émission qui nous réunissait récemment sur France 3, de nombreux passages d’un entretien avec Jean-Jacques Aillagon ont sauté pour ainsi dire sous son nez.
Exit la mention d’une thèse universitaire ayant servi de base à l’un des livres présentés ce soir-là (livre dont l’un des objets était précisément de la tirer des oubliettes de la Sorbonne. On peut la trouver sur www.editions-universelles.net/these-histoire.html).
Exit la mention du fait qu’un affairiste français ait acheté la vidéo de l’exécution des Ceausescu pour la revendre au monde entier. Cette précision utile au débat a sauté au montage bien qu’elle fût parfaitement en rapport avec le sujet.
Comment peut-on croire que les universitaires et les chercheurs de demain, lorsqu’ils se pencheront sur la vie de l’esprit à notre époque, ne jetteront pas une lumière crue, féroce sur les lâchetés décrites ci-dessus ? Leurs auteurs seront confondus comme Du Paty de Clam pendant l’affaire Dreyfus. Si ces quelques lignes y contribuent j’aurai fait œuvre pie.
Mais si le ministère, par circulaire, restaurait la noblesse du direct, ce serait encore mieux.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3446 paru le 13 Décembre 2002

Au-delà de l'écran

De Dumas à Pouchkine
L’entrée au Panthéon d’Alexandre Dumas fut un coup de tonnerre dont l’écho résonne encore dans nos mémoires abasourdies.
D’abord nous avons appris que Dumas fut un grand métis autant qu’un grand écrivain. Nos historiens de la littérature croyaient qu’il suffisait de l’honorer pour son génie mais non, il fallait encore qu’il le fût malgré ses cheveux crépus. Pour un peu, on nous convaincrait que sa carrière a failli être compromise par la couleur de son teint. Il a triomphé pendant un siècle et demi, il vécut longtemps comme un nabab, il est encore unanimement considéré comme un prince des lettres, mais il s’en est fallu d’un poil pour que ce fût le contraire.
On pourrait appliquer le même raisonnement spécieux aux Russes et à Pouchkine. Certes, de Moscou à Vladivostok on adore le grand poète, mais on va nous expliquer à présent qu’avec leur vieux fond xénophobe et orthodoxe, les Russes (ces quasi-Serbes !) ne devraient pas vénérer un homme de génie qui avait un quart de sang noir. En somme, ils auraient pu faire un effort pour coller davantage à leur mauvaise réputation.
La vérité, c’est qu’il n’existe aucune réticence des Français à l’égard de ceux qui font la grandeur de la France, quelle que soit leur couleur. Prétendre le contraire, c’est souffler sur un tas de cendres. C’est vouloir rallumer le feu pour jouer les pompiers.
Par ailleurs l’événement du Panthéon nous aura permis de revoir, gravée sur le cercueil de Dumas, la phrase célèbre : « Tous pour un, un pour tous. »

Tous contre un
Quand on y réfléchit à la lumière de ce qui se passe à la télévision, le précepte à la mode est exactement le contraire. Il y a trente ans et depuis plusieurs siècles, la source de l’héroïsme était le sacrifice pour le salut d’autrui. Une escouade de soldats pouvait affronter les plus graves périls pour sauver l’un des siens.
Or depuis le Maillon faible et autres Star Academy le principe ne consiste plus à réintégrer l’élément en danger, mais à le mettre en danger davantage afin de l’exclure plus sûrement.
C’est une loi observable chez la plupart des animaux. Les canaris qui blessent leurs congénères malades vont jusqu’à les tuer pour affermir la structure du groupe. Dans Koh Lanta, c’est la même chose. Quand on voit la faveur dont jouissent les émissions-jeu-de-massacre, il est permis de s’inquiéter.
Le principe de la civilisation chrétienne, dont notre système est issu, n’a jamais été “tous contre un”. C’est pourtant celui qui triomphe dans les esprits. Il n’est que de mesurer le sort médiatique fait à l’octogénaire qui a causé le dramatique accident de Loriol. Son emprisonnement relève de l’exorcisme et l’accusation d’assassinat, en l’espèce, de l’abus de droit.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3447 paru le 20 Décembre 2002

Au-delà de l'écran

Le sens contaminé
Les rapports pleuvent sur le bureau de Jean-Jacques Aillagon à propos de la violence télévisuelle : Blandine Kriegel, Catherine Clément, et désormais Claire Brisset. Le cas de la dernière mérite une attention particulière, non seulement parce que ses conclusions ont été commandées par le ministère de la Justice, mais parce que son titre officiel est “défenseure des enfants”.
Oui, vous avez bien lu. Nous faillîmes, nous-même, en tomber par terre. Ce titre qui méprise l’usage au bénéfice d’on ne sait quelle parité grammaticale, rappelle tellement la France niaise et raisonneuse de Lionel Jospin que nous lui préférerons celui d’avocate.
Claire Brisset, avocate de l’enfance, se propose, nous dit-on, de « créer un nouveau seuil de classification des produits audiovisuels, situé à six ou sept ans », en plus de ceux déjà utilisés.
Après bien des tâtonnements, on approche donc de l’essentiel. La perception que la jeunesse se forge du monde qui l’entoure commence à l’âge le plus tendre. Autrefois il était d’usage dans les familles de ne juger personne devant les enfants, de ne dire aucun mal de ses voisins en leur présence, de leur épargner l’écho des querelles de famille. Aujourd’hui, c’est par millions que les moins de cinq ans sont abreuvés de laideurs. Certains parents divorcés, non contents d’avoir infligé leurs disputes à leur progéniture, essaient de s’en justifier devant elle. Ils prennent leurs bambins pour confidents de leurs misères et de leurs doutes. Cela relève du viol.
Dans ce contexte, que fait la télévision ? Pour parler crûment, elle en rajoute une couche. Le scandale du sens contaminé mériterait un procès fleuve. On devrait construire un palais de justice spécial, doté d’une salle de projection, pour visionner l’audit des trente dernières années. Il ne suffit pas de déplorer la violence, ni de dénombrer les scènes où l’on brandit une arme.

Morale sociale spécieuse
Il faudrait aussi analyser l’influence d’un film comme Elisa, diffusé un dimanche soir sur la première chaîne française. Un film où l’on voit une lolita séduire son père naturel pour le punir de l’avoir abandonnée. Un film où elle humilie ses grands-parents pour blâmer leur aveuglement. Un film où elle fait chanter un père de famille en jouant les prostituées mineures. Les enfants ont vite fait de comprendre ce genre de messages. A sept ans le mal est fait : leur vision du monde est altérée au nom de cette morale sociale spécieuse qui consiste à leur montrer le pire pour les rendre plus forts. En vérité dans la plupart des cas la télévision les rend plus faibles. Quand elle ne banalise pas le crime, elle répand le soupçon. Elle donne l’exception pour la règle. Elle empoisonne le jugement des plus jeunes sur leur entourage.
Ira-t-elle jusqu’à leur inspirer des idées de vengeance ? Le film Elisa s’y emploie fort expressément.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3449 paru le 3 Janvier 2003

Au-delà de l'écran

Un plan médias
Un lecteur m’adresse l’extrait d’un numéro de Marianne où Guillaume Durand reproche à Thierry Ardisson sa liberté d’allures. Il le rappelle à la modestie (ce qui ne manque pas de sel) et l’invite au respect du service public en lui demandant, à peu près : “Qui t’a fait roi ?”
La question peut être retournée à l’envoyeur. Nous y joindrons un post-scriptum quant à l’avant-dernier Campus. Cette émission pulvérise l’indice de suivisme rive gauche tolérable sur une antenne nationale. La neutralité douteuse de Thierry Ardisson m’a naguère inspiré quelques lignes sévères mais il aura donné la preuve d’un certain pluralisme même s’il reste équivoque. Guillaume Durand, lui, travaille dans l’univoque, à fond et sans complexes. Prenons un cas d’école, le livre sur les “nouveaux réacs” dont il est fort recommandé de parler en ce moment. C’est même un mot d’ordre. Cette campagne de promotion de style Harry Potter s’explique aisément : la gauche entend s’arroger la totalité du discours sur ses propres erreurs. Elle nous a mitonné un examen de conscience public sur le thème : “N’avons-nous pas été trop loin dans la permissivité ?” et elle entend qu’on le sache.

Les barons du bonneteau
Guillaume Durand est là pour nous le faire savoir. Pas lui seul, et pas seulement, mais un peu tout de même, et surtout un peu trop. Le dispositif médiatique mis en place par la gauche se resserre autour de ce genre de “bons éléments” afin d’asseoir l’illusion que ceux qui ont commis les pires sottises depuis trente ans sont les seuls à pouvoir les interpréter. Leurs adversaires sont réputés disqualifiés pour le faire. On se croirait en Chine dans les années 1960. Pour en revenir à Durand, la façon dont son émission titrée Tous réacs ? a servi ce dessein mérite la mention “médiocre”. Il s’agissait de dérouler le scénario de l’autocritique pour dissuader quiconque de réfléchir hors du script. On a eu soin d’inviter les obligatoires (Julien Dray, Daniel Rondeau, Jean-Claude Carrière, etc.) qui ont joué, devant l’opinion, le rôle des barons au bonneteau.
Les auteurs de ce genre d’opérations ridicules ne s’arrêtent pas là ; ils placent leurs agents et leurs relais jusque dans les journaux conservateurs, lesquels affectent en ce moment de leur répondre : Vous avez plastiqué l’école jusqu’à compromettre les chances de réussir chez les enfants de prolétaires, mais c’était une erreur de jeunesse. La preuve, vous nous soutenez désormais quand nous leur envoyons la police.
Et si le but de ce faux débat sur les réacs était banalement, au prix de tous les reniements, de tous les subterfuges, de garder la vedette ? Bébé Cadum, nouvelle vague, maoïsme, nouvelle modernité, réalisme des années 1980, nouveaux réacs, nos parvenus sexagénaires vont bientôt redécouvrir le génie du christianisme.
Quant à savoir si le peuple va mordre à l’hameçon une fois de plus, à mon sens c’est une fois de trop.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3450 paru le 10 Janvier 2003

Au-delà de l'écran

Vœux pieux
Que l’année nouvelle permette à la télévision de devenir le reflet de la nation jusqu’à “autoriser le débat”, comme on dit dans les sections CGT. Que parmi les grandes résolutions pour 2003, on inscrive le projet de remplacer les émissions du genre France Europe Express pour donner une chance aux journalistes de poser les vraies questions. Que France Télévisions instaure, tous les samedis matin pendant trois heures sur France 3, une série Expression directe qui traiterait un seul thème par mois et qui laisserait aux partis, associations et groupes de pensée le loisir de se répondre, de semaine en semaine, sur la base de reportages et par le biais de démonstrations raisonnées, au lieu de se couper la parole après minuit pour un demi pour cent de part de marché.
Voilà, direz-vous, des vœux bien utopiques. Et pourtant ce système a déjà eu cours à la télévision, il y a vingt ou trente ans (on se souvient du fameux film qui permit à Maurice Clavel de caser sa célèbre réplique « Messieurs les censeurs, bonsoir »). Alors que s’est-il passé, depuis cette époque dont personne ne soupçonnait qu’on pût la regretter un jour ? Nous avons assisté à une régression de la liberté d’expression. Les émissions d’opinion louvoient désormais entre les sujets à ne pas aborder, elles se réfèrent sans cesse à la liste des personnes à ne pas inviter, elles doivent se garder des mots à ne pas prononcer. Pour revenir au film réalisé par Bernard Clavel en 1971, il s’achevait par l’image d’une main tentant de résister au débit d’une fontaine. Ce geste finissait par décupler la pression de l’eau : au bout de deux secondes elle jaillissait jusqu’à éclabousser la caméra.
Eh bien, en 2003 les producteurs devraient songer à s’équiper de caméras étanches.

La démocratie de l’insignifiant

Pour s’épargner l’éternel argument : “Vous critiquez mais vous ne proposez rien”, allons plus loin dans l’utopie. Pourquoi ne pas adapter l’instrument télévision à l’exercice même de la démocratie ? Ce qui est frappant, en ce moment, dans la télé-réalité, c’est sa propension à consulter le pays dans le domaine de l’insignifiant et lui seul. On demande aux gens leur avis sur Nolwenn mais pas sur les Balkans.
On objectera sans doute qu’à propos des candidats de Star Academy, les gens ont eu le temps de se faire une opinion, alors que sur les Balkans, le voile islamique, la fiscalité, la Turquie, etc. ils n’ont jamais eu ce loisir. Eh bien, admettons qu’ils puissent s’en forger une, grâce à des reportages contradictoires (ça nous changerait), sur les sujets qui nous intéressent.
Hélas, personne ne veut croire que le peuple soit capable de jugement sur autre chose que le sourire de Miss France. Personne ne veut le croire, sauf le peuple lui-même. Quand il choisit de l’illustrer, on appelle ça l’histoire et il est déjà un peu tard pour la raison.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3508 paru le 20 Février 2004

Au-delà de l'écran

Comme dans un moulin
La France clandestine : ce titre d’un reportage de Droit de savoir avait l’air de coller au sujet à un détail près : il s’agissait très peu de la France. Dans la plupart des cas présentés, notre pays n’avait rien à voir avec ce qu’on montrait à l’écran. Par exemple une coiffeuse de Shanghai qui, mécontente de son sort et soucieuse, disait-elle, de remplir son devoir de mère en permettant à sa fille d’aller à l’université de Pékin, s’installait à Paris avec un visa de tourisme, pour coiffer la communauté chinoise, au noir, et en chinois.
Autre exemple, une bande de passeurs irakiens qui rançonnaient leurs compatriotes à Calais pour leur permettre de franchir la Manche sur l’essieu d’un camion. Et enfin une poignée d’ouvriers portugais, employés sur un chantier parisien par un négrier de Lisbonne. Ce qui frappe, c’est que dans le meilleur des cas, tous ces intérêts exogènes sont parallèles aux nôtres. En d’autres termes, ils ne convergent jamais avec eux, sauf quand la travailleuse chinoise achète sa baguette à la boulangerie. Et dans le pire des cas, les intérêts de ces immigrants sont contraires à ceux du pays où ils sont entrés – comme dans un moulin. On voyait un garagiste turc qui se faisait payer par les Assedic la constitution de sa société de réparation automobile. Mais on voyait aussi qu’il ne versait rien à la Sécurité sociale. Non plus que la coiffeuse chinoise, laquelle, pendant que son salaire clandestin est viré en Chine, trouvera probablement dix associations pour défendre son droit à la couverture sociale à Paris.
Il est un droit que le peuple français exerce avec beaucoup de constance en ce moment, c’est celui de se taire, mais on peut se demander si son zèle ne va pas s’émousser.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3451 paru le 17 Janvier 2003

Au-delà de l'écran

Qui veut rembourser des millions ?
Lors d’une réunion de Sivom à laquelle j’assistais comme élu d’un humble village, un nouveau concept d’émission m’a traversé l’esprit. Devant l’accablement de certains maires qui ont hérité d’un endettement vertigineux contracté dans les années Jospin, il faudrait suggérer à Jean-Pierre Pernaut de s’entendre avec Jean-Pierre Foucault pour créer un jeu destiné à renflouer les caisses communales dévastées par vingt ans de subventions pousse-au-crime, de projets m’as-tu-vu, de déchetteries hors de prix, de rapports surfacturés, de logiciels informatiques dépassés, de commandes de matériel obsolète obtenu grâce à un “proche de la mairie”.
Après avoir donné le nom d’un affluent de la Seine et répondu “C’est mon dernier mot, Jean-Pierre”, les élus raconteraient comment, dans l’hypothèse d’un triomphe, ils emploieraient le bel argent de la télévision. Pour commencer ils pourraient sortir de la tutelle de la Cour des comptes. Ensuite ils recruteraient leurs agents municipaux sur la seule foi de leur efficacité sans se soucier de clientélisme. Ils pourraient choisir leurs fournisseurs, résister aux pressions qui les accablent lors des appels d’offres, éviter de se faire plumer sur recommandation du conseil général par des officines qui proposent des contrats de maintenance dix fois plus chers qu’ailleurs. Ils résisteraient aux représentants qui cherchent à caser des cascades de leasing (photocopieuses, véhicules, etc.) à des communes de moins de mille habitants qui ont déjà du mal à payer leur assainissement. Ils feraient fructifier un pécule en prévision des procès intentés par les touristes pour défaut de panneau “Attention, ça mouille” au bord de la rivière.
En un mot, ils seraient à l’abri du sort qui guette les communes quand elles sont gouvernées par les esprits faibles, lesquels ne connaissent qu’une devise : “Déjà qu’on est pauvre, y manquerait plus qu’on se prive !”

Service compris
Il reste une autre solution à la disposition de ceux qui auront échoué aux éliminatoires : renflouer les finances publiques en invitant leurs administrés à faire de la figuration dans une émission de télé-réalité américaine. Déjà auteur de l’Ile de la tentation, Fox a lancé Qui veut épouser un millionnaire ? qui n’a pas connu la même fortune. L’émission proposait à douze candidates de décrocher un homme riche. Le concept nous revient mais désormais la France fait partie du casting ; ce n’est pas nous qui épousons, mais nous fournissons le château et le personnel en livrée (avec lequel notre pays se confond plus ou moins). L’émission s’appelle Joe Millionnaire. On a choisi un bel homme qui joue les wonderboys exilés chez nous. En fait il n’a pas un sou : la gagnante verra son prince charmant se transformer en crapaud en direct. On espère que l’amour triomphera, que les recettes seront conséquentes et que le pourboire du personnel ne sera pas oublié.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3383 paru le 28 Septembre 2001

Au-delà de l'écran

Une balle dans le sac
C’était une image si émouvante et symbolique qu’on nous l’a resservie deux fois en une semaine : celle d’une femme afghane couverte de cette étoffe grossière et délavée qui ressemble à un sac postal, et qu’on tuait à bout portant dans un stade bondé, comme ça, d’une simple balle dans le sac. L’émotion naissait non seulement des circonstances, abjectes, du sourire de ces hommes aux dents blanches (dont, rappelons-le, l’un des sports nationaux consiste à jouer au polo avec un cadavre de mouton), mais du fait que cette femme, déjà privée de visage pendant sa vie, le fût dans la mort. Ce n’est pas nouveau, dira-t-on. Maintenant que l’émotion a fait une place légitime à la colère, on nous rabâche les innombrables traits de barbarie dont certaines philosophies politiques et religieuses se rendent encore coupables, fidèles à leur tradition millénaire, elle-même flattée par une démagogie beaucoup plus récente. On nous rappelle que la corruption et la cruauté avaient cours depuis des années en Arabie saoudite. Mais qui les a laissés s’autofinancer pendant quarante ans ? Qui a fait, de cette famille Ben Laden, la version djellaba du clan des Siciliens ? Qui a donné, comme dans James Bond, les clés du monde moderne à des maniaques richissimes qui vivent dans des grottes et qui concilient la pratique d’Internet avec celle de la torture ?
L’amour aura certainement raison de ceux qui le haïssent. C’est écrit, l’histoire le veut, le raffinement de la conscience humaine depuis vingt ou trente siècles exige que ce qui l’entrave soit balayé, retourné, ce qui rend la perspective de cette guerre un peu vaine, parce qu’on sait que la haine s’apaisera, comme tous les cinquante ans, après quelques corvées préalables. Le moment venu les historiens devront toutefois se demander pourquoi, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, on a tant incité de peuples à disposer d’autrui, et qui l’a fait, et pour quel bénéfice. Mais pour l’instant, il est malvenu de poser la question.

Cafouillages
Certains “directs du Pentagone” de France 2 sentaient l’amateurisme : on voyait par exemple Etienne Leenhardt aviser un passant par hasard et lui taper sur l’épaule. L’inconnu se retournait, manifestait une surprise entièrement affectée, répondait à la question avant que le journaliste ait fini de la poser (de crainte sans doute d’oublier la réponse qu’il avait préparée), on s’apercevait alors que l’interviewé portait de surcroît une chemise patriotique assez burlesque, genre “stars and stripes”, qui était certainement la seule raison pour laquelle on l’avait distingué dans la foule. Tout cela faisait un peu pitié pour la première chaîne publique. Quant à Daniel Bilalian, censé visionner les reportages de son journal avant de le présenter, il nous a donné du « Roudi Gouliani » pendant une demi-heure (pour Rudi Giuliani), alors que tous ses journalistes prononçaient le nom correctement. L’oreillette était sans doute en panne…
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3452 paru le 24 Janvier 2003

Au-delà de l'écran

Tribu majoritaire
Désormais, lorsqu’on félicite un producteur de ce qu’il n’a pas fait ses courses à Los Angeles ou à Sydney, il faut rester prudent car même les émissions qui passent pour franchouillardes (Lagaf) peuvent dissimuler une licence américaine.
A première vue, ce n’est pas le cas de Vis ma vie ou de Stars à domicile. Les deux idées sont intelligentes. La première pourrait sans doute l’être un peu plus, la seconde souffrirait de l’être davantage. Dans Vis ma vie, un directeur de salon de coiffure passe une semaine chez un éleveur de porcs (et inversement), un mondain fréquente des motards ou des dockers, une mère de neuf enfants fait les boutiques de la place Vendôme avec un mannequin vedette, etc. La présence de la caméra est un peu encombrante et les dialogues d’un naturel douteux. Mais le choc est indiscutable. Il divertit et fait réfléchir. En tout cas, l’émission s’est donné pour ambition de réduire les préjugés entre les différentes tribus – terme qu’emploie Thierry Ardisson sur son nouveau plateau, pour dresser, lui, le portrait de la population française dans sa diversité. Or la diversité dont il nous parle n’affecte qu’un millième de nos contemporains. Les autres sont invités à la regarder en silence. La tribu la plus nombreuse en France (et de loin) rassemble des gens qui ne portent pas d’anneaux dans le nez ou de plumes dans le derrière. On l’appelle la majorité. Elle est silencieuse, mais ce n’est pas par lâcheté. C’est par politesse. On y retrouve des gens fort divers eux aussi, mais qui refusent d’infliger leurs particularités à leurs contemporains.
L’émission Tribus, par son étalage d’extravagances assez pénible, présenté sur un ton docte qui l’est encore plus, a pour objet principal de heurter la majorité. Elle le fait, de surcroît, sur le service public, c’est-à-dire avec son propre argent. C’est un peu comme si l’on procédait à une quête auprès des associations religieuses pour doubler la surface d’un sex-shop. Dans le privé, on donnerait trois semaines à un concept aussi stupide. Mais le secteur public est si démocratique que l’émission Tribus peut durer trois ans.
Stars à domicile a choisi de flatter plutôt ce qui réunit les gens que ce qui les divise. Dans le contexte actuel, c’est à la fois plus légitime et moins téméraire. Il s’agit d’inviter une vedette à pénétrer, par surprise, dans la vie quotidienne d’un de ses admirateurs. Très orienté bourgeoisie moyenne (on ne voit guère de petites gens), ce divertissement ne manque pas d’heureux moments parce que l’émotion qui s’en dégage est plus profonde qu’il n’y paraît d’abord.

Du côté de chez Mickey
D’une journaliste de France Info, cette précision à propos d’une localité où l’on déplore une disparition : « Guermantes est un petit village à côté de Disneyland. »
C’est connu, l’œuvre de Proust annonce le Roi Lion. Dans le genre cuir, Mme de Saint-Euverte n’eût pas fait mieux.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3453 paru le 30 Janvier 2003

Au-delà de l'écran

Rien à cacher
Envoyé spécial nous décrivait récemment un cas exemplaire, celui de l’affaire Gemplus. L’espionnage industriel ne prend même plus la peine de se cacher, tant l’angélisme et l’aveuglement sont devenus la règle dans nos rapports avec les Américains. Chez nous, un auteur peut encore se hisser en tête des ventes avec un titre du genre De l’antiaméricanisme considéré comme une maladie mentale. Certes, il y a aussi Après l’empire, d’Emmanuel Todd, qui connaît un grand succès, mais peu de gens s’en font l’écho dans les médias, pour ne pas attirer l’attention sur les errements de la morale américaine. On préfère produire sous les caméras la paranoïa de Jean-Pierre Petit, auteur d’un livre ahurissant sur les armes secrètes du Pentagone. Il est venu nous effrayer dans l’émission de Bernard Tapie sur le ton : “Ils sont déjà parmi nous.” On ne savait trop s’il parlait des petits hommes verts ou des agents secrets.
Or, quand on y réfléchit, il n’est pas besoin d’avoir recours aux rumeurs sur la zone 51 pour s’apercevoir que les Américains ont quelque chose à nous cacher. Ce qui devrait nous préoccuper, c’est que, pour notre part, nous n’ayons plus aucun secret pour eux. Comme en témoigne l’affaire Gemplus, le degré de transparence qu’on nous impose au nom du libéralisme est sans commune mesure avec l’opacité qu’on nous oppose au nom de la raison d’Etat.

Plus de secrets
L’exemple le plus criant, qui n’a fait l’objet pour l’instant d’aucune émission, qui laisse nos députés indifférents, est celui d’un fournisseur d’accès Internet, une société d’origine américaine qui jouit du privilège exorbitant de pouvoir envoyer à l’étranger les courriers, les relevés de connexion, les informations marketing, en somme tout ce qui s’échange sous sa bannière et sur notre territoire. Il suffit de demander ce qu’on appelle un traceroute pour s’aviser que la ménagère du Havre qui commande à La Redoute, le scientifique de Grenoble qui adresse un rapport à douze collègues du CNRS, et jusqu’à votre serviteur lorsqu’il envoie sa chronique de la semaine, font un détour par… la ville de Reston, en Virginie. La société a d’ailleurs l’honnêteté de vous en prévenir. Non seulement par contrat, mais parce qu’elle pratique la transparence : la preuve, elle est le deuxième fournisseur d’accès en France, mais elle s’appelle toujours America Online.

Destins felliniens
L’émission le Plus Grand Cabaret du monde présente depuis plusieurs années ce qu’on appelle des numéros internationaux, notamment grâce à la multiplication des artistes venus de l’Est. En voilà qui n’ont que leur talent pour conquérir le monde. Au cours de l’hommage rendu à deux magiciens disparus, on a pu éprouver la poésie de ces destins
felliniens qui s’interrompent sur un coup de chapeau et qui nous rappellent au nôtre, un peu abruptement.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3454 paru le 7 Février 2003

Au-delà de l'écran

Un temps pour tout
S’il en était besoin, l’histoire d’AZF prouverait qu’il y a un temps pour tout, et surtout pour avoir raison. On nous expliquera bientôt que le public n’était pas préparé, il y a un an, à lire les rapports d’expertise, à affronter l’évidence d’une dérive conformiste du système médiatico-judiciaire. Le peuple n’était pas mûr pour entendre parler d’aveuglement, de vérités recommandées, de recherche d’un coupable idéal, d’instruction menée sur des mots d’ordre orientés à propos des “profits” plus que sur les faits.
Ce n’est pas le seul sujet sur lequel Valeurs Actuelles aura tourné le dos à la pensée unique. Il y eut aussi le rôle social négatif de la série Taxi à propos duquel on pouvait lire dans cette humble chronique : « Un pays qui laisse tourner et vendre des films où l’on circule dans les rues de Paris à 200 à l’heure a-t-il le droit de se plaindre que les voyous fassent la course le samedi sur les bretelles d’autoroute ? »
C’était il y a dix-huit mois. A cette époque-là, remettre en question le degré de civilisation véhiculé par la mythologie Taxi relevait de la provocation réactionnaire. La plupart des magazines consacraient des doubles pages à la voiture et au film. Même dans les journaux conservateurs, le nombre d’entrées des produits Besson semblait justifier à lui seul des scènes comme celle où le héros avance à la hauteur d’une voiture de police à bord de son propre véhicule et lance à ses occupants : « Alors, ça va, les p’tits pédés ? »
Tant qu’on y est, prenons date pour les revirements futurs : c’est ici aussi que l’on dénonçait les jeux vidéo où l’on torture ses adversaires. C’est ici que l’on réclamait de soigner la tentation de la violence au stade de la maternelle.

La mode change
Sous la pression des événements, la mode est en train de changer. VSD prend la tête d’une croisade antiviolence routière à propos de la sortie de Taxi 3. M 6 organise une soirée spéciale. France 2 nous inflige un genre de Grand Echiquier à la sauce prévention routière. Que se passe-t-il ?
C’est tout simple, les promoteurs de la violence au cinéma, de l’esthétique déjantée sont en train de subtiliser le discours de la raison à ceux qui le tiennent déjà depuis vingt ans. L’opinion publique réclame plus de civisme, d’ordre et de sagesse. Les gens commencent à s’apercevoir qu’il n’est pas indifférent d’infliger tant de laideurs aux enfants, de traiter les pères comme des toutous dans la publicité, de rendre les adultes ridicules, les institutions haïssables, les hommes politiques cupides, etc.
Il devient donc urgent de doubler ceux qui l’avaient bien dit. Comment faire ? Il suffit de le dire à leur place afin de ne pas avoir à leur céder le micro. Pour s’arroger la paternité d’un discours qu’on n’a jamais tenu, il ne suffit pas d’en dépouiller les auteurs, il faut occuper le terrain. Certains s’y entendent à merveille, mais pour combien de temps ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3455 paru le 14 Février 2003

Au-delà de l'écran

Icare et les “sunlights”
L’un des phénomènes les plus constants des dix dernières années à la télévision est le besoin de faire accéder n’importe qui à la gloire en quelques jours, comme la bergère accède au château royal, ou le crapaud à la fille du roi, dans les contes de Grimm. Or le fond de morale qui subsiste en chacun de nous veut s’entendre rappeler que les contes de fées sont une illusion, principe qu’ont bien compris les “gens des médias” puisqu’après avoir promu les nouvelles gloires ils les descendent, avant de leur tendre le micro sur le ton : “Que vous est-il arrivé ?” ou, pire encore : “Il nous revient avec un nouveau spectacle après dix ans de galère.”
Jean Roucas vient de faire l’objet de ce traitement dans l’émission de Julien Courbet.
« Il était au sommet, il vendait des millions de disques, tout s’est écroulé dans sa vie, il est avec nous sur ce plateau » (Applaudissements).
Soyons justes, le concept a été largement exploité aussi par Thierry Ardisson, Mireille Dumas et les autres, mais pourquoi avec tant d’insistance ? Parce qu’après avoir promu, fêté, adulé une vedette il faut donner au peuple son content de retour à la morale en montrant que le chanteur “a pris la grosse tête”, qu’il a donc trébuché et que tout est rentré dans l’ordre. C’est alors seulement que l’identification, clé de l’Audimat et des recettes publicitaires, peut fonctionner à fond. Observons cependant que la fable éternelle du voyage d’Icare tend à nous être projetée en accéléré, de sorte que nous n’aurons bientôt plus qu’un condensé de l’ascension et de la chute, qui se déroulera sous nos yeux pratiquement en direct. C’est Reine d’un jour à la sauce Starac. Prenez Jean-Pascal, l’antihéros de la Star Academy n° 1. Nous apprenons en ce moment (non sans satisfaction) que sa tournée fait un bide. Son personnage commence à lasser “grave, et même limite super-grave”, comme dit son public. On peut donc s’attendre à ce que la production de TF 1, avant la fin de l’année, organise un “spécial déchéance de Jean-Pascal”. Celui qui se fait appeler Jipé viendra analyser les conséquences de son humour à la Cantona. On lui donnera une chance de faire un come-back avec un dernier single, il promettra en vain de s’amender et hop ! rendez-vous dans dix ans, quand il sera devenu agent immobilier. En attendant, vous pouvez consulter le chapelet de ses idioties sur le site de ses détracteurs : http://membres.lycos.fr/jpascal2/

Cro-Magnon
Incidemment une émission récente me revient en mémoire : un “bêtisier du direct” où justement Cantona prenait à partie deux journalistes sur un plateau, à l’aide d’un vocabulaire du genre “j’te pisse à la raie, toi” (sic). Cette séquence (applaudie chez Arthur) en dit long sur le degré de complaisance des médias à l’égard des invités dont le QI relève des travaux d’Yves Coppens. Nous ne manquerons pas le come-back de Cantona chez Courbet, dès qu’il aura effectué ses dix ans de galère.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3456 paru le 21 Février 2003

Au-delà de l'écran

Revue de mauvaise presse
Quand on pratique suffisamment l’Amérique pour se garder des pratiques américaines, quand on comprend l’anglais sans toujours comprendre les Anglais, on passe en ce moment des après-midi formidables devant la télévision. Des après-midi, parce que le décalage horaire oblige à regarder les chroniques de Fox News aux heures de bureau. A moins qu’on ne veille au-delà de minuit, pour assister aux imprécations de Bill O’Reilly, sorte de père Fouettard à la sauce Stars and Stripes.
Nous faisons l’objet sur les ondes américaines d’un tir nourri et convergent. Les diatribes se rapportent pour la plupart à notre dette historique après la chute du nazisme, mais on voit se dessiner un autre sujet d’aigreur à propos de la France : la question qui revient souvent n’est pas “Qu’est-ce qui lui prend ?” mais “Pour qui se prend-elle ?”
Notre pays joue les redresseurs de torts, nous dit-on, mais pour que l’offense soit perçue comme si grande, il faut qu’il y ait des torts. La contre-attaque est si vive qu’on pourrait croire que le monde médiatique américain est installé dans une vérité totalitaire. Afin de nous convaincre davantage de notre erreur (pour un peu, on nous dirait qu’elle relève de la psychiatrie), on nous cite les Etats européens qui ont apporté leur soutien à George W. Bush. Et comme par hasard, les plus obligeants d’entre eux achètent leurs avions de chasse à Washington.
Charles Krauthammer, éditorialiste à Fox, ne voit aucun inconvénient à ce qu’on mette la France au ban des nations, car notre pays est selon lui coupable d’avoir “provoqué” le sien.
Quant à O’Reilly, qui présente un billet quotidien à 20 h 30, il appelle carrément à faire le siège de l’ambassade et de toutes les représentations françaises.
Notre ambassadeur fut d’ailleurs convoqué sur PBS (l’Arte américain) pour justifier notre position ; tâche dont il s’est acquitté avec un flegme qu’on ne manquera pas de trouver arrogant, car nous sommes en pleine spirale antifrançaise : le New York Times propose carrément à ses lecteurs un “glossaire de la francophobie” et Chirac est traité de “pygmée” par le Wall Street Journal.

Sourire non compris
L’émission Complément d’enquête s’est penchée sur une autre mauvaise presse, celle des Antilles françaises, qui souffrent en ce moment de la comparaison avec la République dominicaine. Les caméras de France 2 ont suivi une famille de vacanciers de Bar-le-Duc dans un hôtel tout-compris. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’équivalent en Guadeloupe n’aurait pas été forcément assorti du même sourire. Les doléances du groupe Accor n’ont fait qu’entériner une dérive qu’un bon million de vacanciers métropolitains avaient déjà constatée sur place et qui, dans la France socialiste sourcilleuse des années 1980, se résumait en privé par la phrase : “On ne peut plus rien leur dire.”
A force de ne plus rien pouvoir leur dire, on n’y va plus.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3457 paru le 28 Février 2003

Au-delà de l'écran

Madame de
Commentaire admiratif d’un reportage sur Mme de Fontenay : « Geneviève conduit sa voiture avec dextérité. » Vous vous rendez compte ? Madame conduit “elle-même” sa voiture, et de surcroît avec dextérité ! L’émission de Mireille Dumas nous a infligé le dix-huitième portrait de l’impératrice du tour de taille, en lui posant des questions du genre : « Le côté vieille France-bonnes manières, vous n’avez pas trop de mal à l’imposer ? »
Il suffisait d’écouter l’émission du fond de son salon pour se rendre compte, à l’oreille, du ridicule de cette question. Car la voix gouailleuse et traînante de Mme de Fontenay ne plaide pas pour la vieille France stricto sensu, à moins qu’on ne parle de celle de Marcel Carné ou de Pierre Mac Orlan. Non plus que sa tenue vestimentaire : voilà trente ans qu’elle semble apprêtée pour le Derby d’Epsom dans le film My Fair Lady, où les dames affectent l’élégance anglaise pour flatter l’imagination américaine. Quant au penchant de Geneviève de Fontenay pour Arlette Laguiller, il n’évoque pas non plus la France des châteaux mais plutôt celle des plateaux.

Chienne de vie
Sur la chaîne voisine, à la même heure, des histoires de maîtres dominés par leurs chiens nous rappellent de manière anecdotique mais inquiétante que les hommes ont perdu les règles de la hiérarchie, tandis que les animaux, eux, en ont gardé l’usage. En d’autres termes, les animaux connaissent le moyen de reconnaître le dominant et le dominé afin d’asseoir une vie communautaire pacifique. Et quand, dans une relation entre l’homme et le chien, pour obéir à une mode sociale haïssable, l’homme décide désormais de ne rien imposer à l’animal pour ne pas jouer les réactionnaires, le chien montre les dents parce qu’il n’a pas les mêmes valeurs en politique.

Vertige instantané
Vue dans Strip-Tease, une jeune femme de vingt ans qui quittait sa mère pour se mettre en ménage avec un jeune Corentin, un petit brun à casquette qu’on devinait d’origine maghrébine en dépit de son prénom. On soupçonnait qu’il s’agissait peut-être d’un enfant adopté, ou né dans une famille ultra-intégrée, mais soudain l’émission, dont c’est le principe, nous livrait un instantané qui donnait le vertige. La jeune fille disait se méfier du mariage. « Tout de même, répondait Corentin, il nous faudrait en discuter plus sérieusement, parce que dans ma religion, le mariage c’est sacré. »
« Ta religion ? s’écriait-elle. Mais tu n’en as aucune, ne fais pas ton malin. » Et en quelques secondes, on comprenait qu’en effet, il n’avait probablement aucune religion, et qu’il se référait au caractère sacré du mariage pour plaire aux musulmans et parce que la caméra tournait.
Voilà qui n’annonce rien de bon pour la laïcité dans la vie sociale des générations futures.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3458 paru le 7 Mars 2003

Au-delà de l'écran

Semaine italienne
Trois amis transalpins m’auront incité, cette semaine, à exploiter l’extraordinaire variété des chaînes italiennes sur TPS et à zapper de Rome à Milan presque chaque soir. Impression générale : leur spontanéité laisse pantois. (Chez nous, à l’exception des émissions politiques, Marc-Olivier Fogiel est à peu près le seul à prendre le risque du direct comme on l’a vu face à Alain Delon, lequel ne dédaigne pas ce genre d’exercice et s’en est fort bien tiré.)
Ma découverte est une émission de Canale 5 nommée Stricia la Notizia (“Nouvelles brèves”), qui propose tous les soirs un commentaire de l’actualité sous un angle divertissant. D’abord, elle a recours à deux présentatrices en string qui relèvent l’intérêt du journal en montant sur le bureau pour jouer les cariatides de l’information. Ensuite, l’un des journalistes possède un aimable petit chien, Willy, qui se promène lui aussi sur le bureau de temps à autre, ce qui fait beaucoup de monde, car derrière le bureau il y a les duettistes Greggio et Iacchetti, qui pratiquent un humour à la Vialatte.
Le clou du spectacle est l’attribution du Tapir d’or. Derrière le décor, sur une étagère, on voit des statuettes stylisées comme un oscar hollywoodien représentant cet animal qui ne passe pas pour un phénix chez les mammifères.
Le champion de la sottise une fois désigné, un journaliste lui tombe dessus pour lui remettre son Tapir d’or sous la caméra. Certains protestent, d’autres essaient de faire bonne figure, la mésaventure ressemble aux “entartages”, en moins bref mais en plus cruel. (Alberto Tomba, le champion de ski, vient d’être récompensé pour avoir falsifié grossièrement la date de son passeport après une rebuffade à l’aéroport de Rome. Et le ministre de la Culture italien pour avoir confondu Michel-Ange et Raphaël.)
On se prend à imaginer qui, chez nous, mériterait le Tapir du jour. L’actualité politique et la vie des médias fourmillent de candidats, mais j’aimerais suggérer, au débotté, le nom d’Evelyne Thomas.

Tapir de platine
Je lui décernerais même le Tapir de platine incrusté de diamants pour son numéro de C’est mon choix intitulé : “Son père a choisi un homme pour elle, va-t-elle craquer pour lui ?”, sorte de réédition de Tournez manège à la sauce psy. En résumé, il s’agit pour une jeune fille de choisir son fiancé parmi une douzaine de jeunes gens qui doivent plaire à son père… L’émission est une singerie des étapes sociales qui préludent au mariage, filmées en accéléré sur le ton du Maillon faible et présentées par une femme dont la popularité ne laisse pas d’inquiéter.
Pourquoi ? parce qu’elle ressemble à Martine Aubry. Une Martine Aubry qui aurait changé de coiffeur, qui travaillerait à l’oreillette pour corriger ses fautes de français (la vraie ne s’y est jamais résolue) et qui se prendrait pour une missionnaire de la modernité sous prétexte que les sondages lui sont favorables.

Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3459 paru le 14 Mars 2003

Au-delà de l'écran

Télévision domestique
On se demande quelle pudeur a saisi Edwy Plenel à l’instant d’organiser la défense de son journal et celle de ses coaccusés dans l’affaire du livre de Péan-Cohen. Oui, on se demande pourquoi il a éprouvé le besoin de se faire inviter par Guillaume Durand, puisqu’il nous a donné la preuve, en maintes circonstances, qu’il lui suffisait d’organiser un débat à la dévotion de ses thèses sur LCI, dans l’émission qu’il dirige (le Monde des idées), et d’y convier à la fois Alain Minc et Jean-Marie Colombani. Ils auraient pu se livrer sous son regard pétillant de malicieuse indulgence à une discussion hautement contradictoire sur le ton : “Ce qu’il y a d’inadmissible dans le livre de Péan, etc.” – à quoi l’autre aurait répondu : “Je ne suis pas du tout d’accord avec vous, ce n’est pas inadmissible, c’est scandaleux.”
Ceux qui ne croient pas qu’une telle mascarade soit possible en France n’ont jamais vu le Monde des idées, cette émission de téléachat idéologique que le monde médiatique envie à LCI, au point que Guillaume Durand était tout content, l’autre soir, de s’inspirer des mêmes méthodes dans Campus en invitant un journaliste du Nouvel Observateur et un chroniqueur de Marianne à mettre le triumvirat du Monde sur le gril. Vous parlez d’un gril. Quelqu’un aurait dû s’excuser d’avoir oublié les allumettes.
Il ne s’agit pas ici de commenter l’affaire sur le fond. Malgré le livre, elle est loin d’être instruite. Mais il est permis de commenter la forme. On a le droit de souligner le rôle douteux que joue Campus, depuis sa création, dans le relais télévisuel des préférences littéraires du Monde. Une nébuleuse de spécialistes du “coup de cœur” s’est constituée à l’écran au fil des ans. Elle promeut toujours les mêmes livres, les mêmes thèses, les mêmes auteurs. Dans le cas d’Alain Minc, l’affaire est encore plus caricaturale puisque la condamnation dont il a été l’objet pour plagiat est passée sous silence d’un accord unanime. Certes, elle n’est pas la seule à avoir été prononcée dans les dix dernières années, mais elle est la plus grave. L’omniprésence de l’auteur sur les plateaux permet de souligner combien la domestication de la télévision est un fait historique. Quand on se souvient des débuts de Guillaume Durand et de la campagne d’affichage qui vantait son insolence sur La Cinq, on s’esclaffe.

Le cormoran et l’olivier
On s’esclaffe aussi devant les acrobaties des journalistes pour trouver une sortie de reportage. Maryse Burgos, à Bagdad, en concluant un sujet sur la guerre, n’a rien trouvé de mieux que de faire une allusion appuyée à la colombe de la paix pendant que l’opérateur filmait, dans les bras d’un enfant… un cormoran de trente centimètres ! A ce degré d’à peu près, on peut imaginer n’importe quoi : tourner un sujet sur le Koweït à Marseille, par exemple. Ou faire passer Campus pour une émission impertinente.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3508 paru le 20 Février 2004

Au-delà de l'écran

Acte manqué
Nous avons appris que la rédaction de France 2 blâmait sa direction au motif que cette dernière aurait commis une erreur dans l’affaire Juppé. Lorsqu’Olivier Mazerolle (qui n’a pas vraiment la tête d’un étourdi) laisse annoncer le “retrait progressif” d’Alain Juppé, c’est donc par inadvertance. Et la rédaction tout entière dans son communiqué prétend y voir « un effet pervers de la course à l’audience ».
Et si cette histoire relevait plutôt de ce qu’on désigne en psychiatrie un acte manqué ? Certaines inadvertances expriment parfois un vœu caché (en l’occurrence celui qu’Alain Juppé quitte la vie publique). Qui s’étonnerait de voir France 2 devancer les faits sur ce thème ? La partialité de la chaîne explique, depuis longtemps, la faible audience de ses journaux. (Souvenons-nous par exemple de ses comptes rendus de campagne en faveur d’Al Gore.) Cette télévision, payée par le peuple en son entier, flatte les préférences politiques de la seule moitié qui l’intéresse. Le soir de la motion de défiance, l’équipe du journal s’est d’ailleurs offert le luxe d’un silence stalinien, illustrant davantage encore la réalité de ce qu’on lui reproche et la profondeur du changement qui s’impose.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3460 paru le 21 Mars 2003

Au-delà de l'écran

Le lundi au soleil
Certains soirs, on commet l’imprudence de lire son journal en regardant la télévision par-dessus ses lunettes. On écoute trois mesures d’une chanson et on passe une heure à rêvasser devant un scintillement de paillettes, incapable de lire, de se lever, de couper le poste…
La soirée spéciale de TF 1 consacrée à Claude François suscitait une vague nostalgie. Nostalgie ne veut pas dire regret. Il n’y a pas lieu de regretter cette époque ridicule mais, pour nombre d’entre nous, les années 1970 ont été des années de jeunesse. Nous avions beau maudire l’insignifiance des variétés, préférer tout et n’importe quoi au vacarme des 45 tours, force est de constater que les chansons de Claude François s’accrochent aux moindres épisodes de notre vie comme les graines de bardane aux manches des pull-overs. Le matraquage musical comporte les mêmes effets que son équivalent idéologique. Au moment où nous apprenons que 40 % des Russes trouvent Staline pas si mal, nous nous prenons à fredonner le Lundi au soleil qui nous rappelle la France où les patrons roulaient en DS et les ouvriers en Simca.
La chansonnette à la Clo-Clo a disparu, comme le “tut-tut-tut” de la recherche du correspondant téléphonique, le “ding” des portes de métro, les Vélosolex, les Mobylette bleues, le café Mokarex et le Végécao. Désormais, c’est la chanson marketing qui tient le pompon. Le producteur est devenu chef de produit. L’un des rares mérites de la rétrospective présentée sur TF 1 était de faire défiler les têtes de gondole d’aujourd’hui comme interprètes des “clo-cloteries” d’hier : de Priscilla, gamine extrêmement pénible qui commence toutes ses phrases par moi je, aux candidats de la Star Academy qui répètent : « C’est clair quoi », on avait l’impression d’une continuité parfaite avec la démarche du héros posthume de la soirée. Claude François, fondateur d’un magazine nommé Podium, visait déjà, en 1978, les analphabètes de treize ans éperdus de fascination pour les stars, les bombardait de wow, de tutoiements, de questionnaires pour désigner la “super-fav” (favorite). Il a compté, dans ses dernières années, parmi les marchands de renommée les plus cyniques. Il fut l’un des précurseurs du système où les adolescents croient qu’il n’y a plus qu’une seule façon d’être aimé, c’est de devenir célèbre. Alors nostalgie, oui, peut-être, mais reconnaissance certainement pas !

SOS impôts
Vu chez Jean-Marc Sylvestre sur LCI, Robert Matthieu, ancien apparatchik du système fiscal français, qui fait une seconde carrière en permettant au grand public de déjouer les abus des contrôleurs. Il était venu parler de son livre SOS impôts, où l’on peut lire notamment : « La loi sur la délation rémunérée sort tout droit du marais, du sordide, de la médiocrité humaine. » Voilà un sujet qu’on n’a guère abordé chez Delarue ce me semble, et qui ne tente pas non plus Julien Courbet.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3461 paru le 28 Mars 2003

Au-delà de l'écran

Concours général particulier
« Ma spécialité sera le scoutisme », annonce un élève de troisième intimidé par les projecteurs. Les autres défilent en clignant des yeux dans la lumière. Ils énoncent à leur tour leur spécialité : les jeux de société, les œuvres de Tolkien, les Beatles, Tintin. En fin de liste, un adolescent s’annonce spécialiste de mythologie égyptienne et un autre des Incas. Ils se sentent un peu gênés, forcément, au milieu de tous ces érudits à la mode nouvelle, imbattables sur les groupes de rock et les championnats de foot. Par chance, ils sont éliminés tout de suite, sur des questions du genre “complétez le refrain de la chanson de Jean-Pascal”. Oui, vous avez bien lu, pour avoir le droit de rivaliser de culture avec les finalistes du Grand Concours des enfants, il fallait savoir des choses aussi indispensables et universelles que celle-là. (Pour ceux qui n’auraient pas suivi, Jean-Pascal est ce garçon qui a été propulsé par le public jusqu’à la finale de Star Academy, malgré des dispositions assez rares, je veux dire d’une telle rareté qu’on les a cherchées en vain pendant dix semaines. On lui a écrit une chanson, un tube de plage pour cerveaux spongiformes, et c’est donc sur les paroles de ce chef-d’œuvre que les vingt-quatre candidats au concours général façon TF 1 ont dû plancher pour franchir le premier tour.)
Carole Rousseau, la présentatrice, avait ouvert l’émission sur les mots : « Il est temps de célébrer l’intelligence et la connaissance. » On a espéré l’une et l’autre en vain toute la soirée. Chaque candidat est venu débiter un discours liminaire façon Miss France, et je ne résiste pas au cruel plaisir de vous citer celui-ci : « J’pense que les générations à venir auront encore plus besoin de savoir des choses que nous. »
Ça paraît évident, ne fût-ce que par instinct de conservation, mais est-on vraiment sur la bonne voie ? Parmi les finalistes, il y a eu un spécialiste des Beatles et un de Tintin. Je ne me souviens plus de la spécialité de la gagnante, mais une chose est certaine, ce n’était ni la peinture baroque, ni la vie de Gabriel Fauré. A la question : « Est-ce que tu pensais que tu serais lauréate ? », elle a répondu : « J’sais pas, j’réalise pas, de toute façon. » Nous non plus.

Peloton de marine
Au journal de TF 1, le 19 mars, un banc-titre intéressant : “les fusillés marins britanniques”. Le 20 Heures doit recruter ses stagiaires parmi les lauréats du Grand Concours des enfants.

Un dimanche comme les autres
Prime time sur les trois chaînes principales, l’autre dimanche : TF 1, Une journée en enfer (les chantages d’un maniaque de l’explosif en milieu urbain) ; France 2, le Collectionneur (un policier traque un tueur en série) ; France 3, Inspecteur Barnaby (un autre policier traque un autre tueur en série).
Quand on pense que le moindre micro-trottoir déplore la généralisation de la violence, on se demande où les gens vont chercher tout ça.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3384 paru le 5 Octobre 2001

Au-delà de l'écran

Une lacune
La tendance à préférer les fictions policières à toutes les autres, à se repaître sans cesse du spectacle, de l’analyse et de la sociologie du crime, la propension générale à confondre littérature et suspense, art et polar, tragédie et documentaire, ont fait la fortune des producteurs d’histoires de flics à la télévision.
Le nombre des séries décrivant un service de la police judiciaire, un commissariat, une brigade spécialisée, un cabinet de juge devient non seulement écrasant mais préoccupant. Il introduit en effet dans l’offre de programmes une distorsion au bénéfice des œuvres qui donnent de la nature humaine une vision détestable. L’humanité finit par se réduire à une poignée de psychopathes violents, de petits dealers, de go-go girls qui veulent tout arrêter pour ouvrir une boutique d’esthéticienne, de travailleurs sociaux spécialistes de la réinsertion, etc.
Du côté des flics, c’est pareil : nous finissons par savoir davantage comment fonctionne un commissariat qu’une laverie automatique. (Le vocabulaire de ces gens-là, ordurier du haut en bas de la hiérarchie, permet d’ailleurs de constater que le concours de commissaire de police est incompatible avec la vocation de grammairien.) A moins que la faute n’en revienne aux scénaristes. Si c’est le cas, ce n’est pas la seule.
La distorsion dans la perception du réel s’exerce en effet très en amont. Il existe des brigades spécialisées qui ne font jamais l’objet d’aucun feuilleton. Prenons le GIGN, ses homologues antiterroristes et les services d’enquête de la DST. Leur popularité est très grande. Elle s’accroît sans cesse à la faveur des événements. Les scénarios décrivant la réalité de leur métier feraient des films passionnants. Ils voyagent, jouent avec leur vie pour protéger les nôtres, révèlent des réseaux insoupçonnés, des pratiques effroyables, des risques vertigineux, et pourtant aucun feuilletonniste ne s’intéresse à eux. On serait tenté de croire que la curiosité des scénaristes a pour limites les impératifs de la défense du territoire. En vérité, il est probable que cette lacune trahit une volonté de dissimuler une partie du réel.
Par exemple, depuis cinq semaines, quand les policiers ne ramassent pas des armes de guerre dans les coffres de voiture, les garages de banlieue et même en plein Paris à l’occasion d’un contrôle d’identité, ils sont obligés d’essuyer des tirs de roquettes ou de mitraillette entre le pressing et la boulangerie.
Situation nouvelle ? Tout le monde sait que si l’on canardait moins il y a cinq ans, les armes circulaient tout autant. Les moindres chasseurs de la région de Béziers connaissaient le prix des kalachnikovs.
Alors pourquoi aucun scénario n’a-t-il jamais mentionné ces marchés clandestins, ces rites barbares qui se développent à nos portes, ces marchands de femmes du Kosovo qui mutilent les Ukrainiennes dans la banlieue de Strasbourg ?
Christian Combaz

 

L'auteur tient à remercier le jeune "Shane" Fenton pour s'être donné la peine de collecter sur internet, et de lui adresser, après sept ans, ces chroniques télévisuelles.

Manque de respect
Les gens les plus soucieux de varier leurs curiosités ne regardent pas la Star Academy plus de deux fois par an, ce qui leur permet de percevoir certaines évolutions de manière brutale. Disons-le : le programme vedette de TF 1 n’a plus rien à voir avec la télé-réalité des débuts. Il fonctionne comme une véritable perversion du réel. Il s’écarte de son objet jusqu’à relever du fantasme.
Cette télévision-là essaie d’éloigner la jeunesse de sa propre image en lui présentant tous les soirs une poignée de sinistrés qui s’invectivent dans le sabir des cités. Or quand on y réfléchit, la majorité de la jeunesse ne croit pas vraiment qu’elle ressemble à ça. Elle ne croit pas que la casquette en arrière, que le vocabulaire du genre “elle me fait kiffer c’te fille”, que l’allusion permanente au “manque de respect” soient autre chose que des simulacres agités par les vendeurs de disques pour amadouer la banlieue. La jeunesse réelle ne croit pas que la notoriété dévolue aux lauréats de cette émission soit de nature à faire illusion très longtemps – comme en témoignait un reportage de Sept à huit sur Michal, l’un des gagnants laissés pour compte.
Quelques indices permettent de jauger l’épaisseur de ce mensonge : on nous montre par exemple les participants en plein concert à Rouen, dans un collège où la moyenne d’âge est de 12 ans, ce qui prouve que la production ratisse de plus en plus bas pour recueillir les ovations qu’elle espère. Ensuite le directeur de l’académie, une sorte de Tapie du show-biz, se vautre dans la démagogie, se coule dans le langage de ceux qu’il est censé former, le tout entre deux “wou ! elle a tout donné”. Son personnel fayote dans le même goût, c’est-à-dire qu’il pratique aveuglément le vocabulaire maison. Cela donne des dialogues ahurissants du genre : “Bon alors là, vous avez deux leaders qui vont vous driver, ok les gars, not so bad hein, pour chercher des hamburgers dans le parc.” À quoi les élèves répondent “yes !” dans un chœur unanime.
À force d’entendre parler de “manque de respect”, la jeunesse va s’apercevoir que cette émission en constitue un exemple institutionnel. Comme elle n’a aucune indulgence pour ceux qui la mènent en bateau, le navire TF 1 risque de tanguer un peu.

Un voile sur nos otages
Le débat sur le voile islamique a fait long feu. On peut même dire que dans les lycées la querelle n’a laissé qu’un tas de cendres. Mais à cause de deux élèves récalcitrantes à Mulhouse, la télévision nationale a soufflé sur la cendre et ranimé la braise : reportages, gros plan sur le père des fillettes en train de hurler son dédain de nos institutions dans un français approximatif, tout donne l’impression qu’entre le sensationnel et la paix civile, France 2 a choisi. Elle a choisi de rouvrir le débat, quoi qu’il en coûte. Et cela risque de coûter très cher, puisque cette affaire de voile constitue peut-être encore une question de vie ou de mort pour nos otages.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3545 paru le 5 Novembre 2004

Au-delà de l'écran

Par la bande
Il y a mille et une manières de faire de la politique française à la télévision. Nos chaînes l’ont illustré en nous présentant, pendant trois semaines, des reportages sur l’Amérique qui pense mal. Entendez, celle des conservateurs. En maintes occasions les journalistes n’ont pu se garder d’appuyer le trait, sur le ton “suivez mon regard”. On a ressorti le cinéaste Yves Boisset, on a donné une caméra à Hubert Védrine. On a même invité l’auteur d’un livre américain sur la “trahison française”, une sorte de quaker assez remonté contre Paris. Sa prestation chez Élise Lucet mérite une mention particulière. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas joué le jeu qu’on attendait de lui. Il a refusé de placer sa tête et ses mains dans le pilori.
Après le document de Pièces à conviction qui nous montrait des soldats américains en Irak furieux contre leur hiérarchie et convaincus de combattre pour le pétrole, il s’est écrié que le film d’Élise Lucet était partial, qu’il faisait honte à la chaîne et que trois soldats américains sur quatre étaient persuadés du bien-fondé de l’expédition contre Saddam.
On est obligé d’admettre que, même si le pourcentage était moindre, dans le film on n’en a vu aucun. La vigueur polémique avec laquelle Élise Lucet a essayé de répliquer, le malaise que trahissait son sourire, soulignaient le début d’une forme de réaction qui se manifeste en ce moment dans les émissions dites à la Fogiel : la rébellion. De Michaël Youn à Sébastien, de Delanoë à Élizabeth Teissier, les invités au jeu de massacre se mettent à renvoyer les projectiles.

Honnêteté douteuse
Dans les bandes dessinées de notre enfance, le pilori du Moyen Âge était couplé à un divertissement de fête foraine, le chamboul’tout, qui consiste à envoyer des balles de chiffon sur une pile de boîtes de conserve. À la place des boîtes de conserve, Nicolas Dupont-Aignan vient de conférer une actualité tardive au titre de l’émission mort-née J’y vais, J’y vais pas. Il est allé sur le plateau de On ne peut pas plaire à tout le monde. Fogiel s’est comporté envers lui avec une telle mauvaise foi que la participation des membres du gouvernement à ce genre d’émissions vient de faire l’objet, si l’on en croit l’excellent Jean-Marc Morandini (Europe 1), d’une consigne d’abstention.
Un exemple de l’honnêteté de Fogiel : dans le film liminaire qui présente l’activité du député Dupont-Aignan, nous voyons défiler une galerie de ses amis avec, en surimpression sur chaque visage, un extrait de leurs déclarations. Et sur la figure de Paul-Marie Coûteaux, que lisait-on entre guillemets ? “Israël, peuple sûr de lui et dominateur”.
Les auteurs de ce portrait, en voulant débusquer chez les souverainistes je ne sais quel antisémitisme, ont cité sans le savoir, ou même pire, en le sachant, mais en comptant sur l’ignorance des jeunes téléspectateurs, une phrase du général de Gaulle que Coûteaux citait lui-même. Déontologiquement, nous ne sommes pas loin du pire.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3546 paru le 12 Novembre 2004

Au-delà de l'écran

Large bande
La question, qui aurait paru sacrilège il y a deux ans, est posée de plus en plus ouvertement : à quoi sert l’ultra-haut débit ? S’il s’agit de consulter la page d’accueil de la SNCF, à rien : la différence entre le chargement à 2 ou à 25 mégabits est pratiquement nulle. La question pourrait d’ailleurs paraître déplacée ici. Or elle ne l’est pas. Pourquoi ? Parce que l’ultra-haut débit, qui commence où plafonnent la plupart des abonnements actuels, permettra bientôt à la télévision d’être un service Internet comme un autre.
Les commentaires se focalisent en ce moment sur le démarrage timide des offres lyonnaises de TPS, sur l’abonnement Ma ligne TV, sur la Freebox ; on nous parle de dizaines de chaînes, on évoque le numérique terrestre (non sans quelque commisération) mais la révolution réside dans le fait que la clientèle va être submergée par la tyrannie de l’image. Elle ne va pas seulement la subir : elle va contribuer à la propager.
Le coût d’une caméra numérique a été divisé par trois en trois ans. Celui d’un abonnement Internet capable d’acheminer un film de deux heures en quinze minutes suit en ce moment la même pente. Les dispositifs de téléphonie et de visiophonie en ligne sont de plus en plus accessibles. Au terme de l’évolution qui s’annonce, à quoi devons-nous nous attendre ? Au meilleur et au pire, selon une loi éternelle. Mais aussi, hélas ! dans des proportions également stupéfiantes.
Commençons par le meilleur : un jeune homme écrit un film pour quatre comédiens en participation. Il le tourne pour 5 000 euros. Il réalise effets spéciaux et titrages chez lui, envoie son œuvre à trente producteurs dans la même journée, et pour finir elle est téléchargée un million de fois dans l’année. Voilà longtemps que les jeunes cinéastes espèrent pouvoir s’épargner deux ans de démarches pour atteindre un public, c’est chose faite.
Et maintenant le pire : un autre cinéaste, cinglé celui-là, filme des humiliations, des viols, des mutilations. Pis, il les inflige pour les filmer, il participe à des bourses d’échange de ces sujets atroces, il exploite l’interphone planétaire jusqu’au crime. À cause de gens comme lui, le vecteur de diffusion finit par forcer la production, comme on le voit au Proche-Orient où l’on inflige désormais des tortures à seule fin de les montrer. Cette ubiquité devient un problème d’ordre public à l’échelle mondiale. On peut prévoir la généralisation de la propagande, l’apparition de cruautés ciblées pour faire réagir l’opinion, et un flot intarissable de pornographie. On peut aussi prévoir que les résistants iront fleurir la tombe de George Orwell.

Antidote
La France est affligée de pesanteurs qui agissent toutefois comme un antidote : essayez donc de passer du 512 kilobits aux 2 mégas chez “un grand opérateur historique”, c’est-à-dire de profiter de plein droit de l’offre réservée aux nouveaux abonnés quand vous êtes un vieux client. Vous m’en direz des nouvelles…
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3547 paru le 19 Novembre 2004

Au-delà de l'écran

Trop tard
Membre de l’Académie des sciences, universitaire, Jacques Blamont était interrogé l’autre semaine par une journaliste de France Info sur son livre Introduction au siècle des menaces. Ayant exposé la thèse de l’auteur selon laquelle les armes de destruction massive, les épidémies et la pénurie de ressources naturelles nous promettaient les pires heures de notre histoire, la journaliste a adopté l’optimisme qui convient à un “grand média consensuel” pour demander d’un ton presque guilleret à son invité : finalement, avons-nous un moyen d’éviter les désastres que vous décrivez ? Réponse du spécialiste : non, il est trop tard. Décidément, l’Université n’a aucun sens de la communication…

Onze Novembre
Dans ces conditions, il y a des coïncidences qui prennent un relief fâcheux et singulier. À Toulouse, l’Institut des hautes études de défense nationale proposait la même semaine une conférence de Geneviève de Galard. Elle racontait “son” Diên Biên Phu avec une modestie navrée. La souffrance des blessés, leurs déceptions successives quand les avions les ont laissés sur place, et leur transport dans la jungle au milieu des prisonniers affamés.
Ce tableau a trouvé un écho bizarre le lendemain sur France2 dans le film la Chambre des officiers. Voilà une histoire de compassion très semblable à celle de la petite infirmière convoyeuse de Diên Biên Phu. Ce film lumineux et sobre tourné en caméra subjective montrait la souffrance du héros défiguré, reflétée par la pitié des témoins penchés sur lui dans un hôpital pour “gueules cassées”.
Soirée éprouvante certes, mais, après tout, bien moins que sur la chaîne voisine, qui nous infligeait l’accoutrement de Mme de Fontenay. Objet du divertissement : présenter “la plus belle femme du monde” d’après un échantillon de téléspectateurs. Il faut rappeler que la semaine précédente Dechavanne-pouët-pouët nous présentait les cent meilleurs “délires de stars”, lesquels consistaient principalement à s’envoyer du yaourt en direct sur un plateau, à verser du jus d’orange sur la tête des invités, à se dénuder devant la caméra, à arroser le public de crème, etc.
Puisque le concept de TF1 semble permettre de vendre du “cerveau disponible”, selon l’aimable expression de son président, on peut suggérer les prochains numéros : les cent QI les plus faibles du Paf, les cent phrases les plus lâches et les plus consensuelles, les cent émissions politiques les plus téléphonées, les cent publicités les plus androphobes…
Ce dernier concept est particulièrement porteur : imaginez une émission qui montrerait le complot dont l’image paternelle est victime. Pères qui ne comprennent rien à leurs filles, époux puérils à tendances égoïstes, consommateurs gavés de foot et de bière, il y a de quoi faire un carton auprès des jeunes cerveaux masculins disponibles, jusqu’à leur réaction qui risque d’en surprendre plus d’un.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3548 paru le 26 Novembre 2004

Au-delà de l'écran

Fièvre porcine
Le patineur Philippe Candeloro, dont la nature est plus courtoise qu’il n’y paraît, s’est trouvé obligé de répondre à la question suivante, posée par Fogiel : " C’est pas un peu dur, de faire des ménages au centre commercial de Chelles quand on a fait courir la planète ? "
Ce qui doit être un peu dur, c’est de répondre à ce genre d’interview sans se fâcher. Mais Candeloro s’en est tiré avec classe : " Je suppose, a-t-il dit, que si demain vous vous retrouviez sur le câble, vous n’abandonneriez pas le métier. "
Bonne réponse, mais mauvais calcul. Quand on voit avec quelle impudence la direction du service public conserve aux avant-postes les têtes impopulaires (Nagui, Ardisson, etc.), on se dit que Fogiel n’a aucun souci à se faire. D’autant qu’après quelques dérives, il a corrigé le tir : la semaine passée, il recevait, au lieu des habituels parlementaires sur la défensive, deux représentants d’un groupe de rap poursuivi en justice par le ministère de l’Intérieur. Question : " Dans les paroles d’une de vos chansons, outre les centaines de morts que vous attribuez à la police, il est question de “certains porcs mariés à des truies, offusqués par tant de sans-papiers squattant les églises, et qui disent : pourquoi pas les mosquées ?” Est-ce que ce genre d’excès ne compromet pas la légitimité de votre propos ? "
Danièle Evenou, présente sur le plateau, avait choisi d’être plus offensive que son hôte. Elle a demandé avec insistance : " Et sans indiscrétion, on peut savoir qui sont les truies ? " Le chanteur du groupe s’est embourbé dans une explication selon laquelle, dans une chanson, tout devait être interprété “au niveau symbolique”. L’origine de la discussion étant le voile “de trois centimètres carrés”, dit le texte, le niveau symbolique était facile à interpréter : les cochons et les truies, c’est nous.
Quand on connaît le statut du porc dans l’imaginaire islamique, on s’étonne que le Français de base y soit assimilé sur son propre sol et sur une antenne nationale.
JT agité
Le 13 heures de Christophe Hondelatte est plus nerveux que ses concurrents, pour ne pas dire agité. Le décor est inspiré des chaînes américaines. Les petites mains de l’information traversent le champ à l’arrière-plan. Par moments, on se croirait sur Fox News, sauf que ce genre de télévision à la hussarde exige un recours aux questions abruptes.
Sur France 2, on les attend en vain. Pour cela, il faudrait recentrer la chaîne entière : les débats ne sont pas de vrais débats, les questions par SMS sont pasteurisées, le côté primesautier de la réalisation est contrebalancé par une politique très convenue dans le choix des invités. En somme, toute cette modernité reste purement formelle.
Et si l’on s’attache aux symboles, puisque c’est la mode, il y a deux nuances de rouge sur le plateau, un rose fuchsia et un rouge vermillon, deux couleurs qui se heurtent, comme on l’a souvent observé en politique. Quant à l’absence de bleu, elle n’étonnera personne.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3549 paru le 3 Décembre 2004

Au-delà de l'écran

Esprit de contradiction
Les esprits forts de la télévision contribuent à définir toujours plus précisément une esthétique obligatoire, fondée sur l’ironie envers l’ennemi de classe : l’opinion majoritaire.
Parmi leurs victimes récentes, citons Télématin, fusillée à bout portant il y a quelques mois par Guy Carlier, lequel a diffusé un passage où l’on voyait William Leymergie se pencher sur un potiron face au chroniqueur gastronomique qui parlait, lui, de la couleur de ce légume et de son aspect. Guy Carlier jugeait visiblement ces contingences matinales offensantes pour un homme de goût. Quant aux émissions vraiment populaires, dans la bouche de ses homologues, c’est pareil. Nous avons cité celle de Pascal Sevran, nous avons mentionné le cabaret de Patrick Sébastien, mais il faut revenir aux duettistes Bataille et Fontaine parce qu’ils remportent en ce moment un succès qui fait hurler les spécialistes.
La tentation serait grande de donner une leçon à ces derniers, et de chanter artificiellement les louanges de cette émission sous le prétexte qu’elle dépasse quatre millions de téléspectateurs. Et pourtant, nous n’y céderons pas. Ce divertissement est assez pauvre, il est vrai. Il ne mérite aucun éloge, il manque d’invention, son titre est nul (Y’a que la vérité qui compte), il est rythmé par une musique affreuse, et pendant l’un des derniers numéros, on a même pu entendre Daphné, sa niaise égérie, nous annoncer qu’elle se trouvait à Carpentras, " ville qui ; depuis l’Antiquité ; est chargée d’histoire ". Elle voulait probablement dire que son histoire remontait à l’Antiquité. Mais à la télévision, on est obligé de reconstituer ce que les gens ont voulu dire après avoir essayé, en vain, de comprendre ce qu’ils disent.
Malgré cela, il faut admettre que l’émotion n’est jamais absente de l’émission. On peut concéder que les présentateurs, s’ils manquent de finesse, ne donnent jamais dans l’indélicatesse, que leur réserve est pleine de respect pour les infortunés qu’ils reçoivent, et qu’à travers eux, ce que détestent les branchés, ce n’est pas l’Audimat, c’est le Peuple. On a donc presque envie de les aimer, par amour du Peuple.

Comme un chef
Sébastien Cauet est produit par les précédents. Lui s’en tire comme un chef. Sa cuisine est parfois lourde mais jamais immangeable. Son ironie n’est pas sardonique. Il ne ressemble pas aux chroniqueurs du genre “moichtrouve” qui précèdent le journal du soir sur France 2. Il pratique la loufoquerie avec une distance qui est le propre de l’âge adulte. Imaginez ses concurrents déguisés en lapin ou en agent de police : ils ne trouvent jamais le ton juste, ils ne savent pas être légers, ils font de l’humour comme les pharisiens font de la religion – en frimeurs. On peut tout reprocher à Cauet, sauf ça. Même quand il a trouvé la faille chez son invité, il n’en profite jamais pour replâtrer les siennes.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3550 paru le 10 Décembre 2004

Au-delà de l'écran

La petite fiancée du crime
Il y a des coups de pub qui mettent mal à l’aise, surtout s’ils sont diffusés aux heures de grande écoute. Sept à Huit vient de faire la promotion d’un livre qui raconte une cavale après un braquage : prise d’otages, deux morts, un magot dans une valise, une fuite à l’étranger, et une histoire d’amour pour couronner l’affaire.
En pleine France giscardienne, ce scénario a ravi les foules, c’était l’ordinaire du cinéma de l’époque. On oublie en effet de rappeler que l’aura de prestige qui entoure le banditisme violent vient de toute une mythologie introduite par les producteurs dans ces années-là (à l’image de Bonnie and Clyde). Or quand on voit la photo du prince charmant au teint mat affligé d’un strabisme prononcé, non seulement on se dit que cette jeune fille est tombée sur la tête, mais que sa fable romantique n’en est pas une. L’autre lecture des faits consiste en effet à rappeler que cette allumée de 18 ans, qui voulait sans doute donner une leçon à son milieu, a suivi un braqueur après un hold-up sanglant, qu’elle a dépensé avec lui l’argent du crime, qu’elle a été jetée comme un mouchoir, et qu’elle a appris la mort de son héros par la radio. Raconté comme ça, le livre devrait se vendre nettement moins.

Bizarreries
" Sans les oracles d’hier, nous ne pourrions pas comprendre les bizarreries de l’époque postcommuniste. " Cette phrase du Roman de la Russie insolite de Vladimir Fédorovski (Le Rocher) aurait pu servir d’exergue au film de Jean-Michel Carré Un sous-marin en eaux troubles à propos du naufrage du Koursk.
Les bizarreries dont ce film documentaire se fait l’écho (étouffement d’un incident international entre les États-Unis et la Russie de Vladimir Poutine) ne sont pas les seules. D’autres entourent sa déprogrammation par France 2. Le jour de la publication de la présente chronique aurait dû être celui de la diffusion sur la chaîne nationale. Une projection en avant-première a d’ailleurs réuni la presse le 9 novembre. Mais des difficultés de dernière minute sont apparues, difficultés dont nous ignorons le principal ; toutefois la thèse véhiculée par le film n’y est sans doute pas étrangère, ni le fait que des spécialistes comme Hélène Blanc y apportaient leur éclairage sur les improvisations de l’État russe. Le dossier de presse fait état d’un texte paru brièvement le 22 août 2000, dix jours après le naufrage, sur le site Internet de la Pravda, selon lequel " un incident s’est produit dans la mer de Barents qui a failli conduire à l’éclatement d’une troisième guerre mondiale ". Qui donc a encore intérêt à prolonger ce mystère ?

Précision
À la requête expresse de son vice-président, précisons que l’Association des officiers de réserve de la Haute-Garonne est à l’origine de la conférence prononcée par Geneviève de Galard à Toulouse le 10 novembre dernier, et non l’Institut des hautes études de défense nationale, comme nous l’avions si légèrement affirmé.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3551 paru le 17 Décembre 2004

Au-delà de l'écran

Orianne et Priscilla
Dans notre société hypocondriaque, exprimer le moindre doute devant un cas présenté chez Delarue, lui suggérer comme remède un coup de gueule, déclencheraient certainement les foudres des pédopsychiatres et de tous ceux qui font profession d’expliquer aux Français pourquoi leur fille est muette.
Mais on peut toujours essayer de s’y risquer quand même.
Pendant une récente émission de Ça se discute consacrée aux anomalies du comportement alimentaire, nous avons eu droit au portrait d’une demoiselle anorexique nommée Priscilla et de ses parents éplorés. Jusque-là, rien qui ne mérite la plus scrupuleuse compassion. Mais le cas suivant était plus douteux. Pour le décrire, la production a diffusé un reportage où la malade elle-même, nommée Orianne comme Mme de Guermantes (à une consonne près), se penchait avec complaisance sur son propre cas, en nous expliquant combien son rapport à la nourriture était digne d’étude.
Après un quart d’heure, ce sujet qui aurait dû susciter la compassion comme l’autre finissait par inspirer le contraire. Orianne n’était pas mécontente de nous montrer qu’elle se nourrissait de flocons de maïs qu’elle classait par ordre d’épaisseur, à 3 heures du matin, selon un rituel que le commentaire considérait comme pratiquement sacré. Mais surtout elle était ravie de traiter devant nous sa mère comme une esclave. " Je voudrais poser mon plateau à la cuisine ", disait la malheureuse femme. " Non ! tu le laisses dehors, va dans ta chambre, et ça m’arrangerait si tu pouvais fermer la porte. " Vous ne rêvez pas, c’est bien la fille qui traitait ainsi sa mère.
Ensuite on les voyait toutes deux dans un centre commercial à la nuit tombée, la mère lui faisait essayer cinq pantalons dont aucun ne lui convenait, avant de confier à la caméra : " Quand j’entends les thérapeutes me dire que je suis trop fusionnelle avec ma fille, ça m’irrite terriblement. " Après quoi elle se tournait vers sa Barbie de 1,70 mètre et lui disait : " Allez tu vas voir, on va s’en sortir, ma fille. "
Ça se discute devrait songer à inviter de temps en temps un personnage de Candide brutal et vengeur, un substitut du père, ce père dont notre héroïne avait visiblement besoin, car le sien se contentait de prendre un air coupable en disant que leur vie était devenue un enfer. Cet homme aurait pour mission de dire à Orianne : “Ma fille, tes flocons de maïs coupés en quatre sont la métaphore de toute ton existence : tu désignes, par ce manège nocturne et dérisoire, l’étroitesse de ta liberté dans une famille névrosée. Si tu étais née dans la bourgeoisie moyenne de Bombay, non seulement le pays entier ne te regarderait pas chipoter jusqu’à minuit sur une chaîne nationale, mais tu n’aurais jamais contracté la maladie que tu infliges à ta mère.”
Les téléspectateurs se cotiseraient pour lui offrir un stage en Inde et la France aurait l’impression qu’un peu d’air vient d’entrer sur le plateau.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3392 paru le 30 Novembre 2001

Au-delà de l'écran

Personne n’en parle
Début novembre, une émission du service public intitulée Tout le monde en parle, présentée par l’animateur le plus vertueux de la profession, s’offre la participation du mannequin vedette Karen Mulder. Objet de ces vingt minutes : faire le point sur l’affaire de l’agence Elite (allégations de prostitution de luxe lancées contre une agence de mannequins par la mafia russe, comme en témoignait un magazine de TF 1 une semaine plus tard).
Or Karen Mulder, ce soir-là, n’a pas fait ce qu’on lui demandait, à savoir répondre docilement aux questions qu’on lui posait sans déborder du cadre. Elle a nommément accusé une dizaine de personnalités de faire partie d’un autre réseau, elle a accusé son père de viol, elle a demandé le témoignage d’une chanteuse présente en prétendant qu’elle avait subi les mêmes outrages.
Le fond de l’affaire n’est pas le propos ici. On est libre d’aller lire sur Internet les accusations qu’elle a portées et le récit de la soirée, notamment sur www.actu-star.com. On aura sans doute observé que je n’ajoute pas « si on n’a pas pu voir l’émission », car cette émission, personne ne l’a vue.
Et si la production avait pu faire en sorte que les trente jeunes gens invités à applaudir dans le décor ne l’aient pas vue non plus, elle l’aurait fait. La preuve, elle a fouillé le public à la recherche des Caméscope. La bande originale a été effacée elle aussi.
L’émission n’a donc pas été diffusée. Pourquoi en connaît-on le déroulement ? Parce qu’un des spectateurs, à peine rentré chez lui, s’est rué sur son ordinateur pour raconter l’entretien sur un forum de discussion. Une fois de plus, Internet devient le refuge de la parole dissidente contre une télévision muselée où le direct est en train de devenir hors la loi.
C’est déjà plus ou moins fait. On ne tolère, en direct, que l’ouverture des robinets d’eau tiède. La présence de ce qu’on appelle pompeusement le public (et que le music-hall eût nommé la claque) va finir par être supprimée elle aussi, puisque les témoins d’un incident de plateau se mettent à “balancer” (pour reprendre le médiocre vocabulaire de l’émission). Or sans public et en différé, une émission qui se veut provocante ne provoque qu’un léger fou rire et un violent malaise.
Un fou rire quand on songe que Thierry Ardisson a joué les redresseurs de torts pendant des années, dans un magazine nommé Interview, à propos des tripatouillages de la télévision. Un malaise, parce qu’il aurait suffi de dire à la caméra « Ces propos n’engagent que vous », et juridiquement l’accusatrice se retrouvait seule en ligne, face au public qui pouvait se faire une opinion. Au lieu de quoi notre journaliste, déguisé en abbé de cour jusqu’au sourire, est allé délibérer en coulisses avant de sucrer la séquence au motif que son invitée méritait un traitement psychiatrique. Comme disent les branchés, tout cela est d’une élégance “assez moyenne”.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3552 paru le 24 Décembre 2004

Au-delà de l'écran

La maison rouge
" Pour une enfant de 11 ans, elle avait une conscience phénoménale de ce qu’elle jouait " : ainsi s’exprimait, sur Arte, l’impresario allemand d’Irina, une fillette de Kharkov venue avec sa mère partager une chambre étroite dans la banlieue de Moscou pour suivre les cours de piano de la prestigieuse École centrale de musique. De prestigieux, ce conservatoire n’a plus aujourd’hui que le renom – et encore. C’est une maison rouge à six étages dont les élèves viennent pour la plupart de la Russie déglinguée, celle qui attend pendant des heures un bus orange au milieu des palissades.
Il faut dire que les cours sont gratuits. Les mères sont vêtues d’anoraks aux couleurs improbables. Les pères sont absents ou restés au pays. Dans les appartements minuscules, entre deux tapisseries du Caucase, sous un ciel jaune et violet, trône un piano d’occasion, aux formes modernes et dont on ne voudrait pas chez nous dans une brocante. Et pourtant c’est sur cet instrument qu’Irina, Ira, Frédéric et les autres jouent des partite et des préludes depuis l’âge de 6 ans.
Parfois ces prodiges recrutés dans leurs écoles provinciales laissent pantois leurs professeurs dès la première séance. C’était le cas de la petite Ira Tchistiakovan, qui ressemblait dans le reportage à une enfant de Manet et qui jouait Chopin, à Francfort, devant un parterre choisi. Elle était accompagnée d’Irina, autre interprète, presque majeure celle-là, qui concevait ses premiers doutes après huit ans de carrière : son impresario allemand voulait la voir étudier à Philadelphie, la caméra la montrait plutôt en train d’embrasser son vieux professeur russe, qui habitait lui-même dans un taudis mais qu’elle chérissait comme son grand-père. Cet homme émouvant nous expliquait qu’en Russie les professeurs de musique ne rentraient pas chez eux après les cours comme aux États-Unis : ils vivaient au contact de leurs élèves et leur rendaient visite dans leur chambre quand ils avaient le moindre rhume.
Déjà, dans notre moitié du monde, aucun professeur de piano n’irait border son élève le soir, par crainte d’être dénoncé pour attouchements dix-huit ans après, surtout si l’enfant a raté sa carrière de concertiste. Ensuite, on voyait la petite Irina donner un récital au Vatican en 1996, en présence de sa mère, devant le pape (le Saint-Père était assis seul devant le piano et la curie derrière lui). À la fin du concert, il se levait pour caresser la tête de l’enfant en témoignage d’admiration. Et soudain on comprenait mieux pourquoi l’Occident en général et la France en particulier n’ont plus aucune amitié pour les prodiges de 6 ans : c’est par défaut d’humilité devant la Providence. Notre pays répugne à admettre le caractère déterminant du don, de la grâce et de la génétique. Au nom de l’égalité des chances, nous n’aimons plus les surdoués. J’ignore comment M 6 va se débrouiller pour contourner ce tabou dans sa nouvelle émission sur les jumeaux, mais il va falloir jouer fin.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3554 paru le 7 Janvier 2005

Au-delà de l'écran

Cibles illégitimes
Le journal de France 2 a commenté la libération des deux journalistes français en y ajoutant une touche d’analyse qui laisse un peu perplexe. Au milieu d’une explication poussive sur les différents courants qui traversent l’“armée de libération islamique”, le commentateur précise que la France diffère des autres nations par sa politique arabe intelligente.
Et là, stupeur, il ajoute textuellement : " Les ravisseurs se trompent de cible en prenant des otages en France. " Voilà qui laisse entendre non seulement qu’il existerait des cibles plus légitimes que les Français, mais que certaines exactions, enlèvements, décapitations, etc. pourraient avoir des cibles légitimes tout court. Certes la France a de quoi se réjouir que l’analyse des ravisseurs ait fini par coïncider avec celle de France 2, puisque les otages sont libres et que leur bonne santé saute aux yeux. Mais il reste là-dedans une impression de malaise, que les déclarations de Georges Malbrunot n’auront fait qu’accentuer. D’ailleurs il suffit de taper son nom dans la case “recherche” des forums d’Internet pour flairer l’état de l’opinion, laquelle s’écarte notablement des thèses officielles et ne prend rien de ce qu’on lui dit pour argent comptant.

Décalé ou malsain ?
Sur Euronews, chaîne qui se distingue pratiquement toujours par sa sobriété et son bon goût, surtout dans le traitement des catastrophes, on pouvait entendre récemment un touriste italien exprimant son impuissance à remercier les Thaïlandais très pauvres qui avaient pourtant recueilli, nourri et vêtu les survivants européens en train d’errer en maillot de bain dans les ruines boueuses de leur hôtel.
Le jour même où les journaux télévisés détaillaient l’ampleur de la détresse en Asie du Sud-Est, le soir où l’on venait de voir les morgues pleines sous les cocotiers, France 2, encore elle, osait présenter l’odieux divertissement de Nagui, Ça va être votre fête, qui consistait à envoyer quelqu’un dans le lagon de Bora Bora. Naturellement l’émission était enregistrée depuis un mois. Et naturellement aussi, la chaîne l’aurait déprogrammée si le gagnant s’était vu offrir un séjour en Thaïlande.
Mais le problème n’est pas là. Le problème est dans la vulgarité de ce machin qui était une offense à tout ce qui avait précédé. Imaginez un présentateur accoutré comme Austin Powers qui s’écrie “yeah !” toutes les trois phrases et qui demande à ses invités “vous êtes fan de quoi vous ?” en guise de carte de visite. Imaginez l’un des candidats assistant à la destruction de sa propre voiture sur le plateau, à coups de batte de base-ball. Imaginez une vidéo truquée lui montrant ses deux fils de 10 ans en train de conduire ladite voiture le pied au plancher sur route réelle, avant un simulacre d’accident.
Pour finir, imaginez de remplacer “décalé”, le mot qu’emploient le plus volontiers les promoteurs du genre, par malsain, et vous aurez une idée du niveau pélagique atteint par le service public.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3555 paru le 14 Janvier 2005

Au-delà de l'écran

Bain du premier de l’an
Quand on considère avec un peu de distance le traitement médiatique réservé aux malheurs de l’Asie du Sud, on est frappé par l’excès de zèle qui s’est manifesté d’un côté, et la goujaterie qui s’est étalée de l’autre.
L’excès de zèle d’abord : Anne Hidalgo et les brillantes équipes de la Ville de Paris en ont fait preuve, en attachant un crêpe noir aux arbres des Champs-Élysées, pour un budget sans doute non négligeable, alors qu’il aurait suffi à tous les élus parisiens de porter un brassard noir pendant une semaine. L’effet d’annonce aurait été le même et la dépense moindre. À suivre le récit du réveillon et les images du feu d’artifice sur France 3, on voyait d’ailleurs que le recueillement était très modéré sur le pavé de Paris. C’est en vain que les équipes de tournage ont cherché de l’affliction autour d’elles. La liesse était partout. Comment pouvait-il en être autrement ? Nous vivons dans une société qui a besoin de commerce, de lampions dans les rues, de boutiques illuminées. Nous avons besoin de garder le moral pour atteindre sans encombre ni mauvaise conscience la période des soldes. Nous nous contenterons donc, comme la Mairie de Paris, de “marquer notre solidarité”.
Reste à donner une illustration de la goujaterie télévisuelle. En voici une glanée le même soir. Après avoir montré les plages dévastées de Patong et de Khao Lak où errent des orphelins maigres qui fouillent les décombres, nous sommes passés, sans transition, à un reportage sur le bain du premier de l’an à Biarritz (Soir 3). À ce degré-là de maladresse, nous pouvons parler de cas d’école.

Juste pour pleurer
Le festival canadien Juste pour rire puise traditionnellement, en cette période de l’année, dans le vivier des humoristes français, pour une soirée de sketches et de caméras cachées. Le numéro de l’année se distinguait par une inspiration particulièrement dégoûtante et sanglante. En voici un extrait, interprété par le fantaisiste Franck Dubosc, un orfèvre dans le genre douteux : deux personnages, dans la jungle, l’un armé d’une machette, l’autre très pot de colle. Par punition ou par sadisme, je n’ai pas tout compris, le premier tranche un membre de son compagnon toutes les quinze secondes. À la fin c’est donc un tronc sanguinolent qui rampe dans le sous-bois. Le bourreau ayant décidé de crever les yeux de celui qui rampe, la caméra devient subjective et borgne, puis l’image tourne au noir et c’est la fin du sketch.
Pas mal, pour une soirée de premier de l’an sur le service public ! Si vous ajoutez à cela que votre neveu de 10 ans a beaucoup insisté pour voir l’émission, vous vous retrouvez blême de colère en songeant à vos propres 10 ans quand Henri Salvador égayait la soirée, déguisé en lapin de garenne, et vous demandez à votre neveu : « Tu n’as pas honte de regarder cela ? Moi, si. Et j’ai encore plus honte de le regarder avec toi. » Votre neveu se lève pour éteindre le poste. Il est au bord des larmes.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3556 paru le 21 Janvier 2005

Au-delà de l'écran

Immunité journalistique
Le fait que trois responsables de la chaîne américaine CBS aient été licenciés après la diffusion d’un faux grossier accablant l’attitude du jeune George Bush pendant la guerre du Vietnam incite à la comparaison avec ce qui se serait passé chez nous dans un cas similaire.
Une approximation nous est fournie par le sort clément réservé à David Pujadas et à Olivier Mazerolle après l’avis de retraite anticipé d’Alain Juppé (rappelons qu’il s’agissait non seulement de devancer l’événement mais de peser sur sa nature puisqu’on annonçait la mort politique d’un homme impopulaire à gauche, or les rapports entre les médias et les forces de progrès sont identiques en France et aux États-Unis).
L’impunité qui caractérise les illusionnistes de l’information dans notre pays est aussi illustrée par Karl Zéro, lequel franchit sans cesse la frontière entre le show-biz et la politique pour camper du côté qui l’arrange. Après avoir négocié, dans l’affaire Alègre, un témoignage contre des avantages en nature, il jouit d’une immunité proprement incroyable. Amuseur quand la justice se fâche, il restaure sa prétendue “dignité de journaliste” quand l’orage s’éloigne.
On pourrait continuer dans ce registre et rappeler les acrobaties d’Edwy Plenel, mais il y a mieux, c’est-à-dire plus burlesque : une affaire qui discrédite pour longtemps les méthodes et la légèreté d’une presse qui vit d’approximations et de correctifs. C’est l’article de Libération sur la sociologie du jeu vidéo repris par France 2 en novembre dernier.
Tout commence par un canular lancé sur un site Internet : le retard à la sortie d’un jeu très attendu aurait provoqué, selon l’un des intervenants du forum, le suicide de 147 jeunes Japonais, par “ingestion de poches de silicone”. Déjà, on se demande quelle mouche aurait piqué ces collégiens de s’infliger un suicide aussi ridicule et malaisé. Cette bizarrerie, à elle seule, aurait dû inspirer la méfiance. Les poches de silicone sont destinées aux implants mammaires. Au prix d’un léger effort de perspicacité, on aurait pu se figurer que l’imaginaire de l’adolescence masculine hantait cette affaire dès le départ. Mais en reprenant cette prétendue information, Libération n’a émis aucune réserve, pas même celle-là.
Ce que dit Libération relevant de l’oracle pour France 2, le journal de Béatrice Schönberg s’est ouvert quelques jours après sur une “alerte aux suicides collectifs au Japon”. Trois minutes de reportage, pas moins, avec appel de “une” : Philippe Rochot nous a refait le coup des poches de silicone sur fond de foule asiatique. Ces suicides collectifs, nous a-t-il dit, inquiètent particulièrement les autorités.
Le correctif de France 2, un mois plus tard, a duré quinze secondes. Tous les intéressés ont conservé non seulement leur poste mais l’estime générale. On comprend très bien pourquoi le service public n’aime pas la logique industrielle de ses concurrents.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3557 paru le 28 Janvier 2005

Au-delà de l'écran

Téléthon budgétaire
“Et vous Christophe ? Vous êtes plutôt cigale ou fourmi ?” C’est la question vache que posait l’autre soir Évelyne Thomas à Christophe Dechavanne, son producteur, employeur et invité. Avec une abnégation totale, le Zébulon du Paf venait en effet d’accepter de remplacer la vedette de Combien ça coûte au débotté, ce qui l’a conduit à un degré de redondance et de cynisme assez rare dans l’autopromotion, puisque pendant les spots de publicité, on vantait les mérites du DVD de ses anciennes émissions !
Passons sur ces turpitudes et penchons-nous sur la soirée qui nous réservait elle aussi un télescopage acrobatique, entre une nouvelle rubrique intitulée “Argent de famille” et une intervention d’Hervé Gaymard sur la dette publique. Le ministre nous a rappelé, lors d’un reportage liminaire, que chaque enfant qui naissait sur notre sol était endetté de 16 000 euros. Le message implicite était que nous devions consentir à un effort pour redresser les finances du pays ; or, justement, l’émission réclamait le même effort à quatre membres d’une même famille sous la direction d’un “coach financier” qu’elle appointait pour leur permettre de s’acheter le “home cinéma de leurs rêves”.
Et les recettes que l’on fournissait à ces intendants domestiques avaient tellement l’air d’une allusion du second degré à la politique économique de la nation que je ne résiste pas au plaisir d’en citer quelques-unes. La première suggestion du coach financier (un vide-grenier) était formulée en ces termes : “Est-ce que vous avez des choses à vous débarrasser” (sic). Au langage près, c’est à peu près ce qu’a dit le ministère des Finances aux responsables du patrimoine immobilier de l’État. Ensuite, la mère de famille décidait sous nos yeux de se remettre au travail.
Et là encore, les Français pourraient suivre ce conseil sans réserve. Après quoi nous avons vu deux des membres de la famille faire des économies sur les yaourts. Mais cette fois, le secteur laitier serait nettement moins favorable à ce que la nation suive l’exemple de la famille modèle.
Le seul problème – mais est-ce vraiment le seul ? – est que les cobayes de cette télé-réalité budgétaire, après trois semaines, n’avaient réuni qu’un quart de la somme escomptée. Et là nous repassons de la micro à la macroéconomie, parce que le dernier conseil du coach était de tout réinvestir dans l’organisation d’une fête pour espérer gagner en quelques heures la totalité de l’argent requis.
Mission accomplie. Mais la chaîne a pesé de tout son poids pour assurer le succès de cette opération. La souscription des invités payants a rapporté 2 000 euros uniquement parce que les amis de la famille se sont précipités sous les caméras afin de passer à la télé. Moralité : puisque, comme on l’entend souvent, “y’a plus que ça qui marche”, l’État devrait renationaliser TF 1, organiser trois téléthons budgétaires par an et diminuer la dette publique en s’amusant.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3558 paru le 4 Février 2005

Au-delà de l'écran

Le père-adjudant
Évelyne Pisier était l’invitée de Sept à Huit il y a une quinzaine de jours, pour un livre tiré de ses échecs de mère adoptante. Son témoignage jetait une lumière navrante sur les mésaventures d’une génération. Comme on l’aura compris, il s’agit des soixante-huitards, qui ont souffert sous la férule d’un père-adjudant et qui n’ont pas voulu reproduire les vieux schémas, mais qui ont compromis l’avenir de leur progéniture en lui démontrant les mérites de l’autogestion dès l’âge de 6 ans et demi.
C’est un schéma encore plus vieux. Platon en parlait déjà. Il mène au désastre en deux étapes. Dans la première, les enfants se rongent la patte comme les lièvres pris au collet. Ils se droguent, s’automutilent, fuguent, ne font plus rien à l’école. Dans la deuxième, ils deviennent pires que le grand-père fouettard, ils nourrissent les bataillons de la haine et sillonnent les rues en tenue de camouflage.
Mais leurs parents viennent nous rappeler régulièrement que leur démarche était sincère. Évelyne Pisier nous a d’ailleurs expliqué, dix ans plus tôt dans un roman à clés, que sa sincérité l’avait menée jusque dans l’alcôve de Fidel Castro, ce qui dénote un rapport au père-adjudant pour le moins perturbé. Et si quelqu’un, dans dix ans, lui reproche d’être venue faire l’intéressante sur TF 1 à propos d’un drame familial en profitant de sa notoriété pour s’autojustifier et imposer sa propre version des faits, elle nous dira encore qu’elle était d’une sincérité parfaite.
Il serait temps de dire à ces gens qu’ils éprouvent la patience de leurs contemporains. On les préférerait moins sincères mais plus efficaces ou plus discrets dans l’échec.

L’hydre du conformisme
Le départ de Christophe Hondelatte du journal de 13 heures illustre la difficulté d’asseoir une notoriété médiatique sur le franc-parler. Entre Georges de Caunes, Mourousi et Hondelatte, la filiation n’était pourtant pas si difficile à imaginer. Mais pour France 2, elle était impossible à tolérer.
La rédaction de la chaîne publique s’est longtemps efforcée de faire de l’audience en laissant le champ libre à son présentateur, mais au fil des semaines France 2 a fini par redouter son succès. Après quatre mois, son image de modernité et de pluralisme débordait déjà du cadre fixé. Finalement, Arlette Chabot a compris que le présentateur jouait le public contre elle. En laissant Hondelatte faire son numéro, caser ses petites phrases (« Gardez la pêche, la banane, la cerise », etc.), elle prenait le risque de voir sa créature échapper à tout contrôle. Or certaines carrières témoignent qu’à France 2 il importe avant tout de savoir rester sous contrôle. De surcroît, comment ne pas rappeler que Libération, qui fut cause de la dispute entre la nouvelle star du 13 Heures et sa direction, faisait lourdement allusion à son catholicisme ?
Voilà de quoi irriter ceux qui dans la maison tenaient le promu pour réac. Décidément quelque chose, dans cette affaire, rappelle l’hydre qui eut raison de Rocco Buttiglione à Bruxelles.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3559 paru le 10 Février 2005

Au-delà de l'écran

Pyramide des âges
Au moment de lancer sa nouvelle émission C’était mieux hier, Évelyne Thomas, l’égérie des élus de campagne, nous aura bien prévenus : elle veut prouver que tout n’était pas forcément mieux avant. Dans ses déclarations liminaires, elle fournit des gages à la pensée dominante, qui consiste à chanter plutôt les louanges du présent. Elle abonde dans le sens des antinostalgie qui croient que la civilisation a commencé avec la découverte de la pénicilline.
C’est faire peu de cas de l’avis de ses invités, à moins qu’elle ne les invite, précisément, pour qu’ils disent ce qu’elle veut entendre. C’est surtout une imprudence, en ces temps où nous remontons aux sources des grandes erreurs de l’après-guerre. L’école au rabais, l’esprit de Mai 68, la permissivité, la grande distribution, la retraite à 60 ans, les 35 heures, rien n’échappe à la remise à plat. La production aurait donc intérêt à corriger l’assurance progressiste de sa présentatrice, le temps de savoir si les Français ont vraiment besoin d’être convaincus que rien n’était mieux avant. Parce qu’il n’est pas impossible qu’ils cherchent plutôt la confirmation du contraire.
Si l’émission prétend amender la sensibilité générale, en nous représentant que l’attendrissement sur le passé est une tentation absurde, elle risque fort de s’arrêter avant le troisième numéro. Les gens tolèrent de plus en plus mal d’être sermonnés pour avoir nourri l’intuition de ce qui est juste. En tout cas, ils n’ont pas attendu qu’Évelyne Thomas le leur dise.
Mais on peut faire confiance aux producteurs, Bataille et Fontaine, pour analyser les dernières tendances du marché. L’an passé, par exemple, nous apprenions avec stupeur que les trois épisodes de l’Affaire Dominici avaient réalisé le meilleur chiffre d’audience de l’exercice écoulé. D’où venait ce miracle ? On avait beau se pencher sur la réalisation, elle ne justifiait pas à elle seule un tel engouement. La thèse de l’erreur judiciaire non plus. Alors quoi ? Selon toute vraisemblance, ce qui expliquait ce phénomène, c’était le désir manifeste et opiniâtre de retrouver la France d’avant le rap et les problèmes sociaux. Pour faire de l’audience, il semblerait que le recours à la Panhard Dina et au soda Vérigoud soit l’une des recettes les plus sûres. Alors, répétons-le, avant d’adopter définitivement le thème “on vit une époque formidable”, avant de prétendre que la France de Robert Lamoureux ne vaut pas celle de Joey Starr, il vaudrait mieux se mettre à l’écoute de ce qu’en pense le pays. La forme de la pyramide des âges permet déjà de deviner que la notoriété de Joey Starr n’a pas grand avenir.

Une légende
À la veille de la mort de Jacques Villeret, l’émission Comme au cinéma nous a dit qu’il appartenait, malgré son âge, à la catégorie des Raimu et des Fernandel. Elle n’a pas ajouté que pour entrer dans la légende il lui manquait une disparition prématurée, mais on ne peut s’empêcher de le penser aujourd’hui.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3560 paru le 18 Février 2005

Au-delà de l'écran

Les roses de la Commanderie
« Ici, avant, c’était une vraie résidence, avec des pelouses partout. Pour les mariages on se faisait photographier devant les rosiers. » L’homme qui parle ainsi devant des enfants goguenards conclut : « Fini les rosiers, il n’y a plus que des voitures brûlées. » Il fait partie des habitants floués de la Commanderie, près de Nogent-sur-Oise, qui ont subi successivement la filouterie de leur promoteur, le pragmatisme froid de la France gaullienne et l’angélisme farceur de celle de Mitterrand. Nous avons donc vu pendant trois semaines un reportage réalisé sur place en deux ans et demi.
Parmi les milliers d’occupants de ces immeubles, vingt voyous font la loi. Et ils font tellement la loi qu’on a l’impression qu’ils ont fait le film. C’est le reproche que l’on peut adresser au réalisateur, qui prétendait se pencher sur une troupe de mauvais garçons avec honnêteté, c’est-à-dire en prenant le temps de les connaître afin de remonter aux origines de leur violence. L’ennui est que dans l’interprétation des choses, à de rares exceptions près, la direction du discours leur était confiée. Même le Monde, qu’on ne peut pas soupçonner de se raidir facilement, a souligné que le réalisateur avait dû se plier à la loi de la bande, afin que les voyous puissent contrôler leur image. Dans le genre “jusqu’où peut-on pousser le bouchon ?”, difficile d’aller plus loin, et d’obtenir plus belle victoire.
Après avoir passé des années à terroriser deux mille habitants (alors qu’ils sont une poignée), après s’être battus à coups de rasoir dans la gare de Creil, après avoir multiplié les “conneries” comme ils disent, les voilà devenus vedettes d’une sorte de téléfilm documentaire dont ils règlent pratiquement les éclairages.
Sur la violence elle-même, nous avons entendu des choses intelligentes, mais pas de leur bouche : le discours le plus sensé est venu du vice-procureur de Pontoise, qui a souligné que ces jeunes étaient connus pour leur tendance à l’affrontement violent dès l’école primaire. Il n’est pas allé jusqu’à suggérer que la correction de trajectoire intervienne à ce moment-là, mais il l’aurait dû. C’est l’un des graves défauts du film : nous n’avons jamais vu la sortie de l’œuf. Nous n’avons jamais vu des garçons de 6 ans faire la loi dans la salle de classe, sous l’œil d’une maîtresse incompétente qui parlemente au lieu de sévir.
Nous n’avons pas vu les jeunes intimider les vieux sur les parkings. Nous n’avons pas été témoins des premières expériences de l’enfant face à la démission institutionnelle : absence d’autorité masculine dans le primaire, féminisation outrancière de la magistrature (face à de jeunes coqs qui récusent le pouvoir des femmes en général), libertés conditionnelles à répétition, etc. En somme, rien d’essentiel n’a été montré.
En revanche, nous avons eu droit à l’inévitable “rédemption par le rap”, une escroquerie qui sera bientôt protégée par décret tant elle flatte d’illusions à la fois.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3561 paru le 25 Février 2005

Au-delà de l'écran

Braconnage administratif
Pour évoquer le numéro d’Envoyé spécial consacré aux abus de la Sécu, j’ai exhumé l’un de ces prospectus dont l’administration démagogue du règne Mitterrand inondait la France au début des années 1980. Il est titré en style d’époque, qu’on m’en excuse (au passage, il faut tout de même imaginer la série de fonctionnaires qui ont approuvé ce slogan à l’usage des bac – 5) : « La Sécu c’est bien, en abuser ça craint ». Dans le premier paragraphe de cette brochure, tirée à cinq millions d’exemplaires, on lisait en outre ceci : « la Sécu est un système que beaucoup nous envient».
Vingt ans après, on se demande combien de temps il nous reste pour susciter l’envie avant la faillite. Les cas décrits par France 2 étaient tellement accablants qu’on se demande aussi pourquoi le débat n’est pas devenu national dès le lendemain de l’émission. Les cafouillages de la carte Vitale, les rodomontades de ceux qui prétendent instaurer un dispositif d’identification sans s’assurer de la vérité des informations fournies, tout cela peut attendre. Il y a mieux et plus urgent. Qu’un patient d’origine algérienne en arrêt de travail soit en mesure de retourner vivre au pays aux frais de l’État français, tout le monde l’a entendu rapporter, de source sûre, d’un ami médecin, d’un collègue de bureau, de la dame du cinquième. Et que ce patient, une fois dans sa famille, soit capable de se faire prescrire deux mois de prolongation par un praticien de complaisance à Alger, on prenait cela pour une exagération. Or l’émission l’attestait clairement en caméra cachée.
Nous avons vu aussi, à Marseille, au fond des cours miteuses du quartier Saint-Charles, se multiplier des boîtes aux lettres qui fonctionnent comme des casiers à langoustes. Une fois par mois, leur détenteur vient les relever pour toucher le RMI. Et quand l’inspecteur finit par coincer l’un de ces braconniers administratifs, l’aigrefin promet de rembourser trois ans, d’un cœur léger. Pourquoi ? Parce qu’il vient de toucher sept autres années qui, elles, sont impossibles à rappeler aux termes de la loi.
Restait le clou de la soirée : un couple de retraités, elle ancienne lingère travaillant depuis l’âge de 14 ans, lui sans revenus et malade. Ils vivotent sur six cents euros, loyer compris, pour avoir cru à la répartition et aux vertus de l’honnêteté. De l’aveu même de l’inspecteur de la Ddass, pendant ce temps, d’autres utilisent les failles du système pour rouler carrosse. « Il y a des jours où ça me révolte », disait ce monsieur à la caméra.
Nous aussi !

Sottise force 9
Au journal de TF1, nous avons vu les permanenciers affectés à la veille sismique sur la zone pacifique américaine raconter d’un air gêné que le 26 décembre, ils n’ont pas su qui appeler dans l’océan Indien.
N’importe quel gamin aurait pu leur suggérer de consulter l’Internet pour composer le numéro de dix grands hôtels, de Phuket à Khao Lak.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3562 paru le 4 Mars 2005

Au-delà de l'écran

Déontologie et propagande
L’existence d’un “médiateur” sur France 2 a déjà fait sourire plus d’un habitué de la chaîne, mais l’exercice auquel vient de se livrer Arlette Chabot chez son collègue Jean-Claude Allanic relève de la pantalonnade. À France 2 on aime à se donner les apparences de la démocratie.
On se plaît à rappeler qu’on est à l’écoute. On parle de déontologie en se référant sans cesse au principe d’indépendance. Le téléspectateur est donc invité périodiquement à exprimer son opinion en direct. Et pour prouver qu’il est en direct, il glisse de temps en temps dans les limbes de la téléphonie au lieu de poser sa question. Nous sommes même allés cette fois jusqu’à la rupture de faisceau entre Paris et Lyon, avec mire et sifflement comme dans Intervilles : un cas d’école, surtout quand on songe aux directs quotidiens avec Bagdad ou Singapour.
L’émission du jour commentait un sondage désastreux. Le public des médias, si l’on en croit la Sofres, aurait de moins en moins confiance en la télévision. Pour alléger le fardeau côté France 2, Arlette Chabot est montée en première ligne afin de nous convaincre que vis-à-vis de sa chaîne la confiance restait entière. Ce genre de critiques s’adressait donc, selon toute vraisemblance, à la télévision privée.
Le poids d’une directrice de l’information étant largement suffisant pour intimider quiconque, Jean-Claude Allanic, qui se distingue par une tendance opiniâtre à l’effacement, a vu saboter son travail en direct. L’irruption d’un poids lourd de la direction a fait tanguer sa frêle balançoire. « Bonjour, quels sont les points qui vous paraissent positifs et ceux qui, peut-être, vous paraissent négatifs ? », a-t-il demandé à l’un de ses correspondants téléphoniques. (On notera le “peut-être”.) Le téléspectateur lui a répondu que récemment des images identiques, présentées sur France 2 et sur France 3, ont été situées respectivement à Mossoul et à Fallouja. Réaction d’Arlette Chabot : ça prouve bien la vigilance qu’il faut porter sur l’origine des images (sic). Outre la qualité du style, qui rappelle la verve experte de Martine Aubry, on relèvera que la directrice de l’information s’interroge sur l’origine des reportages au lieu de critiquer l’à-peu-près qui règne au moment de leur diffusion. Circulez, il n’y a rien d’autre à voir.
Quand on analyse d’ailleurs le ton des débats qu’elle prétend ouvrir dans ses différentes émissions, on est frappé par une évidence : elle n’ouvre plus rien, elle fermerait plutôt. Deux exemples récents : “La France peut-elle encore échapper au terrorisme islamique ?” et “Pourquoi est-il impossible de réformer la France ?” Dans ces deux titres, il s’agit d’asséner une vérité, pas de poser une question. Jusqu’ici, le journalisme avait pour objet d’élargir le débat. Mais la complexité des problèmes d’aujourd’hui semble interdire le maintien, dans l’information, de ce qu’on appelle la profondeur de champ. Voilà qui nous rapproche chaque jour davantage de la propagande.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3393 paru le 7 Décembre 2001

Au-delà de l'écran

Multirésistance
A la télévision, nul besoin d’obliger les invités à défiler en rang d’oignons pour ne voir qu’une seule tête : sur les plateaux le discours tend partout à devenir le même. Ce phénomène s’explique d’abord par une sorte de sagesse immunitaire du système. L’outil télévision isole les cellules aberrantes, les foyers d’infection et les paroles dissidentes afin de s’assurer que les plateaux ne se transforment pas en pétaudières.
Jusque-là c’est légitime et pas dangereux. Dans le pire cas, on se contente de coincer les discours atypiques entre de solides guillemets, des guillemets institutionnels, en attribuant pour vocation à l’émission de donner refuge aux originalités. La condition indispensable, c’est le direct. Or on connaît ses inconvénients : dans une société qui n’est plus seulement abreuvée d’images mais dominée par elles, une émission comme Droit de réponse constituerait un véritable péril. Elle donnerait à n’importe qui le pouvoir d’attirer l’attention sur un scandale, de proférer des menaces ou des accusations sans autre garde-fou que la correctionnelle.
Elle offrirait surtout un exutoire intolérable à la vérité. Le premier remède est venu naturellement : enregistrer. Hélas, le public préfère le produit frais. Il a donc fallu s’arranger pour que le direct s’éloigne le plus possible de la nature, pour que le produit frais ne sente jamais mauvais, pour que les foyers d’infection disparaissent du discours. Le recours aux antibiotiques était inévitable. Conséquence, depuis une vingtaine d’années, deux familles d’antibiotiques ont été administrées sans le moindre discernement : le recours à la dérision et l’appel au public. Quand un personnage a quelque chose à dire de façon plus solennelle que les autres, quand un tribun organise une conférence de presse le matin, ses propos sont travestis, le soir même, pour cinq millions de téléspectateurs (feu le Bébête-Show, les Guignols, etc.). Quand le même personnage s’exprime sur un plateau, on s’arrange pour que le public ne soit plus réduit aux quatre tondus de service, mais exposé par dizaines sur des gradins, où il réagit sur invitation expresse du présentateur afin d’atténuer la portée des propos tenus.
Le terme de l’évolution n’est pas encore atteint, mais il suffit d’observer les excès de la prophylaxie médicamenteuse pour se douter de ce qui va se passer. Après vingt ans de surconsommation d’antibiotiques, les formes de pensée infectieuses sont en train de développer une multirésistance.

Antibiotiques
Pendant ce temps, que fait Françoise Laborde, la scrupuleuse “chroniqueuse politique” de Télématin ? de la retape (travers dénoncé par un téléspectateur devant le “médiateur” de France 2) en invitant cinq ministres du gouvernement de Lionel Jospin en une semaine. Hélas, quand l’antibiotique est inefficace, il est inutile et dangereux de quintupler les doses.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3563 paru le 11 Mars 2005

Au-delà de l'écran

Malheur à ceux…
L’autre matin, les deux enfants de mes hôtes (6 et 8 ans) ont voulu voir la météo afin de mesurer l’étendue des chutes de neige autour de la capitale et de supputer leurs chances de ne pas aller à l’école. Les adultes s’étant éloignés vers la cuisine pendant quelques minutes, nous avons retrouvé les bambins bouche bée devant le journal de LCI, lequel leur expliquait que les parents du procès d’Angers prostituaient leurs enfants. On voyait la confession d’Odile, 26 ans, accusée de se livrer à des rapports sexuels devant sa progéniture. La présidente d’une association venait nous expliquer que les mères pédophiles étaient plus nombreuses qu’on ne le pensait. Elle accumulait les détails sordides. Ensuite, on nous citait le chiffre d’affaires mensuel de l’une des mères maquerelles : 300 euros. Rien ne manquait au tableau, ni la nature des sévices ni le pedigree des protagonistes.
De retour au salon, nous nous sommes rués sur la télécommande pour passer sur Télétoon. Hélas, le soir, au journal de TF 1, reportage sur le lieu de l’horreur. Gros plan sur la porte orange de l’appartement (vide) où les sévices ont eu lieu. Une voisine qui possède la clé laisse pénétrer une équipe légère. On filme les baies vitrées, la porte de la cuisine, la moquette sale.
Ensuite, une caméra subjective promène un zoom sur les enfants d’un square. À grand renfort de plans flous et d’angles bizarres, on essaie de nous donner l’illusion d’une menace diffuse. Re-rappel des faits en voix off, témoignage de voisines qui se donnent une importance extrême pour nous dire qu’elles n’ont rien vu mais que “c’est vrai que c’est inquiétant”.
Ce qui est inquiétant, c’est la débauche de commentaires sur ce qui devrait à peine franchir les limites du prétoire. On nous dit que la presse sera invitée à rendre compte de ces affaires sordides de manière prophylactique, afin de contribuer à une prise de conscience.
On essaie de nous faire croire que cette mise à plat médiatique fait l’unanimité dans l’opinion. Or nombre de parents considèrent que si la télévision nous inflige pendant trois mois ce qu’elle a fait subir aux enfants le jour de l’ouverture du procès, il va falloir prendre le maquis sur Télétoon jusqu’au 15 juin.
Quant aux vertus de la prophylaxie, il est permis de défendre exactement l’inverse de la thèse officielle. La débauche de transparence peut fort bien être interprétée comme la manifestation même de ce qu’elle dénonce : le viol de l’innocence. Ces histoires-là devraient épargner l’imagination de la plupart des enfants. Or par la faute des médias audiovisuels, une proportion accablante de gamins qui n’auraient pas cru que cela fût possible en sont persuadés au-delà du nécessaire.
« Malheur à ceux par qui le scandale arrive. » Cette parole d’Évangile, on l’oublie un peu, concerne non seulement ceux qui commettent des actes scandaleux mais aussi ceux qui se complaisent à les rapporter.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3564 paru le 18 Mars 2005

Au-delà de l'écran

Semaine de l’horreur
Dès qu’il est question des rapports entre les enfants et la télévision, les gens qui conservent un fond de morale se heurtent à la mystique de la licence obligatoire, comme si cette dernière fondait la démocratie. À bien des égards, on peut pourtant affirmer le contraire : le spectacle de la barbarie est incompatible avec le respect de l’homme.
Quand vous expliquez à de jeunes parents qu’il est indécent de laisser leur fille de 10 ans regarder le feuilleton la Crim’, où les enquêteurs essaient de résoudre l’énigme d’une femme dépecée qu’on vient de retrouver dans une demi-douzaine de sacs poubelle, il est incroyable d’avoir à s’en justifier.
Quand on voit programmer un dimanche à 21 heures (TF1) le film les Rivières pourpres, délire sadique qui commence par un exercice de médecine légale en gros plan sur un cadavre aux mains coupées, dont on nous précise que « les plaies ont été cautérisées pendant la séance de torture, afin que la victime ne meure pas trop vite d’hémorragie », on peut se demander si notre pays n’est pas tombé sur la tête. Souvenez-vous : il y a trente ans à peine, une simple fusillade réaliste, dans un film de gangsters, suscitait un débat national sur la violence.
Désormais, c’est le fait de manifester son dégoût devant les amateurs de carnage qui devient un objet de scandale. Pour illustrer cet accablant paradoxe, le soir même où l’on diffusait les Rivières pourpres, tiré du roman charcutier de Jean-Christophe Grangé, Fogiel opposait la pédiatre Edwige Antier à l’acteur vedette d’une autre ignominie cinématographique qui vient de sortir, Calvaire, réalisé par Fabrice Du Welz.
Thème du débat : “Les enfants sont-ils perturbés par la violence au cinéma ?” Par un mélange coupable d’expérience professionnelle et de bon sens individuel, Mme Antier estime que oui. Et elle ose le dire sur le plateau. Face à elle, l’acteur vedette du film, dès qu’il s’agit de défendre cette bluette où un malheureux est torturé, violé, humilié, travesti et couvert de sang par un village de demeurés pendant deux heures, est à court d’arguments. Alors Fogiel vole au secours du camp des tortionnaires en disant à son invitée, sur le ton d’un garçon de bains qui aurait bachoté un entretien d’embauche chez Gallimard : « Ce n’est que votre avis, mais des gens comme Hervé Bourges, dans son livre, sont d’un avis contraire. » Bravo pour le fayotage. Hervé Bourges, qui passe en France, c’est connu, pour une autorité morale indiscutable, est censé damer le pion à une spécialiste dont la pédopsychologie est le métier depuis quarante ans.
Quant à l’affaire du téléfilm tiré, ou plutôt arraché, par TF1, de la vie de Francis Heaulme et menacé d’un référé jusqu’à la dernière extrémité, il y aurait mille reproches à faire à la chaîne (et donc au CSA), mais arrêtons-nous au premier, qui concerne le titre : Dans la tête du tueur.
Honnêtement, si l’on faisait un sondage, combien de gens voudraient savoir ce qui s’y passe ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3565 paru le 25 Mars 2005

Au-delà de l'écran

L’intouchable de la parité
Le fait d’aborder un sujet aussi frivole que l’éviction de Marlène dans 1re Compagnie paraîtra curieux à nombre de lecteurs. Et pourtant, que d’enseignements ne tire-t-on pas d’un coup de sonde dans les profondeurs de l’opinion ! Quand une fille rieuse, provocante et intelligente fait l’objet d’une motion de censure aussi radicale, il faut s’interroger. Et comme en outre il fallait bien trouver un angle pour mentionner 1re Compagnie, divertissement sans joie ni génie, c’est fait, le voici : Marlène vient d’être victime des humeurs de la ménagère de moins de 50 ans !
Selon toute vraisemblance, le vote qui l’a obligée à quitter le jeu était un mouvement de dépit féminin devant une poupée sans complexes, dégagée de toute entrave, et, circonstance aggravante, non dépourvue de neurones. Il suffit d’entendre les commentaires masculins à son sujet depuis dix ans, en France comme en Espagne, pour comprendre que Marlène entretient une connivence naturelle avec les hommes dans le dos de leurs épouses. C’est pourquoi, malgré une prestation amusante sous les cocotiers, une plastique généreuse, un parcours médiatique sans faute, elle vient d’être virée par le public féminin contre la stratégie marketing imaginée par TF1.
En voyant triompher le lobby des pasionarias de la parité, dont l’influence ne cesse de croître, on s’avisait que, depuis les actrices du XVIIe, les courtisanes du XVIIIe, les cocottes du XIXe, la réaction de la mère, de l’épouse, de la travailleuse contre les mangeuses d’hommes est toujours la même. Face à la Créature qui distribue ses sous-vêtements sur le plateau de Cauet, on assiste en France à des réactions de rejet qui tiennent de l’exorcisme. Marlène est une sorcière comme le furent Valérie Kaprisky, à l’époque de l’Année des méduses, et Vanessa Paradis, qui confiait lors d’une interview son soulagement de s’être éloignée de sa notoriété de lolita car certaines femmes, dans la rue, lui crachaient au visage.
Réincarnation Sur LCI, une bande-annonce nous invite à regarder une émission dont j’ai oublié le nom mais qui nous propose d’entrer dans l’intimité de ceux qui font la culture : l’invitée était Jenifer, égérie de la génération “j’veux dire c’est clair” et réincarnation de Mireille Mathieu, version nombril à l’air. La culture selon LCI s’éloigne un peu du Louvre…

Incongruités
Jean-Marc Morandini, dont le livre sur les salaires de la télé provoque moins de commentaires que l’appartement d’Hervé Gaymard, était reçu par Ruquier l’autre soir. Quand on compare la tâche d’un amuseur à celle d’un ministre, on s’étonne de voir que le premier gagne cinq fois plus que l’autre, mais il est incongru de le dire. Quant à suggérer qu’Hervé Gaymard, s’il avait eu le temps de réduire la dette publique, aurait mérité de s’installer gratuitement à Trianon avec sa parentèle, c’est une autre incongruité, dont la moitié de nos compatriotes seront pourtant persuadés un jour.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3566 paru le 1 Avril 2005

Au-delà de l'écran

Préséance parentale
L’histoire commence classiquement dans une officine de production londonienne. Quatre créatifs mettent au point le thème d’une nouvelle émission de téléréalité. Elle aura pour objet de rendre la main à de jeunes parents dépassés dans l’éducation de leurs enfants en faisant intervenir une super nanny suivie d’une équipe de tournage. Cette psychologue de terrain devra restaurer la préséance parentale, en évitant, par exemple, que les enfants de 4 ans ne décident eux-mêmes de leur menu, ne distribuent des coups de fourchette à table, et ne fassent la loi dans la famille.
Si cette idée avait mûri chez un producteur de la Plaine Saint-Denis, à supposer qu’elle ait pu franchir le stade de la réunion hebdomadaire, aucune chaîne française n’aurait fait le premier pas. Concept trop réactionnaire. Trop dangereux. Trop courageux dans une société où la moindre faute de goût peut déclencher une chasse aux sorcières. Tandis que Super Nanny arrive en France après une saison sur Channel 4 en Angleterre, et un succès sur ABC en Amérique. Avec un tel brevet de navigabilité, même un concept deux fois plus réac aurait marché en France et les autres chaînes ne manqueront pas de s’en souvenir.
Pour l’heure, rendons hommage à M 6 : dans le suivisme culturel, la chaîne aurait pu être nettement moins inspirée. Super Nanny, avec son mélange de dérision (le générique est une parodie de James Bond) et de sérieux pédagogique, est une émission très réjouissante parce qu’elle met en lumière la névrose des parents immatures qui prennent un air distrait lorsque leur enfant les provoque et qui craignent d’être moins aimés s’ils disent non.
Quand nous voyons la super nanny déclarer au père de famille « on ne vous entend jamais, ou bien alors il faut vraiment dresser l’oreille », quand elle souligne que la mère est brouillonne et inefficace, on se demande pourquoi elle a le droit de le dire aussi librement alors que les éducateurs traditionnels n’ont plus le droit d’en placer une.
La première explication tient à l’instrument télévision. Il permet de faire passer les leçons les plus rudes avec le sourire. Mais la deuxième est que la super nanny est une femme (ce qui lui permet de restaurer le principe masculin dans la famille sans faire hurler les louves du féminisme). La méthode est efficace : à coups de recettes éternelles et de règles simples, l’intervenante rétablit l’ordre en huit jours.
On rêve à l’application du même principe dans une école primaire. On pourrait imaginer par exemple d’adjoindre un super instit à certaines maîtresses que M 6 recruterait parmi le pourcentage écrasant de celles qui font preuve d’une hystérie bavarde et qui ne savent rien exiger. Un plateau illustrerait le rapport entre incompétence éducative et violence sociale. Un détenu viendrait expliquer qu’il regrette d’avoir eu des parents cool et des profs inexistants. Mais il faudra sans doute attendre que le concept traverse l’Atlantique.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3567 paru le 8 Avril 2005

Au-delà de l'écran

Bâton glacé
Guy Carlier aura beau invoquer l’emportement du direct, la part de l’improvisation malheureuse, le ton humoristique très balisé de sa chronique, il est sorti de la route. Il a même enfoncé le rail de sécurité lorsqu’il s’est écrié, à propos du prince Rainier mourant : « C’est triste, c’est vrai, mais on n’est pas vraiment submergé par une émotion romanesque. » Il a commis une faute. Non pour avoir fait rire aux dépens d’une famille dans l’affliction – il paraît que c’est le sommet de la modernité – mais pour avoir cru que tout le monde allait suivre. Quand il n’y aurait eu que le centième des gens à l’écoute, ce soir-là, pour songer que les enfants Grimaldi avaient le cœur gros, croire que le public (le fameux “on”) était prêt à communier dans le ricanement représentait une stupidité.
Pour notre chroniqueur, spécialiste du traitement des élites façon bâton glacé (je lèche d’un côté, je mords de l’autre), non seulement le public n’a pas toujours raison, mais c’est plutôt le contraire. Tout ce qui forme la majorité lui répugne. Sur une chaîne du câble, ce serait son droit : Canal Plus vient d’ailleurs d’établir un parallèle entre le pape et Rainier qui mérite de finir dans l’anthologie du mauvais goût à la française. Mais dans le cas de France Télévisions les choses sont différentes : la chaîne et la France ne font qu’un. France 3 devrait donc se comporter comme une chaîne du peuple, du peuple entier, parce qu’une grande part de ses subsides provient de ceux qui la regardent. Dans un pays normal l’autorité de tutelle devrait donc lui interdire d’offenser son public, sans parler de ses voisins, mais ce pays normal est-ce encore le nôtre ?

“L’empire
de la télé-réalité” Ce titre est celui d’une remarquable étude de Damien le Guay parue aux Presses de la Renaissance sur la sacralisation de la banalité par la télévision.
Parmi les articulations du raisonnement à souligner au feutre rouge, signalons l’inconséquence des intellectuels, qui dédaignent la trash télé mais qui n’ont jamais cessé d’accabler les références à la famille, à la région, à la nation, comme suspectes de dérive identitaire.
Faute de l’ancrage instinctif et traditionnel qui leur est interdit (et que les émissions culturelles, le cinéma, les téléfilms débinent depuis vingt ans), les gens du peuple et les immigrants se tournent donc vers une mythologie sociale au rabais : castings, télé-réalité, déballages douteux, la liste est longue.
Mais pour que l’identification au héros fonctionne dans le nouveau système social, il faut aussi et surtout changer la nature du héros. Plus de “grosses têtes”, plus de supériorité réelle, plus de caractères taciturnes ou originaux : il faut fabriquer des modèles qui ressemblent à tout le monde, pour pouvoir vendre à chacun sa propre image. Cette médiocrité militante, qui obéit au précepte “bats-toi pour rester toi-même”, est le creuset de la plupart de nos insuffisances, et ce livre la décrit à merveille.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3568 paru le 15 Avril 2005

Au-delà de l'écran

On a presque tout dit
Sur la mort du pape, il paraît que tout a été dit mais, à la télévision, on a surtout dit n’importe quoi. Témoin cette perle de concours, ce joyau de collection que j’extrais d’un commentaire en voix off au 20 Heures de TF1 : « En Inde, pays de religion musulmane (sic), on ne compte que 2 % de catholiques. »
Quant au reste, c’est-à-dire l’organisation des cérémonies, les voyages de Jean-Paul II, le protocole, les déplacements des grands de ce monde… tout a été couvert jusqu’à satiété en empruntant les autoroutes de la pensée. Nous nous contenterons donc, en quelques questions-réponses, d’indiquer au lecteur des chemins vicinaux.
D’abord, l’hypercouverture médiatique fut en elle-même un sujet de débat : était-il légitime de multiplier les éditions spéciales, surtout sur le service public, eu égard au caractère religieux du sujet ? Pour ce qui est du volume, la mort du pape a bénéficié d’une couverture comparable à n’importe quel événement de la même ampleur.
Mais la laïcité ? Justement, les inquisiteurs de la laïcité ont choqué nombre de Français. Leur tartuferie souligne à quel point notre vie sociale porte l’empreinte du christianisme. Vouloir extirper toute référence à cette empreinte dans les usages et le vocabulaire, notamment dans les médias, représente une mutilation. On en vient à se demander s’il ne faudrait pas fonder une association pour défendre les 4 284 communes qui ont le malheur de porter un nom de saint.
Quand on voit jusqu’où les commentaires sont allés dans la casuistique à propos des drapeaux en berne, quand on entend les arguties des uns et des autres, on se dit que les reportages sur la Saint-Nicolas, la Saint-Patrick ou le pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer seront bientôt soumis à quelque loi de quota grâce à la vigilance experte de nos députés socialistes. Ce qu’ils ne voient pas, c’est combien l’unanimisme médiatique à propos du pape désigne un sursaut d’identité dans la France discrète et secrète, celle pour qui la référence au christianisme est en train de redevenir politique.
Ensuite il y a les “prises de position” de l’Église sur l’avortement, l’homosexualité, l’euthanasie ou la contraception. Le pape, nous a-t-on rappelé, incarne un catholicisme sans concession. Pour plus d’honnêteté, les commentaires auraient dû nous rappeler les concessions consenties par les musulmans ou les juifs sur les mêmes sujets. On n’a rien entendu, et pour cause…
Reste la Chine, échec de Jean-Paul II, a-t-on souligné, l’un des deux ou trois pays qui manquent à son tableau de mission. Et là, personne ne s’est interrogé sur la persécution dont les chrétiens sont victimes en Chine, personne n’a voulu voir ce qu’elle désigne en termes de géopolitique (notamment dans nos rapports futurs avec l’islam) : les autorités chinoises ont lieu de craindre le déferlement d’une religion compatible avec le confucianisme, fondée sur l’amour du prochain et le dédain de la violence. Et nous, de nous en réjouir.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3569 paru le 22 Avril 2005

Au-delà de l'écran

Le fardeau de la liberté
Parmi ces films qui jouissent d’une rumeur favorable mais qu’on n’a pas eu le courage d’aller voir à leur sortie, le Moi César, 10 ans, 1 m 39 de Richard Berry s’est hissé en bonne place, ce qui explique la curiosité suscitée par son passage à la télévision. Il est permis d’en tirer prétexte pour illustrer l’escroquerie dont les parents modernes se rendent coupables quand ils infligent à des enfants aussi jeunes le fardeau de la liberté.
Que voit-on dans ce film ? Deux garçons, l’un, César, accablé par une famille ordinaire, affligé d’un père débordé mais sévère ; l’autre, Morgan, métis issu d’un Anglais et d’une Martiniquaise qui travaille la nuit. Les parents de ce dernier sont divorcés. Il vit seul entre l’école, le réfrigérateur et la télévision.
Aux yeux du jeune César, dont la famille est tellement ringarde que sa propre mère est enceinte et ne travaille pas, Morgan réunit tous les avantages : il est trop cool, il porte un prénom à la mode, il n’appartient à aucun groupe social défini, il passe la journée à regarder son portable, il est abonné aux chaînes du câble et zappe entre foot et porno après ses devoirs. Car en plus, il travaille bien à l’école.
Que manque-t-il donc à ce garçon pour atteindre le sommet de la félicité ? La présence de son père.
Nos deux amis s’en vont donc à Londres pendant vingt-quatre heures par l’Eurostar, pour éplucher l’annuaire à la recherche de tous les homonymes du géniteur absent.
Jusque-là, on se dit que le film pourrait rencontrer une vérité immanente, à savoir que Morgan a besoin d’une règle. Lui qui ne connaît que Canal Plus et la PlayStation, il se verrait bien délivré de toutes les angoisses que lui inflige sa condition d’affranchi. S’il retrouve son père, avec un peu de chance il va tomber sur un homme exigeant qui le consolera de dix ans de liberté. Il recommencera à prendre de vrais repas, il cessera de composer des SMS pour d’autres analphabètes issus de familles monoparentales, il ne dira pas “trop génial” toutes les trois phrases, bref il aura une chance de devenir adulte avant l’âge de la retraite.
Hélas ! quand on voit le genre du père anglais, on mesure à quel point le réalisateur a choisi de compromettre le destin de son héros plutôt que de déplaire au public. L’Anglais reçoit donc cet enfant, dont il ignorait l’existence, avec la patience niaise des pères à la nouvelle mode, ceux qui sont tolérés par leur progéniture à condition de faire oublier leur faute originelle.
Laquelle ? Pour résumer, il représente un principe masculin dans un monde émasculé. Le scénariste nous le décrit comme hyper sympa. En tout cas il n’est pas du genre à susciter l’aigreur de sa famille en exigeant quoi que ce soit. Il n’est pas comme ces mauvais pères de la publicité que nous voyons chaque soir ridiculisés en plein accès d’autoritarisme par une conjuration mère-fille.
Nous voilà soulagés pour le jeune Morgan. Mais un peu inquiets tout de même pour la morale sociale.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3570 paru le 29 Avril 2005

Au-delà de l'écran

Immodestie
Depuis dix ans, à coups de bêtisiers et de documents oubliés, la télévision s’attendrit sur les ridicules des époques passées. Depuis dix ans, les présentateurs qui se croient à la mode, c’est-à-dire ceux qui exilent dans la préhistoire la “télévision de papa”, nous présentent des morceaux choisis en essayant de prouver que pour leur part ils voyagent à bord du train de la modernité.
Or quand on y regarde de près, la plupart sont déjà tombés sur la voie. Une émission comme le Plus Grand Français de tous les temps sent le ballast à plein nez. Nos plateaux de divertissement paraîtront demain aussi grotesques et démodés que les chansons d’Ouvrard (“J’ai la rate qui s’dilate, j’ai le foie qu’est pas droit…”). Par exemple, quand les petits-enfants des participants à la Ferme Célébrités reverront leurs aïeux en train de singer l’Amérique qui singe elle-même les paysans (car on oublie que le concept est sous licence américaine), quand la France future regardera celle d’aujourd’hui, on s’apercevra que pour rester moderne il aurait fallu échapper à l’immodestie au sens classique, c’est-à-dire pratiquer la retenue et ne point sombrer dans l’excès. Au lieu de quoi, que voyons-nous ? L’inverse.
Pourtant, c’est justement en rejetant le passé dans le Moyen Âge que le système médiatique aiguise notre sens du ridicule à propos du présent. Mais il s’en moque. Les producteurs des plateaux les plus complaisants et les plus stupides n’ont que faire de l’après-déluge, puisqu’ils sont dans le nihilisme jusqu’au cou. La modestie et la pudeur ne se conçoivent que si l’on craint un recours aux archives, Dieu sait pourtant que notre époque adore l’indexation. Dieu sait qu’au temps du numérique, rien ne se perd. Dans ces conditions, on comprend mal l’impudence des bateleurs et des hommes politiques. Ne craignent-ils pas d’être jugés un jour ? Au contraire. Ils ne craignent plus rien. Ils croient que les archives seront dispersées ou ignorées parce que notre époque a la mémoire de plus en plus courte (voir le retour immodeste, toujours au sens classique, de Lionel Jospin). Mais surtout, ils nous donnent, par leur défaut de solennité, par leur mépris de la postérité, une idée indirecte des épreuves qui nous attendent. Car s’ils sont persuadés que personne, de leur vivant, ne leur fera le coup du bêtisier, c’est qu’ils connaissent ces épreuves et savent qu’elles effaceront la mémoire de leurs contemporains, ce qui n’est pas très rassurant.

Benoîtement
Il n’est pas besoin de connaître la prophétie de saint Malachie pour lire dans le regard de Benoît XVI l’annonce des tribulations de la chrétienté. Ses propos de 2004 sur l’absurdité de la Turquie européenne, que les journaux télévisés n’ont guère voulu rappeler de crainte de peser sur la campagne électorale, évoquent l’affaire du couloir de Dantzig. Il a dit, fort benoîtement, ce qu’il en pensait. Mais certains, pour protéger leurs illusions, voudraient déjà qu’il se taise.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3571 paru le 6 Mai 2005

Au-delà de l'écran

La route du danger
À première vue, tout inspirait la méfiance : le titre de l’émission (Docs de choc), l’heure tardive, le genre archi-rebattu, hyperbalisé, auquel appartiennent des programmes comparables comme Incroyable mais vrai, Ça vaut le détour et généralement tous ces plateaux où des présentateurs envoient des bandes vidéo californiennes en disant : « Quand elle sort de son cottage de Boulder City, Pamela ne pense certainement pas qu’elle va connaître la frayeur de sa vie. »
Au sommaire, outre les inévitables images de base jump et différents reportages chez les gens les plus vernis de la planète (dans l’entourage de Schwarzenegger), un document sur une “route du danger” au Kenya, la 109, qui va de Nairobi à Mombasa, où les camions se croisent et parfois se heurtent, ça dépend des jours.
Souvent les chargements sont renversés dans le fossé et les conducteurs roulés hâtivement dans un drap par la police. On voit bien que l’urgence n’est pas de prévenir la famille mais de dégager la voie.
Soudain, on nous désigne la silhouette triste et maigre de Pascal, un Rwandais de 35 ans qui a fui les massacres dans son pays pour offrir ses services comme mécanicien le long de cette route. Inlassablement il marche à la recherche d’un camion échoué dont le conducteur le paiera pour réparer un essieu.
On n’en croit pas ses oreilles. En pleine émission bas de gamme, entre deux reportages à sensation, malgré un niveau de vocabulaire visiblement calculé pour ne pas fatiguer les amateurs de mangas attardés devant leur poste un Coca light à la main, voici, dans un français parfait, la confession bouleversante d’un réfugié-philosophe : « Le Kenya, dit-il, est le seul pays d’Afrique où l’on peut encore se sentir humain. » Sa famille ? « Ils sont tous morts à cause de la guerre, de la maladie, et de la pauvreté. » Ses projets ? Aucun. « Je suis né pour souffrir, je n’ai jamais été heureux dans ma vie. » Et sa conclusion ? «J’ai quand même des raisons de vivre. Oui je sais pourquoi je vis, mais c’est mon secret.»
En voyant s’éloigner dans le champ de la caméra cette silhouette vêtue de l’éternel T-shirt bleu maculé qui sert d’uniforme au dénuement et au désespoir dans le tiers-monde, la première réaction serait de se dire : pourquoi un homme aussi travailleur, aussi émouvant, aussi francophone, n’est-il pas accueilli séance tenante par notre pays, à l’heure où d’autres y débarquent sans qualification, sans apprendre la langue, et sans nous parler d’autre chose que de leurs droits ?
La deuxième réaction consiste à réfléchir sur la légèreté, pour ne pas dire l’escroquerie dont la culture française est coupable en Afrique. Après avoir envoyé là-bas moult religieuses et instituteurs pendant cinq générations, nous laissons les surdoués de l’humanisme sans défense, les uns devant la loi de l’Islam, les autres devant la logique de la machette. Certains jours, en longeant la 109, Pascal le Rwandais doit méditer la question avec amertume.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3572 paru le 13 Mai 2005

Au-delà de l'écran

Télévision soviétique
Les frères Kahn étaient les invités de Stéphane Bern l’autre semaine sur France Inter. Au milieu de cette conversation à cinq ou six qui devient le lot de tous les plateaux, où personne n’écoute personne, où chacun cherche à dénaturer les propos de son voisin en s’adressant au public et où il s’agit de caricaturer la pensée d’autrui, de peur que les gens ne consentent à réfléchir, Jean-François Kahn a tiré à lui non la couverture, mais le tapis. En réponse à une réflexion banale, il a parlé de la campagne télévisuelle pour le référendum. Afin d’illustrer que, contrairement à la plupart des acteurs, des humoristes et des présentateurs, il n’avait aucune envie d’influencer le choix de l’électorat, il a précisé que les deux tendances étaient représentées dans sa famille : son frère le Professeur voterait probablement non, et lui sans doute oui, mais là n’était pas la question.
– Ah bon ? a dit Stéphane Bern, et quelle est la question ?
– Avez-vous déjà vu l’émission de Christine Ockrent sur la 3 ? C’est de la télévision soviétique !, répond abruptement JFK.
On est obligé de convenir qu’il ne s’abrite pas derrière la langue de bois.

Querelle de larrons
On ne va pas s’émouvoir outre mesure sur le sort de Bruno Gaccio, l’homme qui, dans un sketch des Guignols, faisait récemment des pronostics sur l’ordre d’arrivée de Rainier et de Jean-Paul II chez saint Pierre. Ses mésaventures avec Canal Plus ressemblent au monde professionnel qu’il fréquente. Les méthodes supposées de son employeur ne surprendront personne. Dans cette affaire, le cynisme que l’on prête à la chaîne ressemble à celui qu’elle attribue pour rire à ses marionnettes politiques de 19 h 30. On se demande qui a déteint sur qui.
Quelle que soit l’issue de l’enquête, on peut déjà y voir une querelle de larrons. L’employeur et l’employé sont dans le même sac à bien des égards. Ils auront durablement contribué à discréditer, dans notre pays, la vertu et la raison, en essayant de faire passer toute parole solennelle pour un tissu de mensonges, toute nouvelle loi pour un calcul, toute réforme pour une sottise, tout accès à la notoriété pour un travail d’attaché de presse. Il y a des gens qui rapetissent tout. Ce n’est pas nouveau. La nouveauté tient à la puissance qu’on leur confère. L’humour réducteur des Guignols peut être comparé à celui des bouffons de carnaval, ou à ces personnages grotesques qui précédaient le char du consul dans la Rome antique. Seule différence, le rire libérateur intervenait, en ces temps lointains, deux fois par an, quand la pression du pouvoir sur le peuple s’était accumulée. Aujourd’hui la soupape fonctionne deux fois par jour.

Rétroviseur
Le feuilleton sur Dalida, inspiré par son frère, ne manquait pas de qualités. La plus discrète était d’illustrer que la France de l’époque est minuscule dans le rétroviseur et que la nostalgie relève aujourd’hui de la politique.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3394 paru le 14 Décembre 2001

Au-delà de l'écran

Les “zinzins”
L’objet de ce couplet n’a rien de financier comme on s’en doute, il ne s’agit pas d’attirer l’attention sur les investisseurs mais sur les invités institutionnels, ceux dont la présence est quasi obligatoire à la télévision. Certains ont quelque chose à vendre de manière récurrente. D’autres restent la coqueluche pendant des mois, on ne sait trop pourquoi, mais on sait pourquoi c’est trop.
Prenez Gérard Miller, par exemple. Michel Drucker l’a licencié après plus d’un an de services (ni bons, ni loyaux, à en croire la querelle picrocholine qui vient d’éclater au sein de l’équipe, et qui déborde jusque dans les colonnes du Monde).
Le propos n’est pas d’entrer dans ces niaiseries de courtisans mais d’illustrer, à travers le cas de ce psychanalyste tête-à-claques, que la télévision généraliste dévore ses enfants. Miller, connu pour avoir milité chez les maoïstes (comme la ministresse de la Justice, et tant de ceux qui nous gouvernent), est tellement emprunté dans la fantaisie qu’il met ses voisins mal à l’aise sur tous les plateaux. Parallèlement, ce malheureux exerce son métier de psy avec une telle grossièreté dans l’analyse que ses pairs lui reprochent désormais de ruiner leur image. Pour remédier à ce double inconvénient, quelle idée originale a-t-il trouvée ? Ecrire un livre.
S’agissait-il de profiter de sa renommée pour toucher un million de francs ? Pas du tout. Qu’allons-nous chercher là ? Il s’agissait de « jeter un regard critique sur le milieu télévisuel ». Le problème est que son patron (Vivement dimanche prochain) n’a pas aimé le regard, et encore moins la critique (on murmure que Jean-Marie Messier non plus, à qui Miller a tendu, en direct, la feuille de salaire d’un smicard au mois de mai dernier). Drucker a donc signifié à Miller son congé définitif, révélant lui aussi sa vraie nature, qui n’est pas d’un humoriste patient, humble et philosophe, mais d’un caporal susceptible, qui sait à l’occasion se montrer souple avec les puissants.

Leçons de français
Il fallait voir, sur un plateau dont j’ai oublié le nom, Pierre Perret nous donner des leçons de français, après avoir siégé dans une commission de réforme des formulaires administratifs. Il fallait le voir multiplier les fautes : « J’vous ai amené c’truc-là », « C’est une mesure qui a été bienvenue par les utilisateurs » ; il fallait l’entendre confondre simplification et relâchement : « Y’a des pauv’ gens qui comprennent pas des tas de mots ». Même Bernard Pivot, son complice à la commission, lui aurait sans doute suggéré d’en faire un peu moins ce jour-là, c’est tout dire. Certes, le langage administratif manifeste une propension ridicule à la complexité (par laquelle les médecins de Molière cherchaient déjà à se protéger du vulgaire), mais en le rappelant trop souvent, on cherche à dissimuler que si les gens ne comprennent plus les formulaires, c’est avant tout parce qu’ils ne savent plus lire.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3573 paru le 20 Mai 2005

Au-delà de l'écran

Vous permettez que je termine
Une phrase a fait pouffer de rire les invités du “grand débat” de TF1 sur le référendum pour la Constitution européenne : «Je respecte les choix de chacun, en tout cas ceux de gauche.» Le défaut de respect que confessait ainsi François Hollande, homme d’apparence débonnaire, envers ceux qui ne sont pas de sa famille mériterait un débat entier.
Ces paroles, même si elles ont été proférées par inadvertance, sont détestables. Elles sont lourdes de ce qu’elles impliquent quant au passé et quant à l’avenir. Au nom d’un principe identique, celui de la séparation du bon grain et de l’ivraie, on a envoyé des millions de gens en déportation politique à travers les âges. Les cérémonies du 8 Mai nous l’ont rappelé, où Poutine s’est invité sans vergogne dans le camp de la liberté.
Pour équilibrer la critique du fameux débat, rappelons qu’on a pu entendre le même soir, dans la bouche d’un représentant du camp adverse : « Vous détruisez l’Europe sans aucune idée de comment la reconstruire. »
Là nous sommes au cœur d’une autre forme d’irrespect. Dans un livre récent sur la syntaxe, l’écrivain Renaud Camus illustrait que, dans le français moderne, le “sur comment” témoigne d’un mépris pour l’autre.
Nous ne blâmerons pas un homme public de parler le sabir de ses électeurs (encore qu’on puisse regretter que l’influence s’exerce toujours de la plèbe vers l’élite), mais il est permis de souligner que, lorsque nous entendons dire, par un invité de la télévision : « C’é-un bouquin sur comment les femmes vivent leur maternité », le respect d’autrui est compromis par le dédain de la règle.
Comme le soulignait Camus, entre le souci de la syntaxe et la faculté de se mettre à la place de celui qui écoute, il existe une continuité. Quand on entend dire “sur comment” ou “de comment”, on s’avise que l’usage de la langue est une politesse sociale bafouée comme les autres. Le mépris de nos contemporains envers leur langue relève de l’incivilité, comme le saccage des abris d’autobus.
Dans ces conditions d’irrespect généralisé, comment s’étonner que le “grand débat”, pour reprendre l’expression de TF1, se soit inspiré de la méthode américaine pour aligner chacun des participants devant un pupitre et dans un esprit de parallélisme mou ?
Ah certes, on s’est parlé. On s’est même appelé par son prénom. Mais il s’agissait avant tout d’utiliser un quota de parole publique. L’échange était facultatif. Dans la vie professionnelle et sociale en général, ce sont les mêmes règles d’argumentation autistiques qui prévalent de plus en plus. Les gens mal élevés sont nombreux à refuser désormais toute objection directe en disant “Vous permettez que je termine” et “Je ne vous ai pas interrompu”. Celui qui interrompt des propos lâches et tièdes, celui qui cherche à s’illustrer par la vigueur de sa pensée, celui qui montre des qualités d’orateur passe aussitôt pour un mauvais élément.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3574 paru le 27 Mai 2005

Au-delà de l'écran

Camarade P38
« Ça nous a paru fou que notre fils ait pu tirer sur un Africain. » Cette phrase extraite du récit du père d’Audry Maupin est un peu l’anamorphose de l’affaire dite des tueurs de Vincennes. L’émission Faites entrer l’accusé se posait la question de savoir si Audry Maupin et Florence Rey, 19 et 20 ans, étaient des tueurs-nés. Il suffisait d’entendre le témoignage des familles pour rétablir le rôle de l’acquis.
Au fil de l’interview du père Maupin, on reconstituait sans difficulté une histoire classique. Celle d’un intellectuel qui, malgré sa cinquantaine, a gardé le physique vague et bouclé de l’étudiant trotskiste. Il nous explique qu’on a promis un monde nouveau à sa génération et que son fils Audry s’est senti floué par un déni de révolution.
Le fils a donc cru à l’arrivée du “grand soir”. Sauf que ce soir-là, devant la préfourrière de Vincennes, ils n’étaient pas douze mille révolutionnaires, mais deux. C’est ce qui distingue un coup d’État d’un fait divers. L’affaire n’a jamais atteint la rubrique politique. Elle est restée dans la colonne société. On a même essayé de nous faire croire que ce qui animait ces jeunes était avant tout le nihilisme de leur époque, tel qu’il était véhiculé par le film d’Oliver Stone Tueurs-nés. Or, c’est l’époque précédente qui a commis le crime. C’est la période 1970-1980 : celle qui a tué Georges Besse, celle qui a fait la funeste renommée de Cesare Battisti. Quand on entend le père d’Audry, on est convaincu qu’il s’agissait bien pour lui d’un acte inspiré par la logique révolutionnaire. Son principal sujet de surprise n’est donc pas que son fils ait tué des policiers, mais qu’il ait tiré sur un chauffeur de taxi africain – entendez : le contraire d’un ennemi de classe.
Parallèlement, l’émission nous montrait les efforts de la presse pour dissocier les deux protagonistes. Nous avons entendu témoigner des journalistes de Libération en faveur de Florence Rey. Nous avons presque douté de la détermination de la jeune fille en la voyant craquer lors de son procès. Mais personne ne s’est interrogé sur ses mobiles politiques – et pour cause : dans nombre de cas, ceux qui commentent ces “dérives” sont ceux qui les ont inspirées. Ils n’ont aucun intérêt à rappeler que, par leurs écrits, ils ont banalisé dans l’imaginaire social le meurtre du bourgeois et du flic. Les voilà gênés de s’apercevoir que certains de leurs enfants y ont cru. À l’âge où ils pantouflaient eux-mêmes dans la pub en lisant Kundera, leurs rejetons s’inspiraient des Brigades rouges, honoraient le “camarade P38” et fondaient des groupuscules dans les squats de Montreuil.
Écoutons encore le père d’Audry Maupin, avec son style psy qui rappelle les assemblées générales de la Mnef, et mesurons son incroyable absence d’autocritique : « J’étais sur une démarche d’essayer de comprendre ce qui les avait conduits à la préfourrière de Vincennes. » La plupart de ceux qui ont vu le reportage l’ont compris avant lui.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3575 paru le 2 Juin 2005

Au-delà de l'écran

Palme du pluralisme
Vol de nuit fêtait l’autre semaine son 500e numéro. Un écrivain qui commente la télévision dans les journaux se doit doublement d’aborder le sujet. Quel sujet ? Celui de la prescription littéraire sur petit écran. C’est un domaine où la dérive, depuis l’apogée de l’ère Pivot, se mesure en années-lumière.
Contrairement à ce que prétendent volontiers les fines gueules du service public, TF1 mérite la palme du pluralisme dans ses rapports avec les lettres françaises. Et le mérite en revient pour une large part à Patrick Poivre d’Arvor, à qui il arrive sans doute de céder aux pressions, mais qui s’arrange pour maintenir un équilibre entre les invités qu’on lui recommande et ceux qu’on l’invite à dédaigner.
Sur dix ans, le bilan est très honorable. Il suffit de comparer son éventail à ceux d’Ardisson, Giesbert, Field ou Durand pour s’apercevoir que non seulement Vol de nuit ne court pas après les gens qui ont la faveur générale, mais que l’émission n’a pas de préférence pour les éditeurs qui organisent une telle unanimité. En tout cas elle garde une certaine pudeur dans la souplesse.
On ne peut pas en dire autant de ses concurrentes, qui agissent en propagandistes au point d’ignorer la moitié des parutions : soit qu’elles dédaignent les auteurs populaires comme Christian Signol, soit qu’elles consultent leur liste noire à chaque rentrée littéraire. On se souvient du cas d’Olivier Barrot, qui, à raison d’un livre par jour, a réussi à contourner certains auteurs qui publiaient deux livres par an depuis dix ans, ce qui défie toutes les lois de probabilité.
Quand on regarde la télévision littéraire à la loupe, il est facile de montrer que, faute de savoir s’écarter de la pensée obligatoire, l’instrument est impuissant à rendre compte de ce qui se passe en profondeur.
Patrick Poivre d’Arvor n’est pas assez téméraire pour organiser une spéciale sur Maurice G. Dantec ou pour commenter les derniers blogs à la mode, mais au moins il ne lit pas la presse avant de savoir de qui il faut parler. Il n’invite pas les ministres à damer le pion aux écrivains pour flatter les uns tout en humiliant les autres. Il ne coupe pas les trois quarts des interventions, quitte à ne pas être “raccord”, comme on dit dans le métier, ce qui se produit très souvent chez ses homologues.
Nous avons pu même assister en sa compagnie, sur un plateau de France 2, au “sucrage” de dix minutes d’émission au montage parce que l’invitée (Marie de Hennezel) avait été mise en difficulté. Il a retenu ce genre de leçon depuis longtemps. Il n’envoie pas une poignée de jeunes loups mordre ses invités pour leur crier “couché !”quand les choses vont trop loin. Chez lui, les choses ne vont jamais trop loin. Il sait se tenir. Il sait tenir les siens. Du coup, il arrive qu’on entende sur Vol de nuit des choses originales et intelligentes, alors que les autres émissions patinent souvent dans le suivisme rive gauche, au mépris de la littérature.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3576 paru le 10 Juin 2005

Au-delà de l'écran

Papillonnages
La Croix révélait, dans un amusant article consacré au téléthon politique des soirs d’élections, que certains personnages publics n’avaient même pas le temps de se démaquiller entre deux plateaux, et qu’ils répondaient à deux interviews dans la voiture qui les menait d’une chaîne à l’autre.
Si le journal avait recueilli les diverses indiscrétions et les commentaires qui courent sur Internet après chaque événement, l’auteur de l’article aurait été frappé par le sentiment de dédain qui se dégage des réactions sur les forums. Nous ne parlons pas des résultats eux-mêmes, mais de ces deux heures où chacun joue des coudes devant la caméra pour les commenter. Les journalistes poussent la pignouferie jusqu’à couper quelqu’un au milieu d’une phrase pour donner la parole à quelqu’un d’autre qui n’a rien de mieux à dire, mais qui est en direct au siège d’un parti.
Quand on voit l’émission sur écran, on n’a aucune idée de la solitude qui s’empare alors de l’invité de plateau, contraint d’attendre indéfiniment que des gens plus intéressants que lui s’expriment dans un vacarme de fin de banquet ponctué par des phrases du genre : “Voilà, Jean-Michel, ce que l’on pouvait dire à l’heure où nous parlons.” Ajoutez à cela un personnel plus préoccupé de ses fiches que d’écouter l’invité, et vous aurez l’explication des mécontentements qui se sont manifestés çà et là. Quelques politiques ont planté leurs hôtes en se jurant qu’on ne les y prendrait plus. Cette course à l’ubiquité est révélatrice de nos usages courants : ce dont nous disposons est moins intéressant que ce qui nous est promis. La crainte de rater quelque chose nous conduit à négliger ce que nous avons sous la main. On s’étonnera, après cela, que l’opinion papillonne et s’envole au moindre souffle.

Réactivité
Ce néologisme désigne à la fois ce qui précède, et la frénésie de commentaires qui saisit l’internaute quelques minutes après un événement. La télévision est l’un des creusets d’actualité les plus commentés sur Internet, parce que les gens ont le loisir de livrer leurs réactions avant d’aller se coucher. La réactivité de ce nouveau média est d’ailleurs telle que les émissions elles-mêmes font semblant de le récupérer. Tout le monde a vu défiler des phrases expurgées au bas de l’écran, mais il est plus instructif de les lire sur les sites des grandes chaînes avant l’intervention de la censure. Rien, sur Internet, n’échappe plus à la sévérité du téléspectateur lambda.

Politique et numérique
Ceux qui n’auraient pas vu le sourire figé de Dominique Strauss-Kahn sur la couverture de son DVD de campagne (en vente chez tous les marchands de journaux) ont vraiment manqué quelque chose. Quant au procédé, nous sommes visiblement à la veille d’un déferlement de clips politiques. On peut parier que les professionnels de l’image vont bientôt inonder les kiosques de ces travaux de circonstance.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3577 paru le 17 Juin 2005

Au-delà de l'écran

Le saviez-vous ?
À l’heure où d’autres, sous prétexte de dénoncer les “arnaques”, propagent une méfiance systématique envers la nature humaine, Jean-Luc Delarue travaille à rétablir la confiance en nous montrant des gens qui “réalisent un travail formidable sur le terrain”.
C’était le cas des pompiers de Camargue, héros d’un docu-fiction sur le réchauffement du climat aussi divertissant qu’un film de la Prévention routière projeté en salle polyvalente. L’accumulation des catastrophes qui s’abattaient sur les héros de ce téléfilm liminaire donnait envie de rire. Après avoir vu leur villa disparaître sous les flots, après avoir affronté le risque de la malaria, de la dengue et de la leptospirose, les membres de la famille assistaient au déferlement du virus du Nil, à l’apparition des allergies respiratoires et j’en passe, le tout en multipliant les gros mots parce que dans la télévision moderne on croit que la clé du naturel se trouve dans l’ordure. Suivait un plateau de sommités que dominait l’auguste Pr Montagnier (dont les cures de papaye ont visiblement stimulé les pigments capillaires), face à un Delarue très péremptoire. Rappelons que la part du réchauffement imputable à l’activité industrielle est encore très mal évaluée, mais le problème n’est pas là. Il est plutôt dans l’assurance dont les spécialistes font preuve en nous décrivant le pire.
Le principe qui régit leur raisonnement est celui du “toutes choses égales par ailleurs”. Or dans la nature, rien n’est jamais égal par ailleurs. On pourrait évoquer dix scénarios pour la fin du siècle, mais un seul a été envisagé : comme nous réchauffons le climat, nous allons connaître les sept plaies d’Égypte.
Puisqu’il est question d’imprévoyance, voici donc de quoi réveiller l’imagination de ceux que l’émission aura bercés d’une inquiétude altermondialiste, c’est-à-dire politiquement correcte. Saviez-vous que la faille géologique qui s’est réveillée lors du tsunami se situe au large du volcan indonésien Toba ? Que le Toba a expulsé dans l’atmosphère terrestre, il y a 75 000 ans, assez de poussière pour diminuer la température moyenne de 3 à 5 °C ? S’il est vrai que le Toba est arrivé en fin de cycle et qu’une telle éruption nous guette, la thèse du réchauffement en prend un coup.
Saviez-vous enfin que la caldeira de Yellowstone, autre monstre inquiétant dont la chambre magmatique a hissé le fond du lac volcanique de 30 mètres en une dizaine d’années, aurait déjà 30 000 ans de retard sur son cycle naturel, et qu’une seule de ses éruptions est capable de modifier le climat du globe jusqu’à la glaciation ? L’émission de Delarue, à force d’impasses sur l’immensité du possible, est à classer dès aujourd’hui dans le bêtisier de l’écologie.

Avant d’oublier
Relevé ce qui suit sur Europe 1 : « L’andrologie, c’est la gynécologie de l’homme. » Cette phrase ne résume-t-elle pas l’un des aspects les plus dérisoires de notre évolution sociale ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3578 paru le 24 Juin 2005

Au-delà de l'écran

Nomenclature et polochons
Europe 1 organisait récemment un débat entre quatre spécialistes, dans cette tranche horaire de fin de journée qui semble calculée pour les embouteillages. Thème du jour : “Le divorce entre les élites du pays et la base est-il consommé après le référendum ?”
L’influence de la question européenne paraît moins déterminante que l’accumulation de facteurs plus sournois. Ainsi quand nous apprenons sur France 2 que la Biennale internationale d’art contemporain de Venise vient d’ouvrir ses portes, et que nous tombons sur un reportage où la seule participante française, Annette Messager, nous présente une installation de polochons censée “revisiter l’histoire de Pinocchio”.
Revisitons. Suivons l’équipe de France 2 dans ses découvertes artistiques afin de communier, un instant, avec les émois de la nomenclature. Nous comprendrons peut-être mieux pourquoi le peuple ne supporte plus ses élites. Dans une grotte tapissée de traversins rayés, un réseau de cordes traîne au sol un polochon qui semble détaché du décor, et sur lequel est ficelé un morceau de bois. En voix off, l’artiste nous explique obligeamment que là, nous voyons Pinocchio s’avancer vers sa fin inéluctable et que c’est toute la force du mythe, etc.
Il faut savoir qu’Annette Messager n’est pas n’importe qui. En témoignent le sérieux de ses explications, les budgets que ses plaisanteries parviennent à mobiliser, et surtout le lion d’or qu’elle a remporté à l’issue de la manifestation. Mais ce qu’il faut savoir aussi, c’est que France 2, pour flatter les 4 % de téléspectateurs qui partagent ses ravissements moliéresques, a déplu à tous les autres. Pendant le journal télévisé ce soir-là, le Français de base aura confondu, dans un mépris haineux, les gens qui promènent des polochons sur un carrelage, ceux qui votent des règlements à Bruxelles, et ceux qui dînent en ville en parlant d’aménagement du territoire. Dans l’industrie, on parlerait de contre-productivité.
Au moins, dans ce cas, n’est-elle pas criminelle. Dans l’affaire du sang contaminé, sur laquelle est revenu, quelques jours plus tard, le Droit de savoir, elle l’est bel et bien. Quand on pense à la tartuferie des commentateurs à propos de la canicule, on est stupéfait de dénombrer les lâchetés qui ont conduit le parquet au non-lieu, dans une situation où la mort a été délibérément infligée.“Oui, mais les responsables ne savaient pas nommément à qui”, diront les juges. Ah oui, c’est vrai, ça change tout.
Cette émission était cruelle pour l’image du pouvoir. Des parents ont filmé l’agonie de leurs enfants hémophiles afin de nous faire honte, et ils y sont parvenus. Laurent Fabius, premier ministre, nous expliquait qu’il n’était pas au courant. Il n’y a pas de quoi être fier, surtout si c’est vrai. Quant à la neutralité du reportage, elle reste à démontrer, car si Fabius garde l’ambition de s’illustrer en politique, l’émission nous rappelait qu’à maints égards, il l’a déjà fait.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3579 paru le 1 Juillet 2005

Au-delà de l'écran

Grand prix de l’horreur
M6 a protesté auprès du CSA après la suppression de la diffusion par TF1 du Grand Prix d’Indianapolis. L’organisme de contrôle aurait été saisi d’une plainte contre cette déprogrammation sauvage et nous apprenons à cette occasion que les changements de dernière minute sont soumis à des règles. Non seulement ils doivent être justifiés par un cas de force majeure (assez douteux en l’espèce), mais il est prévu une concertation préalable avec les chaînes concurrentes et le CSA lui-même.
Pourquoi aborder ici ce problème de procédure ? Parce que le plus grave des manquements qu’a commis TF1 ce soir-là dépasse largement le cadre réglementaire. Il ne sera jamais discuté au CSA. Et pourtant lorsqu’un public sans méfiance, formé pour une large part d’enfants et d’adolescents réunis un dimanche soir devant un Grand Prix automobile, se voit infliger une série de remplacement comme les Experts, la faute est plus sérieuse qu’une simple indélicatesse envers la concurrence.
Il paraît que la série les Experts fait un carton. Raison de plus pour faire un carton sur elle. De quoi s’agit-il ? Grossièrement, il s’agit, après un meurtre, de faire parler la viande. Pourquoi cette série marche-t-elle si bien ? Parce qu’elle joue sur le cynisme du monde médico-légal et la cruauté des images.
Le roman policier à l’anglo-saxonne avait déjà tendance à négliger l’homme. La traque aux serial killers présentait depuis longtemps la particularité de n’accorder aucune importance à la victime (laquelle n’est plus le sujet d’une tragédie, mais le prétexte à nous décrire le profil du tueur et les méthodes de l’enquête). Désormais, avec les Experts et les séries comparables, nous franchissons un pas de plus dans l’horreur antihumaniste : la victime présente de larges blessures, des mutilations plus ou moins grouillantes (que nous voyons en gros plan), et le cinéaste nous inflige, au sein d’une équipe qui aligne des plaisanteries de machine à café, une vision de l’homme que n’eût pas désavouée le Dr Mengele.
Ceux qui diffusent une telle ignominie à 21 heures travaillent à la négation de ce qui fut pendant des siècles l’objet même de la civilisation : faire pousser des fleurs sur le compost de la violence. Là, c’est le contraire, c’est le fumier qui pousse. Son odeur envahit la société entière. Les enfants des banlieues se racontent les dépeçages de la veille dans la cour de l’école et le CSA n’y voit aucun inconvénient.
À 22 h 30, sur quoi enchaînait TF 1 ? Sur un autre film qui commençait par un interminable meurtre. Une jeune femme reçoit un coup de couteau. Elle s’effondre, se relève, s’enfuit, tombe à genoux, nouveau coup de couteau, on lit l’horreur dans ses yeux, elle hoquette, rampe, se retourne, l’assassin la dénude et l’éventre.
Un jour ou l’autre, le débat sur la légitimité de tout cela soulèvera les foules. Les participants à la marche blanche contre les marchands de barbarie se compteront par millions.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3580 paru le 8 Juillet 2005

Au-delà de l'écran

Pitié pour la pitié
Tout commence il y a un mois environ sur l’un de ces plateaux où la France de Ruquier inflige ses états d’âme, ses préférences culturelles et ses “coups de cœur” à l’autre France, pour qui la bonne humeur agressive des nantis devient chaque jour une offense plus grave.
Parmi les invités qui commentaient la fermeture de la Samaritaine ce jour-là, Charlotte de Turckheim. Il était question de la création du magasin parisien, du tandem Cognacq-Jay, et du prix que les glorieux fondateurs de la Samar avaient imaginé récompenser une famille “pauvre et méritante”. À l’énoncé de ces mots, Charlotte de Turckheim a bondi de manière démonstrative : « Quelle horreur, pauvre ce n’est déjà pas drôle, mais méritante en plus ! », etc.
Il faut savoir que Charlotte de Turckheim s’efforce depuis des années de faire oublier ses origines aristocratiques en nous infligeant la chronique des ridicules de la haute bourgeoisie et en multipliant les gros mots pour nous donner des gages de sa bonne volonté. En d’autres termes et pour imiter son langage, elle fayote à mort. Elle est plus antiroyaliste que les républicains, lesquels ne lui en savent pourtant aucun gré, puisque tout le monde persiste à l’appeler baronne. Ce fameux jour, son premier trait d’humour étant tombé à plat, elle a attendu le passage d’une publicité pour y revenir artificiellement, montrant par là qu’elle accordait à cette question la plus grande importance ; en quoi, avec la permission du lecteur, nous allons l’imiter.
Mme de Turckheim ne supporte pas la pauvreté méritante. Elle juge insultante la pitié institutionnelle et d’ailleurs la pitié tout court. En bonne conformiste du milieu bobo dont elle est l’une des plus consternantes égéries, elle nous laisse entendre que la pitié est un vecteur d’oppression sociale. En d’autres termes, que les gens qui consentent à faire pitié n’ont aucun sens de leur dignité. Par là elle évacue la notion de charité, suspecte d’appartenir à la morale de grand-papa. Il est permis de poser une question corollaire : à force de juger la pitié indécente, qui peut continuer à l’éprouver ? Quand on prétend qu’il faut donner aux gens les moyens de se prendre en main, que fait-on de ceux qui ont besoin d’être pris en main ? On les ignore. On les méprise. Et pour finir on les laisse périr. Au nom de quoi ? D’une mauvaise conscience de classe, d’un réflexe d’enfant gâté qui préfère la solidarité à la charité, uniquement pour ne pas être traité de “bourge” au festival d’Avignon. C’est donc, avant tout, de l’amour-propre de Mme de Turckheim qu’il est question.
En vertu de cette philosophie, les trois quarts des nécessiteux du tsunami n’ont encore rien touché des 400 millions d’euros qu’ont versés les Français. Le Droit de savoir nous montrait le cas d’une antenne locale du Secours populaire incapable, après huit mois, de percevoir 5 000 euros de sa maison mère, laquelle les garde placés en sicav monétaires au nom de la dignité des pauvres.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3588 paru le 2 Septembre 2005

Au-delà de l'écran

Tissu social déchiré
La télévision exerce une influence si déterminante qu’elle est devenue le royaume de la “modération” selon la loi Evin. Et pourtant, deux programmes de l’été ont piétiné les règles de la prudence en matière de prophylaxie sociale : Koh Lanta et Mon incroyable fiancé.
Dans le premier, nous avons assisté stupéfaits à un psychodrame à la française sous les cocotiers des Caraïbes : parmi les participants figuraient un gendarme au comportement placide et carré et une jeune banlieusarde d’origine africaine nommée Coumba dont l’agressivité a fait reculer la tolérance dans des proportions sans rapport avec l’intérêt du jeu.
À quoi sert-il en effet de multiplier les plateaux bavards sur le thème de l’intégration si c’est pour laisser une analphabète aggraver les préjugés communautaires dans un programme de télévision, et crier « Toi, tu sais pas c’est quoi le respect ! » (sic) à un candidat dont le seul crime est d’être gendarme ? La tâche du ministère de l’Intégration passe par ce genre d’analyse. Quant au rôle d’une grande chaîne de télévision, est-il d’accentuer les déchirures du tissu social ?
Mon incroyable fiancé (sous licence américaine) a pour but avoué de nous faire partager le dégoût d’une famille entière à l’égard du pseudo-fiancé de l’une des filles, laquelle est censée tromper ses parents contre 100 000 euros.
Là encore, on se demande ce qui anime la chaîne, en dehors d’un cynisme de bas étage. Depuis le temps qu’on nous présente des émissions sur les obèses, on croyait que les préjugés à leur encontre étaient hors-la-loi. Eh bien, pas du tout ! On nous désigne explicitement comme répugnant un pauvre garçon qui a vingt kilos de trop et dont l’aspect physique n’est même pas monstrueux.
On rencontre partout dans notre société de ces braves gens replets qui lui ressemblent. Leur vie va devenir un peu plus difficile pendant les cinq semaines de diffusion. Leurs collègues de bureau vont les traiter d’incroyables fiancés. Ils auront le cœur gros en rentrant le soir. Mais qu’importe, puisqu’il paraît que “ça cartonne”.

Une bonne claque
Des rediffusions nous ont permis de retrouver la Super Nanny de M 6, notamment face à un certain Dan (4 ans) qui menaçait sa mère et ses sœurs, sans doute pour illustrer à quel point il déplorait d’être né dans une famille à genoux. Pendant toute l’intervention de la nounou, on mesurait qu’il planait sur la situation un interdit absolu : la bonne claque. Toute la France avait envie de l’appliquer à ce gosse odieux. Mais ni la nanny, ni les sœurs, ni la mère n’osaient la lui donner. Et pourtant, lui, il avait le droit de frapper son entourage. Il n’existait dans son foyer qu’une brutalité légitime : la sienne. Quand on projette la situation, on comprend mieux pourquoi la violence se répand chez les adolescents et l’on se doute que quelque Super Nanny se présentera un jour aux élections pour rassurer la France qui n’ose pas dire non.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3589 paru le 9 Septembre 2005

Au-delà de l'écran

Cyclone en haut débit
Afin d’illustrer qu’à l’heure du haut débit, une chronique de télévision se doit de pratiquer l’ubiquité culturelle, j’ai testé la couverture du cyclone Katrina par les télévisions de Louisiane et du Mississippi. Le jour où le maire de La Nouvelle-Orléans a ordonné d’évacuer la ville, il suffisait de taper les mots clés “traffic-cams” et “Louisiana” pour suivre l’exode à l’entrée de Baton Rouge et le long du lac Pontchartrain. Ensuite, et à mesure que la force du vent s’accentuait, les caméras urbaines du centre-ville ont témoigné, jusqu’à la nuit tombée, de l’arrivée du monstre climatique. Sur www.nola.com, on voyait passer de rares véhicules sur Bourbon Street tandis que le ciel noircissait à l’horizon.
Une station de télévision locale affiliée au réseau ABC diffusait ses programmes en direct sur www.wlox.com. Pour un Français abonné au haut débit, l’image (plein écran) était aussi fluide que celle d’un poste hertzien. Des milliers de curieux ont pu assister, de leur bureau ou de leur appartement, à l’arrivée du cyclone le matin du 29 août, jusqu’à la destruction du siège de la télévision émettrice. Comme l’indique son nom (WLOX), la chaîne en question était celle de la cité martyre de Biloxi, où le nombre de morts a dépassé toutes les craintes.
Dans le studio ce jour-là, les marathoniens du commentaire, et notamment le chroniqueur météo, ont été gagnés par la panique sous nos yeux, malgré leur sourire stoïque et leur cravate de marque. Non seulement la ville de Biloxi n’avait pas été évacuée, mais elle n’était pas censée recevoir la tourmente de plein fouet. Quand le cœur du cyclone s’est déplacé vers elle, les journalistes ont compris qu’un désastre leur était promis. Nous avons donc eu le sentiment d’assister à quelque chose de comparable au 11 septembre, mais vu du 90e étage du World Trade Center. La caméra située sur le toit de l’immeuble a d’abord filmé des bureaux éventrés, l’incendie d’un transformateur, les voitures noyées sur le parking. Les commentateurs, sous le coup de l’effroi, nous ont ensuite prévenus que l’émission pouvait s’interrompre à tout instant, non sans envoyer des publicités pour occuper l’antenne. Le sommet du surréalisme fut atteint quand le clip publicitaire d’un concessionnaire nous a annoncé pour le jeudi suivant « la plus grande liquidation de voitures d’occasion qu’ait jamais connue l’État du Mississippi ».
Aux dernières nouvelles, la liquidation du concessionnaire lui-même paraît probable.
Ironie à part, l’une des leçons de tout cela est que, dans la France d’aujourd’hui, l’ampleur des moyens disponibles pour contempler le malheur des autres est devenue stupéfiante. Nous l’avons vu lors du raz de marée asiatique. La leçon corollaire est que, si le moral des Français a baissé de moitié selon un sondage Ifop depuis l’année dernière, c’est moins à cause des événements eux-mêmes qu’à cause de la place qu’ils ont conquise dans notre quotidien.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3395 paru le 21 Décembre 2001

Au-delà de l'écran

Mélange des genres
L’animateur Laurent Ruquier s’est naguère payé la tête du malheureux André Santini, député-maire d’Issy-les-Moulineaux, au motif qu’« un homme politique (je cite à peu près) doit rester à sa place, et ne pas se commettre sur les plateaux où l’on fait de l’humour ». Et il concluait : « Je n’aime pas le mélange des genres. » Ruquier, qui n’a pas un cheveu sur la langue, mais deux, tant elle est fourchue, a traité ce soir-là son invité avec rancœur. André Santini, habitué à être bien accueilli, n’en est sans doute toujours pas revenu.
Voilà qui prend un relief nouveau après la visite de Laurent Fabius sur le plateau du même Ruquier, dont les préventions semblent avoir disparu d’un seul coup (probablement d’un seul coup de téléphone). Le ministre est venu nous donner une leçon d’euro, entouré des chroniqueurs de l’émission. Il s’est fait tutoyer par une grand-mère en socquettes, taper sur le ventre par un type affublé d’un bonnet rouge, haranguer par un humoriste originaire de sa circonscription qui a débarqué sur le plateau déguisé en loubard, l’a appelé “mon pote” et lui a dit : « Alors, tu t’occupes du pognon ? » Jusque-là, rien que de normal. J’entends, normal pour l’époque. Quant à savoir ce qu’en penseront nos arrière-petits-enfants, leur regard sera d’autant plus sévère qu’ils sauront où cela nous a menés. Mais ce n’est pas le sujet. Du moins, pas avant que nous ne le sachions nous-mêmes.
La compromission de la classe politique française avec le monde du divertissement fait désormais l’objet de thèses universitaires. André Santini est justement le seul qui s’en tire avec dignité. On a pu faire la comparaison quand Lionel Jospin a entonné le Temps des cerises chez Patrick Sébastien, quand les Lang ont participé à Tournez manège, quand Léotard est venu faire le crooner sous les projecteurs, etc.
La véritable anomalie n’est donc pas le fait qu’un ministre des Finances en exercice consente à donner dans le genre “tirelipimpon”, elle tient plutôt à la personnalité de Laurent Fabius. Je ne le voyais pas dans ce rôle-là. Déjà, quand j’étais son élève à Sciences Po, je ne me suis jamais avisé de ses talents de comique. Et le jour où il a rabroué Jacques Chirac lors d’un débat, en lui rappelant qu’il avait l’honneur de parler “au premier ministre de la France”, l’humble fantaisie du personnage ne m’était pas apparue non plus.
A moins qu’il n’ait choisi de forcer ici sa nature par nécessité. En ce cas nous avons le droit d’être inquiets. Son numéro chez Ruquier était politiquement si périlleux qu’il s’explique peut-être par l’urgence de sauver la popularité du passage à l’euro.
L’inquiétude vient de cette précaution hâtive. Il est vrai que dans l’hypothèse d’un cafouillage après le 1er janvier 2002, l’opération s’annonce plus risquée pour sa future carrière qu’une prestation ratée sous les caméras.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3590 paru le 16 Septembre 2005

Au-delà de l'écran

Un bon relationnel
« Véro, elle a instauré un relationnel avec Clémence qui est bon. » Cette phrase ahurissante, tirée de la bande-son de Koh-Lanta, est un exemple de ce qu’on a pu entendre, toutes les semaines, chez les naufragés de TF1. Mais dans l’équipe, le plus féroce ennemi de la langue française était encore le présentateur.
« Je vous préviens je serai-z-intransigeant avec vous (…)Véronique, l’aventure se termine, ils en ont décidé-r-ainsi (…) Rappelons-le, Mohamed, c’était un monde qui était totalement étranger de ce que vous connaissiez. » (Le jeune Mohamed, à qui il s’adressait en ces termes, n’a pas pu s’empêcher de le corriger).
Le reste, le jeu de piste où les jaunes et les rouges font des patouilles sur la plage pour décrocher un repas au Sofitel, la robinsonnade au milieu de trois tonnes de matériel hi-fi et de capteurs CCD, était un révélateur des dysfonctionnements du corps social français. La production, alertée par les commentaires de la presse, a d’ailleurs chapitré Coumba, la jeune Noire, afin qu’elle corrige le tir pendant la finale à Paris. « Pour prouver que Jérôme est mon ami, a-t-elle dit, je lui fais la bise. »
Jérôme, vous savez bien, le gendarme. Elle l’avait traité durant trois semaines avec un dédain de principe, en affichant devant Mohamed une solidarité banlieusarde d’un genre poisseux contre les “keufs”, qu’on ne peut pas “kiffer”, qui manquent de respect, etc. Au moins la France est-elle désormais convaincue que les préjugés n’ont pas de couleur de peau.

Sainte transparence
Le fondateur du groupe de production Endemol vient de signer un contrat avec une femme enceinte pour inclure son accouchement dans une émission. La mère, interrogée, s’est dite persuadée que son enfant serait fier d’être filmé.
Elle ferait mieux d’y réfléchir car rien n’est moins sûr. Les parents qui prennent ce risque dans le cadre familial suscitent la réprobation de l’intéressé à l’âge de la puberté. On pourrait déjà créer une association pour rassembler les victimes de l’impudeur de leurs proches.
Au train où vont les choses, une chaîne va nous sortir bientôt un nouveau concept consistant à filmer l’agonie de quelqu’un avec le seul accord de ses enfants. Où serait la différence ? Dans les deux cas, il s’agit d’un viol, et de l’irruption du public dans le privé, au nom de la sainte transparence.

Sacrée tolérance
Laurent Ruquier recevait, l’autre soir, les organisateurs des jeux olympiques gays. La candidature de Paris au montage de cette nouvelle usine à gaz événementielle ressemblait à un canular. Mais le sérieux de ses auteurs était attesté par leur profession de foi : « ça participe complètement au lien social », nous ont-ils dit. Je suppose qu’il fallait comprendre que cette manifestation se veut un facteur de tolérance mais il est permis d’y voir exactement le contraire. Vous imaginez les épreuves à Saint-Denis, au milieu de jeunes supporters qui se traitent de “fiottes” toute la journée ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3591 paru le 23 Septembre 2005

Au-delà de l'écran

Dès que le vent soufflera
On hésite à regarder comme intentionnelle la vilaine faute de français que nous inflige chaque jour 9 Telecom dans sa dernière publicité. Elle est tellement grossière qu’on se demande vaguement s’il n’y a pas là quelque provocation, mais il est possible aussi qu’il s’agisse d’une inadvertance. Dans les deux cas, un tel manquement à la règle signifie que dans un monde peuplé d’ignorants, passer pour un ignorant n’a plus la moindre importance.
Pour ceux à qui ce petit film aurait échappé, rappelons qu’on y voit un chevalier en armure débarquer dans le salon d’un jeune couple et s’écrier : « Moi, Hippolyte de Montoseille, j’ordonne que vous payâtes (sic) une gabelle atteignant moult piécettes. » Nous n’aurons pas l’outrecuidance de rappeler aux auteurs de cette plaisanterie poussive la forme idoine du subjonctif. En revanche, nous aurons bel et bien la cruauté de souligner l’indigence de ce nom propre, qui essaie de se donner une connotation “retour de croisade” mais qui paraît sorti d’un album de Pif le Chien. De même, le mot “gabelle” désigne un impôt sur le sel et non le paiement d’un service.
Tout là-dedans semble trahir la médiocrité de ses concepteurs. Malgré tout, quand on y réfléchit, on se dit qu’il est impossible que les “créatifs” d’une grande agence parisienne, soient issus du ruisseau linguistique à ce point-là. Quelle serait donc l’explication ? Ces rédacteurs en publicité, élevés dans un milieu lettré, formés sur les bancs de l’université, ont-ils fait exprès de s’abaisser au niveau de langage où ils croient rencontrer leur cible ? Et s’ils le croient, peut-on leur donner tort ? N’est-ce pas leur métier ? Il ne faut peut-être voir là aucune maladresse de leur part, mais un comble d’habileté qui consiste à flatter le peuple dans son ignorance pour lui vendre un abonnement haut débit en lui faisant croire qu’il est dans le coup.
Il y a quinze ans, Renaud chantait une parodie qui donnait à peu près : « Dès que le vent soufflera je repartira, dès que les vents tourneront nous nous en allerons. » Depuis cette époque, le pourcentage de nos contemporains capables de rétablir la forme correcte de ces deux verbes a dû baisser de moitié. Le langage publicitaire est-il en train d’en prendre acte ? On peut se poser la question.

Autisme
Un reportage diffusé par le 13 Heures de TF1 illustrait à quel point le journalisme télévisuel tourne parfois à l’autisme. Une jeune femme nous explique que certains médicaments viennent d’être “déremboursés”. Suit l’interview d’un médecin. Des tentatives comparables, dit-il, ont eu lieu en Allemagne, mais sans résultat, les médecins ayant prescrit des médicaments voisins qui, eux, étaient remboursés. Là-dessus, la journaliste n’hésite pas à conclure comme si son interlocuteur n’avait strictement rien dit : « En attendant, ces économies ne sont pas négligeables, puisque la Sécurité sociale va s’épargner chaque année une dépense de 430 millions d’euros. »
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3592 paru le 30 Septembre 2005

Au-delà de l'écran

Ratissages
En regardant Taxi 3 l’autre soir, d’une oreille distraite c’est-à-dire sans cesser de lire le journal, j’ai songé que cette série avait un peu changé de nature depuis ses débuts. La seule chose qui présentait quelque intérêt dans le premier numéro était le côté Rabbi Jacob du scénario. À la fin du film de Gérard Oury, juifs et Arabes se réconciliaient dans la cour des Invalides. La République, intégratrice et maternelle, veillait sur le destin de ses “composantes”. De même, dans Taxi 1, le chauffeur marseillais “issu de l’immigration” faisait équipe avec la police, courtisait la fille d’un général et se retrouvait dans la cour de l’Élysée.
Depuis dix ans le chemin parcouru est prodigieux, mais à l’envers. D’abord le film est explicitement parrainé par Sylvester Stallone, qui est là pour authentifier sa touche américaine. Ensuite il n’est plus question des institutions françaises. Les Chinois ont pris la place des Japonais, mais la tendance à définir ethniquement les méchants s’est accentuée. Enfin et surtout, le mythe du rodéo automobile en zone urbaine est devenu si délirant qu’il invite à une réflexion sur l’influence exercée par ce genre de films sur la paix sociale.
Qui n’a déjà remarqué des traces de pneus suspectes, le matin, à certains carrefours, aux sorties des zones industrielles et sur les échangeurs ? Qui n’a entendu les soupapes hurler à 2 heures du matin à la périphérie des villes ? Qui ne s’est déjà fait doubler, en rentrant d’un dîner, par trois voitures en train de faire la course sur une voie rapide, au son d’une stéréo saturée ?
Les vrais observateurs ont pris depuis longtemps la mesure de nos hypocrisies obligatoires. Par exemple, on prétend vous empêcher de téléphoner au volant, fût-ce avec une oreillette, mais nombre de jeunes conducteurs s’envoient impunément 100 décibels de rap dans le cockpit en regardant les patrouilles de gendarmes d’un air goguenard.
On prétend déplorer la violence routière. Or, dans Taxi, elle est omniprésente. La plupart des adolescents s’échangent des jeux vidéo comme GTA San Andreas ou Need for Speed, qui propagent le contraire des prescriptions officielles et véhiculent un fascisme de proximité basé sur le culte de la force et le mépris des faibles.
Depuis dix ans, les gens de bon sens attirent l’attention sur le message social véhiculé par ce genre de divertissements implacables. Il était inévitable qu’une poignée d’intellectuels finissent par braver le politiquement correct et s’en émeuvent. Finkielkraut vient de rejoindre la résistance sur le plateau d’Edwy Plenel (LCI) et de rappeler une évidence : la licence ne saurait aller jusqu’au crime sans rencontrer d’obstacle.

Une citation
« Dans ma jeunesse, on croyait que les religions c’était dépassé » (Alain Souchon).
Qui ça, “on” ? Nombre d’entre nous ont vécu leur jeunesse à l’abri de cette prétendue unanimité dans le doute et ne s’en portent pas plus mal.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3593 paru le 7 Octobre 2005

Au-delà de l'écran

Tabac tabou
Je n’ai pas très bien compris si Marc Cohen, qui défendait l’autre jour, sur Europe 1 son recueil de textes Je fume, pourquoi pas vous ? (Pauvert), est médecin ou non, mais une chose est certaine, c’est qu’il est courageux. Il nous a rappelé, avec une indignation ricanante, la campagne télévisuelle récente où l’on voit des enfants prendre le pouvoir contre les adultes en criant : « Le tabac, c’est tabou, on en viendra tous à bout ! »
Il suffit de lire sur Internet les réactions que suscite ce petit film pour s’apercevoir que Marc Cohen n’est pas le seul à y déceler une anomalie. L’impudence du bon droit chez les enfants commence à sentir le roussi.
Quand on cherche à mobiliser la jeunesse contre les mauvaises habitudes de ses aînés, on croit faire de la prophylaxie, mais on emprunte un chemin balisé par le Diable. Quand on réalise une série comme l’insupportable campagne didactique diffusée par les chaînes publiques cet été, où l’on voyait des enfants rééduquer leurs parents en faveur de l’écologie domestique, on ne se doute pas qu’on est entré en zone rouge. Et pourtant c’est le cas. En 1937, les enfants russes contrôlaient les tendances bourgeoises de leur père dans les mêmes conditions. Quand on voit au journal de 13 heures un reportage sur une école modèle où les élèves apprennent le français de manière atypique, ce qui leur permet, nous dit-on, d’en remontrer à leurs parents le soir, on est stupéfait d’entendre une mère expliquer avec satisfaction que sa fille lui fait chercher la solution de ses exercices, et l’oblige à se “remettre en question”.
On aimerait qu’une fois, une seule fois, quelqu’un se dresse contre nos institutions et nos associations pour rappeler que dans une société saine les enfants ne rééduquent pas leurs parents. On aimerait que quelqu’un ose dire sur un plateau que la vertu, quand elle est imposée par les pré-adolescents avec l’approbation explicite et démagogue du pouvoir politique, n’a jamais mené qu’à un seul régime : la tyrannie.

Courage discret
Charles Villeneuve et son Droit de savoir se penchaient récemment sur les actions du Raid. On accuse souvent les chaînes de rouler pour l’un ou l’autre, mais l’émission, quand elle a évoqué la prise d’otages de Neuilly-sur-Seine, n’a pas cité le nom de Nicolas Sarkozy. Les images le montraient : il était pourtant au cœur de la négociation.
L’honnêteté oblige donc à rappeler, comme l’a fait une autre émission d’actualité il y a plusieurs mois, que le maire de Neuilly est entré dans la classe, où il a parlementé avec un homme armé pour lui arracher finalement un jeune otage en n’hésitant pas à lui tourner le dos au moment de sortir de la salle. J’ignore quel est le destin politique de Nicolas Sarkory. Mais c’est incontestablement durant cette épreuve, du 13 au 15 mai 1993, qu’il s’est forgé aux yeux du public une stature d’homme d’État.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3594 paru le 14 Octobre 2005

Au-delà de l'écran

Chantage institutionnel
À propos de l’ouverture des négociations avec la Turquie, les chaînes de télévision et les stations de radio ont fait preuve d’un zèle impressionnant dans la propagande.
On a pu entendre un recteur d’académie, un Turc, nous dire en résumé : “Donnez de l’argent et du travail à nos jeunes, sans quoi ils vont se fâcher contre vous.” Nos instances nous disaient à peu près la même chose en nous rappelant que la menace intégriste était à nos portes, et qu’il ne fallait pas mécontenter des voisins si nombreux et susceptibles.
Une journaliste n’hésitait pas à demander à une jeune étudiante : « Quelle opinion vous faites-vous de la France et de son comportement des derniers mois à l’égard de votre pays ? » L’emploi du mot “comportement” est significatif. Il veut dire que la partie qui mérite d’être jugée n’est point celle qui réclame, mais celle qui résiste.
Tout cela est inquiétant : d’abord, l’insistance médiatique en faveur de la politique de la porte ouverte sent un peu le coup monté. Ensuite, toute résistance au chantage à l’intégrisme est désormais perçue comme un repli identitaire. Enfin, l’ignorance historique dont témoignent nombre de commentaires effraie. La palme revient à un prétendu spécialiste qui nous a dit sur Europe 1 : « La France et la Turquie avaient historiquement de bons rapports et puis soudain, depuis trente ans, on ne sait pas pourquoi, les choses se sont dégradées. »
Evidemment, on sait très bien pourquoi. L’histoire remonte à François Ier qui, prisonnier de Charles Quint, a signifié son accord à Soliman pour la prise de Budapest afin d’affaiblir le camp allemand. Depuis trente ans nos rapports avec l’Allemagne se sont fortement améliorés, et la tradition proturque s’est perdue parce que la solidarité européenne est meilleure.
Notre distance avec la Turquie semble donc proportionnelle à nos dissensions continentales. Quand les Européens s’unissent, Istanbul s’éloigne, quand ils se querellent, elle s’invite. Est-ce de très bon augure ?

Frime et châtiment
Le m’as-tu-vu de la semaine était un jeune homme de 24 ans qui se prétendait producteur à Cannes et que nous présentait le magazine Strip-Tease. On aura rarement vu un tel condensé de vanité ! Flanqué d’une attachée de production ramassée dans un tabac de Meurthe-et-Moselle, il débarquait au volant d’une voiture de location dans les soirées sur invitation pour vendre un scénario qui réclamait le concours de 13 000 figurants au Venezuela !
Ce reportage, qui aurait pu être tendre si le personnage avait consenti à ne croire à ses fadaises qu’à moitié, nous brossait le portrait d’un mythomane en pleine bouffée délirante. Les singeries auxquelles il se livrait pour avoir l’air d’un gagnant sur la Croisette nous emplissaient de pitié. Elles étaient surtout accablantes pour le monde auquel il voulait appartenir et qui était incapable de le repousser avec la fermeté nécessaire.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3595 paru le 21 Octobre 2005

Au-delà de l'écran

Génération Narcisse
L’autre soir devant la Star Ac’, un vieil ami dont la petite fille est âgée de 17 ans me parlait de l’escroquerie qui consiste à prétendre que Johnny Hallyday ou Serge Lama gardent une popularité parmi les adolescents.
L’an passé, Michel Sardou parrainait la fameuse académie et le malentendu sautait aux yeux : la génération du baby-boom n’en finit plus de se regarder dans le miroir. Le public sexagénaire s’attendrit sur sa propre jeunesse, obligeant enfants et petits-enfants à communier dans le culte du rock d’après-guerre et de la Harley Davidson. Mais les adolescents n’en pensent pas moins que de Brialy à Ardisson, ce monde-là est truffé de raseurs nostalgiques.
D’ailleurs, paradoxalement, ce qui témoigne de l’indifférence des prépubères à l’égard des vieilles gloires de la scène française, c’est que les disques de Sardou, Michèle Torr ou Aznavour se vendent bien. Ils sont peu piratés sur Internet, la proportion de téléchargeurs compulsifs étant assez faible entre 50 et 70 ans.

Malaise sur la “Marseillaise”
Il n’y a guère que Pierre Bénichou qui ose ricaner ouvertement de l’intouchable Zidane dans l’émission de Ruquier, en singeant son éternel “Ils nous ont mis la pression”. Le reste des commentateurs est saisi d’un respect stalinien devant cet emblème d’intégration qui ne chante pas la Marseillaise. Quand on regarde un match de football, il faut être vraiment myope pour ne pas mesurer le malaise qui s’installe. La caméra l’illustre de manière impitoyable : pendant que l’entraîneur et le gardien de but s’époumonent, la plupart des autres serrent les lèvres de manière explicite. La génération d’enfants à qui le gouvernement a choisi d’apprendre de nouveau la Marseillaise dans les écoles va s’inspirer du rejet de l’équipe de France au lieu d’écouter l’institutrice, c’est couru d’avance. La situation est d’autant plus caricaturale qu’un canular vient de nous rappeler une évidence : la fermeté en la matière aurait pu payer depuis longtemps. En se faisant passer pour le président de la République, en réclamant un geste en faveur de la Nation, un imitateur vient d’obtenir un chœur patriotique unanime.
Et puisqu’il est question de mauvaises influences, comment ne pas déplorer que Zidane crache avant le match sur la moquette verte des vestiaires, devant dix millions de téléspectateurs ? L’entretien des couloirs dans les collèges “difficiles” va s’en ressentir. Mais le gouvernement préférera lancer une campagne nationale en faveur du civisme, plutôt que d’en rappeler les règles à qui les ignore.

Dans le texte
Entendu sur France 2, d’une jeune généraliste parisienne, ce témoignage que j’ai consigné d’une plume fébrile : « Il y a des gens mal mutualisés pour lequel je suis obligée de faire très attention à comment j’oriente les examens. » On dirait du Martine Aubry.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3596 paru le 28 Octobre 2005

Au-delà de l'écran

Cosmétique de la pensée
Il existe à la télévision un phénomène que l’on remarque de moins en moins mais qui s’installe de plus en plus, c’est la démocratie du micro-trottoir. Quand on veut demander aux gens leur avis, que fait-on ? On leur tend le micro.
Ce n’est pas un procédé nouveau : les vieux présentateurs, qu’on appelait encore des speakers, le faisaient déjà en 1965. Ils précédaient une équipe technique très lourde avec une bonnette à fil, ils tiraient le passant qu’ils interrogeaient vers un projecteur, ils lui orientaient le visage vers la caméra, c’est à peine s’ils ne redressaient pas sa cravate au milieu de la prise. Et pourtant, généralement, on entendait l’interrogé proférer une vraie opinion, avec ses hésitations et ses incongruités. Non seulement elle n’était pas dénaturée au montage mais elle avait le droit de rester la seule.
Ce qui a changé, ce ne sont pas seulement les moyens techniques, mais la cosmétique de la pensée. Aujourd’hui une opinion n’a pas le droit de rester la seule, il faut absolument trouver quelqu’un qui ne la partage pas, ce qui oblige à des acrobaties douteuses. Imaginez que la question (comme souvent d’ailleurs) cherche à enfoncer une porte ouverte. Il ne faut pas que la porte cède trop vite. Il faut d’abord jouer à la démocratie. Un exemple : “Cette statue en céramique jaune d’or, qui orne le rond-point d’entrée de ce village du XVIe siècle, est-elle à sa place dans un décor classé ?” Pour répondre, on choisit deux personnes qui trouvent la sculpture immonde et qui fournissent des arguments de bon sens. Mais il faut absolument trouver une troisième personne qui déclare que ça ne la choque pas du tout. Peu importe que cette personne représente un centième de l’opinion, la voilà promue, par la télévision, à un tiers.
Vous appliquez le principe qui précède à n’importe quoi, le coût de la vie, la candidature de Jack Lang ou la popularité du pape, et vous obtenez des affirmations qui, annulées en permanence par leur contraire, ne reflètent jamais l’état réel de l’opinion. Jamais vous n’arrivez à dégager une impression d’unanimité, ou tout au moins de majorité écrasante. On a l’impression que le journalisme télé est toujours là pour modérer le sentiment des Français sur tel ou tel sujet au lieu d’en rendre compte. Il se creuse sans cesse pour avoir l’air d’un contre-pouvoir devant les réactions de la rue. Quand une indignation se manifeste, il la livre au doute avant qu’elle ne s’affirme.
À force, les gens qui la partagent s’en rendent compte. Ils enragent de sentir partout l’empreinte du modérateur, comme on dit sur les forums d’Internet. Ils se plaignent en privé qu’aucun enthousiasme, aucune réprobation ne sortent intacts de ce laminoir. Quand on tempère ainsi la majorité par l’exception au point de donner, à l’un et l’autre, par exemple à Dominique de Villepin et à Noël Mamère, le même temps de parole, on agace sérieusement la majorité, ce qui n’est jamais très prudent.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3597 paru le 4 Novembre 2005

Au-delà de l'écran

Principe de précaution
Grippe aviaire, récidivistes, violeurs en série, les campagnes dites de sensibilisation sont toujours justifiées par un fond de vérité. Mais à la télévision, le fond tapisse les murs. La vérité est multipliée par dix. Or, quand on multiplie la vérité, elle devient un mensonge.
Dans une émission qui prétend combattre les arnaques et prendre la défense des consommateurs abusés par un agent immobilier ou un assureur, on nous montre certes des gens étranglés par le système, haïs par leurs voisins, harcelés par leur employeur. Mais ce qu’on ne nous montre pas, c’est combien, dès le lendemain, nous changeons de regard sur notre employeur, notre voisin ou sur notre assureur. Quitte à devenir injustes nous-mêmes à leur égard.
À la télévision, il suffit de quelques minutes pour que l’exception ait valeur d’exemple – à charge. Après une émission sur la criminalité, les escrocs, les filières d’immigration clandestine, le principe de précaution exerce une véritable tyrannie sur les esprits.
Il y a un an, en pleine vague terroriste, on interrogeait des grands-mères dans un village du Cantal, région où la menace islamiste, convenons-en, est assez modérée. Eh bien les grands-mères du Cantal étaient décidées à tout faire pour échapper aux terroristes. Elles se promettaient de raser les murs entre l’église et la supérette.

Couverture démocratique
On parlait l’autre jour des multirécidivistes sur Public Sénat (une chaîne qui gagne à être regardée, comme le souligne son directeur, et je ne dis pas cela uniquement parce qu’il me l’a recommandé). Le plateau de débat s’appelle Bouge la France, hommage involontaire au slogan de campagne de François Bayrou, qui ajoutait à la tendance jeune-sympa le tutoiement super-cool, ce qui donnait “Bouge ta France” (défense de pouffer).
À part ce léger détail, l’émission est très regardable et la chaîne aussi. Les parlementaires et les autres (qu’on serait presque tenté d’appeler les laïques de la politique) ne sont ni interrompus ni malmenés par un personnel médiatique narcissique et grossier. Les présentateurs ne gardent pas une oreille en régie et un œil sur l’Audimat. Leurs invités n’en sont que plus détendus.
Rappelons que la conduite du personnel télévisuel exerce une influence considérable sur le comportement de l’invité. Ceux qui ont répondu à un présentateur qui regarde ses fiches, ou qui vérifie son maquillage sur l’écran de contrôle, savent de quoi il est question. À l’inverse, quand l’important est le contenu, ça finit par se voir. Et sur Public Sénat, ça se voit.
Reste à savoir qui regarde. Quand on n’est pas abonné à TPS, quand on n’a pas la TNT, on fait partie des citoyens qui n’ont qu’à se débrouiller. Le problème est encore plus aigu pour France Info, une station de radio qui n’atteint même pas 90 % de couverture dans les villes de plus de 20 000 habitants, sans parler des campagnards et des montagnards, qui la financent sans la recevoir.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3598 paru le 10 Novembre 2005

Au-delà de l'écran

Reverse engineering
Après un reportage montrant une douzaine de voitures retournées, au deuxième jour des incidents dans la banlieue nord, le préfet de Seine-Saint-Denis nous a divertis en déclarant textuellement sur TF1 : « Je ne pense pas qu’on puisse parler d’émeutes, puisqu’il n’y a pas eu d’affrontement entre les policiers et les jeunes. »
Voilà qui est commode. En somme, pour ne pas avoir à qualifier les faits, il suffisait que la police évite le contact. Les jours suivants, comme on le sait, la méthode s’est révélée insuffisante et le contact fut difficile à éviter. Mais la télévision n’est pas avare de ressources. Non seulement elle est capable de modifier la lecture de l’événement, mais elle peut changer sa nature. Nous avons vu des habitantes de l’une des cités en flammes s’adresser aux jeunes pour les conjurer en direct d’arrêter de brûler des voitures. Au nom de quoi ? De l’ordre public ? De la morale ? De la raison ? Pas le moins du monde. De la solidarité de classe. Je cite l’une d’elles : « Ça n’a aucun sens de brûler nos voitures, on n’est pas des bourges, on travaille, nos voitures, on en a besoin. »
Explication de texte : les bourges, c’est connu, n’ont pas besoin de leurs voitures. Ils ne travaillent pas pour les acheter. C’est pourquoi on peut les brûler impunément. Pratiqué dans les arrondissements chic, cet exercice peut même signifier quelque chose.
Quand on entend proférer un jugement à la télévision, il faut donc toujours en tirer la philosophie implicite, en remontant aux sources idéologiques du discours. La méthode du reverse engineering s’applique très bien à la psychologie.

Intimidation
Dans ce contexte assez particulier on s’interroge beaucoup, comme l’autre soir sur Europe 1, sur les méthodes à adopter pour juguler la violence juvénile. Des spécialistes défilent sans arrêt au micro, mais aucun d’eux ne consent à nous dire l’essentiel : il s’agit avant tout d’une affaire d’intimidation. Le pouvoir est désormais obligé de parler à ces jeunes un langage qui lui répugne, celui du caïd. C’est pourtant le seul qu’ils veulent entendre. Et ils ont raison de l’exiger puisqu’il s’agit de savoir qui fait la loi, au propre comme au figuré.
Si la question se résume à cela, autant s’inspirer tout de suite des méthodes de Supernanny, par exemple. Il faut inviter le pouvoir politique à méditer l’une des grandes leçons de cette émission : l’intimidation des enfants est beaucoup plus facile avant l’âge de 10 ans qu’après la puberté. Aussi conviendrait-il peut-être d’empêcher le personnel de l’Éducation nationale de ruiner l’image de l’autorité dès l’école maternelle. Une politique efficace de la ville devrait donc commencer par le recrutement de maîtres d’école capables de donner une âme, une morale, une discipline aux enfants avant que la rue ne s’en charge. Mais qui, dans la France d’aujourd’hui, osera intimider les enfants de 5 ans contre le lobby des pédagogues et celui des parents incapables ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3599 paru le 17 Novembre 2005

Au-delà de l'écran

Trois ridicules
Dans une certaine génération, la mienne, tout le monde est tombé au moins une fois sur un album de Druillet, généralement chez un ami étudiant en médecine, ou un élève des écoles scientifiques, enfin quelqu’un qui n’avait pas toujours eu le temps de lire les Mémoires de Saint-Simon. Pourquoi cette précision qui hésite au bord du dédain ? Parce qu’il faut bien dire que le dessinateur Druillet, malgré un univers graphique éblouissant fortement inspiré des murailles de Piranèse, n’a jamais passé pour un scénariste de génie. Côté dialogues, c’était encore pire, son héros couvert de cuir et de clous débarquait dans le coin droit d’un palais improbable érigé en spirale sur un ciel volcanique, une sorte de représentation architecturale de l’enfer de Dante étalée sur une double page et il criait un truc banal du genre : “mince alors”.
Eh bien, dans les Rois maudits, nous avons vu le contraire. Les dialogues, la malédiction, tout cela était hautain et solennel à souhait, avec une pincée de vieux français, mais le décor de Druillet avait un côté “Opéra de quat’sous” qui faisait un peu pitié.
Oui, je sais, la presse a paru ravie de voir transformer la France de l’époque en “univers baroque”, et il n’y avait rien là de gênant, sauf que la production s’est arrêtée en route. Si les personnages avaient été grimés eux-mêmes de façon baroque, si on avait confié les costumes à Jean-Paul Gaultier comme dans le Cinquième Élément, c’était cohérent (Maurice Druon, qui d’après la rumeur n’était pas très content, l’aurait été encore moins, mais il y a longtemps que l’auteur, dans ce genre d’opérations, n’a plus son mot à dire).
Le premier ridicule résidait dans le mélange entre les costumes à tendance Malet-Isaac et le baroque du décor. Il fallait choisir. De même, on n’a guère vu de personnages édentés, scrofuleux, aux cheveux gras, et pour cause : le casting était beaucoup trop rive gauche. C’est le deuxième ridicule. Par moments, on avait l’impression d’être sur le plateau d’Ardisson. Jeanne Moreau rayonnait, Brialy avec son bonnet en poil de chat ressemblait à un Lapon d’Avignon, Line Renaud était dix fois moins truculente que dans les films de Gabriel Aghion, en résumé c’était une boum costumée à l’usage des people.
Mais le plus ridicule de tout, c’est le budget qui a été mobilisé sur fonds publics pour un machin pareil. En somme, pour la direction de Marc Tessier, non seulement le bouquet final a coûté cher mais toutes les fusées ne sont pas parties. Heureusement qu’avec le couvre-feu, l’audience était au rendez-vous.

Stage de parentalité
À ce propos, RMC, qui a couvert les émeutes de façon exemplaire (témoignages d’auditeurs, points de vue contradictoires), nous a rapporté qu’une certaine Farida M. , dépassée par ses cinq garçons, avait été gardée à vue puis condamnée à suivre un stage de “parentalité”. À tous ceux qui ont été élevés par une veuve de guerre, cette information doit paraître offensante.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3397 paru le 4 Janvier 2002

Au-delà de l'écran

Catilinaires
Quand on voit l’usage qu’en fait la télévision, on comprend que le monde politique français se méfie de la démocratie directe.
Tout a commencé il y a trente ou quarante ans, quand Pierre Tchernia venait présenter aux enfants des extraits de dessins animés le dimanche après-midi. On votait pour Blanche-Neige. Le standard “sautait”. C’était la préhistoire, l’Atlantide, l’Antiquité grecque du plébiscite cathodique.
Ensuite les standards téléphoniques sont devenus des instituts de sondage. L’apparition de la touche “étoile” a permis de raffiner les choix. Le public a pris l’habitude de se regarder dans le poste, comme la méchante reine de Perrault, pour être flatté toujours davantage. Désormais, on commande des sondages partout. On en suscite. Quand bien même aucun thème particulier ne serait abordé sur les plateaux avec le secours de la Sofres, les chiffres d’audience tombent le matin pour nous dire qui a “cartonné” la veille.
Il n’y a qu’un seul ennui : nos contemporains sont consultés de plus en plus souvent sur des sujets de moins en moins importants. Par exemple, on leur demande leur avis sur Loana mais pas sur les Balkans.
A bien y réfléchir, ce n’est pas le seul ennui. Parce qu’au bout d’une génération, ils déplorent ce mépris jusqu’à infliger aux politiciens des gifles du type “candidature de Coluche” ou “plébiscite de Bernard Tapie”.
La dernière s’appelle Jean-Pascal. Elle nous vient de l’affligeant Star Academy, dont les producteurs ont livré la plupart des clés au public. But du jeu : désigner une vedette de la chanson au terme d’un processus de sélection mal ficelé, où le vote des téléspectateurs revêtait une importance démesurée. Le critère dominant devait être le talent. Les professeurs de l’“académie” étaient là pour le déceler. Or l’identification au héros a joué presque jusqu’au bout en sens contraire.
Le sous-doué de la bande, un nommé Jean-Pascal, une sorte de Cantona qui aurait fait un stage chez Patrick Sébastien, a multiplié les foucades et les faux départs. Il a fini par exciter chez le public un désir de revanche contre la mécanique élitiste. Son comportement de forte tête qui n’a d’autre génie que l’appel au peuple a contraint la production à changer les règles du jeu pour juguler une popularité à la Catilina. Sa vulgarité, sa mauvaise humeur, son vocabulaire de cinquante mots ne lui ont pas nui. Dans les dernières semaines, le vote l’a remis en selle à chaque fois. Il a promis de s’amender, d’être moins paresseux, et hop ! 60 % des téléspectateurs ont réclamé son retour par téléphone.
C’est bien fait. Il ne fallait pas donner le micro à un crooner de café-tabac qui déclare : « Moi j’aime pas la danse, c’est un truc de pédés ! » Il ne fallait pas laisser vibrer la corde de la médiocrité vengeresse. En revanche, il faudrait que le personnel politique se procure les cassettes de l’émission avant le mois d’avril…

Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3600 paru le 25 Novembre 2005

Au-delà de l'écran

Haricots pirates
Arte se penchait récemment sur l’affaire du haricot jaune du Mexique, qu’un fermier américain a fait breveter subrepticement aux États-Unis, obligeant les exportateurs mexicains à payer des royalties sur une variété qui remonte chez eux à l’ère précolombienne.
L’émission montrait d’autres cas de biopiraterie, comme celui du margousier, qui secrète une sève miraculeuse dont le brevet illégal vient d’être annulé, sous la pression du peuple indien, par l’office compétent en Europe.
De tout cela, il résultait que l’usage des brevets est dévoyé jusqu’à obliger les hommes à réfléchir sur la philosophie de la propriété. L’un des Amazoniens interrogés pendant le reportage disait fort justement que ce n’est pas nous qui sommes détenteurs de la nature mais « une force qui nous est supérieure ».
Tout le monde admet pourtant qu’une juste codification de la propriété est source de richesse. Dans tous les pays collectivistes où le patrimoine individuel a été rétabli, le revenu par habitant s’est rapidement élevé. Il reste à définir le champ de ce qui peut être aliéné. Une firme de papiers peints ne peut tout de même pas breveter les rayures du zèbre !
Les abus les plus graves sont d’ailleurs les moins visibles. Nombre de parents, par exemple, se comportent comme s’ils étaient les auteurs de la vie de leurs enfants, tout en renonçant à leurs responsabilités dans leur éducation. Ce devrait être l’inverse. Chacun commence à s’en douter.

Âneries télé
Il suffit d’ouvrir une page “âneries télé” dans son calepin pour qu’elle se comporte comme un attrape-mouche. Voici quelques exemples à la volée.
Pendant les émeutes, une Beurette surexcitée commente le couvre-feu au micro de TF1 : « Franchement, j’suis bac +5, Madame, et j’peux plus sortir dehors. » Avec un style pareil et en vertu de la discrimination positive, elle devrait être agrégée.
(Notons au passage que, lorsqu’une phrase sur deux commence par “franchement”, il est permis de douter de la franchise de celui qui parle, or dans les “quartiers” c’est devenu la ponctuation ordinaire).
Le lendemain, sur une autre chaîne, nous apprenons que « neuf personnes ont été interpellées, dont presque la moitié n’avait pas 18 ans ». Traduction : quatre étaient mineures.
Retour sur TF1 pour une mention particulière : lors d’une émission de Julien Courbet, la situation de la malheureuse invitée est résumée en sous-titre : « Erreur de diagnostique (sic), son mari décède. »
Certes, tout le monde commet des bourdes. Mais pendant dix minutes devant quatre millions de téléspectateurs, c’est trop. Le ministère de l’Éducation nationale devrait taxer les chaînes qui compromettent l’efficacité de son travail dans des proportions aussi effrayantes. Le même principe pourrait être appliqué à la barbarie, qui se propage, elle aussi, par l’exemple. Et Dieu sait qu’en ce moment, les exemples ne manquent pas.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3601 paru le 2 Décembre 2005

Au-delà de l'écran

Cet homme va mourir
En apprenant que Le droit de savoir (TF1) avait décidé de revenir sur les images du tsunami, « au terme d’une enquête minutieuse », on a craint le pire. L’enquête minutieuse a consisté, principalement, à collecter les vidéos de l’événement au prix de transactions qu’il vaut mieux ignorer. Mais par bonheur la vérité du témoignage a prévalu sur le commentaire du style “Cet homme va mourir”.
Le plus effarant de ces films montrait une famille indonésienne un jour de mariage. Il était tourné d’une terrasse à Bandah Aceh. L’opérateur a suivi la galopade des rescapés sur le torrent de planches qui dévalait la rue principale, avant une sorte de pont métallique où s’engouffrait la marée des débris. Seul détail gênant, le reportage n’a montré qu’un seul cadavre au bord d’un chemin. Le sort des innombrables victimes aurait sans doute mérité de sortir de l’abstraction. Mais l’émission n’aurait pas fait la même audience, or son seul but était visiblement de faire le plein.

Lâcheté
Les journaux télévisés ont largement couvert le procès en appel d’Outreau et l’occasion a été donnée plusieurs fois de revenir sur la cascade d’incohérences dont le juge Burgaud s’est montré coupable. On s’est interrogé sur le fait que les trois magistrats de la chambre d’instruction et le procureur de la République qui dirigeait l’enquête n’ont pas décelé les anomalies du dossier. L’une des victimes relaxées lors du premier procès, la jeune Karine, a rappelé que « les accusations partaient de n’importe où », et que « les plaignants se contredisaient d’un jour à l’autre ». Mais tous les commentaires sont allés dans le même sens, celui d’une distraction coupable, d’une légèreté scandaleuse de la Justice.
On a fait grief à l’institution de ses défauts d’organisation, de contrôle et d’expertise. Mais personne n’a évoqué la simple hypothèse de la lâcheté. Vous savez, ce sentiment bizarre d’irresponsabilité panique qui vous incite à suivre la pente générale. Quand on a jugé les possédées de Loudun, quand Staline a envoyé ses médecins juifs au poteau, les faiblesses du dossier n’ont sauté aux yeux de personne. Ce que désigne le procès d’Outreau c’est avant tout l’aveuglement et la crainte qui se sont emparés de la Justice devant un sujet préalablement empoisonné par les médias. Au temps où l’on brûlait les sorcières, les experts étaient, eux aussi, tous formels et les magistrats craignaient de n’en jamais faire assez pour contenter la foule.

Anniversaire
Le site Internet de France 2 nous a montré les nostalgiques du franquisme célébrant les 60 ans (vous avez bien lu) de la mort du Caudillo. Si c’est un lapsus, il était répété cinq fois, sur deux pages différentes, avec une légende que voici « Messe de la Phalange espagnole à la Vallée des Morts, pour les 60 ans de la mort de Franco ». Le niveau de culture que l’on exige du journalisme audiovisuel rend décidément la carrière très abordable.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3602 paru le 9 Décembre 2005

Au-delà de l'écran

Tonicité
On me pardonnera de revenir sur une phrase entendue il y a deux mois à la radio, et dont un reportage de France 2 vient de nous fournir, à son insu, la philosophie implicite : « L’andrologie, c’est la gynécologie de l’homme. »
Eh bien le congé paternel, à en croire les spécialistes, c’est le congé maternel du mari.
Voilà en tout cas ce qui ressortait du sujet traité par le journal d’Élise Lucet le 30 novembre dernier. Nous avons vu un psychiatre, dont j’ai oublié le nom par charité, nous expliquer que, grâce aux quatre mois attribués au père, l’enfant savait désormais qu’il y avait autour de lui deux personnes distinctes. Entre ces deux personnes, nous disait-il encore, le bébé pouvait observer certaines différences « dans la voix et dans la tonicité ». Enfin, grâce au trio papa-maman-bébé, la femme pouvait échapper au huis clos qui l’étouffait dans son « rapport à l’enfant ».
L’explication de texte est facile. Dans la première phrase, il s’agit de se rendre à une évidence embarrassante : l’enfant a besoin d’un père. Mais, comme certains pourraient en tirer prétexte pour rétablir son rôle dans ce qu’il a d’irremplaçable, d’irréductible, de masculin en somme, on nous explique que la seconde voix qui résonne aux oreilles de l’enfant se caractérise par sa “tonicité”. Ce mot bizarre reflète une forme d’énergie qui n’appartient pas spécifiquement au genre masculin. Il présente tous les avantages. On ne nous dit pas que la voix du père est grave ou grosse, non. Elle est tonique. Dans le couple, chacun à sa guise peut donc assumer la charge de cette tonicité, ce qui garantit la parité homme-femme. Afin de parfaire cette construction vicieuse, il reste à illustrer que le congé paternel est avant tout un instrument de la libération féminine. C’est l’objet de la troisième phrase : la femme respire mieux, nous dit-on, elle échappe à une relation “étouffante” avec son enfant.
Grâce à quel genre de conduite masculine ? Son mari joue-t-il le rôle de celui qui gronde, rassure, répare les fenêtres, refait le toit du nid conjugal ? Pas du tout. Il change les couches. Il promène la poussette. Il assume les tâches maternelles, afin de montrer qu’aucune d’entre elles n’est spécifiquement féminine. À l’exception, peut-être, de l’allaitement. Mais au train où vont les choses, un fabricant de lait maternisé va lui proposer une poche pectorale équipée d’une tétine…

Au pied de l’arbre
Retrouvons le même père dix ans plus tard : une publicité pour un opérateur Internet nous le montre accablé par des enfants suractifs, exigeants et bruyants, qui l’obligent à se réfugier au sommet d’un arbre pour avoir la paix. Voilà qui surprendra peut-être les magazines féminins, mais la mode est en train de changer. Cette pub est déjà en retard. On nous parle souvent des nouveaux pères, on nous dit qu’ils sont plus ceci et moins cela. En vérité, tout le monde sent qu’ils s’apprêtent à descendre de l’arbre, et le plus tôt sera le mieux.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3603 paru le 16 Décembre 2005

Au-delà de l'écran

Saint Nicolas priez pour eux
Le 5 décembre, l’animateur météo de France 2 nous l’a annoncé avec la jovialité contrainte de celui qui a quelque chose à cacher : « Demain nous fêterons les Nicolas. » Derrière lui, l’écran montrait la phase de la lune et le prénom Nicolas.
Trois ou quatre millions de nos concitoyens auront effectué d’eux-mêmes la correction : le lendemain, on fêtait la saint Nicolas. La disparition du mot saint devant le prénom sautait aux yeux parce que le 6 décembre ils sont indissociables, notamment dans le Nord. Le péril que j’évoquais il y a quelques mois se précise donc. Pardonnez à votre serviteur, élu d’un village nommé justement Saint-Nicolas (Savoie), de flétrir les sournoiseries militantes des laïques obsessionnels. Mais au train où vont les choses, certains vont protester auprès de la préfecture au nom de l’égalité des cultes, contre les communes affligées d’un nom de saint. La période de Noël étant propice à toutes les dérives cafardes, les crèches dans les vitrines vont disparaître sous la pression des esprits faibles. Les cartes postales seront expurgées de tout sujet chrétien pour ne pas offenser les facteurs issus d’une “autre culture” et nous aurons, un jour ou l’autre, notre affaire Zwarte Piet, comme en Hollande.
Dans cet aimable pays qui semble en avance sur nous en matière de mauvaise foi d’importation, le Père Noël est accompagné d’un Pierrot noir qui chante : « Je suis gentil, même si je suis noir comme de la suie. » Cette coutume, qui remonte à des temps immémoriaux, offense, paraît-il, les Noirs établis dans ce petit royaume. Certains ont porté plainte. L’affaire agite les journaux à l’approche des fêtes.
Chez nous, des protestations se sont élevées en Guadeloupe et Martinique contre le simple fait qu’on ait voulu rappeler les manuels scolaires au devoir de neutralité. On se demande pourquoi, en haut lieu, personne ne rappelle que l’esclavage n’est qu’un sous-produit monstrueux de la colonisation, mais que le destin de Charles de Foucault ou des moines de Tibehirine mérite d’être placé en regard.
Hélas, il semble que nous soyons entrés dans une phase de rétraction du crédit. Je ne parle pas des taux d’intérêt, mais du crédit que, naguère, nous consentions moralement à autrui, et qui porte le nom désuet de civilisation.

Une certaine télévision
Le fait que quatre spécialistes se soient penchés dans C dans l’air (TV5) sur la question « Peut-on cloner le Christ grâce au suaire de Turin » n’a rien de blâmable (encore qu’il s’agisse d’une stupidité scientifique, doublée d’un non-sens religieux). Non, la chose gênante est que le service public se rende grossièrement complice de la promotion d’un roman de Didier Van Cauwelaert sur le même sujet. On trouvera probablement des gens qui n’y voient aucun inconvénient. Ma remarque s’adresse donc aux autres, qui instruisent le procès d’une certaine télévision et qui ont accueilli la nomination de Patrick de Carolis avec espoir et soulagement.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3604 paru le 23 Décembre 2005

Au-delà de l'écran

Minuit chrétien
Fox News, la chaîne conservatrice américaine, est devenue très difficile d’accès pour un Français, non à cause de sa francophobie, mais parce que nous n’y avons plus droit, tout simplement. Les Danois, les Russes, les Suédois, les habitants du Venezuela et ceux du Pakistan ont le privilège d’entendre ce que dit de nous l’Amérique. Mais pas nous. Grâce à la vigilance de TPS, qui nous a privés de ce spectacle il y a plus d’un an sans prévenir, nous voilà donc protégés contre la sédition conservatrice.
Pour se procurer les émissions de Fox dont parlent les journaux américains, il faut passer par le Net. Et pour jeter un coup d’œil sur la dernière campagne du père fouettard Bill O’Reilly, dont la presse parle beaucoup outre-Atlantique, il faut aller sur le site de la chaîne. Dans son émission The O’Reilly Factor, qui se flatte d’écarter tous les faux-fuyants, le Kill Bill de l’Amérique profonde s’inquiète du sort réservé aux festivités de Noël dans les écoles, les livres et les médias de son pays. Si nous devions suivre un jour, comme il est de coutume, l’exemple de la première société multiculturelle du monde, il est bon de savoir ce qui nous attend. Voici quelques traits du tableau qu’il vient de brosser à son public et qui prouve que, pour les chrétiens, il est plus tard qu’on ne le pense.
Le grand sujet de scandale et le prétexte de toute l’émission était la controverse au sujet de l’arbre de Noël du Capitole que les démocrates avaient renommé holiday tree du temps de Clinton, et qui vient de retrouver son nom de Christmas tree. Vous vous rendez compte de l’audace ? USA Today ricane sur les chrétiens traditionalistes. La radio CBS dénonce leurs menées intolérables. Pourquoi tant de mauvaise foi soudaine sur ce thème ? À cause du mot “Christ” dans Christmas. À Dodgeville, Wisconsin, les enfants des écoles ont dû apprendre à chanter « Cold in the Night » au lieu de « Silent Night », afin de supprimer toute idée de recueillement religieux. Au Texas, les élèves d’un collège ont été priés de ne pas s’habiller en vert et rouge, pour ne pas faire référence à la fête de Noël, qui pouvait offenser les élèves de religion non chrétienne.
Dans le même esprit, France 2 nous montrait récemment une équipe de communicants de la Croix-Rouge qui venait d’inventer le symbole universel destiné à remplacer croix et croissant sur le terrain, afin de garantir la neutralité religieuse dans l’intervention humanitaire.
À première vue, on dirait un losange rouge, mais la conférence de presse nous apprend qu’il s’agit plutôt d’un cristal. Oui, parce qu’outre sa neutralité religieuse, le mot “cristal”, nous disait le communicateur-chef, présente l’avantage d’être identique dans la plupart des langues.
Ah bon ? On se demande dès lors par quel aveuglement les cinquante membres de la commission, après plusieurs mois de travaux, n’ont pas remarqué que dans le mot “cristal”, il restait une fâcheuse allitération avec le mot “Christ” !
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3606 paru le 6 Janvier 2006

Au-delà de l'écran

Sauce aigre-douce
Devant le spectacle le plus convenu il arrive que l’on connaisse un accès de lucidité, comme si la conscience, le jugement, le goût se défendaient une dernière fois avant de capituler. En ce moment l’émission la plus propre à susciter la révolte des neurones et la révulsion des papilles est la dominicale de Michel Drucker. On a l’impression de contempler un tableau à la Fellini. Vivement dimanche, c’est le Ginger et Fred de la flatterie consensuelle à la française. De temps à autre le présentateur s’esclaffe, bascule en arrière, se cache les yeux, tord la bouche avec une telle précision dans l’enchaînement et un œil tellement froid dans le fou rire qu’on se demande s’il ne s’agit pas d’une parodie. Eh bien pas du tout. Comme dans les dernières pages de la Recherche du temps perdu, comme dans ces films qui montrent les fastes de l’Ancien Régime avant la chute, les automates du manège dominical continuent à hocher la tête en songeant qu’un jour ou l’autre le ressort va lâcher. En attendant, de semaine en semaine, il tient toujours. Depuis vingt ans, devant ce genre d’émissions, la presse hausse les épaules avec indulgence. Les commentaires insistent sur le professionnalisme et la gentillesse de l’équipe. Le tout ressemble pourtant à une vente flash dans un supermarché rouge vif qui serait ouvert le dimanche mais justement, on est là pour promouvoir. On brandit un double DVD. On “met le paquet sur la sortie de l’album”. On rappelle qu’“il y aura une série de concerts au printemps à Bercy”.
Il arrive que l’esprit réagisse quand même lorsqu’il est confronté à tant d’excès dans le niaiseux. Ce mot canadien illustre très bien le ton qui s’est installé, par exemple, sur le plateau du spécial Céline Dion. On agrippait l’accoudoir de son fauteuil en se demandant jusqu’où la spirale allait descendre. La production a trouvé, tout l’après-midi, de nouvelles ressources pour prolonger ce vertige mais le fond fut atteint par la recette de bœuf de Mme Dion mère, servie par Jean-Pierre Coffe sous les piaillements de la chanteuse, complètement ravie-là (en canadien dans le texte).
Dans le genre niaiseux, il faut en effet se garder de mettre en phase les tendances de l’émission et celles de l’invité, sans quoi l’aiguille ne quitte plus la zone rouge du cadran. Une semaine plus tard, Drucker recevait les Bronzés, dans un genre certes moins convenu. Mais lorsqu’un gentil invité fait face à un gentil présentateur au milieu d’un gentil plateau, charmé par tant de gentillesse, on a l’impression de reprendre quatre fois du dessert chez une tante sourde et radoteuse, un dimanche d’automne pluvieux et sinistre. À l’annonce du café, on a envie de briser une vitre et d’aller faire un tour dans le jardin.
Philippe Geluck a beau verser un filet de vinaigre sur cette mélasse, quand on y pense, c’est un peu comme si la gastronomie entière se résumait à une sauce aigre-douce. De l’estragon, que diable ! De la coriandre. De la ciboulette. Du poivre. Du talent.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3607 paru le 13 Janvier 2006

Au-delà de l'écran

Le ton juste
On néglige souvent de s’apercevoir que les grands succès populaires à la télévision sont bâtis sur des fondations sociologiquement stables. Quand on voit ce que plébiscitent les téléspectateurs depuis quelques années, on est presque gêné de faire la comparaison avec la laideur du tout-venant. Parce que la faveur du public est un véritable bulletin de vote.
Or, à l’évidence, les gens ne votent plus pour les feuilletons policiers où l’on s’invective en verlan pendant les gardes à vue. Il y a pourtant, dans Une famille formidable, un “jeune issu de l’immigration” (le gendre du héros), un fils homosexuel, une fratrie recomposée…
Mais le principal n’est rien de tout cela. Le succès du feuilleton ne tient pas au côté formidable, entendez moderne, branché, libéré, cool du scénario. Il tient plutôt au fait qu’il s’agisse d’une famille, et d’une famille qui cumule, a priori, tous les handicaps : le père n’essaie pas de se faire pardonner ses humeurs en imitant les vertus féminines. La mère, énergique, passe du rire à l’abattement, de la gravité à la futilité comme au théâtre. Les enfants portent des chemises à carreaux et non des blousons de marque. Le tout donne l’impression d’une réalité recomposée elle aussi, c’est-à-dire qui se donne les apparences du naturel, mais qui est reconstituée dans l’artifice, dans l’ellipse, dans le raccourci permanent.
Tout l’équilibre de cet aimable feuilleton tient à ce paradoxe : les épisodes sont invraisemblables, mais les personnages sont d’une vérité parfaite. Les dialogues sont presque littéraires mais tout est si juste que les acteurs pourraient jouer en alexandrins. Quand la fillette s’écrie : « C’est dommage que vous ne veniez pas ! », quand le père observe : « Je pense qu’il faut que nous gardions une certaine dignité », on comprend qu’on n’est ni dans Navarro, ni dans Commissaire Moulin. Les fictions qui essaient de coller au langage de la rue pour ne pas déplaire aux QI à deux chiffres font un calcul idiot. Ici le compte est bon.

Le ton monte
Il fallait entendre, sur Europe 1, Michel Vauzelle, président de la région où s’est déroulée l’affaire du “train de l’enfer”, s’exprimer une heure avant le passage de Nicolas Sarkozy sur TF1. Il a essayé désespérément de rejeter la responsabilité de l’épisode barbare du premier de l’an sur la SNCF ou la police, au lieu de se demander si l’opération “un train vers Nice à 1,20 euro” n’avait pas pour objet de délester Marseille d’une jeunesse encombrante lors d’une nuit difficile. On envoyait le fardeau à d’autres communes, et pourquoi pas gouvernées à droite ? On faisait ainsi d’une pierre deux coups.
Quant aux responsabilités, tout le monde, y compris Nicolas Sarkozy, se contente d’évoquer les dysfonctionnements de la justice, de la police, de la brigade SNCF, mais personne ne consent à admettre que le principal problème réside dans le degré de civilisation de la jeunesse concernée.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3608 paru le 20 Janvier 2006

Au-delà de l'écran

Retour à la civilisation
On se demande si les services chargés du débriefing de l’ingénieur Planche, après sa libération, ont fait leur travail dans l’avion. Le jour de son retour à Paris, devant une sorte de pupitre monté à la hâte sur un parking, l’ex-otage français en Irak s’est adressé aux journalistes en leur disant textuellement : « Je suis heureux d’être de retour dans le monde civilisé. »
C’est dire l’estime dans laquelle il tient les chiites et les sunnites. Dans un esprit d’apaisement, sa déclaration a été coupée lors des éditions suivantes du journal télévisé mais on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il exprimait par inadvertance une opinion quasi générale dans le pays.

Fascisme de proximité
C’est un nouveau concept, nous dit-on. Le titre de l’émission prête à confusion puisqu’il évoque le Big Brother hollandais et le Grande Fratello italien. Dans le Grand Frère de TF1, il ne s’agit pas de rééditer le télé-voyeurisme du Loft, mais de réaliser un sauvetage moral, dans le genre Super Nanny. Le bénéficiaire de l’opération, ou prétendu tel, était un jeune homme de 16 ans que son père avait abandonné et qui vivait dans un pavillon de banlieue, entre une mère un peu niaise et un beau-père dépassé. Une brigade de psychologues était chargée de remettre ce garçon dans le droit chemin. Tâche bâclée sous les caméras, dans un goût qui évoquait plus les Queer que la brigade des mineurs. Mais l’essentiel se trouvait moins dans le résultat que dans l’analyse des symptômes. Ce garçon élevé dans une maison à jardinet sortait en effet toutes les nuits jusqu’à 5 heures pour casser des voitures. Selon sa mère, il choisissait souvent, avec ses copains, un vieux monsieur à intimider physiquement dans le voisinage. C’est la première étape du fascisme. De temps en temps, il allait aussi narguer la police avec sa bande. Ça, c’est la deuxième étape – la troisième étant l’organisation paramilitaire. Quand le psychologue de service essayait de connaître ses raisons, il avouait ne pas avoir supporté qu’on “parle mal” de son père.
On aimerait que les femmes qui ont imposé leurs droits depuis vingt ans en rétrocèdent quelques-uns avant qu’il ne soit trop tard. Avant, par exemple, que leurs enfants mâles ne les reprennent avec violence au détriment du corps social entier.
En attendant, le vieux monsieur d’en face a quelque souci à se faire.
La production a eu la prudence de ne pas choisir un jeune “issu de l’immigration”, mais le genre verbal de ce garçon désignait assez ses fréquentations ; tant il est vrai que de nos jours, la jeunesse à la dérive attrape l’accent d’Alger sans même s’en rendre compte.

Dissertation
Une suggestion pour les classes de philo : les fêtes de l’Aïd et celles de Noël ont fait l’objet d’un traitement télévisuel quasi équivalent en pourcentage, en dépit d’une disparité démographique de un à dix entre les religions concernées.
Vous montrerez que la parité n’est pas toujours synonyme de justice.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3609 paru le 27 Janvier 2006

Au-delà de l'écran

Casquette et couteau
Voilà quelques semaines, un lycéen lyonnais qui attendait le bus sous un abri au milieu d’autres voyageurs a été surpris par deux agents de police en train de cracher par terre. Les policiers lui ont infligé une amende de 135 euros pour avoir souillé « la dépendance d’un service public », mais l’affaire ne s’arrête pas là. C’est même ici qu’elle commence, puisque TF 1 a décidé de s’en mêler. Le 20 Heures a diffusé un reportage au commentaire ironique, pour abonder dans le sens du jeune homme, lequel a pris un avocat bien entendu. Nous avons vu la mère du contrevenant, une jeune femme satisfaite d’elle-même, nous expliquer que la loi appliquée à son fils datait de la France de Vichy. Un adolescent qui crache par terre au milieu des voyageurs devait donc bénéficier de l’impunité, du simple fait que l’interdiction n’a pas été votée par le peuple au bon moment.
Cracher en public sous un abri de six mètres carrés est un acte délibérément antisocial qui mérite une sanction comme toute provocation, mais la télévision s’en moque. Et elle s’en moquera tant qu’on trouvera des mères pour contester la réalité de l’offense, pour faire appel devant le proviseur en cas de différend avec un prof, et pour hurler devant la caméra, dans le sabir particulier à ce genre de situations : « Mon fils, je vous jure, il a rien fait, Madame ! »
Le résultat, nous le connaissons, notamment parce que TF 1 a la tartufferie de déplorer, tous les trois jours, dans d’autres reportages, les incivilités (récemment encore lors d’une intervention de la Bac sur la ligne D du RER).
Nous avons la chance de ne pas vivre une époque législative scélérate. On peut donc suggérer sans risque que les règles élémentaires soient toilettées au Parlement. Quand Zidane crache en direct sur la moquette d’un couloir, l’amende devrait être proportionnelle au nombre de téléspectateurs. Quand de jeunes voyageurs du métro appuient leurs jambes sur la banquette d’en face on devrait déchirer leur carte Orange. Et quand un jeune homme se présente en classe coiffé d’une casquette et refuse de l’ôter, la sanction devrait être impitoyable.
On pourra objecter que c’est du fascisme, mais quand la jeune prof d’Étampes affirme, dans la presse, que tout a commencé par le coup de la casquette pour finir par celui du couteau, on se demande de quel côté est le fascisme.

Le divin
Le même journal de TF 1 nous a montré un enfant situé à l’opposé dans le spectre de la civilisation. Il allait donner son premier concert de piano à 10 ans, et il jouait les yeux fermés, réfugié dans un monde où les enfants ne s’échangent pas de vidéos douteuses et ne menacent pas leur professeur en disant : « Tu sais que t’es bonne ? ».
« Qu’est-ce que la musique ? demandait la journaliste. – C’est le divin. »
Si la télévision devait pratiquer une discrimination positive, il est permis de souhaiter qu’elle s’applique à ces enfants-là, parce qu’ils sont les premiers “en difficulté”.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3610 paru le 3 Février 2006

Au-delà de l'écran

Embrouiller le peuple
Difficile, la semaine dernière, de se soustraire à la promotion des Bronzés 3. J’ai donc cédé à la paresse et j’ai regardé l’une des nombreuses soirées d’autocélébration de la troupe du Splendid. J’ai cédé aussi, autant l’avouer, à une curiosité sournoise devant cette bande de copains qui ont fait fortune dans la dérision graveleuse. Leur carrière est issue d’un malentendu qui se perpétue au seuil de la vieillesse : enfants des beaux quartiers, anciens élèves du lycée Pasteur à Neuilly, ils ont compté parmi ces jeunes gens qui, pour leur propre gouverne, ont digéré le message culturel et moral de leur classe d’origine, mais qui l’ont renié devant le peuple en 1968. En d’autres termes, pendant qu’ils propageaient dans la société française une indulgence générale à propos des coucheries, de la frime, des pétards, des combines et de l’“éclate” sous les cocotiers, ils menaient pour la plupart une carrière de gestionnaires financiers avisés, envoyaient leurs enfants dans les meilleures écoles et suivaient le sillon banal tracé par leurs parents.
À présent, la soixantaine les a gagnés à leur tour. Il est facile de déceler l’amertume dont témoigne leur sourire au moment où le présentateur annonce que « les Bronzés 3 vont sûrement faire un carton ». Pour commencer, Arthur a presque l’âge de leurs enfants. Ensuite, il s’efforce lui-même de rester dans l’infantilisme alors qu’il passe des journées au téléphone pour monnayer son Audimat.
Finalement, le seul qui soit sincère dans cette histoire, le seul qu’on ait floué d’un bout à l’autre, de l’adolescence à la retraite, c’est le public. Combien de gens se sont abandonnés à la frénésie de liberté individuelle qui a caractérisé l’époque Mitterrand, pour s’apercevoir qu’à force d’inconséquence, ils ont ruiné leur mariage, perdu l’amour de leurs enfants, leurs illusions devant la vie et parfois jusqu’à leur aisance matérielle – le tout pendant que leurs inspirateurs, repus et contents, lisent Montaigne, collectionnent l’art moderne et nous parlent de leur vieux père professeur de médecine ?
De l’autre côté, les gens du peuple, en voyant les promoteurs de l’esthétique déjantée rouler carrosse et sortir du George V, ont l’impression que leurs élites ont menti. D’ailleurs, certains membres de l’équipe du Splendid semblent sur le point de l’avouer. Gérard Jugnot confesse qu’il est resté boy-scout. Dominique Lavanant est redevenue la bourgeoise au grand cœur qu’elle n’a probablement jamais cessé d’être. Et l’on s’attend à ce que Michel Blanc, philosophe inquiet, finisse par balayer le passé pour écrire un chef-d’œuvre.
Voilà donc une parabole à la française, une énième version de la perpétuation des privilèges par la méthode connue qui consiste à embrouiller le peuple. À travers l’équipe du Splendid (mais aussi l’humour de Canal Plus), c’est toute une classe sociale qui s’est arrangée pour rester aux affaires, en accentuant le nihilisme général au détriment des gens simples.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3398 paru le 11 Janvier 2002

Au-delà de l'écran

Noël barbare
Une dépêche en provenance de Roumanie nous rapporte que le CSA local s’est fâché de ce qu’un opérateur de téléphonie mobile ait trouvé malin de mettre en scène trois Pères Noël en plein combat de karaté. D’après le Conseil national pour l’audiovisuel à Bucarest, cet emblème de bonté universel subissait là une atteinte de nature à choquer le public et à altérer la perception de la morale de Noël.
Quand on voit la publicité qu’un opérateur de télévision ose infliger au public français depuis trois semaines, on se dit que le CSA roumain en deviendrait fou.
Une petite fille descend un escalier d’un air menaçant. Gros plan sur son frère se préparant au combat. La mère armée fourbit un rouleau à pâtisserie. Le père brandit une pagaie. La famille énumère les nombreux avantages du bouquet satellite convoité, « le cadeau qu’il ne fallait pas oublier cette année ». Or le Père Noël l’a visiblement oublié. Il est ligoté, bâillonné au pied du sapin, les lunettes en déroute, le regard écarquillé d’effroi. Le père élève à deux mains sa pagaie pour assommer le vieil homme, et sa famille semble décidée à participer au châtiment d’un cœur léger.
Je sais, les trois quarts des gens n’y trouveront rien à redire. Et pourtant, nous entrons ici au royaume de la barbarie par la porte de service. Ne parlons même pas de l’emblème de douceur que représente le Père Noël, des valeurs qu’il incarne, etc. Cet argument est tout juste bon pour les Roumains. Dans notre pays, il serait balayé comme grotesque. Evoquons plutôt le mobile du sacrilège. Ce qu’on nous donne comme passible de cette raclée préméditée, c’est le crime de lèse-convoitise. Le Père Noël est coupable de n’avoir pas anticipé, chez une famille ordinaire, le désir de recevoir dix-huit films par jour et les matchs de première division en Dolby stéréo. Résultat, le même ressentiment haineux s’empare du clan tout entier. Répétons-le, il y a passage à l’acte, usage d’une arme, la victime est bâillonnée et entravée. Circonstance aggravante, elle a soixante-quinze ans. Les psychiatres pourraient gloser longtemps sur la “symbolique” de tout cela. La tribu est réunie pour procéder au meurtre de l’ancêtre au nom de la jouissance immédiate.
Ici je conçois volontiers qu’on m’accuse de manquer d’humour. Alors, comme le sujet s’y prête, faisons intervenir une parabole. Par exemple, imaginons un enfant de six ans adopté, en Somalie ou en Inde, par une famille française. La seule langue qu’il connaisse est encore celle du cœur. Il vient de débarquer à Paris pour les fêtes de Noël. Un soir à la télévision, que voit-il ? Un vieil homme chenu semblable à ceux qui, dans son pays d’origine, prient et mendient aux marches des temples. Or des enfants aux parents, chacun tombe sur ce vieillard à coups de pelle.
En quoi consiste la parabole ? En ce que malheureusement, pour les quatre-cinquièmes de l’humanité, le Père Noël, c’est nous.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3380 paru le 7 Septembre 2001

Au-delà de l'écran

Émission impossible
Quelques années après que François Mauriac eut présidé la distribution des prix dans mon collège, à l’époque où les écoliers sortaient le jeudi, où il y avait encore des garages Simca, des képis noirs, je me souviens que lors du Salon de l’enfance, manifestation saisonnière assez courue, on pouvait voir et même essayer une invention sensationnelle : des patins à roulettes en ligne qui permettaient d’exécuter, sur une piste en ciment, la plupart des figures du patinage sur glace.
Il y a donc trente-cinq ans que le roller fut inventé, probablement par un ingénieur européen qui n’a pas déposé de brevet. Pendant les vingt premières années cette invention n’a fait l’objet d’aucune curiosité. Pour quelle raison ? Etait-elle dangereuse ? Sa mise au point était-elle bâclée ? Pas le moins du monde : la vraie raison est que l’Amérique n’avait point daigné plébisciter ce nouveau patin à roulettes. Quand ce fut chose faite, on nous le renvoya, rebaptisé et paré de la mythologie urbaine de Chicago.
Pour certaines émissions de télévision, le principe est identique : il y a vingt ans, le fantaisiste Daniel Prévost présentait en fin d’après-midi un jeu dont j’ai oublié le nom, mais où il se montrait, envers les invités, d’une sévérité incongrue et burlesque. Il rompait ainsi avec le robinet d’eau tiède des discours de plateau du style : « Ça va Marie-Hélène ? En forme ? » Son genre à lui était plutôt : « MarieHélène, vous parlerez quand vous y serez invitée, ôtez vos mains de la table, je vous prie. » L’émission suscitait douze lettres de protestations par jour mais ravissait les trois quarts des gens normaux. Le présentateur Arthur (depuis lors rentré dans le rang) pratiquait la même politique en s’écriant sur l’antenne d’Europe 1 : « Ce que tu nous racontes, Marie-Hélène, ne présente aucun intérêt, tu nous as fait perdre une demi-minute, je te raccroche au nez, au revoir. »
On a compris où je veux en venir : tout l’été, nous avons vu des Marie-Hélène livrées à un adjudant-chef de comédie (le Maillon faible) dont la gestuelle, l’habillement, le visage impassible ont été attribués à Laurence Boccolini, bien qu’en vérité cette aimable comédienne n’eût été que l’instrument d’une opération de marketing. Les moindres détails de son comportement étaient définis pour tous pays par un bureau californien. A voir se multiplier les pages pour ou contre Boccolini dans les journaux populaires de l’été, on éprouvait un peu de peine. Imaginez un référendum sur le thème “pour ou contre le Gendarme dans Guignol ?”. La presse en question était informée du cahier des charges et de la nécessité, pour la présentatrice, d’adopter le même comportement que celui de son modèle anglo-saxon.
Alors où est l’honnêteté ? Peut-être du côté de Vincent Lagaf, qui a repris avec son équipe une formule dont il est l’auteur et pour laquelle il ne verse de droits à personne.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3499 paru le 19 Décembre 2003

Au-delà de l'écran

Redevance et révérence
Depuis une semaine, on annonçait la présence de Marc Tessier dans une émission en direct consacrée à l’usage de la redevance. Nous nous promettions de nous glisser parmi la piétaille téléphonique afin de poser la question qui nous agite depuis des semaines : combien a coûté l’achat d’Alien 4 à la télévision française ?
Le jour dit, nous laissons donc un message dans la boîte d’Yves Calvi (sur Europe 1), pour lui demander d’interroger là-dessus son invité. Puis nous parlons à son adjoint dans les bureaux de La Cinquième, lequel note scrupuleusement notre question.
En fin d’après-midi, Yves Calvi est à l’antenne en direct. Le premier de ses invités, qui est aussi son patron, le président de France Télévisions, le remercie chaleureusement. De quoi ? D’avoir pris l’initiative d’organiser “un débat aussi utile”.
Visiblement, on se fiche de nous et la suite le confirme. La direction de France Télévisions joue la surprise à propos d’une émission qu’elle a organisée depuis trois semaines. L’onction du meneur de jeu frise la complaisance. Il s’agit d’offrir une tribune à la direction, pas d’interroger le public. De temps à autre, Yves Calvi fronce le sourcil mais c’est pour écarter les bonnes questions.
La preuve : la nôtre ne sera pas posée. Il ne peut pas prétendre qu’elle soit hors sujet. Il ne peut pas dire qu’elle soit trop générale. Il ne peut pas prétexter qu’il ne l’a pas reçue à temps. Hélas, demander ce qu’a coûté l’achat d’un film à une chaîne publique, c’est comme exiger la facture d’une sculpture moderne achetée par une municipalité : c’est une faute de goût. Alors à quoi bon inviter M. Martin-Lalande, rapporteur de la commission des finances à l’Assemblée (pour l’audiovisuel), si l’on s’offre le luxe de contourner devant lui les zones opaques avec un tel cynisme ?
On a beaucoup parlé de transparence, mais les opacités sont restées nombreuses. Or les simulacres de ce genre débouchent tôt ou tard sur un phénomène impossible à juguler : le mani pulite, l’opération mains propres. La télévision publique française s’y expose chaque jour davantage.

Mains propres
Quand l’heure de la propreté aura sonné, Julien Courbet aura beaucoup fait pour attirer l’attention sur le cas de la DDE. Sans aucun doute nous présentait, l’autre soir, l’histoire d’une famille de cinq personnes réfugiée dans dix-sept mètres carrés pour n’avoir pu obtenir le droit de redresser un mur écroulé. La mauvaise foi de la direction départementale de l’équipement dans cette affaire donnait envie d’envoyer des bataillons de Fouquier-Tinville à la recherche des fonctionnaires qui ne “veulent pas le savoir”. Après deux heures de négociations, Courbet finissait par obtenir une réunion de conciliation à laquelle la DDE, malgré sa promesse devant les caméras, n’a pas daigné participer.
Il est temps, pour ces gens-là, de se persuader d’une chose : ceux qui “ne veulent pas le savoir”, le pays ne veut plus les voir.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3611 paru le 10 Février 2006

Au-delà de l'écran

Plus un sou
Une coïncidence vient de décupler la portée du film de Nils Tavernier l’Odyssée de la vie, présenté par France 2 il y a quelques jours. La diffusion de ce documentaire a été précédée d’une affaire affligeante, celle du Sou médical, organisme qui renoncera bientôt à assurer les médecins accoucheurs. Si cette mutuelle, la première à garantir les cliniques privées, baisse les bras devant l’énormité des conséquences juridiques de l’arrêt Perruche (par lequel, rappelons-le, un médecin peut avoir à indemniser une anomalie naturelle non décelée), c’est parce que l’attitude générale devant la procréation relève du consumérisme. L’enfant est devenu un produit comme un autre. S’il n’est pas conforme, on se réserve le droit de le renvoyer à l’usine.
Il n’est donc pas inutile de rappeler ce qui se passe avant la naissance. Le film de Tavernier nous faisait pénétrer dans la matrice. Un déploiement d’images de synthèse nous persuadait rapidement que l’usine, ce ne sont ni les parents, ni la clinique, mais l’insondable immensité de la Nature. Et quand on s’attaque à un médecin qui n’a pas pu sonder l’insondable, que fait-il ? Il réagit comme le prévoyait le docteur G., auteur du fameux Accouchement sans honneur (Le Rocher, 2004), il rend son tablier. « Au point où nous en sommes, écrivait ce praticien anonyme, tout peut arriver, y compris le retour à la vieille dame du voisinage qui vient délivrer la mère avec des serviettes chaudes et du savon de Marseille. Les accoucheurs payent, en assurance, le prix de deux voitures neuves par an. Ils sont surveillés par le matériel et les parents les traitent, une fois sur deux, comme des exécutants. »
Le comble du paradoxe, nous l’avons eu sous les yeux la semaine dernière. D’un côté, un film qui nous laisse assister à des échographies en couleurs sur fond de commentaires lyriques, de l’autre le cauchemar de risquer la ruine sur une mauvaise lecture du monitoring. Les praticiens sont en train de comprendre que les nouveaux outils sont leurs ennemis et la gestation va retourner à son mystère, comme en Hollande où un tiers des femmes accouchent déjà chez elles, faute de spécialistes. À moins que la sagesse ne finisse par prévaloir. À moins que la formation d’un embryon, l’agencement de ses neurones, la proportion de ses membres, ne redeviennent ce que nous montrait le film, c’est-à-dire un miracle fragile. Personne n’a le droit d’appliquer, à un processus aussi aléatoire, les règles en vigueur contre le risque industriel. Faute de quoi, les hommes finiront par avoir la même dignité que les poulets de Bresse.

Traite et mémoire
Cette mention de la dignité humaine me servira de transition pour exprimer un vœu : lors de la retransmission prochaine des cérémonies de la journée anti-esclavage du 10 mai, il serait souhaitable que les représentants des nombreux pays du tiers-monde qui ont pratiqué la traite des êtres humains dans leur histoire soient présents eux aussi.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3612 paru le 17 Février 2006

Au-delà de l'écran

Petits juges
La cafétéria du tribunal de Créteil telle que nous la montrait le journal de TF 1, la veille de l’audition du juge Burgaud, permettait de comprendre la dérive de la magistrature française : on y mesurait à la fois l’écrasante majorité de femmes et leur extrême jeunesse. Pour rétablir l’équilibre, le journaliste prenait soin d’interroger l’un de leurs collègues masculins, mais il ne pouvait nous empêcher de le trouver, lui aussi, fâcheusement juvénile.
Le lendemain, l’audition du juge Burgaud confirmait ce malaise : si un jeune magistrat français ressemble à ce que nous avons vu, il faut réviser d’urgence les procédures de recrutement.
Il y a un siècle, quand on parlait d’un juge, on imaginait un homme quinquagénaire. Aujourd’hui c’est un godelureau qui semble sorti d’une pièce de Labiche ou – le plus souvent – une femme de 30 ans. Même l’ancien garde des Sceaux s’est aperçu, en 2003, que l’École de la magistrature avait perdu les clés de la parité.
La soirée du 7 février sur TF 1 nous a offert, en moins de deux heures, un résumé du problème : après le tribunal de Créteil et son personnel très peu représentatif de la répartition par genres de la population, nous avons vu un reportage sur l’apprentissage de la mécanique automobile chez les jeunes filles. Ensuite l’inévitable conjuration mère-fille s’entendait à ridiculiser un pauvre bougre qui ne voulait pas boire de lait (publicité Lactel). Et pour comble, le feuilleton de la soirée s’appelait Femmes de loi.
Quant au surnom du magistrat d’Outreau, le “petit juge”, il donne froid dans le dos. Imagine-t-on de confier ses coronaires aux soins d’un “petit chirurgien” ? Qu’on nous rende de grands juges, des humanistes qui inspirent le respect. Cela nous épargnera des auditions consternantes comme celles du 8 février. Avant ce psychodrame national, l’avocat général auprès de la Cour de cassation, Laurent Davenas, a longtemps appelé Fabrice Burgaud “ce garçon”. Il aurait dû dire “ce petit garçon”. Autisme dans l’argumentation, syntaxe rudimentaire : son style personnel serait risible s’il n’avait eu le pouvoir de condamner huit innocents à la mort sociale.

Muselière
Au dossier de la liberté d’expression, dont il est souvent question en ce moment, il faut verser la scène qui a opposé Salman Rushdie à Samy Nacéri sur le plateau de Thierry Ardisson en octobre. Le présentateur le plus honnête de la profession aurait, selon des rumeurs insistantes, coupé au montage des menaces de mort à peine voilées proférées par l’acteur au nom de l’islam. En tout cas son hôte, l’écrivain anglais, a quitté le plateau furieux. Il faut consulter un site Internet (www.acrimed.org) pour se faire une idée de ce qui s’est passé. Visiblement, ce n’est plus sur la presse qu’il faut compter pour le savoir. Le contexte actuel jette une lumière supplémentaire sur les privilèges d’extraterritorialité dont jouissent en France les enragés de la muselière. Voilà un débat qui va finir au porte-voix.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3613 paru le 24 Février 2006

Au-delà de l'écran

Catherine et Caton
Il n’est pas interdit de paraphraser l’article que Patrick Besson vient de consacrer à Catherine Ceylac dans le Figaro Magazine, car le sujet recèle une des clés de fonctionnement du service public à la française. La productrice vient de fêter dix ans de rencontres dominicales, soit environ cinq cents entretiens qui collent à la pensée dominante comme le sparadrap à sa paire de ciseaux. Chaque semaine, elle affiche la modestie souriante et primesautière de la fille qui est là par hasard, mais elle a joué des coudes pour être sur la photo ; on songe à ces commodes hérissées de clichés mondains qui, dans les familles de parvenus, montrent la grand-mère en train de serrer la main à Reagan ou la tante Micheline en audience privée chez le pape.
Certes la portée de tout cela est à peu près nulle, comme le suggère d’ailleurs le titre, Thé ou café ? Autant demander au héros du jour s’il préfère la mer ou la montagne. Mais on peut reconnaître, dans ce babillage, une preuve supplémentaire de la prépondérance du médium sur le contenu. Voilà qui rappelle une lointaine émission de la Cinq nommée l’Esprit du sport où Georges Marchais venait parler de ses promenades à vélo. Le principe est d’offrir un temps d’antenne aussi consensuel que possible.
Parallèlement, il existe comme on le sait une poignée d’autres émissions qui travaillent en sens contraire, j’entends contraire à l’invité. Fogiel, Ardisson, Ruquier, siègent au sein d’une sorte de commission d’épuration permanente dont le député Montebourg vient de dénoncer les activités. Tantôt ils font tomber de la passerelle les gens capables de gouverner le navire, tantôt ils cherchent à les ridiculiser en les mélangeant à des rappeurs, à des humoristes ou à des actrices qui disent “Moi j’ai aucun souci par rapport à ça”.
Ainsi, au fil des semaines, voit-on clairement se dessiner une frontière entre ceux qui consentent à ne rien dire pour rester à leur poste et ceux qui prennent le risque du bannissement en annonçant les prochaines guerres puniques. Mais même en ce cas, n’ayons aucun souci pour Catherine Ceylac : le jour où se réglera le sort de Carthage au Parlement, elle va brandir une photo de cocktail en nous disant qu’elle a très bien connu Caton.

Le tutu sur la glace
S’il fut difficile, ces derniers jours, d’éviter le compte rendu quotidien des jeux Olympiques sur France 2, il fut pratiquement impossible d’échapper à l’“humour” de l’équipe. La fausse bonne idée consistait à parodier les émissions de la chaîne entre deux reportages. Il s’agissait de viser le second degré. Dommage que personne n’ait atteint le premier. Nelson Montfort, à force de multiplier les triples axels linguistiques, a fini le tutu sur la glace en mainte occasion.
Si l’on confiait le commentaire du patinage à un grammairien, sur le plan sportif il n’est pas certain que ce soit pire, mais la syntaxe y gagnerait énormément.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3614 paru le 3 Mars 2006

Au-delà de l'écran

Banalisation
Sur Europe 1, l’autre semaine, Jean Marc Morandini commentait la décision prise par TF 1 de diffuser cinq épisodes des Experts, une série américaine qui hisse la médecine légale au rang des beaux-arts. La seule anomalie qu’il relevait dans cette programmation grotesque était relative à l’ordre de passage des épisodes – en quoi il n’avait pas entièrement tort, puisque l’un des personnages mourait en début de soirée pour ressusciter dans un autre épisode, après 22 h 30.
En revanche, le journaliste ne disait rien sur la méthode qui consiste à aligner cinq numéros d’une série sanglante pour bloquer la soirée sur une audience prévisible, au mépris des 40 % de téléspectateurs qui n’ont aucune envie de voir un spectacle aussi cruel pendant quatre heures – surtout s’ils n’ont que trois chaînes à leur disposition, ce qui est encore fréquent dans la France dite profonde.
Les médecins et les policiers new-yorkais qui se penchent sur des corps mutilés, ceux qui réalisent des prélèvements sous nos yeux en faisant tinter leur scalpel sur une coupelle de cristal, ceux qui nous expliquent après quels sévices la victime a succombé dans une cave nous rappellent l’affaire Ilan, ses cruautés et ses hypocrisies. Voilà dix ans que la télévision nous inflige chaque semaine la description des mutilations et des humiliations subies par de pauvres gens tombés par hasard sur un tueur en série. Voilà dix ans que le CSA ne fait strictement rien pour juguler cette banalisation du crime.
Si, en matière de violence, les esprits faibles s’inspirent du tout-venant, c’est avant tout parce que personne n’a voulu contrôler la nature du tout venant. On nous dit que le “gang des barbares” était formé de gens influençables. On nous dit qu’ils ont accrédité le cliché de la famille juive qui cache un magot.
Mais on ne nous dit pas qu’ils ont imité les films où un chef de bande dit à ses hommes « OK, je vous le laisse » en désignant un captif ensanglanté. On ne nous dit pas qu’ils ont vu cent fois Scarface, les films de Tarantino, les âneries sanglantes de Luc Besson et les adaptations de Jean-Christophe Grangié. On ne nous dit pas que dans certains jeux vidéo on voit un otage recroquevillé contre un radiateur dans un appartement vide. On ne nous dit pas que les producteurs des machines à propager le sang et la haine tirent leur argent des grands groupes et roulent carrosse sous les cocotiers tout en déplorant la disparition de la morale sociale.
D’autre part, le fait que la série le Royaume n’ait pas trouvé l’audience escomptée ne doit pas nous faire oublier la place insidieuse qu’y tenait la torture. Plonger dans une eau glacée des jeunes filles liées à une roue, les maltraiter de mille manières supposément moyenâgeuses n’est pas innocent non plus. D’une façon générale, toutes les émissions où l’on inflige à autrui un traitement dégradant rôdent autour de la zone interdite en attendant que l’imagination des demeurés fasse le reste.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3615 paru le 10 Mars 2006

Au-delà de l'écran

Mercredi, c’est barbarie
Il paraît que Ségolène Royal a un plan médias, qu’elle ne fait rien au hasard, et qu’elle ne répond plus à n’importe qui. Du coup on est obligé d’interpréter chacune de ses apparitions à la télévision comme le fruit d’un calcul. Par exemple, si elle passe dans l’émission matinale de Sophie Davant, c’est pour aller chercher, au fond du vivier télévisuel, les poissons pilotes de son éventuel électorat : des femmes qui viennent d’envoyer leur progéniture à l’école et qui regardent la télé pendant le repassage.
En somme, c’est le public d’Évelyne Thomas. Seulement, si elle veut lui plaire, elle devra le persuader qu’elle n’a pas dix ans de retard dans l’analyse. Un grand nombre de mères de famille, déçues par les prêchi-prêcha et les conséquences de la licence généralisée, souhaitent aujourd’hui un retour aux “fondamentaux”. De même, un grand nombre de pères se rendent à l’évidence que leur progéniture réclame une règle ; leur navire, un capitaine ; et leur nation, un projet.
Or à entendre les tièdes déclarations télévisées de Ségolène Royal, on ne devine aucune perception du raz de marée qui a pris naissance au tréfonds de la société française pendant les années de plomb. Elle se propose simplement de s’asseoir sous le tableau noir et de chercher la vérité en même temps que nous. Elle nous promet une gouvernance “associative”, c’est-à-dire l’un de ces moments de démocratie qu’ont connu les établissements scolaires il y a une génération, avant que les proviseurs ne consentent à retrouver l’essence du métier, en saisissant au collet les fauteurs de chahut.
Il suffit de regarder, tous les mercredis, la matinée pour enfants de France 2 pour se demander si une houlette féminine du genre “Mon papa était militaire, mais je me soigne” est ce que l’on peut souhaiter de mieux dans un pays où pullulent les bandes de caïds.
Un indice nous est fourni par le clip d’un certain Booba diffusé par Top of the Pops à destination des 7-15 ans et dont les paroles sont disponibles partout sur Internet. En voici des extraits :
« Il faut les mettre en taule, dans des geôles, si tu parles comme ça, même si t’es personne âgée, ferme ta gueule grosse pute, ou tu vas déménager. » Vous avez bien lu. L’émission, servile démarquage de son homologue anglais à la botte des maquignons de la musique, est diffusée sur le service public, le mercredi, pour infliger à vos enfants ce style de vocabulaire. Sous prétexte qu’il s’agit de l’album le mieux vendu du moment, on y diffuse un message d’intimidation limpide. Certes, parmi les acheteurs de cette “musique” une bonne moitié se précipite sur l’album pour braver un interdit. Le succès du rap dans la jeunesse doit donc être évalué en tenant compte de ce facteur permanent de correction. Mais une autre chose est certaine : Youssouf Fofana et ses copains tortionnaires, dans l’appartement de Bagneux, n’écoutaient ni Lorie ni Raphaël.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3616 paru le 17 Mars 2006

Au-delà de l'écran

Du vélo avec Sarko
L’autre soir, Canal Plus désignait “en clair” l’une des grandes plaies de la société française, la paralysie inquiète qui saisit les médias devant ceux qui pourraient un jour ou l’autre détenir les clés de leur avenir. Un an avant les grandes échéances, comme on dit pudiquement en France, la glaciation commence. Tout le monde se ménage et chacun se surveille.
L’invité du Grand Journal était Nicolas Sarkozy. Certes, quand on anime un programme du style info-show, il n’est pas interdit d’afficher une sympathie m’as-tu-vu pour l’invité. C’est la méthode Drucker. Il l’a d’ailleurs appliquée devant nous en posant au président de l’UMP une question enregistrée : « Alors, quand la fait-on ensemble, cette prochaine balade à vélo ? » On aura complété de soi-même : « Je suis l’ami des stars, j’ai toujours une anecdote à raconter sur mon intimité avec les gens célèbres. Je suis le Zelig du PAF. Je fais du vélo avec Sarko, de la bécane avec Strauss-Kahn et de la trottinette avec Arlette. »
Mais Beigbeder, Michel Denisot, Ariane Massenet étaient censés multiplier les vacheries dans l’esprit insolent qui caractérise Canal Plus. Or on s’apercevait très vite qu’en période pré-électorale, l’insolence de la chaîne est réservée à ceux qui ne sont pas susceptibles d’arriver au pouvoir. Elle accable les prétendants dont elle n’a rien à craindre. Aux autres elle réserve un traitement si clément qu’on finit par se demander pourquoi la perspective d’un changement de règne lui inspire une trouille si profonde. En tout cas, il est certain que l’argumentation de l’invité n’a pas eu à franchir de très grands obstacles pour atteindre le public.
Le contenu des propos de Nicolas Sarkozy importe peu, du moins ici. Il s’agit seulement de souligner que ses interrogateurs se sont dégonflés en direct. Comment François Bayrou aurait-il été traité à sa place ? Question intéressante qui admet un corollaire, comment Beigbeder, qui a signé la campagne présidentielle de Robert Hue, peut-il manquer de mordant à l’égard d’un invité aussi éloigné de sa sensibilité ? Dans deux ou trois ans, nous connaîtrons l’explication de ce mystère en voyant quel poste occupe Beigbeder.

Menaces obscènes
Il est au moins un thème sur lequel le fond des propos de Nicolas Sarkozy concerne cette chronique, c’est l’apparition, sur i-télévision, de l’horrible Fofana en train de déjeuner dans une prison d’Abidjan. Le ministre de l’Intérieur n’a pas apprécié cette latitude offerte à un criminel de s’exprimer et d’illustrer devant la jeunesse que l’enlèvement crapuleux était une pratique sociale juteuse plus ou moins justifiable – en somme, un business comme un autre. Si, au cours du reportage, il avait menacé ses accusateurs de représailles, comme il l’a fait auprès du père Halimi deux jours après l’assassinat de son fils, i-télévision aurait-elle acheté, vendu et diffusé ses propos comme un scoop ? On ose espérer que non. Dans le cas contraire, l’obscénité menace.
Christian Combaz














Valeurs Actuelles n° 3617 paru le 24 Mars 2006

Au-delà de l'écran

Terreur du rejet
Quand on contemple l’agitation médiatique avec l’œil plissé du peintre qui cherche à dégager les grandes lignes, on les reconnaît à chaque instant. Pour qui observe la ruche humaine avec froideur, les comportements deviennent de plus en plus prévisibles.
On s’étonne de ne jamais trouver de philosophes dans l’entourage des ministres car, si les auteurs du CPE avaient été mieux conseillés, leur dispositif aurait été mieux accueilli. Ils auraient évité de donner à la jeunesse l’impression qu’elle allait être évaluée, alors que la terreur du rejet, le besoin de reconnaissance affective, caractérisent toute cette génération, sans compter la précédente qui n’a aucune maturité malgré ses cheveux gris. Dans les familles modernes, le défaut d’estime de soi fait des ravages.
Pour en avoir une idée, il faut lire les consternantes Particules élémentaires de Michel Houellebecq, et certains ouvrages de Christophe Donner, qui trahissent une crainte majeure : celle de ne pas trouver sa place dans le regard et dans l’amour d’autrui. On la décèle dans toutes les interviews : les jeunes face au CPE n’envisagent jamais l’hypothèse où leur futur patron serait convaincu de leurs mérites. Ils sont plutôt accablés par la crainte d’être mal aimés. Osons ajouter : comme ils l’ont été en famille à cause de l’égoïsme parental, de la dérive matérialiste du corps social entier, des divorces, de l’amoindrissement de la figure du père, tous facteurs qui concourent à fabriquer des geignards dont la devise est “Chérissez-moi d’abord, je vous donnerai satisfaction après”.
Un débat sur i-Télévision réunissait récemment, à ce propos, des commentateurs d’horizons divers. La présence de Gérard Gachet tempérait l’agacement que l’on éprouvait à voir le bilieux Stéphane Pocrain s’emparer du sujet, sur le ton péremptoire et vengeur qu’il inflige à tous ses interlocuteurs. Une idée a été proférée ce jour-là par l’un des participants : certains jeunes de milieu modeste, très éloignés des protestataires bacheliers, verraient dans la réforme de l’embauche une occasion de faire leurs preuves. Les autres, les enfants de la petite bourgeoisie vindicative, ceux qui font la loi chez eux depuis la maternelle, se méfient de tout système d’évaluation parce qu’il risque de malmener leur amour-propre. Le gouvernement aurait dû s’adresser aux premiers d’abord. Pour couvrir la voix des mal-sevrés, à présent il va falloir hausser le ton.

“Au revoir madame”
Dans le même débat, il fut question de la campagne électorale italienne et de Silvio Berlusconi. Un lecteur m’écrit sa satisfaction d’avoir vu Sua Emittenza se lever souriant et dire à une journaliste : “Vous êtes partiale, vous devriez avoir honte, au revoir madame.” On imagine mal Dominique de Villepin dire une chose pareille à Christine Ockrent. Et pourtant en pareil cas les sondages révéleraient, dans l’heure, qu’il aurait dû le faire depuis longtemps.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3618 paru le 31 Mars 2006

Au-delà de l'écran

Nouveau continent
Il existe un phénomène souterrain qui se développe depuis des mois mais dont la “grande presse” va nous dire, un jour ou l’autre, qu’il fait fureur depuis trois semaines : la télévision sauvage. Je ne parle pas des quelques chaînes qui fournissent des sujets vidéo à la demande sur leur site Internet, mais des terres nouvellement émergées qui agrandissent sans cesse le continent des images.
Je parle de ces archipels qui apparaissent partout et se réunissent dans le dos du législateur dépassé. Il faut d’abord citer les innombrables blogs où figurent des extraits d’émissions. Ensuite, les clips que l’on s’envoie par courrier électronique, les plaisanteries visuelles, les publicités humoristiques. Les plateaux des grandes télévisions nationales sont déjà contraints de nous présenter, la queue basse, “ce qui circule sur le net”. Ils ont beau nous prévenir “Vous allez voir, la qualité n’est pas très bonne”, il leur est difficile de cacher que la liberté et l’imagination sont en train de quitter les studios.
Et puis, il y a cette poudrière de l’échange d’image par BitTorrent. Il s’agit d’un programme de partage de fichiers dont l’usage est impossible à juguler, et qui va devenir tôt ou tard un continent à lui seul. Pour résumer, quand on a raté une émission, on la trouve sur Internet dès le lendemain. Ah, certes, pas les Cordier, mais qui s’en plaindrait ? En revanche, la descente olympique de Deneriaz, le dernier épisode de Lost ou de Friends, le débat dont tout le monde a parlé à Washington, les talk-shows les plus savoureux, tout y est.
Mais ce n’est pas tout. Le vrai continent caché, le phénomène imminent, surtout en période électorale, c’est l’originalité future des contenus et leur caractère militant. Aujourd’hui, le principal de ce qui s’échange est composé de films et de documentaires. Demain, ce seront des sujets originaux, des conférences, des colloques politiques, des reportages-samizdats, des enquêtes à la Michael Moore. Il suffit de taper le mot Bush dans le moteur de recherche qui figure sur la page www.conspiracycentral.net pour comprendre où nous allons. La facilité de tourner, de monter et de diffuser des images n’a jamais été aussi grande. Elle a pour corollaire le besoin de s’affranchir des grands médias, comme en témoigne le succès des blogs. La conjonction de ces phénomènes induit non seulement une révolution numérique, mais une révolution tout court.
Le problème des droits, qui occupe tant nos parlementaires, va devenir secondaire dès que les gens se précipiteront plutôt sur les révélations douteuses, les reportages du genre télé-corbeau, et les vidéos des candidats marginaux à la présidentielle. Les films de propagande délibérément introduits dans les circuits d’échange entre particuliers n’ont pas été prévus par les textes. Le CSA, si oublieux en matière de violence, va se réveiller sous la pression des politiques et nous allons assister à la plus belle pagaille depuis l’apparition des radios libres.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3619 paru le 7 Avril 2006

Au-delà de l'écran

Il est déjà là
Le téléfilm présenté récemment sur la vie de Charles de Gaulle comportait des leçons cachées. La première est qu’à travers l’agitation et le tumulte se manifeste toujours le profil d’un ordre futur. La France a ceci de particulier qu’elle ne sait pas enfanter de périodes de stabilité sans douleur, ni trouver de majorité sans s’infliger le frisson de l’insurrection. Le film de France 2 nous rendait témoins des tractations entre les équipes d’Alger et l’entourage du Général sur le thème : comment laisser mûrir une crise pour imposer un nouveau régime ?
Pour peu que l’on consente à faire le parallèle avec le présent, la seconde époque du feuilleton était passionnante. Les phrases du Général sur le régime des partis s’appliquaient très bien à ce que nous vivons. Quand on imagine Dominique Strauss-Kahn ou Laurent Fabius dans le bureau du Grand Charles, on les voit encore plus petits que Guy Mollet, c’est dire. Mais surtout, la première leçon de notre histoire récente est que la France d’aujourd’hui nourrit déjà depuis vingt, trente, cinquante ans, ceux qu’elle acclamera demain. Inconnus ou méconnus, ils sont parmi nous. Ils analysent la vie sociale en attendant l’heure d’agir. Nous nous demanderons bientôt comment nous avons pu les ignorer si longtemps. Nous sommes semblables à ces myriades d’objets célestes dont le tournoiement est influencé par un puits de gravité invisible, dans lequel ils tomberont un jour.
Pendant la moitié de sa vie, le général de Gaulle fut un officier obscur qui passait pour un théoricien un peu raseur. Personne n’aurait imaginé qu’il allait exercer une attraction newtonienne sur le pays entier. Aujourd’hui, c’est cette force dense et secrète que nous devons déceler autour de nous malgré la médiocrité de la comédie sociale. Il suffit de regarder la télévision en se demandant ce qu’on nous cache pour en mesurer l’énormité. Quand nous apprenons sur TF 1 que le taux de fécondité français est l’un des plus élevés d’Europe, tout le monde sait ce que cela signifie. Quand nous entendons sur France 2 que 62 % des votants du référendum illégal de Saint-Denis sont favorables au droit de vote des étrangers, personne n’ajoute que la participation a été de 30 %. Et pourtant tout le monde s’en doute. Quand on nous dit (sur Télématin) que « trois millions de personnes ont défilé hier », on ne précise pas que ce chiffre provient de la CGT. Et pourtant tout le monde le sait.
Quand on nous affirme que « personne n’a la trempe d’un De Gaulle aujourd’hui », on ne veut pas admettre que son successeur est là, devant nous, perdu dans la foule, et que le pays l’a déjà plébiscité sans le connaître.

Propositions
Au journal télévisé, nous voyons un professeur qui fait la navette entre deux classes pour remplacer une collègue gréviste : « Si je vois que ça bouge, je passe dans l’autre classe pour renouveler les propositions. » Tout le monde a compris : l’école moderne, c’est un lieu où l’on propose.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3620 paru le 14 Avril 2006

Au-delà de l'écran

Effet Doppler
Le personnel médiatique n’a rien trouvé de mieux, pour devancer et pour influencer les échéances françaises, que d’aller chercher à l’étranger ses modèles et ses sujets d’indignation.
On se souvient avec quelle insistance les plateaux nous annonçaient la victoire de John Kerry. On se souvient des louanges de la gauche française pour Al Gore. On a vu les télés se précipiter au Chili pour y couvrir la victoire d’une femme, dans l’espoir d’accréditer chez nous une candidate en tailleur beige. On a vu des reportages diffusés en direct de Minsk où la police embarquait les manifestants. Aux rares Français qui séjournaient dans la ville (parmi lesquels votre serviteur), le journal de 13 heures de France Inter a essayé d’arracher des témoignages épouvantés en faveur d’une révolution orange à la biélorusse, or elle n’a jamais eu lieu. Le même dimanche, à Kiev, un scrutin sans trucage écornait le mythe du miracle ukrainien.
N’importe, les télévisions étaient déjà passées à un autre sujet : les élections italiennes. Pour nous imposer plus sûrement l’Internationale du centre gauche (celle qui lit le Guardian et La Reppublica), le Paf français découvrait les mérites de Romano Prodi.
Comme beaucoup de Français, j’ai profité de la disponibilité des chaînes italiennes via Eutelsat pour regarder le débat Prodi-Berlusconi sur la Rai Uno.
Le lendemain, j’ai écouté les commentaires du plateau radiophonique de Ruquier sur Europe 1, afin de mesurer l’effet Doppler – vous savez bien, le décalage vers le rouge qu’on observe dans l’opinion quand elle s’éloigne à grande vitesse de la réalité.
Dès qu’on a prononcé le nom de Berlusconi, Steevy Boulay, le politologue du Loft, a devancé ses compagnons pour décréter qu’il avait été très mauvais. Pierre Bénichou, plus circonspect, a donné les protagonistes pour égaux sans avoir vu le débat, ce qui, après correction idéologique, atteste que Berlusconi a été nettement supérieur à son adversaire, et j’en témoigne : il a été drôle, mordant, imagé, notamment quand il a décrit les composantes de la gauche italienne. Or, le lendemain, le fait d’avoir caricaturé ses ennemis nous fut présenté dans les journaux français comme un “dérapage”. Avant tout débat, c’est le même stratagème : la gauche adore priver ses adversaires des avantages qu’elle ne possède pas elle-même. Le pittoresque en fait partie. Il suffit d’employer le verbe déraper et le tour est joué.
Cela dit, le personnage de Berlusconi mérite une analyse plus fine que celle des oligarques du commentaire à la française. Parmi les extraits vidéo que l’on voyait sur les chaînes italiennes, plusieurs étaient accablants, notamment celui où, dans un curieux accès de paranoïa, le Cavaliere présente sa propre crypte funéraire (monumentale) à un Gorbatchev stupéfait. Ou ceux qui établissent les liens de ses fidèles avec la Mafia. Il faut croire que plus un pays a soif d’ordre, moins il est exigeant sur sa nature, et la France devrait méditer là-dessus.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3501 paru le 9 Janvier 2004

Au-delà de l'écran

L’archipel des images
Pendant les fêtes où la télévision subit la concurrence d’écrans rivaux : ordinateurs, jeux vidéo, téléphones portables, on a l’impression que l’archipel des images se rassemble pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, à condition de posséder un peu d’éducation et de sens commun, représente 80 % de l’offre : îles au trésor semées d’énigmes et de merveilles graphiques, courses à la barre sur des voiliers mythiques, architectures d’une complexité piranésienne, mondes ultragalactiques balayés par des tempêtes de sable. Le virtuel électronique, avec la complicité des écrans plats et des techniques sonores immersives (en attendant le relief) est vraiment devenu l’un des beaux arts.
Hélas, il y a aussi le pire. Depuis le premier simulateur de vol sur lequel cent millions de joueurs, au bas mot, ont traversé les tours du World Trade Center avant le passage à l’acte, le jeu vidéo est devenu le vecteur de sottise et de méchanceté le plus puissant qu’on puisse imaginer. Dans l’un des titres que je viens d’examiner, Need for Speed Underground, il s’agit de se livrer à une course urbaine et nocturne au milieu du trafic, au volant de voitures “tunées”, pour un public de zonards gesticulants. Le départ est donné par des rappeuses en boléro de cuir. La notice d’emploi précise obligeamment : « Tu auras le temps de conduire comme un bon père de famille quand tu seras vieux. Pour l’instant, conduis comme un malade, ta réputation en dépend ! »
J’ai aussi acheté une bluette, Rayman 3, destinée aux enfants de quatre à douze ans. Après deux tableaux, que croyez-vous que le petit personnage crie au joueur ? « Eh ben ? Qu’est-ce que t’as ? T’as fumé ou quoi ? »

Publicité de poche
Les passerelles entre le cinéma, la télévision et le jeu vidéo sont déjà nombreuses, mais l’irruption du téléphone portable dans cette ronde des images représente une nouveauté qui n’est pas sans conséquences. Pour le bénéfice de téléphoner en 65 000 couleurs, nous allons bientôt recevoir publicités et bandes-annonces directement dans nos poches, en attendant que notre cervelet lui-même soit équipé d’une prise bluetooth.

Redondances
Dans les entretiens télévisés, si la plupart des réponses commencent par “C’est vrai que”, c’est parce que les journalistes ont pris l’habitude de caser dans les questions ce qu’ils veulent entendre. D’où une impression de redondance assez pénible.
Au même chapitre, citons l’habitude de livrer le contenu d’un reportage au moment de l’annoncer. Ce désamorçage ridicule donne à peu près ceci : « La police est sur la piste d’un trafic de voitures volées qui aurait des ramifications jusqu’en Turquie et en Egypte et qui concernerait des berlines allemandes. Reportage de Frédéric Moreau. »
Que nous dit Frédéric Moreau ? Strictement la même chose, bien malgré lui. L’autre a parasité son travail, ses arguments et son vocabulaire en écoutant la bande avant de prendre l’antenne.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3399 paru le 18 Janvier 2002

Au-delà de l'écran

Un cœur simple
L’un des derniers refuges de l’imagination pour un cinéaste, l’un des exutoires du rêve, dans un monde où les scénarios sont devenus aussi linéaires que les rayons de supermarché, c’est le clip.
Dans un clip le projet est circonscrit dans la durée. L’invention devient donc déterminante. Avec le clip, le cinéma devient elliptique. Impressionniste ou surréaliste, il se joue de la physique, de la logique, il multiplie les changements d’échelle et les paradoxes. Le clip appartient au royaume des contes et légendes.
Les chaînes musicales diffusent en ce moment l’une de ces paraboles que j’invite le lecteur à traquer pour savourer deux minutes de poésie. Il s’agit de l’illustration d’une chanson dont mon seul souvenir est que l’auteur s’appelle Robert, mais l’essentiel n’est pas là.
Le film est en noir et blanc, ou presque. On y voit une jeune femme hésiter à un carrefour en plein Manhattan, encombrée d’un paquet rouge tellement gros qu’il traîne par terre et tient à peine entre ses bras. La caméra change d’angle pendant que la jeune femme, qui paraît épuisée, essaie de traverser un passage clouté dans la foule. Elle se heurte à ses voisins. Personne ne l’aide à porter son paquet rouge. Elle le traîne, le pousse, le pose contre un mur. On s’aperçoit qu’il s’agit en vérité d’un cœur de plus d’un mètre soixante, lisse et gonflé comme un ballon dirigeable.
L’allusion paraît un peu grossière mais elle est déchirante. Bousculée dans la rue, ignorée dans le métro, vouée à la laideur et à la solitude urbaines, la jeune femme transporte son cœur qui devient de plus en plus petit. Il est à peine gros comme un ballon de foot quand elle arrive en vue de son affreuse maison de Brooklyn. Une aimable et tendre détresse se lit alors sur son visage, si aimable et si tendre qu’un jeune passant lui offre un café.
Changement de plan. Le cœur est posé entre eux contre la vitre. Sorti du café, le jeune homme raccompagne sa Cendrillon qui a quelque difficulté à franchir la porte de sa maison, le cœur ayant retrouvé sa taille d’origine.
Le lendemain on guette sur MTV ou FunTV la rediffusion de cette minuscule œuvre d’art qui dure autant que la lecture d’un poème, qui n’est pas la seule de son espèce et qui vous réconcilie à jamais avec la vidéo-minute.

Flics et voyous
En comparaison, un téléfilm policier de TF 1 paraît aussi talentueux qu’un manuel de droit commercial. Prenons la série marseillaise où Alain Delon joue les redresseurs de torts : sanglante et raisonneuse, cette affaire nous ramène trente ans en arrière, à l’époque où notre ténébreux sociologue des bas-fonds jouait et produisait des films où les flics se montraient cruels avec les malfrats tout en fomentant des complots contre la République. La production de Fabio Montale a été lancée au moment du vote de la loi Guigou. Aujourd’hui tout semble avoir pris l’eau en même temps : et la loi, et le film.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3621 paru le 21 Avril 2006

Au-delà de l'écran

Humour et dérision
La soirée Shirley et Dino présentée par Patrick Sébastien illustrait très bien, c’est-à-dire aussi bien que les plus vigoureuses professions de foi technocratiques, l’existence d’un champ culturel européen. Après le transformiste Arturo Brachetti, qui nous rappelle à la fois le Moulin Rouge et le monde de Fellini, un fantaisiste suisse interprétait Beethoven et Vivaldi à l’aide d’une batterie de klaxons, ensuite nos duettistes ringards se livraient à une parodie de caf’conc’ et multipliaient les allusions littéraires (Cyrano, les Trois Mousquetaires), le tout devant un public non seulement gagné à leur humour mais ravi par un spectacle qui relevait de l’histoire de famille. Ce music-hall qui sent la Vieille Europe, qui rappelle les attractions des casinos d’avant-guerre, qui remonte aux saynettes des Tuileries et des Grands Boulevards, c’est notre passé, c’est notre âme.
Le style parodique de Shirley et Dino jouit en France d’une faveur très grande parce qu’il nous ramène à une mémoire instinctive, celle des jongleurs de foire, du Kid de Chaplin, de Laurel et Hardy, celle des pauvres gens qui essaient de réussir sous la rampe en autodidactes.
Bien entendu, on trouvera toujours des grincheux pour parler de ringardise franchouillarde. Ceux-là ne supportent pas les formes d’humour capables de rassembler trois générations. Ils n’aiment ni Shirley, ni Dino, ni Bigard, ni Chevalier, ni Laspalès. Ils préfèrent Guy Bedos, Ruquier, les Deschiens, Laurent Baffie, Karl Zéro, etc. Quelle est la différence ? Dans un cas c’est de l’humour, dans l’autre de la dérision. L’humour rassemble. La dérision offense et divise. Quand on compare Shirley et Dino aux Deschiens, on s’aperçoit que les premiers font le plein sur une antenne nationale, tandis que les autres ont fait ricaner une moitié du pays aux dépens de l’autre, et de surcroît sur une chaîne payante.
Si l’on veut pousser l’analyse jusqu’à un excès de sérieux, on observe que les partisans de la société sans classes et sans frontières introduisent paradoxalement une guerre civile larvée dans les esprits depuis plus de vingt ans, tandis que les humoristes de papa ont la faiblesse de désigner ce qui rend les hommes semblables : la ruse, la vanité, la convoitise, la lâcheté, le machisme, la coquetterie, le snobisme.
Voilà ce qui explique la célébrité des films de Louis de Funès en Europe centrale et dans un grand nombre de pays latins. Voilà ce qui a fait de l’acteur italien Toto (le Fernandel transalpin) un personnage culte. Voilà la raison pour laquelle les Bronzés ne parvient guère à s’exporter, sauf chez les inconditionnels de la France, comme le Japon.
Lorsqu’on voit Thierry Ardisson recevoir Boutros Boutros-Ghali ou Salman Rushdie pour leur infliger l’ironie de son plateau, lorsqu’on voit que l’émission est rediffusée dans le monde entier sur TV5, on se dit que le fameux esprit français tourne au dîner de cons à l’échelle planétaire et que c’est dommage.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3622 paru le 28 Avril 2006

Au-delà de l'écran

La gloire de l’Agneau
Qui eût dit que CNN serait capable d’arracher une larme au voyageur pressé lors d’un dimanche pascal, dans une chambre d’hôtel anonyme ? Et pourtant, en diffusant un documentaire en deux parties sur l’histoire cachée de la fin de Jean-Paul II, la chaîne internationale a su comprendre et représenter l’essence de l’événement pour un chrétien. Certes, elle fut aidée en cela par les commentaires intelligents de la plupart des intervenants, mais il fallait parvenir à échapper à la logique forcenée de l’information. C’est-à-dire ne rien couper au montage sous prétexte que le sujet était trop statique ou le commentaire trop abstrait.
L’affaire commençait d’ailleurs assez mal, c’est-à-dire dès la bande-annonce, puisque le soin de présenter le sujet, sous la forme d’un extrait d’entretien, était laissé à monseigneur Wilton Gregory, le très médiocre archevêque d’Atlanta, qui n’a pas hésité à nous livrer un scoop : « Jean-Paul II était un homme animé d’une très grande foi » (sic).
Le sourire angélique de ce Monsignore d’Atlanta faisait un peu froid dans le dos, surtout si l’on se souvient que les journaux progressistes nous le donnaient pour papabile. Un prélat capable de proférer ce genre de sottises nous rendait encore plus noble et plus chère la figure auguste de Jean-Paul II. Et tout le reportage nous a montré combien le pape a voulu incarner, à travers son calvaire final, le triomphe de la faiblesse qui est l’essence de la philosophie chrétienne. Rendons grâce à René Girard de nous avoir expliqué, dans Des choses cachées depuis la fondation du monde, que le christianisme s’écarte des lois de la nature en se laissant dévorer par elles pour signifier qu’il appartient à un ordre supérieur. Et remercions Jean-Paul II de l’avoir illustré.
Pape conquérant, chef d’État, statue du Commandeur, Jean-Paul II s’est livré délibérément à la décrépitude, comme ses lointains prédécesseurs ont choisi de rester immobiles face aux fauves du Colisée.
Puisqu’il est question des cardinaux américains, un autre prélat interrogé par CNN, visiblement très proche de Jean-Paul II, nous a décrit la nature du message et le sens des derniers jours avec toute l’émotion souhaitable. Il a raconté en pleurs que, dans le silence retrouvé après les clameurs, avant le scellement du tombeau, on a ôté sa mitre au Saint-Père, et que d’un mouvement unanime, les cardinaux ont enlevé leur propre couvre-chef en silence. L’homme qui racontait cette scène a laissé échapper un sanglot très bref sous la caméra en concluant : « He was a great guy. »
Il est bon de rappeler que le fondateur du christianisme, non content de prôner la gloire de l’Agneau, prescrivait le pardon des ennemis quand d’autres prophètes, qu’on ne peut plus ni nommer ni dessiner, décapitaient les leurs par milliers. La liberté de rapporter ce genre de faits est déjà largement compromise dans les classes d’histoire. Si nous n’y prenons garde, elle finira encadrée par les juges.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3623 paru le 5 Mai 2006

Au-delà de l'écran

Dans cent cinquante ans
L’une des chaînes de TPS diffusait l’autre jour un film des années 1990 dont le seul mérite était d’avoir offert sa chance à Julia Roberts. Ce n’était pas tout à fait le seul, l’autre était son sujet : l’après-mort. Une équipe d’étudiants en médecine jouait avec les techniques de défibrillation afin de provoquer des arrêts cardiaques de plus en plus longs. Le but de l’opération était de voir ce qu’il y avait de l’autre côté, de faire l’expérience du fameux tunnel, de la décorporation, etc. C’est un très vieux thème mais ce n’est pas celui de cette chronique. Non, il ne s’agit pas de savoir ici s’il y a quelque chose après, mais de regretter que des sujets aussi féconds soient grillés par des cinéastes ou des littérateurs sans talent à la recherche d’une idée commerciale.
Dans les sociétés où le niveau est faible, la recherche du sujet fort est une catastrophe. Quand on regarde ce film, on a l’impression que ce thème, magnifique, a été gâché par la hâte d’un scénariste qui croyait “tenir” là quelque chose, malgré une vision de l’existence réduite à des bredouillages pentecôtistes. Les étudiants du film ne frôlent pas des gouffres pascaliens, ils sont prisonniers d’une morale de souriceaux. Leur imaginaire de l’Au-delà ne quitte jamais la psychanalyse : l’un d’eux regrette d’avoir abusé de la confiance d’une femme, l’autre est obsédé par le souvenir d’un accident vécu dans son enfance, un troisième se souvient d’avoir persécuté une petite fille ; bref, on se demande où sont la théologie, le vertige, l’éblouissement, la révélation dans tout cela.

Le grand Rien
La même question se pose à l’observateur quand il écoute avec attention les paroles de l’une des chansons plébiscitées par la jeunesse française cette année : Dans cent cinquante ans, refrain composé par le chanteur Raphaël (Victoire de la musique 2006), lequel nous explique en gros que tout est non seulement pourri mais sans importance et voué à disparaître. C’est la raison pour laquelle il nous invite à trinquer « à la santé des voleurs des rues ». Passons sur sa morale sociale qui ressuscite l’anarchisme bêta de Georges Brassens, pour nous intéresser à sa métaphysique : elle est nulle, tout simplement. « On ne s’en souviendra pas, nous dit-il, des marchands d’armes, des types qui votent les lois, de leurs signes de croix (notez l’allusion), des salauds de chasseurs, des juges qui condamnent », etc. Il conclut à l’adresse de son amour : « Je ne veux rien te faire croire».
On peut observer qu’il essaie au contraire expressément de lui faire croire à la vanité de toute morale au-delà des apparences. Il est donc en pleine propagande nihiliste. Il véhicule, avec une foi de charbonnier athée, le message inverse de celui du cinéaste ci-dessus, mais avec un niveau d’expression tout aussi médiocre.
Rassurons-nous, dans cent cinquante ans, quoi que nous réserve l’Au-delà, cinéastes nuls et chanteurs sans syntaxe auront quitté la mémoire collective.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3624 paru le 12 Mai 2006

Au-delà de l'écran

Zéro pointé
Avec la gourmandise d’un journaliste de Paris Presse qui aurait décroché une interview de la Callas, Jean-Marc Morandini, l’autre matin sur Europe 1, nous annonçait qu’il aurait Karl Zéro en direct après son éviction de Canal Plus. Pour ceux qui n’auraient pas suivi les premières étapes, en voici le résumé : producteur du Vrai Journal le dimanche sur Canal depuis dix ans, Zéro vient d’être remplacé par une journaliste de TF1, Laurence Ferrari, que le milieu appelle déjà “Zéro virgule cinq”.
Karl Zéro accuse expressément CanalSatellite d’avoir ainsi scellé son rapprochement avec TF1 en se tournant vers ce que les spécialistes appellent le journalisme de révérence. À l’en croire, la chaîne aurait troqué « le panache de Zorro pour le charisme de Bernardo ». C’est assez sévère pour la présentatrice, mais ce n’est pas entièrement faux. Comme le soulignait au téléphone un auditeur de l’émission, nombre de gens, dans ce métier, sont convaincus que Laurence Ferrari ne possède ni l’envergure ni l’expérience nécessaires pour remplacer un bateleur aussi malin que Karl Zéro.
Mais s’il faut chercher un malin, c’est probablement dans l’organigramme de Canal Plus qu’il se trouve. Cette chaîne, née sur le terreau de la gauche prospère, a compris qu’il faut se recentrer d’urgence. Et la manœuvre permet de souligner les naïvetés de la méthode Karl Zéro.
Il est puni, nous dit-on, pour avoir acheté un témoignage contre Dominique Baudis dans l’affaire Alègre. C’est possible. Mais il est surtout châtié pour avoir pratiqué le fayotage idéologique en affichant une horreur m’as-tu-vu à l’égard de la droite à principes.
En l’occurrence la chaîne ne lui reproche pas expressément son intransigeance envers le Front national. Elle lui reproche de l’avoir compromise dans le registre de l’indignation, en exigeant de la plupart de ses invités qu’ils abjurent toute indulgence envers les idées inadmissibles. Or, si l’on écarte deux ou trois convictions criminelles, la notion de l’inadmissible est très relative en politique. Par exemple, la répulsion épidermique à l’égard de tout débat sur l’immigration est passée de mode. Mais Karl Zéro ne l’a pas compris à temps. Il se retrouve dans la position d’un apparatchik russe qui organiserait des réunions sur l’impérialisme capitaliste à l’heure où Poutine reçoit le président de Microsoft.
Quand on entendait son argumentation à la radio, on était empli de pitié. En gros il nous disait : “Grâce à mes imprécations dominicales, vous avez tenu le pragmatisme de droite à l’écart des idées républicaines.” Et dans une parodie de dialogue faustien, le groupe Canal semblait lui répondre : “Non mais, sincèrement, tu as vraiment cru qu’on était de gauche ?”

Tiendra-t-elle ?
« C’est, disait Ségolène Royal sur une radio, la question que les spécialistes politiques se posent à mon sujet. » « Oui, reprenait-elle, et c’est vous qui peuvent m’aider (sic). » On peut déjà suggérer une aide grammaticale.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3625 paru le 19 Mai 2006

Au-delà de l'écran

Musique de casbah
La télévision nationale devrait se garder la première de diviser la nation. Or, pour des raisons incompréhensibles, sur un sujet aussi sensible que les mariages franco-musulmans, France 2 vient de verser, sur des braises rouges, un verre d’alcool à brûler. Certes le téléfilm À la recherche de Sarah, présenté en deux épisodes, est inspiré d’un fait divers réel, il a été primé dans plusieurs festivals, mais il fait décidément trop peu de cas des risques d’incendie. Cette histoire d’une femme à qui un mari iranien, musulman déclaré, fait subir humiliations, violences, mutilations avant de lui voler sa fille, est diffusée dans un contexte social qui exigerait la prudence.
On la cherche en vain dans le scénario. Comme à chaque fois qu’on aborde dans un téléfilm un sujet épineux (la perception des homosexuels, le racisme, l’injustice économique etc.), on peut parler d’une véritable témérité du bon droit. Le problème, avec cette télé qui dénonce, qui appuie là où ça fait mal, est qu’à force de faire réagir le peuple, elle le dispose à la colère. À force de souligner l’intolérance, elle la propage. En l’occurrence le cinglé du film concentre, en un quart d’heure, la plupart des sujets de rancœur qui traversent la société française à propos des musulmans intégristes. À la plage, il couvre les jambes de sa femme. Il l’accuse d’être « la putain de l’hôpital » (elle est infirmière). Un jour où elle rentre avec une bouteille de vin rouge, il lui crie : « Je t’ai dit de ne pas faire entrer d’alcool dans cette maison. » Il charge sa sœur (voilée) de veiller sur leur fille. Et, comble de maladresse scénaristique, à chaque fois qu’il bat sa femme, l’humilie ou essaie carrément de la saigner avec un couteau de cuisine (scène réaliste qui joue, de manière très malsaine, sur l’horreur culturellement connotée de l’égorgement), on entend, à l’arrière plan, une musique de casbah.
ça fait tout de même beaucoup pour la simple satisfaction d’avoir raison contre l’obscurantisme. La défense du bon droit, la lutte contre l’injustice ne devraient jamais frôler l’offense à ce point-là. À la télévision, le service public et l’ordre public entretiennent des rapports qu’il faudrait rappeler davantage.

La vente continue
Sur la RAI, une série de reportages essaie de nous prouver que les attentats dans les stations balnéaires de la mer Rouge n’ont eu aucune incidence sur la fréquentation touristique. Un retraité nous explique qu’on court plus de risques comme piéton à Milan que comme touriste à Dahab.
Parallèlement, une campagne publicitaire lancée voilà longtemps sur les chaînes mondiales (CNN et BBC World) nous diffuse du Verdi huit fois par jour sur un clip de fonds marins, de cocktails multicolores et de maillots échancrés. “Riviera de la mer Rouge, dit le slogan, où le soleil brille tous les jours de l’année, tous les ans”.
Le jour du dernier attentat, CNN n’a même pas pris soin d’interrompre la diffusion 24 heures par égard pour les victimes.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3626 paru le 26 Mai 2006

Au-delà de l'écran

Lâches apostats
Autour du film tiré de l’apostasie de Dan Brown, la télévision a diffusé nombre de documentaires, mais celui que présentait La Cinq s’en distinguait opportunément.
On pouvait craindre qu’il ne s’agisse encore de l’un de ces films produits par une chaîne du genre Discovery pour “accompagner” le phénomène Da Vinci Code. Or, pour une fois, le film donnait la parole à des Français, des conservateurs de musée, des villageois cités comme témoins sur une histoire qui leur appartient, celle de Rennes-le-Château. Le mystère de l’abbé Saunière n’est pas une invention mais il s’arrête avant les maquignonnages antichrétiens de Hollywood. La fortune d’un modeste curé de campagne, le fait que l’Europe couronnée se soit discrètement tenue informée de ses recherches, les symboles bizarres dont son église était couverte, ses relations à Paris, l’absolution qu’on lui refusa le jour de sa mort, tout cela est digne d’intérêt.
Si l’auteur du livre avait ménagé la part des ténèbres, il n’aurait offensé personne. Mais on peut l’accuser d’avoir condamné les portes qui ne lui convenaient pas, pour accréditer une thèse puérile qui ramène le christianisme à un montage et l’histoire de notre civilisation à une espèce de thriller grotesque.
La même semaine, une autre émission qui n’avait en apparence aucun rapport avec tout cela permettait de retourner la thèse du complot contre ses auteurs. TF 1 nous présentait les “cinquante personnes qui ont le plus choqué les Français”. À condition de changer de focale et d’oublier les Joey Starr, Lolo Ferrari et autres provocateurs qui encombraient le classement, on s’apercevait que parmi les succès mondiaux les plus écrasants des vingt dernières années figure un nombre impressionnant de gens qui ont parié sur la perversion du christianisme. De Madonna à Marilyn Manson, de l’héroïne sulfureuse de Basic Instinct aux moines criminels d’Umberto Eco, on est frappé de mesurer à quel point la culture de la barbarie, de la violence, de la profanation a trouvé ce que les commentateurs appellent niaisement “le chemin du public”.
En tout cas, s’il est permis à Dan Brown d’imaginer que l’Église romaine, accrochée à ses privilèges terrestres, tient sous le boisseau une vérité interdite, il nous sera permis, à notre tour, de penser que les zélateurs du Diable, en incitant les foules à l’apostasie générale, font strictement la même chose. Observons en outre que leur message ne concerne jamais le judaïsme ou l’islam.
On imagine mal en effet Hollywood tournant un film sur les impostures des défenseurs du Coran. On voit mal un éditeur new-yorkais publier un livre présentant une cohorte d’imams conjurés depuis dix siècles pour abuser les foules au nom de préceptes apocryphes. À moins que le producteur et l’éditeur en question ne soient résolus à courir le risque de l’égorgement – risque auquel les ennemis du christianisme, rappelons-le, ne s’exposent plus depuis Henri IV.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3627 paru le 2 Juin 2006

Au-delà de l'écran

Désamorçage thérapeutique
Il aura fallu attendre deux jours pour que le système médiatique nous offre une explication de l’affaire dite du chauffard de Marseille : figurez-vous que le demeuré de 15 ans qui a écrasé deux lycéens avant de reculer pour en écraser deux autres était sous l’emprise du cannabis ! En d’autres termes, il est coupable d’imprudence. Suivait un peu partout, sur France 2, sur Europe 1, un exposé relatif aux altérations du jugement provoquées par la drogue, le rétrécissement du champ visuel, etc.
Ce désamorçage thérapeutique rappelle les déclarations des enquêteurs lors de l’assassinat à coups de hache d’un adolescent du Gard, il y a deux ans. Les téléspectateurs se souviendront que le magistrat instructeur déclarait dès le lendemain à la télévision : « L’assassin ne jouit vraisemblablement pas de toutes ses facultés, car il n’a pas dissimulé les pièces à conviction. »
Le cas vient d’être jugé en cour d’assises. L’état mental du coupable, un clandestin marocain, ne le dispensait nullement d’assumer ses responsabilités si l’on en croit les jurés. Mais il a encore fallu que l’avocat de la défense nous déclare, au 20 Heures de TF 1 : « On n’imagine pas le monde culturel d’où il sort. » Une question est aussitôt venue à l’esprit de chacun : pourquoi n’y est-il pas resté ?
La relative clémence du verdict a indigné la famille et les témoins. Nous avons vu des images de pugilat dans le hall du prétoire. Elles font partie de celles que nous reverrons dans vingt ans, quand les dossiers spéciaux fleuriront sous le titre “Comment avons-nous pu en arriver là ?”.

Bonne question
La question se pose à propos de l’imaginaire de la violence qui semble préparer le corps social entier à quelque tribulation fâcheuse. Le film Doom, tiré du jeu vidéo du même nom, est en vente partout “chez votre marchand de journaux”. Pour ceux qui l’ignoreraient encore, rappelons que Doom est ce jeu qui a lancé la mode de tous ses homologues qu’on appelle des Doom-like, des jeux où l’on tire sur tout ce qui bouge dans un délire de férocité hystérique. M 6 nous présentait un corollaire niais, le film X-Men 2, qui annonçait opportunément le lancement à Cannes du volet 3 de la série, présenté au journal de TF 1. Là encore, violence grotesque et vocabulaire étroit. Mais cette fois le tout était assorti d’une nouveauté : le sentiment d’appartenir à une humanité supérieure, dotée de “super-pouvoirs” et vouée à s’affronter dans les rues. Thème de la série : de jeunes Américains, tirés de leur existence quotidienne par un fait divers ou une injustice, deviennent des X-Men, des superhéros capables de défier les forces du mal.
Quel est le rapport avec l’incident du chauffard de Marseille ? Ceux qui connaissent l’univers des jeux vidéo l’ont déjà compris : la faculté de monter sur le trottoir pour faucher tout exprès des passants, puis de reculer pour en faucher davantage, est offerte dans une demi-douzaine de jeux vendus en ce moment même.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3628 paru le 9 Juin 2006

Au-delà de l'écran

Éden et Chine
Zone interdite n’a sans doute jamais autant mérité son nom que le soir de la fête des Mères. M 6 nous a montré un reportage sur des quadruplés qui rappelait la remise du prix Cognac-Jay dans les années 1960, mais le clou de la soirée fut le tour de piste d’une certaine Sylvie, une mère célibataire multirécidiviste qui nous a dit textuellement : « Moi, je suis un peu avant-gardiste, je suis de moins en moins un cas isolé. »
La citation textuelle est importante parce qu’elle commence par “moi je”. Dans le comportement de cette mère qui prétendait représenter la norme future, on relevait le narcissisme d’une « créative » Parisienne qui payait le loyer de son appartement grâce une accumulation de pensions alimentaires en nous parlant de sa propre enfance.
Le ridicule commençait dès l’énoncé des prénoms de sa tribu. Nous n’en citerons que deux par charité, Éden et Chine. Ensuite aucun des quatre enfants n’était du même père, ce qui ne l’empêchait pas de minauder à l’idée d’en avoir un cinquième. Enfin, nous citerons la phrase centrale du reportage, clé de voûte de toute sa construction psychologique : « Y’a moi, les enfants, et puis y’a les satellites, c’est les pères. » Ce qu’elle n’a pas compris, ce que la suite lui rappellera certainement, c’est qu’à l’âge de 15 ans, ses enfants vont vomir sa bonne conscience de bourgeoise allumée qui a des comptes à régler avec son propre père. Sa fille aînée nous le laissait entendre sans aucun détour. Elle se promettait de connaître pour sa part un grand amour, un seul, scellé par un vrai mariage. Quelque chose dans son regard disait qu’elle ne compterait jamais parmi les adeptes de la méthode “satellites” dans le domaine matrimonial, et nous la comprenons.

Match truqué
Le débat qui oppose Thierry Ardisson au service public à coups de lettres ouvertes a été commenté l’autre soir sur Direct 8, où Morandini recevait des représentants du camp de la vertu : le chroniqueur télé du Monde et Jacques Séguéla. Ce dernier a essayé de nous convaincre que l’émission d’Ardisson était un havre de liberté, cependant qu’Ardisson lui-même accusait son président de « changer les règles pendant le match ».
La plupart des polémistes qui ont participé à Tout le monde en parle peuvent témoigner que les règles y changent jusqu’au matin de l’enregistrement. On annonce six participants, sur le plateau ils sont huit, les deux derniers sont venus avec leur clique et leurs gardes du corps, expressément pour descendre l’invité, surtout s’il est écrivain ou homme politique.
Question inévitable : pourquoi y allez-vous ? Parce qu’en cas de refus, les écrivains sont de plus en plus nombreux à encourir les représailles de leur éditeur. Parmi les gens de plume qui osent défendre des idées impopulaires, nul ne peut désormais se soustraire à la perversité de la télévision, faute de quoi leur directeur littéraire leur annonce, un jour ou l’autre, qu’ils n’auront pas de contrat l’année prochaine.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3629 paru le 16 Juin 2006

Au-delà de l'écran

Énorme frustration
Il aura fallu la Coupe du monde de football pour voir surgir çà et là une information qui relève de la géopolitique : l’ampleur du piratage dont les chaînes cryptées sont victimes à travers le Maghreb. Voilà des années que les rivages sud de la Méditerranée voient se multiplier les décodeurs, les cartes d’acquisition et les clés de contrebande. Mais depuis que les chaînes ont altéré leurs logiciels de cryptage, nous viendrions d’échapper, à en croire les commentateurs algériens, à une explosion sociale. Un responsable interrogé par TF1 parlait d’“énorme frustration”.
On observe à ce sujet une amusante cascade d’hypocrisies dans les journaux télévisés : la première concerne l’importance du phénomène. On appuie volontiers sur le thème du trafic de fausses cartes à puce qui prospère dans les souks et les cafés portuaires, afin de ne pas mentionner le fait qu’aujourd’hui n’importe quel ordinateur équipé d’un récepteur PCI à 50 euros est capable de déchiffrer un signal crypté. C’est une pratique courante partout en Europe. Sur le territoire français elle est même devenue la règle parmi la jeunesse des “quartiers difficiles”.
Ensuite les commentaires de TF1 évitent de souligner l’anomalie qui consiste à protester aussi haut et fort parce que la clé de cryptage, illégalement obtenue tous les deux mois, change désormais toutes les trente minutes. En d’autres termes, le journal télévisé ne tire pas pour nous la morale de l’histoire : en ce moment, nous voyons des gens réclamer le droit de voler des programmes, tout simplement, des gens qui de surcroît profèrent des menaces si l’on persiste à infliger aux voleurs contrariés une “frustration”.
De mystérieuses interventions de part et d’autre de la Méditerranée semblent avoir permis de réduire la pression “le temps de la Coupe du monde”, mais il reste un problème sur lequel tous les commentaires font l’impasse : on feint de nous faire croire que cette fameuse frustration ne concerne que le seul football, on n’hésite pas à nous parler de francophonie la main sur le cœur, de rapports culturels compromis entre l’Algérie et la France (alors que les décodeurs flashés présentaient insolemment le drapeau algérien sur leur écran d’entrée), mais les connaisseurs des bouquets satellite savent qu’il existe une autre frustration dont personne ne consent à parler. Le spectacle offert par les chaînes à péage après 23 heures entretient un rapport très lointain avec la Coupe du monde, et encore plus lointain avec la vertu islamique.
Pour parler sans détour, si la suppression de la pornographie vespérale, dans des pays qui prétendent nous donner des leçons, constitue réellement une menace à l’ordre public, on a le droit d’afficher une certaine ironie. Faudra-t-il régulariser les propriétaires de décodeurs pirates sous prétexte qu’ils regardent le porno sur Multivision depuis dix ans ? L’emballement de la surenchère électorale en France peut nous le laisser craindre.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3503 paru le 16 Janvier 2004

Au-delà de l'écran

“Dépotoir Prod”
La fin de l’émission Scrupules me chagrine.
Non pour sa présentatrice qui jouit d’appuis solides (puisqu’elle vient de réapparaître avec un concept bâclé nommé Appels d’urgence) mais pour le psychosociologue de l’émission, dont j’ai oublié le nom et dont je m’apprêtais à chanter les louanges.
Affligée d’une réputation trash-télé dès son premier numéro, Scrupules présentait des gens qui n’avaient pas agi selon la morale commune.
Au tableau de chasse de l’émission : l’épouse qui murmure qu’elle va refaire sa vie à l’oreille de son mari tétraplégique (lequel est mort dix jours après) ; la jeune femme jalouse de sa sœur jusqu’à la névrose ; la femme de quarante ans qui a placé ses deux enfants dans un foyer d’accueil ; la fille de vingt-cinq ans qui vole à sa propre mère l’homme qui partage désormais sa vie (et dont elle a deux enfants). Tollé justifié dans la presse parisienne, ricanements sur les plateaux concurrents, remontrances à TF 1.
D’après la rumeur et les journaux, l’audience de l’émission a fait l’objet d’une tentative de sauvetage au milieu de l’automne. Il s’agissait notamment d’éviter de donner dans la complaisance, afin de récupérer la partie du public qui n’a rien contre le voyeurisme à condition que la morale soit sauve. C’est là qu’intervient le psychologue de service. Ce personnage m’a laissé pantois. Entendre quelqu’un s’en prendre aussi fermement à la déliquescence générale est si rare que j’ai regretté d’avoir raté les numéros suivants. La belle-fille quasi incestueuse aurait pu participer à C’est mon choix. Le producteur est le même. Il se défausse de certains sujets jugés trop périlleux pour sa tête de gondole (Ça se discute) vers des émissions dépotoir comme celle d’Evelyne Thomas. En attendant, le correctif apporté à Scrupules nous a donné, par inadvertance et pendant quelques semaines, un échantillon de ce que pourrait être une télévision équilibrée. Une télévision qui jusque dans la fiction nous présenterait alternativement deux familles de sensibilités : la licence militante, revendiquée, assénée (le genre Ardisson), et l’indignation rampante, le refus de l’excès, le besoin de retour à la raison. Les stratèges de l’Audimat ont dû observer le destin de Scrupules à la loupe. Si la moitié seulement du public a réagi comme je l’ai fait, le concept d’une émission qui inviterait la France à “freiner sur les dérives” finit par devenir économiquement viable. Quand le psychologue de Scrupules s’est écrié : « Vous n’avez pas hésité à détruire votre famille entière pour ne pas réfréner vos pulsions, je ne vous approuve pas, c’est la preuve d’un égoïsme qui mènerait la société à sa perte si chacun s’en inspirait », on s’est demandé un moment si quelque chose changeait dans notre aimable pays.
C’était même “limite inquiétant”, comme dit la jeunesse. Heureusement, l’émission a disparu depuis la mi-décembre et tout est rentré dans l’ordre.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3630 paru le 23 Juin 2006

Au-delà de l'écran

Bonjour le niveau !
Quand on entend proférer des sottises à la télévision il n’est pas toujours facile de prendre des notes, aussi me pardonnera-t-on de commenter de mémoire les propos qui nous ont été infligés à la sortie des épreuves de philosophie du baccalauréat.
La première chose qui frappait, c’était l’invraisemblable niveau d’expression des candidats. Pour un élève moyen, l’emploi des mots “en fait” remplace pratiquement toutes les conjonctions dans le raisonnement. Afin de donner l’illusion qu’une réflexion est intervenue entre “moi j’pense que” et “c’est clair”, les élèves utilisent volontiers “en fin de compte”, ce qui les dispense de trouver un terme à leur pensée, laquelle se présente généralement comme une simple énumération d’affirmations et d’impressions.
Ensuite, certains journalistes, notamment à la radio, ont organisé ce jour-là un plateau de débat autour du thème “À notre époque, la philosophie sert-elle encore à quelque chose ?”
La question elle-même témoigne de l’énormité de la tâche, si nous voulions retrouver ne fût-ce que la moitié du niveau de nos pères.
Il y a cinquante ans, quand on demandait à un cantonnier ce qu’était la philosophie, même s’il ne la pratiquait pas, il avait son idée. Il lui suffisait d’avoir perdu un frère en bas âge ou d’avoir vu mourir sa mère et l’existence lui devenait une énigme.
Aujourd’hui tout se passe comme si les gens répugnaient à formuler l’énigme. En dehors de la solidarité, bonne conscience qui mène souvent à la ruine de l’âme, et de la psychanalyse, qui relève du bien-être consumériste, que nous reste-t-il pour réfléchir à la condition humaine ? La philosophie qu’on enseigne à l’école est-elle autre chose qu’un exercice rhétorique sur la répartition du savoir, des richesses ou de la liberté ? Où sont les étonnements sur le silence des espaces infinis, où est l’interrogation sur la nature du réel, où trouve-t-on des professeurs pour s’interroger, en public, sur la signification du vivant ?
Mais restons dans la rhétorique et penchons-nous sur ce qu’un prétendu spécialiste avait à dire au journal télévisé à propos du sujet du bac « Faut-il préférer le bonheur à la vérité ? » Il nous a improvisé un plan convenu en mordillant son crayon assis à un bureau d’écolier, pour pondre l’inévitable thèse-antithèse selon laquelle d’un côté il y a la vérité qui ne mène pas au bonheur, et de l’autre le bonheur qui éloigne de la vérité. Pas un instant il n’a envisagé, même de loin, même par inadvertance, la possibilité que le bonheur puisse se confondre avec la vérité. C’est évidemment faute d’avoir essayé de définir le bonheur, et faute d’avoir la moindre idée de ce qu’est la vérité.
La phrase de conclusion était laissée dans le reportage à un autre professeur qui ramassait les copies : « C’est une façon de se remémorer sur les épreuves (sic) que nous avons passées il y a un demi-siècle. »
Comme disent les lycéens eux-mêmes, “bonjour le niveau !”
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3400 paru le 25 Janvier 2002

Au-delà de l'écran

Un dimanche comme les autres
Puisque la pêche aux idées semble ouverte avant les élections, voici quelques réflexions suscitées par un dimanche ordinaire sur France 2.
Pour gagner du temps, nous sauterons directement à la conclusion : la télévision courtise le pouvoir de manière burlesque. TF 1 et France Télévision, c’est Versailles et Trianon. Les discours qui s’offrent le luxe de l’insolence relèvent de l’opposition institutionnelle et les socialistes commencent à délivrer à leurs adversaires une sorte d’agrément préalable. Ces jours-ci, ils ne tendent le micro qu’à ceux qu’ils désignent eux-mêmes comme “premier-ministrables” en cas de gouvernement de droite, sans doute afin de mieux les circonvenir une fois nommés.
Ce dimanche-là, France 2 nous a montré six membres du Conseil constitutionnel en bleu, face à trois rouges, afin de nous faire comprendre que l’institution n’avait rien d’une juridiction, qu’il s’agissait d’une machine de propagande à la solde des réactionnaires. A midi, la femme du premier ministre est venue papoter sur France 5 avec l’un des thuriféraires du régime. A 18 heures, Michel Drucker a ricané de Michèle Alliot-Marie, ce qui n’est pas interdit, mais il l’a fait en appuyant les propos de son invité avec une hilarité ostentatoire assez pénible. Le soir, nous avons échappé à un film de Roger Hanin sur son enfance (à cause de la mort d’Henri Verneuil), mais pas à son portrait sous le titre Roger Hanin, cet inconnu. Il fallait oser le cliché. D’autant que pour un inconnu, on le voit énormément. Ensuite, le journal nous a montré un reportage sur Guy Bedos à l’Olympia “en participation avec France 2”, avant de recevoir, devinez qui ? Jacques Attali pour son dernier livre.

C’est tout ? Vous êtes sûrs ? Vous ne voulez pas nous mettre Julien Dray à Télématin, François Hollande chez Sophie Davant, Laurent Fabius chez Patrice Laffont, Strauss-Kahn dans Une famille en or ?
A droite, il serait temps que l’on consente enfin à se saisir de ce thème pour faire campagne. L’expérience prouve que dans une élection présidentielle, il faut un peu de couleur, un ruban, une note florale, un bouquet dans la corbeille de mariage. Il faut quelque chose qui sorte du discours économique et social. La libération des ondes a compté pour beaucoup dans l’accession au pouvoir de François Mitterrand. Il reste en France un continent qui n’a jamais été découvert, celui de la télévision hertzienne de proximité. Un candidat président aurait tout à gagner en promettant la liberté d’émettre. Parce qu’en émettant on émet surtout des idées. En ce moment, comme ce sont toujours les mêmes qui émettent, ils émettent toujours les mêmes idées. Il n’y a aucun exemple dans l’histoire où la diversité de la nature et des espèces ait subi une telle atteinte sans recouvrer ses droits. Le problème n’est plus de savoir si le phénomène aura lieu, mais quand, et grâce à qui.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3631 paru le 30 Juin 2006

Au-delà de l'écran

Pouvoir prescripteur
Dans les semaines qui suivirent la disparition de la famille Flactif, à l’époque où la France s’interrogeait à propos d’un véhicule tout terrain abandonné dans la forêt, tandis que l’on détaillait les acrobaties immobilières de la victime et que l’on caressait l’hypothèse d’une fuite par l’aéroport de Genève, le magazine Sept à Huit interrogeait l’un de ceux que l’on juge aujourd’hui aux assises, David Hotyat. L’entretien suintait la jalousie sociale dans des proportions qui ont sans doute éveillé les premiers soupçons des enquêteurs. On y voyait l’interrogé évoquer la diagonale de l’écran plat de son voisin avec un dédain vengeur, ce qui trahissait la médiocre hiérarchie de ses valeurs. On l’imaginait très bien en train de regarder le magazine Sagas et de s’extasier sur des maisons de multimillionnaires avec jacuzzi géant. En tout cas, le témoignage de son épouse nous apprend que l’idée du crime lui est venue d’une autre émission de télévision, où l’on décrivait le cas d’un assassin qui supprimait un couple d’hôteliers du Cantal pour s’emparer de leurs biens. Pour qui douterait du pouvoir prescripteur de la télévision chez les imbéciles en matière criminelle, Le Droit de savoir nous racontait la semaine suivante le cas d’un violeur qui s’arrangeait pour laisser, sur sa victime, la trace ADN de l’un de ses voisins. Stratagème directement issu, nous disait l’émission, du scénario d’un feuilleton policier américain.
La plupart des assassins ne possèdent, heureusement, ni le jugement ni l’intelligence nécessaires pour appliquer les recettes des scénaristes sans commettre des erreurs puériles. Mais il est permis de se demander s’il est normal que les méthodes pour réussir le crime parfait soient si largement diffusées.

18 brumaire
La fameuse loi Davdsi sur le numérique sera bientôt présentée au vote. C’est le moment d’attirer l’attention sur le fait que l’on peut visionner sur Internet des contenus sous licence sans passer par un programme de pair à pair. Il suffit de taper le nom de Christophe Willem, le talentueux gagnant de la Nouvelle Star, dans la case de recherche du site youtube.com, pour le voir interpréter en vidéo toutes les chansons qui l’ont hissé en finale. Sur le même site, le nom Ardisson mène à un catalogue d’extraits de ses émissions.
On y voit aussi le sujet réalisé dans Arrêt sur images à propos du silence imposé aux médias sur l’importance du plagiat littéraire dont le même Ardisson s’est rendu coupable. Sujet escamoté de manière quasi unanime par la presse, ce qui justifie un hommage à Daniel Schneidermann, car il a le courage de monter au front quand les autres se dégonflent. La suppression de son émission, dont il est question, serait perçue comme la preuve que le monde médiatique est plein d’autoamnistie. Après l’ancien régime et la révolution des années Mitterrand, un 18 brumaire audiovisuel serait décidément le bienvenu.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3632 paru le 7 Juillet 2006

Au-delà de l'écran

Vigilance
Le saviez-vous ? Le cochon de la série Winnie l’Ourson fut remplacé, lors de la fabrication du premier film, par un aimable écureuil que Walt Disney préférait au Piglet parce qu’il était plus proche des racines campagnardes américaines. Dès les numéros suivants, le cochon timide, que les Français appellent Porcinet, est devenu le grand ami de Winnie – mais le lecteur se demandera pourquoi je lui inflige ce paragraphe d’exégèse historique sur un humble personnage de dessin animé. Si je le lui dis, il ne voudra pas me croire.
Jusqu’ici, Porcinet menait une carrière paisible à l’ombre de Winnie, mais, au mois de juin 2006, la chaîne d’État turque TRT s’est avisée qu’il s’agissait d’un cochon, un animal impur, donc susceptible de déchaîner la colère des foules islamiques, et l’a supprimé de sa grille de programmes.
Quand on lit les commentaires publiés sur Internet à propos de cette affaire, on s’aperçoit que la seule justification que la chaîne est capable de fournir est qu’au moment de l’interdiction, « la négociation avec les Studios Disney n’était pas finalisée ». À l’en croire, il ne s’agit donc pas d’une suppression mais d’une erreur de programmation corrigée avant la première diffusion.
Si quelqu’un trouve cette tartufferie rassurante, pas moi.
La question de savoir si la série a été achetée ou non avant d’être écartée par la chaîne nationale de Turquie (un pays qui aspire à devenir, rappelons-le, notre égal dans le club européen) est à peu près indifférente. En revanche, les Européens attachent une grande importance à la compatibilité des cultures sur leur continent. Si le casting de Winnie l’Ourson déplaît à la chaîne turque, on se demande ce qui empêcherait une Turquie siégeant à Bruxelles d’élever en plein Parlement une protestation contre l’impureté de nos usages. On se demande pourquoi, une fois entrée au club, elle n’exigerait pas que les autres membres s’amendent pour ne pas l’offenser.
Elle critiquera la nudité sur nos plages, la décence sur nos chaînes – voire nos publicités Cochonou.
On aimerait que les adeptes de la sacro-sainte vigilance nous parlent un jour de tout cela. Mais sur cette question, il faut croire qu’ils n’ont rien à dire.

En marge
Les marges du chroniqueur sont truffées de notations dont il doit se défaire avant de changer de carnet. En voici deux avant l’été.
Sur l’anniversaire de la triste fin du petit Sidi Ahmed, tué d’une balle perdue, ce commentaire au 20 heures de France 2 : « Tout le monde se souvient de ce drame du nettoyage au Kärcher selon Nicolas Sarkozy ». À ce degré de mauvaise foi et d’amalgame, on peut parler de faute journalistique lourde.
D’une publicité radiophonique sur les Fiat utilitaires, cette phrase : « Inutile de se faire du mouron, mouron qui, dans le vieux français, veut dire cheveux. »
C’est faux, c’est une herbe des prés qu’on utilisait contre la rage. Mais quel est le poids d’un instituteur contre un publicitaire ?
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3640 paru le 1 Septembre 2006

Au-delà de l'écran

Tout le monde le fait
Le feuilleton de l’été ne fut ni le Zodiaque de TF1, ni les commentaires sur la canicule qui ont pris le relais de l’affaire Clearstream, mais ce bon vieux Tour de France, un sujet tellement increvable qu’on commence à comprendre ce qui permet, chaque année, de regonfler la baudruche avant les cols alpins.
On pratique la vertu avant et après la course, mais jamais pendant. À deux jours du départ, on congédie des vedettes pour transfusions frauduleuses, on nous promet du sang neuf (c’est bien le moins), ensuite la presse interroge les cyclistes du dimanche qui haussent les épaules en disant “de toute façon tout le monde le fait”, tandis que le bocal médiatique met l’accent sur le risque de désaffection du public. Enfin on en rajoute sur le thème “personne ne regarde plus le Tour à la télé, c’est un désastre”. À force de l’affirmer, la zone rouge se rapproche. Au début juillet, dans une émission ouverte au public, on pouvait entendre, sur Europe 1, les commentaires d’un membre de la caravane qui prétendait que les coureurs américains n’étaient jamais contrôlés. Ils le furent le lendemain. Les médecins se sont réveillés et le maillot jaune s’est endormi.
Lors de l’étape suivante, ce fut le contraire. Le hasard m’a permis d’assister à cette résurrection sur les pentes des Aravis. La plupart des spectateurs, des vieilles dames aux enfants de douze ans, ricanaient au passage de Landis en s’écriant : “Il a changé de pilules”. C’est en mesurant l’importance de la caravane publicitaire que l’on comprenait qu’aucun contrôle ne serait jamais rendu public avant l’arrivée. Il faut se représenter ce déferlement de vulgarité fellinienne à travers la montagne, ces chars couverts de personnages gargantuesques, ces haut-parleurs dans le battement des hélicoptères, ces colifichets roses et jaunes jetés dans la foule, ces sexagénaires déguisés en coureurs disputant aux enfants les échantillons Cochonou au milieu des fleurs des champs. Les intérêts en jeu sont tellement considérables qu’on n’imagine pas que la vérité sportive puisse sortir intacte de ce tourbillon.
Dans un tel contexte, les révélations concernant les athlètes de Göteborg (flacons et seringues trouvés dans les poubelles de l’hôtel) ne surprendront que les naïfs même s’ils sont de plus en plus rares. Raison de plus pour faire attention. Nous relèverons par exemple l’imprudence de Marc Raquil, champion du monde français du relais 4x400 mètres, qui, malgré une vertu exemplaire, une droiture à toute épreuve, une probité qui n’est plus à démontrer, malgré la noirceur des soupçons qui pèsent sur ses rivaux, persiste à arborer des cheveux décolorés, alors que tout le monde sait qu’une répétition de colorations-décolorations permet de masquer les traces des substances interdites. Quand on donne un magnifique exemple à la jeunesse, a-t-on le droit de compromettre aussi légèrement sa réputation ? Nous nous poserons la question.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3641 paru le 8 Septembre 2006

Au-delà de l'écran

Antiphrases
C’est un procédé publicitaire vieux comme le monde, dont les règles d’application se sont raffinées jusqu’à faire l’objet d’un paragraphe dans les manuels de marketing : lorsqu’on veut promouvoir un produit qui présente une faiblesse, il faut lui attribuer ce qui lui manque. Par exemple, si l’on veut vendre des saucisses de Francfort polyphosphatées de couleur orange, calibrées par une chaîne de production en inox, et vendues sous vide en supermarché, on doit montrer un grand-père en chemise à carreaux qui fait griller le produit sur un feu de bois. Le slogan sera obligatoirement : “le goût de l’authentique”.
En vertu de ce principe, la production de la nouvelle émission de Guillaume Durand n’a pas dû se creuser longtemps pour s’appeler “Esprits libres”. C’est comme si une soirée Ardisson s’intitulait “Franc du collier”, comme si Fogiel recevait ses invités sur un plateau “Spécial bienveillance”. Dans notre meilleur des mondes médiatiques, l’antiphrase installe son impudence un peu partout. Aldous Huxley, qui a longtemps commenté l’évolution de la société d’après guerre, insistait de surcroît sur la méthode des prédicateurs qui consiste à affaiblir le jugement de l’auditoire en faisant précéder le raisonnement d’une émotion négative. C’est la méthode qui fut employée dans le traitement de la guerre du Liban. Après un reportage qui montrait des femmes en pleurs et des cercueils d’enfants, il devenait difficile d’évoquer l’éventuelle légitimité de la colère d’Israël. Il était même indécent de l’évoquer. Les télévisions ont fait l’impasse (pour la plupart) sur les images des dix années précédentes où l’on voyait les conjurés du Hezbollah, leurs femmes et leurs enfants adolescents, ceints de cartouchières, brandissant des lance-roquettes (financés par qui l’on sait), défiler par milliers dans les rues poussiéreuses du Sud en défiant Israël et en proférant des menaces de mort à l’encontre de leurs voisins.
Et c’est probablement en vertu de la loi de l’antiphrase que les miliciens prosyriens, armés par l’Iran, ont drapé leurs morts dans le drapeau libanais.

Roche Tarpéienne
Il existe une autre loi, qui veut que le Capitole soit proche de la roche Tarpéienne. Dans le milieu médiatique, entre les deux, on voit rôder des chroniqueurs impatients de voir trébucher leurs semblables, des spécialistes souvent recrutés parmi ceux qui ont trébuché eux-mêmes. Le plus flamboyant spécimen en est Jean-Marc Morandini, dont la première des qualités n’est pas la pudeur et qui pose à ses invités des questions élégantes du genre : alors maintenant, est-ce que vous êtes devenu tricard dans le monde de la télé ?
Comme il reprend du service en ce moment sur Europe 1 (et sur un blog narcissique dont il annonçait la fermeture définitive avant l’été pour le rouvrir deux mois plus tard), on lui souhaite de parvenir à juguler cette tendance perverse à l’occasion de la rentrée.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3642 paru le 15 Septembre 2006

Au-delà de l'écran

La guerre des versions
La densité des dossiers spéciaux sur les événements du 11 septembre n’a guère varié depuis cinq ans, à l’exception notable de CNN, qui a décidé cette année d’organiser une journée de rediffusion complète et gratuite sur son site Internet. Cette initiative souligne une nouveauté apparue dans les commémorations, nouveauté qui ne concerne pas leur nombre, mais leur nature. Pour une partie des médias, il s’agit visiblement d’asseoir avec fermeté la version officielle. Il faut dire que les autres versions, qu’on peut qualifier d’alternatives, ont tendance à se multiplier.
Au début, les choses étaient simples : il y avait, d’un côté, ceux que les Américains appelaient les “conspirationnistes”, et de l’autre, ceux qui haussaient les épaules quand on leur parlait des nombreuses anomalies de l’enquête. Cinq ans après, la frontière devient floue. Des journalistes sérieux commencent à déplorer la disparition de plusieurs milliers de documents et la mise à pied de certains témoins. D’autres remontent avec insistance aux origines des relations entre l’Amérique et l’Arabie saoudite. Les sites Internet consacrés aux failles des rapports officiels se multiplient.
Dans une tentative pour enrayer le phénomène, le Pentagone a rendu publique, il y a trois mois, une bande de surveillance montrant un trait de lumière orange derrière une station-service (l’appareil qui s’est encastré dans le bâtiment). Quoi que l’on pense des conclusions de l’enquête, la révélation de ce clip de quatre secondes, annoncé tardivement à grand fracas, témoigne que les médias américains sont entrés à reculons dans la guerre des versions, ce qui revient à reconnaître l’existence du camp alternatif. Mais CNN ne lutte pas à armes égales contre les textes, les photos et les vidéos conspirationnistes diffusés sur Internet. Le lecteur curieux peut télécharger par exemple deux documentaires disponibles sur Google video, Loose change 2 et surtout Everybody’s Gotta Learn Sometime. Les chiffres de leur diffusion mondiale attestent l’existence d’un cinquième pouvoir, celui de la rumeur sur le Net, qui est capable d’asseoir n’importe quelle thèse en deux semaines.
Côté télévision française, outre le film des frères Naudet, qu’a diffusé TF 1 (sorte de retour sur l’événement, dont le principal objet était de paver la voie au film d’Oliver Stone), France 2 rediffusait le Monde selon Bush, seul document qui ne va pas plus loin que les archives. Mais c’est aller déjà très loin. Nous avons revu la prestation du doyen du Sénat, Robert Byrd, 85 ans, qui accablait l’administration Bush en séance solennelle, non seulement au nom de la rigueur et de la diplomatie, mais de la morale et de la vérité. Un jour ou l’autre, concluait-il, le château de cartes du mensonge s’effondrera. Et encore : s’il s’agit de verser du sang américain, de semer le chaos parmi les civils, hommes, femmes, enfants innocents, une manipulation cynique est inacceptable. Bizarre, tout de même.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3643 paru le 22 Septembre 2006

Au-delà de l'écran

La vie à la découpe
Comment blâmer les mères qui ont renoncé à arracher leurs enfants à la télévision ? Les chaînes déploient toutes les ruses pour appâter les familles dès le matin et les annonceurs les y encouragent. Si l’on veut faire patienter les plus jeunes pendant que leurs frères aînés se ruent sur le bol de céréales, le dessin animé est devenu le recours obligatoire. Dans certains foyers, on voit des bambins de 5 ans hirsutes, recroquevillés sur le canapé, le pouce aux lèvres et le doudou sous le bras, regarder des histoires de princesses galactiques pendant que la maisonnée s’éveille.
Dix ans plus tard, on retrouve les mêmes enfants vautrés sur le même canapé, mais cette fois ravagés par Star Academy tandis que les producteurs commentent la prestation d’un élève en s’écriant : « C’était très générationnel » (sic, entendu début septembre). La télévision s’installe comme rivale des parents en toute occasion. Quand ces derniers réprouvent certaines fréquentations, attitudes ou tenues vestimentaires, des animateurs-copains prescrivent le contraire du message familial : vocabulaire grotesque, rodéos de banlieue, culte du décibel, cannabis tolérable, sexualité hygiénique, rock déjanté, les exemples pullulent. Cette aliénation devient telle que l’adolescent vraiment moderne s’enferme désormais dans sa chambre avec son propre poste pour se réfugier dans un imaginaire de zombie où tout le monde est “supersympa”, écoute Raphaël et communie dans le culte de la “jante alu”.
Mais, arrêtons-nous là. Pourquoi ressasser toutes ces choses cent fois entendues ?
Pour introduire une observation qu’on entend moins souvent : la vieillesse est exposée à la “zombitude” affective et sociale dans les mêmes proportions. Les adultes d’âge moyen peuvent déplorer chaque jour de nouveaux cas de démission de l’esprit chez les plus de 75 ans, par la faute de la télévision. Quand on débarque à l’improviste chez ses vieux parents, il est fréquent aujourd’hui d’être supplanté dans leur cœur par les héros des feuilletons de l’après-midi. Le patriarche brandit la télécommande pour hausser le volume et couvrir la conversation de son entourage en lui infligeant les propos de Rick ou Jason. Les dîners sont écourtés par le journal télévisé. Les coups de fil du matin sont victimes d’Amour, gloire et beauté. Et trop souvent, dans les fêtes de famille, quand la grand-mère s’agite sur sa chaise après le déjeuner, ce n’est pas parce qu’elle souhaite entendre sa fille en confidence, mais parce qu’elle est en train de rater les Feux de l’amour.
Or justement, il s’agit d’un feuilleton où personne ne regarde jamais la télévision, et où toutes les filles parlent à leur mère après le déjeuner. On dirait donc qu’après avoir congédié la vie sociale, la télévision exploite la nostalgie que nous en avons, pour nous la revendre, impudemment, par petits morceaux, à coups de Dolmen et de Zodiaque.
En somme la télé, c’est de la vie à la découpe.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3644 paru le 29 Septembre 2006

Au-delà de l'écran

Elle te plaît ma sœur ?
Nous connaissons tous cette blague que nous qualifierons de “méditerranéenne” pour n’offenser personne : un homme farouche se penche vers un godelureau dans une fête de village et lui gronde à l’oreille : « Elle te plaît ma sœur ? » L’autre, effrayé, lui répond : « Mais non, pas du tout. » Alors le frère susceptible l’intimide de nouveau et dit : « Comment ça ? Elle ne te plaît pas, ma sœur ? »
Dans nos rapports sémantiques avec l’islam, le tableau est identique. Le prétendu dérapage du pape aura beau être analysé sous tous les angles au journal télévisé, l’analyse, au sens psychiatrique, devrait s’appliquer d’abord aux accusateurs. La mauvaise foi des querelleurs enjambe les tentatives d’explication jusqu’à ce qu’ils parviennent à entraîner leur interlocuteur sur le terrain de la guerre. Une fois qu’ils y sont parvenus, le schéma psychologique rappelle une autre scène célèbre, issue du cinéma : dans les Aventuriers de l’arche perdue, film dont le héros est devenu un mythe au point que sa psychologie se confond dans l’imaginaire planétaire avec celle de l’Américain moyen, on voit un guerrier menacer Indiana Jones d’un sabre qui étincelle au soleil. La scène se passe au fond d’un souk. Ce détail n’est pas sans importance. L’enturbanné a l’air vraiment très méchant. Il fait virevolter son instrument pour impressionner l’adversaire, lequel, excédé par tant d’orgueil inutile, dégaine finalement son revolver et l’abat.
Alors quoi ? Alors rien. Mais de nos jours, celui qui a le don de déchiffrer les images possède celui de divination.

Enterrement à Montréal
On a vu sur TV 5 Monde l’enterrement de la jeune femme tuée par Kimveer Gill, le tireur fou du collège Dawson. Une journaliste idiote du Globe and Mail attribue la pulsion violente du tireur aux “tensions intercommunautaires”, et notamment au fait qu’étant d’origine extracanadienne pour parler pudiquement, il était traité de manière injuste par les Québécois “pur laine” – oui c’est comme ça qu’on dit au Québec.

Aucun rapport
Un universitaire français m’envoie plutôt la liste des jeux vidéo et des films qu’il aimait entre tous et qu’il classait pieusement sur son blog, liste qui a été publiée par le site watercoolergames.com. On y retrouve toutes les bluettes habituelles, Postal, GTA, etc. et les films du genre Scarface, qui visent le public des sinistrés du lobe frontal. Bien sûr les psychiatres mous, calibrés pour les débats sur la Cinq, viendront nous expliquer que tout cela n’a aucun rapport. Ils nous diront aussi que le succès du jeu Super Columbine Massacre RPG, dont le tireur était un adepte, n’a aucun lien non plus avec la réalité.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3645 paru le 6 Octobre 2006

Au-delà de l'écran

On se lâche
On s’est demandé un moment si le Droit de savoir se prenait pour Capital, mais au bout de dix minutes on a compris qu’il n’en était rien : naturistes camarguais répondant aux interviews en nu intégral, femmes sans soutien-gorge préparant la salade de tomates entre deux bottes de persil, très vite les considérations sociologiques sur les neuf millions de campeurs français se sont éloignées pour faire place à une tranche de vie épaisse, en liaison avec la promotion d’un film, mais surtout en prélude à un exercice de voyeurisme déguisé en enquête sérieuse sur la “nouvelle fièvre des Français”. En vérité l’enquête tournait autour de l’essentiel avec un entêtement assez divertissant dans la mauvaise foi.
La vraie raison pour laquelle neuf millions de nos contemporains partagent la promiscuité sous les pins ou les palmiers, ce ne sont ni les élections de miss Camping, ni l’attente le savon à la main devant les douches, ni la vaisselle dans le chant des cigales, mais la nostalgie de la vie sociale d’avant.
Avant quoi ? Avant la solitude généralisée. Ce qui est tendance, comme disait le reportage, ce n’est pas “la marche des tongs” ou “la danse des canards”, mais la simplification des codes sociaux, la redécouverte brutale du corps d’autrui, la variété des âges et des physiques, en somme la vie.
Dans Koh Lanta ou l’Île de la tentation, on observe le même étonnement ravi chez le spectateur : c’est une mémoire lointaine de l’espèce qui revient, quelque chose qui rappelle la loi de la meute, avec ses dominants et ses dominés, ses vieux mâles, ses jeunes présomptueux, ses femmes farouches, attirantes ou jalouses.
Depuis un siècle que les plages attirent du monde, on finit par se douter que ce n’est pas pour la satisfaction de passer huit heures sous un parasol. Il s’agit plutôt d’un lieu où les codes changent, comme on dit pudiquement. Si l’on préfère la vérité à la pudeur, on avoue plutôt qu’on y va pour se lâcher.

Points de suspension
Une activité de représentation hors frontières m’oblige à interrompre cette chronique que je tenais depuis huit années. De nombreux lecteurs m’ont fait la confiance de me lire avec assiduité, quelques-uns me l’ont écrit, je les remercie avec chaleur. Les liens tissés par cette familiarité d’esprit hebdomadaire sont souvent très solides. Aujourd’hui ils sont de surcroît aisés à entretenir grâce à l’Internet qui permet d’envoyer huit lignes quand on hésite à écrire huit pages.
En attendant de retrouver ici une tribune sans doute différente, en tout cas plus compatible avec le devoir de réserve que m’imposent mes nouvelles fonctions, je me permets de recommander, à ceux qui souhaitent poursuivre notre commerce en coulisse, de m’écrire sur Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3401 paru le 1 Février 2002

Au-delà de l'écran

La famille à dos
Au mois de novembre, le président de TF 1, dans un entretien accordé au Monde, s’alarmait du jugement porté sur sa chaîne par la ministresse de la Culture. « Un ministre de la République, disait-il, n’a pas le droit de détester une entreprise. » Et il ajoutait un peu hypocritement : « Comment peut-on dire que les téléspectateurs vont être condamnés à regarder une chaîne qui réalise 95 % des meilleures audiences chaque année ? »
Eh bien, la réponse est claire : on peut le dire quand on s’appelle Catherine Tasca. On peut le dire quand on pratique une méthode qui ne consiste pas à analyser le réel mais à lui préférer les délices du fantasme. On peut le dire quand on est la seule titulaire du poste à avoir menacé un écrivain de l’envoyer au tribunal. Renaud Camus a été soupçonné d’antisémitisme par des gens sans innocence à qui, visiblement Mme Tasca voulait plaire. Conseillée dans cette affaire par de vrais techniciens, ou qui sait ? par de vrais lecteurs, elle s’est arrêtée de justesse au bord de la forfaiture. Mais ce jour-là, elle a durablement discrédité sa fonction et incité une poignée d’artistes, dont je fais partie, à se souvenir de Lyssenko, ministre de l’Agriculture stalinien qui déclarait : « Un ennemi de classe est toujours un ennemi, qu’il soit ou non savant. »
Voilà qu’elle recommence, à propos de Silvio Berlusconi, dont elle réprouve, nous dit-on, la politique culturelle, jusqu’à refuser d’inaugurer avec lui le Salon du livre. Télévisions et radios se font timidement l’écho de cette susceptibilité embarrassante, sans souligner vraiment ce qu’elle signifie : nous avons là un exemple clinique de “m’as-tu-vuisme” idéologique. En d’autres termes il devient moins important d’analyser les dossiers, voire d’adresser des remontrances à ceux qu’on n’approuve pas, que de refuser de figurer avec eux sur la photo. Il ne s’agit plus de gouverner, mais de présenter son meilleur profil et d’en remontrer à la terre entière par une apparence de vertu. Laquelle désigne, en fait, une névrose d’autosatisfaction. Quand Martine Aubry refuse de siéger quelque part où l’on annonce la présence d’un ministre de Jörg Haider, quand Catherine Tasca fait son caprice contre l’Europe qui pense “mal”, quand Ségolène Royal claironne sa « vigilance », elles ressemblent à ces fillettes qui, jusque dans le salon familial, ne disent plus bonjour à l’oncle de Corrèze depuis qu’il vote Front national.
D’abord, ce n’est pas le meilleur moyen de l’en dissuader. Ensuite, elles se mettent à dos toute la famille. Enfin, prisonnières de leur bon droit, par esprit de système et par orgueil, elles finissent par tomber dans le délire. Contre toute espèce de politesse, c’est-à-dire de respect d’autrui (ce respect qu’elles exigent des autres à la moindre occasion), elles préfèrent claquer la porte.
Il arrive aussi, Dieu merci, que la famille la leur désigne. On appelle ça une élection.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3504 paru le 23 Janvier 2004

Au-delà de l'écran

La France de Papa
La publication des meilleures audiences pour l’année écoulée permet de s’apercevoir que le succès est moins facile à induire en télévision qu’en littérature. Certes on voit bien de temps à autre surgir un produit marketing destiné au petit écran, mais il est rare qu’il fasse recette aussi vite qu’un livre de Beigbeder. La télévision ne peut pas compter sur les réseaux pour assurer la promotion de ses “coups”. Il ne suffit pas d’apposer un panneau “Nous avons beaucoup aimé”, comme on le voit souvent à l’entrée des librairies, pour conjurer l’effet “temps réel” et la sanction par la télécommande.
Quand on parle de temps réel, on a l’impression qu’il est facile d’accrocher l’intérêt en improvisant, mais quand on voit les chiffres, on s’aperçoit que le temps réel ramène au pays réel. Le public télévisuel a l’inertie d’un pétrolier. Pour le mouvoir, pour l’émouvoir, il ne suffit pas de donner de la corne de brume et d’agiter les bras. Quand il entend dire : “Nous avons beaucoup aimé”, le public répond : “Moi j’aime ce que je veux.”
Et l’an passé, il a tourné le dos aux choix parisiens. L’Affaire Dominici finit en tête du classement. On peut épiloguer sur le fond et prétendre que les téléspectateurs ont aimé le genre “film à thèse”, il est probable qu’ils aient surtout aimé le rappel à la “France de Papa”. De même, il serait intéressant de montrer la continuité qui existe entre Maigret, le commissaire Bourrel, Julie Lescaut et le juge Cordier (les deux derniers étant classés très haut dans le palmarès 2003). Pour qui douterait encore de cette tendance, on peut prédire un succès identique au Dirlo, une série très bien écrite qui présente Bigard en directeur d’école (dix millions de téléspectateurs). D’abord, le décor évoque la communale de Jules Ferry (nous sommes loin des préfabriqués de l’Instit). Ensuite, la popularité de Bigard s’appuie sur le pays réel depuis longtemps.
Mais le clou de ce bilan est que 95 % des meilleures audiences 2003 soient le fait de TF 1. Qu’une chaîne privée fasse la part belle au pays profond, et que le service public dédaigne le peuple, quoi de plus jacobin, et quoi de plus français ?

Camarade Fogiel
La façon dont Marc-Olivier Fogiel (toujours sur le service public) a rendu compte des succès littéraires de l’année illustre le phénomène. Pendant l’émission, nous aurons guetté en vain la mention du dernier livre de Brigitte Bardot, dont les éditions du Rocher ont vendu, grâce à lui, 275 000 exemplaires. Elle est l’une des trois meilleures ventes de 2003. Même si l’on s’attendait à peu de commentaires (ils sont en procès), il suffisait d’une allusion goguenarde, et Fogiel était quitte.
Or le nom de l’actrice n’a pas franchi ses lèvres. Voilà qui relève de la psychiatrie. Rappelons que les dissidents étaient gommés dans les portraits de groupe au temps du camarade Staline. Un coup de Photoshop, et hop, Bardot va bientôt quitter les archives de l’émission dans les agences de presse.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3402 paru le 8 Février 2002

Au-delà de l'écran

Sauvons les saucisses
Un récent couplet sur les rapports entre publicité et barbarie m’a valu un courrier abondant. (Je veux dire qu’il abondait dans mon sens.) Une dame me rappelle qu’une marque de saucisses mettait récemment en scène quatre jeunes gens dans une montgolfière : après avoir jeté par-dessus bord le lest disponible, les aéronautes avaient le choix entre le plus faible de leurs compagnons et un paquet de saucisses. Trois d’entre eux sacrifiaient le quatrième pour garder les saucisses.

Le triomphe de Scapin
Puisque l’occasion m’est donnée de revenir aux dérives publicitaires, un procédé très à la mode consiste à pervertir le regard des enfants sur leurs parents. Quand, pour se venger de leur propre enfance chez les prêtres, des directeurs d’agence qui se sont partagé le festin de l’après-68 nous infligent des campagnes où l’on voit bafouer l’image de l’adulte, de l’aînesse, de la masculinité, ils ne font rien d’innocent. Une mode tyrannique exige aujourd’hui que le père de famille soit ridicule, de préférence devant une conjuration mère-fille. « Je ne sais plus quoi faire de ton père », dit une femme excédée par son mari coureur de jupons. Une fille de six ans explique à son géniteur qu’avec le nouveau produit Candia il peut recommencer à digérer le lait. L’épouse appuie avec une vague ironie. Après la première gorgée, le papa se retrouve en culottes courtes.
On ignore si la campagne est un succès, mais le message sociologique, lui, est reçu cinq sur cinq par les enfants et les épouses : les pères sont ridicules. S’ils affectent la fermeté elle est tournée en dérision. Partout dans la publicité ils sont bernés par leurs enfants, comme les gérontes de Molière l’étaient par leurs valets. Sauf que les Scapin d’aujourd’hui n’ont pas l’âge de raison. Les seuls adultes tolérables à leurs yeux sont ceux qui cèdent à leurs caprices.
Parallèlement, la campagne télévisée relative à la pédophilie tend à établir une conjonction douteuse entre l’autorité et l’abus d’autorité, entre le privé et l’abus du privé. L’intimité familiale est suspecte de favoriser le viol. On a introduit, qu’on le veuille on non, le ferment d’un doute systématique dans les esprits juvéniles, à propos de ce qui est domestique, masculin et autoritaire. “L’idée”, comme disent les branchés, c’est de prévenir. Mais la prévention se traduit par une exigence excessive de transparence, par une négation du secret familial, lequel est pourtant le lieu même où se forgent l’identité, le caractère et la volonté.
L’autre idée consiste à épargner à l’enfant toute résistance. Du coup il est contraint à la chercher hors du foyer. Il affronte tout ce qui porte un uniforme. Il piétine le territoire de ses rivaux. Sa violence rend hommage à l’autorité jamais subie, en cherchant à la réinventer. Les deux courbes, violence en hausse, autorité en baisse, se sont croisées autour de 1990. Elles vont se croiser dans l’autre sens inévitablement. Jusqu’où ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3403 paru le 15 Février 2002

Au-delà de l'écran

Métaphore filée
Dans le domaine des idées, c’est connu, il y a la confection et le prêt-à-porter. Cette métaphore qui relève du lieu commun n’est pourtant pas assez exploitée. On peut la filer comme une laine, on peut accumuler indéfiniment les traits de ressemblance entre le monde de la pensée et celui de la couture.
Par exemple il existe sur France 2 un atelier dominical nommé J’ai rendez-vous avec vous dont le patron, Rachid Arhab, vient de quitter le prêt-à-porter pour se lancer dans le sur mesure. C’est dommage, car il était meilleur que son remplaçant au journal télévisé. Et c’est regrettable pour lui car il a beau essayer de recoudre sa formule, elle s’en va de tous les côtés.
Il faut dire qu’il travaille beaucoup aux ciseaux et très peu à l’aiguille. Son émission a pour objet d’évoquer des questions d’actualité avec l’aide de la rue et le concours des téléspectateurs. Thème du jour : “Critiquer la politique de Sharon, est-ce faire preuve d’antisémitisme ?” Pour répondre à cette question hérisson, posée à des habitants de la Goutte-d’Or à Paris, qui croyez-vous que la caméra ait interrogé ? Un imam ? Un Beur de la banlieue ? Un “grand frère” qui circule en Mercedes à vingt-deux ans ?
Pas du tout : Madeleine de Grenoble, André de Paris, Marc d’Etrépagny et Jeanine d’Evreux. Ils sont invités à se prononcer sur une éventuelle résurgence de l’antisémitisme en France comme s’ils devaient répondre, au nom de notre “terre d’accueil”, d’exactions dont nous avons surtout accueilli, il faut le rappeler, la plupart des auteurs.
Le clou du défilé fut cette dame qui est venue réclamer davantage de mosquées « parce que les imams en train de noter les noms sur les boîtes aux lettres, à six heures du matin dans les immeubles, ça fait mauvais effet, ça donne une mauvaise image de l’islam » (sic).
Devant tant de pesanteur propagandiste, on se dit que ces archives devenues inaltérables avec l’avènement du numérique serviront au moins aux historiens. Elles illustreront que les propriétaires du discours, au tournant du millénaire, ont perdu les pédales avant les élections.
Il n’est que de citer la scène finale de ce Rendez-Vous où le présentateur, toujours brandissant son micro comme un animateur de vente flash au rayon chemisiers, nous annonce qu’une dame a tenu à apporter un témoignage sur l’affaire Schuller « sous la forme d’une chanson ».
Une passante, qui attend en effet depuis vingt minutes derrière lui, se rengorge à l’idée de nous faire une bonne blague. Elle nous chante sur l’air du Furet : « Il court il court, le Schuller, le Schuller du RPR. » A quoi le meneur de jeu croit bon d’ajouter « Eh bien merci Geneviève, c’est une façon de lancer le débat. »
Là-dessus, gêné de voir tailler du sur mesure dans une étoffe aussi grossière, Michel Drucker reprend l’antenne et se demande, en spécialiste, si le surpiquage ne se voit pas un peu trop.
Nous nous le demanderons avec lui.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3404 paru le 21 Février 2002

Au-delà de l'écran

Tête de gondole
Que penserait-on d’une agence publicitaire qui se mettrait à fabriquer les produits qu’elle promeut ? Que dirait-on si les “créatifs” construisaient des usines ?
Toutes proportions gardées, c’est ce qui se passe dans l’audiovisuel. Radios et télévisions jouent les deux rôles à la fois : celui de vecteur de promotion et celui d’agent de production.
Quand on visionne un DVD dont le générique porte le logo “TF 1 Vidéo”, on s’avise rapidement que l’effort publicitaire, les plateaux de complaisance, les invités vedettes, les bandes-annonces diffusées jusque dans les émissions du matin, tout cela est rendu indispensable par cette confusion des genres.
Canal Plus a longtemps pratiqué la même méthode, laquelle a contribué, nous dit-on, à améliorer les chiffres du cinéma français. Mais c’est une santé illusoire. Avec dix millions de spectateurs pour Astérix, le magasin France réalise tout son chiffre de l’année sur un seul produit placé en “tête de gondole”.
Nous obtenions naguère des chiffres voisins (enfin, les bonnes années) sur dix films à un million d’entrées. Cela répondait davantage aux exigences de l’art et de la diversité. Mais c’était aussi plus risqué pour la trésorerie. Tandis que, désormais, le lancement à la Harry Potter est devenu la règle : les recettes sont encaissées massivement en quelques semaines, au mépris du reste de la production. Le pouvoir d’achat culturel est aspiré par une pompe à finances dont l’échelle est continentale.
Côté chansonnette, le tableau est identique. Chaque année, TF 1 s’arrange pour lancer un “tube” qui rafle, en quinze jours, les 15 euros du budget que l’adolescent moyen consacre à la musique.
Dernière étape : Star Academy. A quoi bon parier sur une nouveauté ? Il suffit de reprendre un vieux succès assaisonné à la sauce boum-boum. Le matraquage fait le reste.
En radio, le phénomène existe aussi. C’est la “coédition France-Inter”. Evidemment nous ne parlons pas des mêmes chiffres, ni d’ailleurs du même produit. Il s’agit de librairie. Même si une grande part du catalogue consiste encore en des livres du genre Mémoires de poilus pendant la Grande Guerre, il est bon de rappeler que des radios financées par l’argent public n’ont aucune vocation à jouer les éditeurs. Or cette vocation est de plus en plus apparente. Il existe à présent des “livres Inter” dont on nous dit qu’ils ont été “élus par le public” (bien qu’en vérité le public ait le choix entre douze titres, dont la liste a été établie par cinq personnes, lesquelles, en général, aiment bien le Monde et Télérama).
Intéressante évolution du métier d’éditeur, puisque, en cas de mauvaises recettes, c’est le contribuable qui paie. Les artistes n’ont pas de quoi s’en réjouir, ni les vrais éditeurs, qui eux prennent des risques. Pourquoi ne le disent-ils pas ? Parce qu’ils craignent de se voir interdire la tête de gondole.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3405 paru le 1 Mars 2002

Au-delà de l'écran

Léger problème de niveau
Deux cent mille candidats (!) se sont présentés, dans une dizaine de villes, aux éliminatoires de la deuxième session de Loft Story, l’émission de “télé-réalité” qui sera diffusée en avril sur M6. Quarante-cinq mille postulants âgés de dix-huit à trente ans ont été auditionnés. Voici un condensé des commentaires que l’émission suscite sur les forums de discussion d’Internet. Nous offrons au producteur un critère de sélection supplémentaire : jauger les candidats à l’aune de leur niveau en orthographe…
« Il passe des pubs pour s’inscrire mais il ne dise pas quand cela aura lieue.
Si vous savez des choses écrivaient moi. Merci. Mathilde.
Tu aurais u l’occasion d’y participer tu y serait aller.
Personne ne vous a demander de regarder ou de participer au casting, je suis sur ke vous serait tous les premier a le regarder en disant c cool mais alors ne regarder pas. J’ai passer le casting et j’en suis fiere et je pense bien reussir l’experience aller bon courage a tous les lofteurs.
Réaliser un tel concept résulte du délire des esprits complètement tordus et "dégentés" d’individus profondément frustrés par leur carence de voir un jour leur nom affiché sur tous les ecrans ».
Cette collecte a été réalisée sur une seule page, à la volée, sans volonté de noircir le tableau : 90 % des interventions sont de la même eau. Quand on parle du niveau des participants au “Loft”, on oublie de dire qu’il n’a aucune raison d’être plus élevé que celui du reste de la population.
Médailles en chocolat
‰ L’autre soir, les duettistes Bataille et Fontaine étaient en piste pour Drôles de petits champions (quatre heures d’antenne à trois jours d’intervalle, la lassitude s’installe). Enthousiasmes téléphonés, petits garçons élevés dans le milieu du “ski de haut niveau”, fillettes pomponnées qui chantent comme Céline Dion, danseurs de dix ans en costume lamé, etc. Ces vedettes précoces aux talents outrageusement surestimés par l’orgueil parental m’ont tellement excédé que j’ai regardé un DVD, Buena Vista Social Club. Par une aimable fantaisie du hasard, ce film de Wim Wenders racontait l’histoire inverse : une demi-douzaine de musiciens cubains octogénaires ayant appris à jouer dans les arrière-cours du Cuba d’avant-guerre ont mené leurs carrières d’artistes parfois si obscurément, qu’ils ont dû abandonner la pratique de leur instrument faute de moyens.
Un musicien américain les décide à faire un disque ensemble, gloire mondiale, Grammy Awards, Carnegie Hall, etc.Ces pauvres gens découvrent le bonheur d’être honorés à quatre-vingts ans. Les voilà médaillés par la providence juste avant de tirer leur chapeau. Leurs mérites sont reconnus par tous au moment où ils y songeaient le moins.
Dans le cas des “petits champions” les médailles sont en chocolat, les dons souvent imaginaires, la reconnaissance préalable à tout le reste. On nous fait croire qu’ils peuvent tutoyer l’accomplissement avant la puberté. Hélas, cette démagogie a besoin de tricher sur la nature de l’exploit : l’émission préfère donc les skaters aux musiciens prodiges.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3407 paru le 15 Mars 2002

Au-delà de l'écran

Génération Hulot
Le nom de Nicolas Hulot sonne si bien qu’il semblait promis dès le début de sa carrière à quelque forme de célébrité. Laquelle exigeait toutefois d’être légitimée par autre chose que son aimable sourire et ses activités ludiques à travers la planète : c’est fait. Il vient de passer un dimanche à nous raconter sa vie, qui est un peu la nôtre : compliments !
En vingt ans nous avons assisté à l’heureuse métamorphose de l’explorateur-copain en une sorte de philosophe tranquille dont la syntaxe s’est affinée, dont le vocabulaire s’est enrichi, dont les connaissances se sont affermies. Si toute la génération Hulot avait suivi la même pente dans les mêmes années, la société française n’en serait pas là. A le voir s’expliquer chez Drucker et surtout à entendre les commentaires du lendemain on comprend mieux ce que lui reprochent les aigris, les sceptiques et ceux qui ne croient en rien généralement : il s’est construit. Il a empilé le savoir dans la région de l’esprit où se forment les cristaux. Ceux qui feuillettent leur vie comme une poignée d’instantanés dans une boîte à chaussures ne supportent pas les gens qui font un album. Pourtant c’est le degré le plus élémentaire de la sagesse. Dans le cas d’Hulot, l’album est couvert de plages et de palmiers, mais l’essentiel est ailleurs. On sent chez lui un honnête désir de payer la Providence après tant de bienfaits.
Il a raison de remercier le ciel, car il revient de loin. Non seulement il aurait dû cent fois laisser sa vie sur le terrain, mais à ses débuts il manquait gravement de qualification. On avait pitié de ses propos, de ses liaisons fautives, de ses approximations. On le croyait voué au fun. On le voyait finir l’œil et le cheveu délavés comme un surfeur, tanné par le soleil des tropiques, consumé par l’attente de la vague. Or le voilà plutôt paisible et gai. Accompli, en somme.
Reste un détail naturellement monté en épingle par les commentaires du lendemain : Hulot “téléphone à Chirac”. Vous vous rendez compte ? France Inter, fébrile à l’idée que vingt ans d’oligarchie audiovisuelle vont peut-être enfin voler en éclats dans quelques semaines, nous affirme tranquillement que Jacques Chirac a « envoyé Nicolas Hulot sur le plateau pour assurer sa publicité personnelle ». La chaîne de radio prétend même qu’on l’a donné comme futur ministre de l’Environnement, ce qui m’a échappé pendant l’émission, mais ce n’est pas forcément une mauvaise idée.

En québécois dans le texte
Il faudrait en finir avec le mythe de la vertueuse francophonie québécoise. Désormais quand on visionne un DVD américain doublé à Montréal, on entend des dialogues du genre : « Tu dis ça pour vrai (sic) ? – Oui Jérémie, il faut apprendre à faire tes propres décisions pour rester en contrôle de ta vie. »
Rappelons que dans les rues de Québec, No parking at all times se traduit par : “Pas de parking en tous temps”.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3408 paru le 22 Mars 2002

Au-delà de l'écran

En piste avec le CSA
Le film du dimanche soir est une institution et une grand-messe. Il y a vingt ans à peine, il réunissait les familles et rassemblait la nation. Cette vocation lui est restée peu ou prou, mais de temps à autre le pays entier, des grands-mères aux enfants prépubères, à cause d’une aberration de programmation, à l’heure où l’usage veut que l’on passe le Corniaud, Nuit d’ivresse ou Independence Day, se retrouve devant une ignominie.
Léon appartient à cette catégorie. Ecrit et réalisé, nous dit le générique, par Luc Besson, ce film tire la quintessence du pire cinéma américain et nous la ressert sous label français. Le cinéaste du Grand Bleu est devenu le pape noir du mimétisme culturel. Quand Léon est sorti, la mode était aux rues de New York, aux massacres et aux lolitas : il a réuni les trois.
Imaginons maintenant une famille rentrant d’un dimanche à la campagne. Dans la voiture, les enfants réclament sur tous les tons l’autorisation de “voir le film de TF 1”. Après une demi-heure d’insistance et quelques conditions préalables (devoirs, affaires rangées, douche, etc.), ils obtiennent gain de cause. Deux heures plus tard, tout le monde s’installe devant le poste. L’apparition du triangle orange (“œuvres cinématographiques interdites aux mineurs de douze ans pouvant troubler le jeune public, notamment lorsque le scénario recourt de façon systématique et répétée à la violence”) n’impressionne personne.
Générique. Une bande de trafiquants de drogue canarde une famille dans son appartement. Sauvagerie à bout portant dans une baignoire, dans un couloir, murs constellés de sang, le père se traîne sur le carrelage, cinq balles successives sur cet homme qui rampe. Ça dégouline de partout, dans une atmosphère de réalisme intolérable. Un des hommes désigne une photo de famille : « Il y a trois gamins ici. Stan a tué la grande, Bill le petit (quatre ans), il manque celle-là : trouve-la ! »
Le film raconte la tentative de survie de la dernière enfant du couple massacré. Un tueur la prend en pitié, et lui apprend à tuer elle-même.
Ces scènes d’une cruauté déjà difficilement supportable par un quadragénaire sont jugées tolérables pour des enfants entre douze et seize ans. On aimerait que le CSA nous explique quels sont ses critères, surtout dans le contexte social actuel.
On peut même suggérer le principe d’une émission “En piste avec le CSA”. Les membres de l’institution réunis au complet sur des gradins seraient sommés de réagir en gros plan après visionnage de la scène, puis de justifier la cotation du film et l’opportunité de sa diffusion.
A la fin de la saison, les membres du CSA dont les arguments se seraient révélés insuffisants ou spécieux seraient éliminés et privés de leur salaire par les téléspectateurs, comme de vulgaires candidats à Star Academy.
Au prix de ce régime, en matière de violence, les chaînes auraient vite fait de trouver le point d’étiage.
Christian Combaz


Valeurs Actuelles n° 3409 paru le 29 Mars 2002

Au-delà de l'écran

Show platonicien
Pour ceux qui auraient raté la diffusion de l’excellent Truman Show, voici un résumé de l’action et quelques réflexions à l’adresse des happy few.
C’est un film à plusieurs lectures, comme on dit généralement dans les journaux qui ont choisi la leur. La première, c’est une critique féroce de la télévision réalité. Un pauvre garçon, parvenu à l’âge de vingt ans dans un univers provincial harmonieux, employé modèle d’une banque modeste, dans une ville américaine d’opérette, s’aperçoit qu’il est manipulé depuis sa naissance. Un producteur, l’ayant arraché à un orphelinat dès le premier âge, a choisi de créer un monde de figurants autour de lui afin que son évolution, ses émois, ses passions, soient livrés en pâture quotidienne à la terre entière par le biais d’un impitoyable réseau de caméras. L’émission s’appelle le Truman Show. Son succès est planétaire.
Voilà pour la première lecture, celle qui blâme le spectateur de son goût pour le voyeurisme et ressortit plus ou moins à la satire sociale. Elle permet de faire un dossier magazine à la sortie du film et de s’extasier sur cette Amérique qui sait si bien fustiger ses défauts. Mais le scénariste, tout en respectant le cahier des charges, semble s’adresser, par-dessus l’épaule de la production, à ce spectateur idéal que tout artiste vise à l’insu de son commanditaire.
Certains auront éprouvé, en voyant ce film, un vertige philosophique à l’idée que nous sommes abusés par le réel lui-même. Notre univers n’est probablement qu’une séance de diapositives sur les parois d’on ne sait quelle caverne platonicienne. Plus les illusions se multiplient et se répondent dans nos sociétés, plus le ballet des images s’accélère, plus le vacarme s’accentue, et plus l’idée que nous sommes issus d’une réalité supérieure, immobile, silencieuse, à quoi nous devrons retourner un jour, s’impose aux esprits avisés.
La fin de Truman Show est miraculeuse d’intelligence : on y voit ce pauvre type affronter ses traumatismes d’enfant (la crainte de la noyade) pour voguer sur une mer artificielle démontée, rompre ses chaînes et se retourner, triomphant, sur celui qui projette les ombres au fond de la caverne. The show is over, la vraie vie est au-delà de l’écran, il faut remonter la lumière du projecteur pour savoir qui nous sommes.

Sacrée Florence
Dans les dîners en ville, l’allusion à l’émission de Patrick de Carolis sur Florence (Des racines et des ailes, fin février) est devenue si fréquente, et l’éblouissement de ceux qui l’ont vue si constant, que je lui dois une mention. Florence est une ville que l’on répugne à voir livrée à des curiosités profanes, mais l’émission ménageait la part du sacré. On n’oubliera pas le français remarquable parlé par les Corsini, on rêvera longtemps de ce jardin à colonnes où les enfants sont priés de ne pas monter sur les statues romaines. On ne se plaindra pas qu’on nous juge encore dignes de ce genre de spectacle.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3379 paru le 31 Août 2001

Au-delà de l'écran

L’aventure au coin du hamac
Il paraît que le service public va pâtir de la télé-réalité, c’est probable et alors ? A-t-il vocation à enchérir sur le marché mondial aux côtés de TF 1 ?
Est-il moral de débarquer au Four Seasons Hotel de Beverly Hills, et d’acheter une série puérile où une bande de flics plaisante lourdement entre la salle de gym et la machine à café, au prix d’un million par épisode, quand on prend la moitié de cet argent dans la poche des téléspectateurs ? Le défaut de recettes que l’on prévoit cet automne chez France 2 est un désastre, nous dit-on, parce que la télévision française ne pourra plus s’aligner. Est-ce vraiment un désastre ? Avons-nous vocation à nous aligner, à acheter clés en main des programmes aussi franchisés que le Maillon faible ou Survivor ?
Evidemment non. Pourtant la nouveauté, le scandale ne se trouvent pas, comme on nous l’affirme, dans le niveau à peine croyable de ces émissions, ni dans le principe de l’éviction sur lequel elles reposent : la plèbe romaine avait elle aussi droit de vie ou de mort sur les champions du cirque, et le radio crochet existait déjà il y a quarante ans. Non, le vrai scandale consiste à nous faire passer une expédition à peine digne du Manuel des castors juniors pour une grande aventure humaine. Ces gens à demi-nus qui courent après un fanion sur la plage en deux équipes (les jaunes et les rouges), sous les ordres d’un chef de meute entouré de trois tonnes de matériel, c’est un peu comme si le plus fastidieux de nos jeux de piste chez les louveteaux était sponsorisé par une firme pharmaceutique.
La vraie aventure consisterait à priver de leurs papiers huit personnes pour les débarquer au cœur de Sao Paolo avec trois sous en poche, puis à les suivre dans les rues pendant six semaines, à la recherche de leur nourriture et de leur gîte. Le vrai défi consisterait à fournir une carte verte à dix jeunes gens de toutes origines et à leur donner un an pour fonder une entreprise à New York.
Nous avons connu, il y a une vingtaine d’années, des tentatives voisines du genre la Course autour du monde. Elles ont coûté le vingtième de ce que coûte la logistique grotesque de Koh-Lanta (où l’exploit, quoi qu’on veuille, reste au coin du hamac). En ce temps-là, le service public comptait une poignée de généraux qui avaient une stratégie personnelle et savaient compenser la suppression d’un budget par un coup de génie. Le règne du marketing a suivi. Or dans ce domaine, le privé a toujours joui d’une avance considérable. Personne ne s’étonnera qu’elle soit devenue écrasante.
Que fait France Télévision ? Faute de pouvoir s’aligner, elle ne cherche pas à détourner les humbles de ces jeux du cirque en leur proposant mieux, moins cher et tout aussi populaire : elle préfère investir dans une dérision très parisienne (Laurent Ruquier-Thierry Ardisson), c’est-à-dire le dédain de ceux qui la font vivre et qu’on appelle le peuple.
Christian Combaz






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Valeurs Actuelles n° 3410 paru le 5 Avril 2002

Au-delà de l'écran

Sécurité passive
Quand on regarde la télévision en entomologiste ou en philosophe, on voit s’agréger des modes de pensée qui conditionnent déjà la vie des générations futures.
On ne compte plus les reportages sur la sécurité passive. Ici, le maire d’une commune de dix mille habitants fait voter un budget d’équipement pour une protection vidéo. Là, on installe un portique électromagnétique à l’entrée d’un collège, d’un tribunal ou d’une prison. Là encore, on obtient des constructeurs d’avions qu’ils fassent équiper leurs futurs appareils d’un poste de pilotage blindé. Partout se multiplient les systèmes d’identification par l’iris, par la voix, par les empreintes digitales. Partout on réclame la surveillance de vos faits et gestes et la dissuasion généralisée.
Or, c’est toujours en aval.
Il s’agit en effet d’intervenir afin qu’un malfaiteur, ayant conçu le projet déraisonnable de tirer aveuglément dans la foule, en soit dissuadé par la présence d’un portique, d’une caméra ou d’un agent de police.
Observons qu’il n’est jamais question, en revanche, de l’empêcher de concevoir son funeste dessein. Il ne s’agit jamais de lui donner une éducation qui sache exclure jusqu’à l’imagination du crime. Ce serait attenter gravement à sa liberté. Moyennant quoi, vingt ans après, il achète des armes de guerre, viole les femmes, défie l’autorité, menace d’un couteau quiconque le regarde dans les yeux, etc.
En se livrant à ce genre de fantaisies dérogatoires à l’ordre commun, il exerce sa liberté mais limite celle des autres dans des proportions spectaculaires. En sorte que dix ans plus tard, si aucune réforme brutale de l’éducation n’est intervenue, on assiste à l’apparition d’une caste de 5 % de citoyens dont le comportement “à risques” justifie pêle-mêle et pour tout le monde : le quintuplement des rails de sécurité, la présence d’agents de la force publique dans chaque wagon de chemin de fer, l’identification dans tous les aéroports, la protection magnétique dans tous les hôpitaux, écoles, musées, etc. On ne peut plus prendre un avion sans décliner son pedigree, prendre le bus sans être filmé, monter dans le TGV sans garder sa valise sur les genoux. La liberté des 5 % devient tyrannie.
La télévision aura beau nous seriner que l’omnisurveillance représente l’avenir, il suffit d’un effort de jugement pour se convaincre de l’inverse. Dans une société ouverte, comme on l’a vu le 11 septembre 2001, la sécurité passive a ses limites. Les premières sont budgétaires : personne n’aura jamais assez d’argent pour rendre sûre une société démocratique si ses habitants ne le sont plus. Les autres tiennent aux capacités matérielles dont nous disposons pour juguler une aberration : jamais personne n’empêchera un anonyme de se promener dans la foule avec un détonateur et du plastic.
Moralité : plutôt que de multiplier les garde-fous, diminuons le nombre de fous.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3411 paru le 12 Avril 2002

Au-delà de l'écran

Impératrice d’un jour
Une chaîne de télévision (TF1) se met en quatre pour exaucer le vœu d’un lauréat choisi sur dossier. Dans Rêve d’un jour, l’application de ce principe frôle souvent le mauvais goût sans y tomber jamais. Ce conte de fées lyophilisé force l’intérêt, parvient à vaincre nos résistances, et nous oblige à l’indulgence devant le bonheur d’autrui, tout l’art (ou le cynisme) de la production consistant à choisir des bénéficiaires à qui la foule peut s’identifier.
Il y a quelques mois, on offrait un voyage au Portugal à un couple de braves gens. Pendant leur absence, leur appartement était entièrement refait, décoré, équipé. C’est la version consumériste de Surprise sur prise. Pendant la deuxième émission, l’histoire continue. La production ayant appris qu’en vingt-huit ans de vie commune les bénéficiaires de ses largesses (décidément très occupés) n’ont jamais trouvé le temps de se marier, TF 1 organise un mariage sous les stucs de la mairie de Levallois avec la complicité de leurs trois filles et de leurs amis. C’est là que nous atteignons les limites du système TF 1 : non seulement les sommes investies suffiraient à ôter toute authenticité à l’événement (traiteur prestigieux, buffets tape-à-l’œil, personnel pléthorique), mais le mariage, bâclé par une adjointe, ne comportait aucune mention de l’état civil des époux, aucun nom de famille, rien. C’est à se demander si nous n’avons pas été abusés.
Le deuxième sujet du jour ressemblait à une fable sociale. Dans un pays où les rejetons de l’aristocratie portent la casquette en arrière et parlent le verlan jusque chez les jésuites, on voyait une élève de terminale, au physique très ordinaire, découvrant les fastes de Schönbrunn avec un prince autrichien de location, avant de participer, à son bras, au bal des débutantes de la Hofburg.
On a le droit de préférer les fantasmes qui montent à ceux qui descendent, et les impératrices d’un soir aux rappeurs de la rue de la Pompe.

Fin de règne
On persiste à nous parler de la “reine Christine” à propos de Christine Ockrent, mais le règne s’achève dans la crispation. J’allais renoncer à souligner l’anomalie qui consiste à présenter une émission électorale quand on est la femme d’un ministre en exercice. Mais la conjonction de trois événements m’y oblige. Le premier, c’est que Bernard Kouchner a refusé l’accès d’un hôpital parisien à Jean-Pierre Chevènement. Le deuxième, que Chevènement, offensé, a renoncé à l’émission de la reine Christine “pour raison familiale” en s’excusant une semaine à l’avance. Le troisième est l’hypocrisie avec laquelle la reine a dardé son œil de dauphin sur Max Gallo au début de l’émission, en lui demandant si par hasard son patron était “malade”.
Non seulement le journalisme américain, à qui l’on prétend que notre héroïne doit son “professionnalisme”, n’aurait jamais toléré pareille confusion des genres, mais il l’aurait fusillée pour cette mascarade.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3505 paru le 30 Janvier 2004

Au-delà de l'écran

Nouvel an chinois
Vu dans Capital, un reportage sur un Français “ashramisé” près de Madras, un homme de soixante ans converti à l’hindouisme et qui vit comme un sadhu. Jusque-là, rien de très singulier, sauf que cet homme dirige un empire commercial (dont il ne possède rien). Il centralise l’offre des manufactures de vêtements de sa région vers les marques de prêt-à-porter européennes. Ses associés indiens le vénèrent comme un saint homme et il se promène pieds nus en sari jaune dans les décors high-tech de son empire textile, où il rend hommage aux dieux dans un petit temple.
Vus aussi, dans les journaux télévisés, de nombreux reportages sur le nouvel an chinois, avec ses coutumes culinaires et sa référence pittoresque au bouddhisme, son lien avec les ancêtres et la famille, etc.
Dans tous ces sujets, les signes religieux distinctifs sont parfois extrêmement visibles (comme ils le sont lorsqu’une bonne sœur traverse la rue de Vaugirard), et pourtant nul ne songerait à s’en offenser. Pourquoi ? Parce que ni les adeptes de Krishna, ni les adorateurs du Grand Véhicule, ni les confucianistes, ni les chrétiens, ni les juifs ne font de leur religion une machine de guerre.
Peut-on en dire autant de tout le monde ? C’est une question qu’il faudra se poser un jour ou l’autre. Quant à traquer les signes ostentatoires, le bon sens permet déjà de penser que la méthode a ses limites. Le ruban rouge de la lutte contre le Sida ou l’épingle de la Croix-Rouge les jours de quête vont-ils entrer dans le champ d’application de la loi ? Et si les musulmans militants décident de porter un pull vert à l’école, qui le leur interdira ?

PPP
Il suffit de suivre les débats d’idées sur LCI, France 5, etc., pour s’aviser qu’il existe un Parti des penseurs patentés qui a seul le droit de reprendre publiquement à son compte ce que des intellectuels sans attachée de presse ont écrit de plus sensé depuis des années.
Le portrait-robot des oligarques de la causerie télévisée est assez facile à tracer : ils sont passés par le militantisme rocardien à vingt ans, ils ont connu leur période californienne, ils ont largement profité de l’époque Mitterrand, ils se font appeler philosophes avec la complicité des éditeurs scolaires, ils communient dans la détestation de Bush (ce qui est une façon commode de faire excuser leur “retour aux valeurs”) et ils tiennent des propos contraires à ceux qu’ils proféraient il y a dix ans.
Ces raisonnables de la vingt-cinquième heure qui froncent le sourcil sur les plateaux en nous parlant des nouveaux barbares commencent à éprouver notre patience. Sur les familles recomposées, l’image du père, l’école au rabais, le communautarisme, etc., nous sommes nombreux à pouvoir attester qu’ils ont prêché dans le sens du désastre.
Alors d’où vient que les journalistes de télévision se précipitent vers eux dès qu’ils émettent leurs premiers doutes ?
De ce qu’ils ont commis pour la plupart les mêmes erreurs.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3412 paru le 19 Avril 2002

Au-delà de l'écran

Semaine du cuir
Le soir du grand débat approche, celui où notre démocratie se réjouit de ressembler toujours davantage à son modèle américain. Une fois de plus, trois mimiques et deux hochements de tête à la télévision vont suffire à balayer cinq ans de gouvernement et six semaines de sondages. La France s’apprête à passer une heure à l’affût du moindre signe de faiblesse, comme s’il s’agissait moins d’élire le vainqueur que d’accabler le vaincu.
Et dans le rôle du vaincu, qui voit-on d’emblée trébucher devant l’obstacle, blêmir sous l’allusion, bafouiller après l’outrage ?
Devinez.
Certes, on devrait faire crédit aux deux candidats des mêmes chances avant l’oral. Toutefois il est permis d’observer que Lionel Jospin s’arrange toujours pour rater une marche au sommet de l’escalier. Appartient-il à cette catégorie de convives qui s’étalent dans les glaïeuls les jours de cérémonie ? Nous le saurons bientôt. Mais il existe un faisceau d’indices. Par exemple il a échappé, les lunettes sur l’oreille, à la gifle d’une élue au pied de la tribune de l’Assemblée. Il a reçu des cailloux en Israël. Il s’est mis à bafouiller au milieu de la seule phrase qui devait ramener le calme après la grève des routiers. Pendant cinq ans il a multiplié les cuirs dans ses déclarations au point que nos arrière-petits-enfants ne croiront pas qu’un styliste aussi médiocre ait pu atteindre, dans l’Etat, un niveau si élevé.
Un exemple (à propos des cinq cents signatures) : « Il semble quand même cette fois-ci qu’il y ait eu des pesées qui aient été faites de façon systématique pour interdire à certains de pouvoir être candidat. »
On a envie d’écrire le mot sic en majuscules.
Nous avons appris en outre, stupéfaits, qu’il était capable de débiner la forme physique de ses adversaires. Nous l’avons vu commettre les lapsus les plus fâcheux : au temps « où la Corse gouvernait », ce changement que j’appelle « de mes vieux », la « privation des retraites » (au lieu de privatisation), etc.
Il serait étonnant que le grand débat ne finisse enfin par révéler chez lui le désir caché de l’échec, comme s’il n’aspirait qu’à une chose : expier son passé, être confondu comme l’ancien conjuré qu’il fut, être jugé indigne du rôle de Père de la nation auquel il prétend, contre toute logique psychanalytique et donc probablement contre l’avis de sa femme. S’il bafouille une fois de plus, s’emporte, frôle le mauvais goût, ruine sa propre image pendant le dernier tour de piste, il faudra savoir interpréter le message. Il y a toutes les chances pour qu’il signifie “Ne votez pas pour moi”.

La peur du facteur
TF1 a eu la faiblesse d’esprit d’importer le concept d’émission-réalité Fear Factor sans en modifier le titre (clause probablement imposée par le producteur américain), de sorte qu’une forte proportion de Français vont être tentés de le traduire par “la peur du facteur”. Les services de la Poste devraient songer à s’en émouvoir.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3413 paru le 26 Avril 2002

Au-delà de l'écran

L’heure des comptes
Patrick Poivre d’Arvor a rappelé, lors d’une récente édition de son journal, que sa chaîne avait « souvent évoqué la thèse de l’arc électrique » comme déclencheur de la catastrophe de Toulouse (reprenant ainsi explicitement et fort honnêtement les conclusions de Valeurs Actuelles). Il a bien fait de prévoir que l’heure des comptes sonnerait un jour ou l’autre car dans quelques mois les responsabilités seront réparties entre AZF et EDF. Celles des journalistes deviendront embarrassantes. La Fondation nationale des sciences politiques, les principaux historiens de la période, les spécialistes des médias, les universitaires américains qui suivent la vie publique française à la loupe, tout le monde se demandera pourquoi le reste de la presse dans notre pays n’a pas montré le même courage. Il est même possible (allez savoir) qu’on parle de lâcheté.

Les “feuj”, le soleil et ta mère
Décidément, nombreuses sont les évidences qui ont du mal à faire surface. Cependant, comme la période semble propice aux révélations, on peut rappeler que la télévision a présenté il y a six mois un film nommé le ciel, les oiseaux, et ta mère où l’on voyait Djamel tombant amoureux d’une jeune fille et s’apercevant, avec un haut-le-corps, qu’elle portait sous son corsage une étoile de David.
Lors de la sortie du film (et à maints autres indices antérieurs), on aurait pu s’apercevoir qu’il existait chez nous un antisémitisme sans rapport avec Drumont. Depuis une décennie, dans les lycées de la couronne parisienne, le mot feuj (verlan pour juif) est employé avec une dérision haineuse dont personne, jusqu’ici, n’a semblé s’émouvoir. Pendant les années Mitterrand on a longtemps essayé de nous faire croire que les braises de l’entre-deux-guerres rougeoyaient dans l’ombre, mais c’était un mensonge.
Tout indique que l’antisémitisme nouveau ne mérite plus ce nom-là. Il n’est que l’importation récente d’une guerre civile étrangère. L’animosité que l’on observe contre les synagogues peut se retourner demain contre une autre communauté, voire contre une pratique sociale. (A quand les commandos sur les plages contre l’indécence, ou dans les boucheries contre la viande de porc ?)
Il convient donc de corriger les commentateurs sans innocence qui parlent de “résurgence de l’antisémitisme”. “Résurgence” signifie qu’un courant souterrain alimentant cette source proviendrait des couches profondes de l’histoire de France. Chacun sait qu’il n’en est rien.

Livre noir
Interview de Françoise Sagan, prise dans la toile d’araignée du fisc. Des dizaines de “redressés” se suicident chaque année en France pour des montants plus modestes, après une procédure au hachoir. Pour ceux-là aucune émission, aucune pétition. Peut-être qu’un jour un éditeur aura le courage de faire témoigner leur entourage et de publier le livre noir de l’impôt à la française.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3414 paru le 3 Mai 2002

Au-delà de l'écran

Fayotages
La période que nous traversons s’annonçait propice à la carrière (désormais compromise) d’un certain nombre de nouveaux Vychinski du Paf. Dès la semaine qui a précédé le premier tour de la présidentielle, plusieurs journalistes au sourire aigu, dont les apparitions à l’écran restaient jusqu’alors discrètes, se sont distingués par un zèle de procureur excessivement voyant. A l’époque où l’on donnait pour seuls en lice les partis “classiques”, ils se sont acharnés sur les autres, afin de montrer aux futurs vainqueurs qu’ils savaient mordre en public.
Certains chiens de meute font de même : ils ne provoquent les fauves, ils n’osent leur agacer les moustaches, qu’une fois le gibier entravé ou blessé. On les voit rarement aux avant-postes avant l’hallali.
Dans les cas qui nous occupent, ces commentateurs ont non seulement vendu la peau de l’ours un peu tôt mais ils ont prétendu donner le signal de la curée avant que la bête soit morte. Une semaine avant le premier tour, la froide courtoisie de Bruno Mégret face à l’un d’entre eux laissait déjà paraître le caractère fielleux de son inquisiteur dans des proportions gênantes. C’est toute la différence entre l’analyse politique et le fayotage : le courtisan doit d’abord donner des gages à ceux qui l’ont nommé.
Il y a pire : on peut affirmer que lors de l’interrogatoire de Jean-Marie Le Pen mené en vue du second tour, les journalistes qui lui faisaient face, par leurs mimiques de procureur, par la fréquence de leurs interruptions, la mauvaise foi qui émanait de leur attitude militante, ont fini par rendre sympathique, aux yeux d’un grand nombre de Français, le tribun qu’ils voulaient accabler.

Vieux monsieur défavorisé
J’ai eu les larmes aux yeux, comme cinq millions de personnes au bas mot, en voyant la silhouette voûtée de Paul Voise, soixante-douze ans, visitant les ruines calcinées de sa maison d’Orléans. Cet homme au visage tuméfié par de jeunes brutes venues des “quartiers défavorisés” nous a été présenté au journal deux soirs de suite avant le premier tour. Il est donc difficile de ne pas supposer que ce vieux monsieur (assez peu favorisé lui-même, on en conviendra) ait influencé le vote. Il l’a certainement influencé par son malheur bien davantage qu’un éventuel sondage de dernière minute n’eût pu le faire. Faut-il pour autant l’en blâmer ?
Les uns disent qu’il est scandaleux de flatter les peurs de la population en montrant cela avant un scrutin. Les autres font observer qu’il n’est pas légitime non plus de dissimuler ce genre de faits au seul motif qu’ils infléchissent le vote. Les uns et les autres ont peut-être raison. Pour ma part, je penche pour la compassion sans autre calcul.
Est-il tolérable d’exiger de la réalité sociale un effort de neutralité avant l’élection ? Ne serait-il pas indécent d’ignorer un vieillard battu, sous prétexte que “ça fait monter Le Pen” ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3415 paru le 10 Mai 2002

Au-delà de l'écran

Supports mobilisés
« Vous avez de la chance, me disait pendant l’élection un écrivain rive gauche, vous devez être moins submergé de pétitions que moi en ce moment ». A l’instant où j’hésitais à en convenir, il m’a expliqué que la situation était devenue insupportable. Pour quiconque gardait un peu de sens commun le concert des médias, le débordement des mises en garde jusque dans les émissions de variétés, les rassemblements, les protestations symboliques, tout faisait froid dans le dos. Cet unanimisme, cette rage d’arracher à autrui son indignation, cette adhésion forcée au club des gens honnêtes, sentaient le roussi pour la démocratie.
On s’en veut, dans ces conditions, d’émettre la moindre critique à son tour (surtout si l’on ne reçoit pas les pétitions). On n’ose pas ricaner des uns sans craindre d’être classé parmi les autres. Pourtant, il faut dire que certains journalistes ont témoigné, pendant ces quinze jours, d’un manque de mesure, de courage et d’honnêteté qui a rappelé les pires heures de notre histoire. On ne peut pas se réjouir d’entendre répéter « sus à l’ennemi » aussi fort, aussi souvent, aussi absolument. On ne peut pas aimer ces débats qui n’en sont pas. On ne peut pas hurler avec les chasseurs de loups. Demain qui traitera-t-on ainsi ? Quelles campagnes lancera-t-on ? A qui nos grands humanistes, adversaires de la peine capitale, destineront-ils leurs banderoles “A mort” ?
Entre les deux tours, Arte nous a rediffusé une soirée entière sur l’extrême-droite. France Info interrogeait dans la rue les enfants de six ans qui répétaient en zézeyant le nom de leur candidat favori. Tous les “supports” (comme on dit aujourd’hui) ont été “mobilisés” (comme on dit encore). J’invite le lecteur à réfléchir sur ces deux mots. Ils en disent plus long que ce qui précède et me dispenseront de l’illustrer davantage.

La grande muette
Il n’est pas question ici de l’armée mais de l’équipe de France de football qui a rencontré la Russie il y a quelques semaines. Chanter la Marseillaise lui est un exercice visiblement douloureux. Les joueurs s’en dispensent, pour la moitié d’entre eux, sans doute afin de ménager leurs forces avant le match. Le fait que la caméra leur passe sous le nez ne les trouble même pas. Ce fut le cas de Zidane et d’Anelka. Quant à Zidane, qui a donné au pays une leçon de citoyenneté fort applaudie entre les deux tours, cette réserve est incompréhensible. Quelques semaines après, les télévisions nous montraient une centaine de personnalités réunies au Trocadéro pour entonner « Aux armes citoyens ». Zidane allait-il s’y rendre afin de se faire pardonner son mutisme sur le stade ? Ne rêvons pas, tout de même.

Un brin de cynisme
« Avec nous, disait au journal de TF un vendeur de muguet du parti communiste, vous savez où va l’argent ».
Une dame lui a répondu « justement ! », avant de passer son chemin.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3416 paru le 17 Mai 2002

Au-delà de l'écran

Recours cathodiques
Puisque la “France d’en bas” est à l’honneur, l’autre devrait prendre le temps de regarder la télévision. La mode est à l’audit : nos ministres devraient passer trois semaines à enregistrer les programmes où l’on se plaint, où l’on récrimine, où l’on prend la France à témoin. Au lieu de dîner entre eux d’un plat surgelé sur une table encombrée de dossiers, les secrétaires d’Etat et les directeurs techniques des ministères devraient se faire un plateau-télé devant Julien Courbet.
Depuis dix ans, le peuple remplit ses cahiers de doléances à la télévision dans des émissions du genre Combien ça coûte, Sans aucun doute, Ça peut vous arriver, les Sept Péchés capitaux, etc… On y voit des gens écrasés par l’administration, le fisc, les juges, les règles d’urbanisme, la législation du travail, et pour qui la dernière solution est d’appeler la caméra au secours.
Quand on a vécu les vingt dernières années en province, on peut témoigner que partout le réflexe médiatique a pris le pas sur les recours hiérarchiques ou administratifs. En cas d’abus de pouvoir, il est plus efficace de menacer les gens d’un reportage que d’un contentieux. Tous les élus, tous les préfets savent désormais qu’il est plus utile d’avoir des relations à France 3 qu’au Parlement.
Dès qu’un agriculteur rencontre l’opposition de ses voisins pour s’installer, dès qu’un permis de construire est retiré, dès qu’un droit de passage légitime est refusé, il suffit de laisser entendre que la télévision va interroger tout le monde pour que l’on commence à négocier. Si les équipes posent des questions en caméra cachée, c’est la débandade, l’abandon de poste, la capitulation : la puissance publique parvient à régler en quatre jours un contentieux de dix ans, donnant au téléspectateur l’impression qu’il suffit d’intimider un élu ou un chef de bureau pour avoir gain de cause. En quelques minutes de reportage la France est donc convaincue qu’“il n’y a plus que ça qui marche”. Accessoirement, elle prend la mesure des pesanteurs, des lâchetés, des vanités personnelles qui régissent certains secteurs de la vie publique, et qui rendent, à tant d’égards, notre administration et notre justice comparables à celles du tsar en 1910.
L’illustration la plus émouvante de ce phénomène nous a été fournie par l’émission Confessions intimes, qui présentait récemment les déboires d’une mère malade et d’une grand-mère courageuse à qui la Dass cherchait à arracher deux enfants de huit ans après une décision de justice. Les enfants se cachaient en hurlant sous les meubles pour échapper à l’obligation d’aller “en foyer” pendant que l’affaire était jugée en appel. Il paraît que la juge était intraitable. On n’a pas vu cette magistrate, mais on l’imaginait sûre de son droit (genre Martine Aubry sur les 35 heures).
Il ne faut pas l’oublier, c’est avant tout la nature de nos élites qui est à l’origine de la multiplication des recours cathodiques.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3418 paru le 31 Mai 2002

Au-delà de l'écran

Le gui empoisonné
Une rediffusion de la Grande Vadrouille est-elle un sujet de chronique intéressant ? A première vue, non. A moins qu’on ne se demande pourquoi, au fil des années, le comique au cinéma a perdu un peu de son universalité et beaucoup de son indulgence.
Gérard Oury peint le réel aux couleurs de la satire sans jamais utiliser de solvants, sans altérer le vernis, sans “décaper”. Quelques autres ont suivi son exemple, comme Francis Veber. Mais la plupart excitent chez le spectateur le ricanement au lieu de provoquer le rire.
D’abord ils pratiquent une satire sociale trop allusive, trop datée, c’est-à-dire vouée à disparaître avec son modèle. (Quand un roman commence par “A l’époque Marie-Cécile était très Golf GTI”, on sait qu’il s’agit d’un livre jetable et d’un auteur à courte vue. Lorsque, dans un film comme Astérix, on fait allusion à la publicité Itinéris, l’ambition du scénariste n’est pas non plus de franchir les générations. Il entend plutôt “faire le plein” sur une saison.)
Ensuite la férocité est devenue le genre obligatoire. Revoir la Grande Vadrouille permet de mesurer la distance entre l’humour de Gérard Oury et celui des films comiques qui remplissent les salles aujourd’hui. Le propre des Oury et autres Veber est de préserver l’intégrité de la société à laquelle ils s’attaquent. L’humour est une sorte de parasite. Il s’accroche, comme le gui, à la stature majestueuse d’un peuplier ou d’un chêne pour lui donner un air ridicule. Mais il n’a aucun intérêt à tuer l’arbre.
Or depuis vingt ans le gui est empoisonné. Le Père Noël est une ordure, film d’une drôlerie incontestable, est en même temps si corrosif que l’écorce est attaquée. En ce moment un humoriste canadien triomphe avec un spectacle où, pour se moquer du langage politiquement correct, il prétend qu’« on ne dit plus un pédophile, mais Monsieur le curé ».
Là, nous sommes dans l’humour Canal Plus, lequel va finir par trouver ses limites parce qu’au-delà il n’y a plus grand-chose, à part la guerre civile.
Entre les bonnes sœurs de Gérard Oury et ce qui précède, on mesure qu’un gouffre s’est ouvert. On imagine ce qu’un cinéaste de la génération Pédale douce eût fait de la scène du bain où Bourvil et Louis de Funès cherchent un officier traitant, en sifflotant autour d’un moustachu. Pour se livrer à ce genre d’équilibrisme, il faut non seulement que les militaires trouvent ça drôle, mais les homosexuels aussi.
Avec les nouveaux comiques, ce serait plutôt les uns ou les autres. Il y aurait, de toutes façons, un côté offensé. Certains trouveraient le moyen d’accabler les deux. De dénoncer “l’odieux et l’inadmissible”, d’inviter à une “prise de conscience”, d’évoquer les “non-dits”.
Finalement la Grande Vadrouille inspire notre nostalgie parce qu’elle dessine le portrait d’un pays lointain où l’on s’entendait sur l’essentiel et qui nous manque beaucoup.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3419 paru le 7 Juin 2002

Au-delà de l'écran

Chroniques larzaciennes
Sous le titre « le Paysan et la Comtesse », la télévision (TF1, Sept à huit) vient de nous infliger l’une de ces enquêtes hâtives par lesquelles elle choisit d’abonder dans le sens de l’opinion aux dépens de la vérité.
L’affaire se passe à Saint-Maurice-de-Navacelles (et non Sainte-Marie, comme le disait le commentaire), un petit village de l’Hérault. Le journaliste la résume ainsi : « C’est le droit au travail contre le droit de propriété » et il affirme : « Une nouvelle guerre du Larzac a commencé. »
Un pauvre petit paysan sans terre, soutenu par José Bové, s’installe chez une comtesse qui possède 26 % de la commune. Avec cette goguenardise qui caractérise la jeune garde journalistique quand elle évoque les malheurs de “la Haute”, l’auteur du reportage nous apprend que « le domaine de la comtesse, horreur ! s’est transformé en squat ».
Là-dessus, interview de Mme de Montcalm à Paris. Le reporter qui se croit malin lui demande s’il doit l’appeler Madame la Comtesse, ce qui prouve que le niveau a beaucoup baissé à TF1 depuis Yves Mourousi. Elle lui récite une partie de ses titres. Le jeune homme, qui cette fois se croit non seulement malin mais drôle, lui répond « c’é-un nom à rallonge, ça ! ».
Si rien n’oblige un reporter à posséder des usages, tout lui conseille de faire son métier honnêtement. Or il aura fallu cinq minutes de ces pitreries pour apprendre qu’en vérité Mme de Montcalm louait ses terres à un éleveur local, lequel venait d’être privé de ses droits par le coup de force de José Bové. La thèse “paysan contre comtesse” était donc un mensonge par omission.
Mais surtout, si le journaliste avait fait preuve d’une conscience professionnelle à peine supérieure au zéro absolu, il aurait enquêté sur le fait que, pendant cinq ans, le jeune squatter avait essayé, en vain, de louer des pâturages sur le plateau.
Le journaliste se serait rendu au Clapier et à Cornus (moins de dix kilomètres à vol d’oiseau) où un autre jeune paysan, M. Van Villingen, qui a acheté son domaine à la Safer locale et qui est soutenu, lui aussi, par José Bové, se bat contre ses voisins paysans (eh oui !) pour leur faire admettre son installation.
La véritable explication de l’affaire de la comtesse, la voici : dans un pays rural où tout est verrouillé par un droit coutumier qui rappelle les déboires d’Ugolin dans Jean de Florette, la solution la plus aisée, pour un jeune éleveur, est de s’installer illégalement sur les terres d’une aristocrate. (Au besoin on la ridiculisera dans les médias pour faire passer le coup de force).
Parce que, pour s’installer légalement après avoir acheté sa terre, au pays des éleveurs de droit divin et des Papet tout-puissants du Larzac, c’est une autre affaire. La preuve, même José Bové est en train d’échouer contre la paysannerie du coin, laquelle n’a aucune amitié pour les jeunes qui s’installent. Ce sujet méritait un autre reportage que nous attendons.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3420 paru le 14 Juin 2002

Au-delà de l'écran

La cantine de l’audiovisuel
Un compliment n’est jamais tout à fait utile s’il ne permet pas de faire honte à ceux qui ne l’ont pas mérité.
A regarder l’excellent Une famille formidable, feuilleton fleuve souvent drôle, parfois profond, jamais convenu, on a l’impression qu’il n’est pas sorcier d’intéresser tout le monde sans rebuter personne, de trouver un dialoguiste qui connaisse son métier, de réunir des acteurs qui possèdent une âme, et d’amuser les gens sans leur taper sur le ventre.
C’est pourtant si difficile qu’en vingt ans de socialisme, à quelques exceptions près comme les Quatre-Vingt-Unards qui racontaient la vie d’une chorale de quartier, les chroniques sociales sur petit écran auront été noyées, engluées, caramélisées dans le prêchi-prêcha, les fictions policières et les drames écrits sur mesure pour illustrer les turpitudes bourgeoises.
Les scénaristes qui ont leur rond de serviette à la cantine de l’audiovisuel ont appris à compter davantage sur leur carnet d’adresses que sur leur inspiration. On se demande comment tant de dialogues poussifs, tant de plaisanteries lourdes, tant de situations jobardes peuvent se retrouver dans un film alors qu’aucun éditeur ne les publierait. L’explication tient à la conjonction de deux phénomènes : le feuilleton télé, de nos jours, est calibré idéologiquement comme les poires passe-crassane, qui doivent entrer tête-bêche dans une barquette de polystyrène. La qualité est moins importante que la norme, mais surtout les sommes en jeu sont considérables. Elles sont supérieures à celles auxquelles pourraient prétendre la plupart des écrivains. Si supérieures qu’on peut se demander s’il ne s’agit pas de prébendes déguisées. Le fait que les “œuvres” issues de ce creuset soient conformes à l’esprit du temps, à la couleur politique du pouvoir (Navarro, Le juge est une femme, l’Instit, etc.) s’explique ainsi plus aisément. Quant aux manifestations de soutien à Lionel Jospin qui se sont multipliées dans le milieu des Sept d’or avant les élections, nombre d’entre elles ont eu pour origine une banale reconnaissance du ventre.
Si l’une des conséquences du prochain changement de majorité pouvait être de nous épargner la douzième saison de l’Instit, ce serait déjà quelque chose. Mais si l’attribution des budgets de création à la télévision pouvait faire l’objet d’une procédure contradictoire fondée sur des critères artistiques, au sein d’une commission multipartite, ce serait encore mieux.

Les inédits de Zidane
Les sorties de DVD du genre Les Bleus se racontent, les Inédits de Zidane, Marcel Desailly par lui-même, inspirent en ce moment quelque pitié au point que le journal télévisé de France 2, après le premier match, a osé poser la question suivante : « Est-ce que l’échec ne s’explique pas par une confiance exagérée, par un unanimisme médiatique qui semblait considérer la victoire comme une formalité ? »
Ayant pris le journal en route, j’ai cru un instant que le présentateur nous parlait des socialistes et des élections.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3381 paru le 13 Septembre 2001

Au-delà de l'écran

Aboiements
Le hasard a voulu que la diffusion d’un long métrage du délicieux Jamel précédât d’une soirée celle du Droit de savoir consacré à la délinquance des banlieues débarquant sur la côte. Le thème était identique : une bande “met le souk” sur la plage. Dans un cas à Biarritz, dans l’autre à La Grande-Motte.
On ne peut pas dire que le film ait été de nature à attendrir le regard du spectateur. Il expliquait pourtant très bien pourquoi la jeunesse qui grandit d’Abribus en services sociaux se heurte aux barreaux de sa cage, détériore le matériel, mord ses gardiens, et cherche à se dégrader par tous les moyens : ce n’est pas qu’elle soit maltraitée puisque tout le monde se penche sur elle, les médias, les maisons de disques, les “grands frères”, les agents d’ambiance, les juges d’instruction et désormais les marchands d’armes kosovars. Non, son vrai drame, la source de tous ses ennuis, c’est qu’elle dispose d’un vocabulaire de trente mots. Dans le film le glossaire monte à quarante, avec des récurrences sur lesquelles il n’est pas permis d’insister ici. Le mot est perçu comme un signal, un aboiement, un grognement au sein de la meute. Il ne désigne plus rien, il sert à flairer le derrière de ses ennemis. Seul compte le ton sur lequel on éructe. Et le ton est effarant, comme dans ce passage de la Haine, où l’un des protagonistes répète devant sa glace : « Non mais t’as vu comment tu me parles ? » Quand on a vu “comment ils se parlent”, on n’a pas envie de leur dire quoi que ce soit. Mais surtout on se demande comment, après l’incident de Béziers, la puissance publique pourra se garder d’aboyer à son tour.

Paix civile
Le plus irritant, quand on connaît quelques-uns de ces Français de base à qui personne ne demande jamais leur avis, est d’imaginer ce qu’ils peuvent penser d’un film pareil à 20 h 50 sur la principale chaîne nationale. Il aurait fallu procéder à des tests dans les locaux de France 2, convoquer une salle correspondant à la pyramide des âges, et compter le nombre de ceux qui, dans le meilleur cas, ne comprenaient strictement rien à ce qui se disait à l’écran, et dans le pire, le réprouvaient avec violence. C’était du langage ghetto, pour un film ghetto, propre à propager ce qu’il dénonce : l’exclusion absolue, résolue, d’une jeunesse qui ne reconnaît ni la langue, ni la morale communes de ceux qui ne pratiquent pas ses usages, et qui représentent, quoi qu’on veuille, les trois quarts du pays. Quand on pense que c’est le service public qui par faiblesse d’esprit se rend complice de cette opération de division civile, on est confondu de voir commettre une telle imprudence. Et on aimerait voir confondre ses auteurs.

Post-scriptum
Sera-t-on surpris de reconnaître dans ce film l’un des visages d’une série publicitaire pour un yaourt qui vous invite à « parfumer la tuyauterie » ? Pour ma part, j’ai changé de marque.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3506 paru le 6 Février 2004

Au-delà de l'écran

Cathodic Park
Lorsqu’on consent à s’attarder devant la télévision en compagnie des plus de soixante-cinq ans (qui représentent un pourcentage écrasant de l’audience), on s’avise qu’il existe un Jurassic Park cathodique, où des espèces de téléspectateurs et d’animateurs qu’on croyait éteintes survivent comme dans les romans de Jules Verne. De temps à autre, l’existence de ce monde parallèle nous est révélée par le succès d’une émission du genre le Plus Grand Cabaret du monde. Elle vient de distancer un prétendu divertissement (les NRJ Music Awards) présenté comme “à ne pas manquer”, mais que nous avons manqué massivement sans aucun scrupule.
Pour mesurer l’épaisseur de ce qu’on nous cache, il n’est que de regarder la télévision aux heures où la population active est au travail : il existe encore des gens bien élevés, cultivés, talentueux. Ils défilent tout l’après-midi sur France 2, ils ont leurs habitudes après la messe chez Pascal Sevran, ils font le succès de Shirley et Dino, ils aiment Ushuaïa nature et ils ont réussi à perpétuer quelques usages comme la politesse et la réserve. C’est à cause d’eux qu’il flotte parfois un silence gêné dans les émissions d’Arthur. Par exemple quand Jamel s’écrie devant un chanteur américain : « Qu’est-ce que j’ai pu niquer grâce à vot’musique ! » Ou bien encore quand l’actrice Michèle Laroque, éperdue de lâche approbation devant un sketch du même Jamel, relatant une “tournante” sur Adriana Karambeu, s’écrie : « Il est génial, quand même, non ? »
Non.

Montée des périls
Le téléfilm canadien présenté par TF 1 sur l’accession au pouvoir d’Hitler mettait l’accent sur le destin personnel du Führer puis sur la fascination qu’il a exercée sur les foules, mais beaucoup moins sur les phénomènes de mimétisme et de mutuelle intimidation dont ses partisans auront été tantôt victimes et tantôt coupables. Une seule phrase les résume : “Nous n’avons pas su réagir avant qu’il soit trop tard.”
L’actualité du débat était illustrée le jour même par le journal télévisé, lors d’un reportage sur la pression endurée par les jeunes femmes non voilées dans “certaines cités”.
Décidément, l’esprit de Munich devant les chefs de bande ne vaut rien à la paix. Ni à Dantzig, ni à Saint-Denis.

Registre naturel
Arthur, dont la lourdeur amphigourique aux Enfants de la télé et sur le plateau de Nice People a souvent battu des records, revient avec un jeu quotidien. Il s’y rapproche de son registre naturel, qui semble plus acceptable : humour désinvolte, insolence sans méchanceté, aisance réelle (probablement due à l’étroitesse de son plateau). L’atmosphère très peu solennelle de ce divertissement lui va bien. Le jeu n’a rien de culturel, mais justement, lui non plus. Quand il pose une question niaise à un acteur ou quand il s’écrie « C’est que du bonheur ! », il nous fait un peu de peine. Mais quand il plaisante avec ses candidats, il parvient à nous convaincre qu’il s’amuse, donc à nous amuser aussi.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3421 paru le 21 Juin 2002

Au-delà de l'écran

Menottés au radiateur
Un billettiste de télévision exerçant son apostolat quotidien à la radio écrivait récemment une “lettre ouverte à une action de TF1” où il se réjouissait de l’échec de l’équipe de France parce qu’il allait faire plonger le titre de la chaîne, et que “les petits porteurs portent à droite”.
Après avoir accablé tous ceux qui défendaient “le patronat et les licenciements”, il a blâmé, pêle-mêle, les jeux où l’on gagne une auto, les émissions-déballage (Combien ça coûte ?), a accusé la chaîne de coprophagie (en termes moins choisis). En somme il nous a donné un avant-goût de l’honnêteté avec laquelle les journalistes qui sont en train de se menotter aux radiateurs du service public vont accomplir leur tâche au cours des cinq prochaines années (à moins que la direction de Radio France ne change les radiateurs, mais il faudrait pour cela qu’elle change elle-même).
Encore peut-on concéder au chroniqueur dont je parle un certain humour. Quand l’humour vient à manquer, quand la tartuferie partisane, l’amphigouri à la Bourdieu et le népotisme s’en mêlent, cela donne le reportage réalisé par Jean-Jacques Beneix sur la télé-réalité (Arte). Ce cinéaste au talent surestimé a promené sa caméra sur les visages d’Edwy Plenel, Philippe Sollers, Gérard Miller, Julien Dray, le Professeur Choron, etc, ce qui prouve que chez les subventionnés le défaut d’imagination commence au stade du carnet d’adresses. Ensuite, pour nous parler de la télé-poubelle, qu’a fait notre génie du cinéma ? Il nous a montré des images de bennes à ordures, avec un écran mauve en surimpression pour nous faire comprendre que c’était du second degré. Le visage des interviewés lui-même était couvert de carrés transparents de couleurs différentes, un peu dans le genre Mondrian. Or on n’avait pas besoin du procédé pour naviguer dans le second degré. La quatrième dimension du raisonnement, l’analyse pharisienne sur le ton “le Loft nous interpelle”, on était en plein dedans.

Crime et discernement
Les mêmes tartuffes ne sont jamais “interpellés”, en revanche, par l’indulgence des chaînes envers le cinéma violent. Après le meurtre au couteau d’une jeune fille par un adolescent de Nantes qui se réclamait du film Scream (deuxième attentat du genre, un adolescent ayant poignardé ses parents l’an passé sous la même influence), qu’on me permette de citer ce que j’écrivais dans le numéro de Valeurs Actuelles du 2 mai 1998 : « Le commentaire de Canal Plus, parfaitement servile, nous renvoie aux sites Internet qui font de Scream une saga culte : on y apprend que dans Scream 2 le nommé Phil Stevens reçoit un coup de couteau dans la figure, que Casey Becker est éventrée, Maureen Evans hachée menu, Derek crucifié, Hallie égorgé, Rendy dépecé, Cicci défenestrée, etc.
L’émission est diffusée en clair à une heure où le public jeune est visé. Bravo à toute l’équipe, et compliments à Canal Plus pour son discernement. »
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3422 paru le 28 Juin 2002

Au-delà de l'écran

Une visite à la passerelle
Le best of est un genre saisonnier assez pénible dont je n’aurais pas eu l’idée de parler si je n’avais été, à mon tour, “coupé-collé” dans l’un de ces fourre-tout de l’été.
Il y a quelques mois j’ai accepté de participer à une émission que je ne citerai pas, non pour la ménager mais pour préserver mes chances d’être invité ailleurs. Ce best of, cette télé en conserve, où tout s’enchaîne sans temps morts, sans hésitations, est l’écrémage de l’écrémage, la remise en boîte d’un produit déjà calibré. Dès l’enregistrement initial, les mécanismes de sélection et de censure fonctionnent dans des proportions que le public ignore.
Voici donc le témoignage d’un humble visiteur de la passerelle sur le fonctionnement du navire.
Une demoiselle appartenant au secrétariat d’une émission vous poursuit d’abord au téléphone afin d’obtenir votre participation. « Il faudrait qu’on se voie pour que je vous explique comment fonctionne le plateau », vous dit-elle. Profitant d’un séjour à Paris, vous passez, à sa demande, dans les bureaux du producteur pour bavarder une heure avec elle. L’enregistrement a lieu cinq jours plus tard. Retour en province. Trois jours avant l’enregistrement, coup de téléphone de la demoiselle : vous venez d’être récusé par sa patronne comme un vulgaire juré d’assises. Votre présence sur le plateau n’est “plus nécessaire”. (A en croire certains témoignages, cette émission enregistre jusqu’à cinq heures pour n’en garder que deux.)
Autre chaîne, autre sujet. Cette fois pas d’annulation mais le débat, vaguement agité, inspire à la production un tripatouillage au montage. Oh ! ce n’est presque rien. Une phrase par ici, une autre par là. Et pourtant, ce petit rien fait toute la différence entre le direct et le surgelé-pasteurisé…
Il rétablit un tiède équilibre entre les invités, les arguments, les thèses en présence. Ainsi, sur le plateau de mon best of, l’un des participants assommait les présents de mots tirés de l’œuvre de Freud. Je lui a fait courtoisement observer que cet étalage ne servait à rien car nous avions eu les mêmes lectures. La phrase a été coupée avant diffusion. Un peu plus tard, une des personnalités présentes (une comédienne) se tournait vers l’un des invités pour s’écrier, admirative : « C’est génial, ce que vous venez de dire ! », apportant à un propos réactionnaire un crédit que la production a jugé exagéré. Toujours est-il que la phrase a disparu dans l’épuisette du monteur.

Disparition progressive de l’opinion
Tout cela est le symptôme de la disparition progressive du direct, de la spontanéité, en somme de l’opinion. Pour restaurer la vérité du discours à la télévision, des recettes existent, des solutions appliquées par de nombreuses chaînes américaines ou italiennes, faute desquelles la France d’en bas risque un jour de ne plus se reconnaître dans le poste. Comme la moitié du sentiment démocratique passe aujourd’hui par là, il faudrait d’urgence rétablir la ressemblance.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3433 paru le 13 Septembre 2002

Au-delà de l'écran

Bacheliers à l’arraché
La production de Qui veut gagner des millions ? a eu grandement raison d’organiser, au creux de l’été, un “Spécial nouveaux bacheliers” : il nous aura permis d’envoyer un coup de chalut dans les abysses. L’année prochaine on peut suggérer que l’oral du bac ait lieu dans le même décor, sur l’air des Pêcheurs de perles de Bizet.
Le ministère a-t-il entendu résonner la corne de brume quand, à la question « Rousseau a-t-il écrit le Contrat moral, féodal, social ou national ? », la bachelière candidate a répondu (sur le ton d’une toiletteuse pour chiens dans un sketch de Sylvie Joly) : « Ah ben alors ça tombe mal, j’y connais rien en littérature, mais j’dirais : moral ? »
Le ministère va-t-il se décider à envoyer des abeilles sur zone, comme on dit dans le sabir du sauvetage en mer, après avoir entendu que, selon un autre bachelier (section sciences économiques), d’ailleurs aidé par dix personnes au téléphone (dont le porte-parole était “absolument sûr” de sa réponse), Odessa se trouvait en Pologne ? Pour peu que l’un de ses conseillers ait vu, pendant l’émission, une bachelière (mention bien) hésiter devant la question « Le Niagara est-il une rivière ou un désert ? », et répondre : « Un désert ! »
Luc Ferry a-t-il entendu le tocsin ? Va-t-il sonner les cloches, à son tour, aux syndicats de professeurs, lorsqu’on lui dira que la candidate suivante a situé l’assassinat de Rémus par Romulus sur les bords du Tage ?
Quant à Sophie Thalmann dans un numéro suivant du même jeu, à la question : « Du rosier, de la tulipe, du dahlia, de la pomme de terre, quelle plante n’a pas de bulbe ? », elle a répondu qu’elle ne savait pas, illustrant pourtant par là, fort ingénument, qu’il y a de très belles plantes qui n’en ont pas.

Injurieux parrainage
L’ai-je rêvé, ou parmi les sponsors publicitaires de l’émission l’Ile de la tentation (servilement démarquée de son modèle américain) figurait “le Thon au naturel” ?

Un voile de cirage
Encore un rêve sans doute : Michel Drucker interrogé par Guillaume Durand sur la notion de service public (Europe 1). Après avoir appliqué, comme toujours, un léger voile de cirage sur les Weston de son hôte (« votre excellente émission », etc.), Drucker énonce abruptement : « France 2 a fait deux cent mille personnes avec le Roméo et Juliette du théâtre antique d’Orange cet été. Moi j’échappe à l’élitisme, en invitant Françoise Giroud et Bernard-Henri Lévy. »

Moulin à clichés
De l’avis unanime, l’Eté rouge fut la surprise la plus heureuse de ces vacances. Et le feuilleton Garonne la plus décevante. D’un côté une mécanique adroite qui exploite avec habileté les ressorts de la vengeance. De l’autre un moulin à clichés dont le scénario semble sorti d’une réunion de conseil général. Le service public télévisuel, c’est ça aussi.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3434 paru le 20 Septembre 2002

Au-delà de l'écran

Savonarole et Catilina
Argument de vente de Bernard Tapie, pour son émission A tort ou à raison : « Que vous soyez pour ou contre, je vous aiderai à y voir clair. »
Durant les dix dernières années, comme chacun sait, nous avons toujours pu compter sur Bernard Tapie pour y voir clair.
Il nous aura éclairés sur tout : l’origine de sa fortune, les dessous de ses élections, les pratiques de la banlieue, les mystères de la coupe d’Europe, la mansuétude du président Mitterrand à son égard. Il aura jeté une lumière inédite sur les mécanismes de l’intimidation en politique. Un documentaire de M 6 nous l’a montré, récemment, en train de s’écrier : « Qui peut croire ? Mais qui peut croire que j’aie acheté le match OM-Valenciennes ? » Pendant le même reportage, le procureur de Montgolfier nous confiait l’avoir entendu dire au téléphone : « Monsieur le juge, je ne voudrais pas qu’il vous arrive quelque chose… » Dans une autre séquence, on voit notre Catilina se tourner vers la caméra et demander : « Est-ce que c’est ça, la justice de ce pays ? »
Quand on le voit statuer à la télévision sur nos problèmes de société, on est fondé, tout de même, à retourner la question : est-ce que c’est ça qu’on appelle, chez nous, une autorité morale ? Est-ce que nous méritons vraiment d’être invités à la réflexion par un homme qui s’est fait une spécialité de culbuter la vérité en public ?
La question n’est pas sans rapport avec le sujet de sa première émission puisqu’on s’interrogeait sur la prostitution. Introduction : « M. Rigourd, patron de la brigade antiproxénétisme, a accepté de venir. » A peine cinq minutes se sont écoulées, et déjà un premier mensonge. En effet, ce fonctionnaire, qui avait d’abord refusé de se commettre sur le plateau, y a été obligé par sa hiérarchie (si l’on en croit France Info).
Ensuite, Tapie nous prône l’interdiction pure et simple de la prostitution. Si, vous avez bien lu.
Savonarole commence à percer sous Catilina. En tout cas, il s’est arrangé pour que ses invités, en s’interrogeant sur la multiplication des prostituées bulgares, ne remettent jamais en question les conditions de leur immigration. Le policier présent nous a rappelé que la plupart ont des passeports en règle. On s’est gardé de dénoncer la suppression des visas, de nous parler de Schengen, etc.
Interrogé par la presse avant la première, Tapie-Savonarole a déclaré que sa série de débats serait « rock and roll ». Eh bien, c’était plutôt le genre “Chéri, j’ai endormi le public”. Bernard Kouchner n’a pas dit un mot sur la mafia des proxénètes kosovars. L’émission a interrogé l’inévitable Ulla, une ex-prostituée en colère qui avait l’air de brandir sa carte Vermeil toutes les cinq minutes. Quant à Philippe Sollers, qui semblait avoir égaré la sienne, il a marmonné des choses obscures jusqu’au moment où quelqu’un lui a probablement demandé d’éteindre le studio en partant.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3435 paru le 27 Septembre 2002

Au-delà de l'écran

En direct du front
Le magazine Reportages nous entraînait il y a peu sur les lignes de banlieue desservant le nord de Paris, à la suite de la brigade antidélinquance des chemins de fer. Atmosphère : néons blêmes, moleskine marron gribouillée au feutre violet, vitres couvertes de tags, squatters, voyageurs épuisés prenant le dernier train… Le fonctionnaire interrogé par la production décrivait calmement les manœuvres de l’adversaire sur le terrain : dans une série de gares de la ligne B, les “jeunes” saisissent leurs portables pour se rassembler toujours plus nombreux afin d’intimider directement la brigade. « Leur but, disait le policier, c’est de nous obliger à partir, tout simplement. » Et le pire, c’est qu’il avouait y être contraint dans de nombreux cas. Il confiait n’avoir plus, depuis douze ans, aucune illusion sur l’utilité de sa vocation, et se demandait où était passé le courage des politiques (il est bon de préciser que le tournage datait de quelques mois avant les élections).
Mais le pire du pire se trouvait dans le volet suivant du même reportage : autre opération, réalisée cette fois à l’heure du premier train. Et là (il fallait l’enregistrer pour le croire, et le repasser en boucle), que nous disait ce policier ordinaire ? « Il faut être vigilant, à cette heure-là, ils descendent en bandes et ils agressent tous les voyageurs de type européen. »
La première partie sentait déjà la guerre civile mais cette fois, c’était “bienvenue au Zimbabwe”. Les policiers de la brigade SNCF semblaient détachés par on ne sait quelle force d’interposition sur le front de la banlieue Nord pour venir en aide aux petits Blancs transformés en gibier. On ignore pourquoi ce sujet, tourné il y a plusieurs mois, a fait si peu de bruit. Que ce soit vrai ou faux, dans les deux cas il faut sonner l’alarme.

Babylone future
La scène représente un enfant aidant son père à décharger la voiture familiale. Tout en portant les paquets le quadragénaire explique à son fils combien l’abonnement Canal Satellite est riche de possibilités. L’enfant laisse rouler quelque chose sur le trottoir et s’écrie : « Sorry Daddy ! »
Pour ce trait de niaise soumission à l’esprit du temps le gamin mériterait d’être réprimandé, mais au contraire, son père le félicite et lui dit : « Tu vois ? Tu parles déjà anglais. »
Et sur quoi, je vous prie, anticipe ce déjà ?
Ce père de famille évoque l’avènement d’une Babylone future où des adolescents portant la casquette en arrière iraient déposer des citrouilles dans les cimetières à la Toussaint, et où Petit Papa Noël serait, à jamais, remplacé par les clochettes de Jingle Bells. On y communierait, dès l’âge de dix ans, dans la pratique de l’anglais bas de gamme, en disant yes ! okay, super, wow, cool, just-too-cool, à tout bout de champ. Bref tout se passerait, dans cette cité idéale, comme sur Canal Plus à la belle époque, celle où Jean-Marie Messier menait grand train aux frais du capitalisme français.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3436 paru le 4 Octobre 2002

Au-delà de l'écran

Filigrane
L’une de ces émissions d’information thématiques du dimanche après-midi présentait, il y a peu, un reportage affligeant sur le divorce après soixante-cinq ans. On y voyait une vieille dame nommée Bernadette qui allait en boîte de nuit. On se penchait sur le sort de divers personnages du même genre. Mais surtout, on entendait témoigner une grand-mère qui venait de quitter son mari septuagénaire lequel répétait, la gorge nouée et l’œil humide, qu’il aimait toujours sa femme et qu’il n’avait encore rien compris.
« Il y a tout de même des souvenirs entre vous, des moments heureux ? », demandait le journaliste, insistant, à la vieille dame évasive. « Oui, répondait-elle, mais des souvenirs gommés, des souvenirs dans la brume, enfin pas grand-chose. » Les enfants du couple, navrés, hochaient la tête. On revoyait le regard d’épagneul du mari, un ingénieur, souvent absent certes, mais pas plus que les autres, et qui disait : « C’est comme ça. »
Alors au bout d’un quart d’heure, un doute surgissait. On voyait apparaître en filigrane le dessin d’une vérité importune. Cette vieille dame répétait tout le temps « quelque part » comme une intellectuelle rive gauche. Elle hochait la tête d’un air déterminé. A bien la regarder, sa détermination avait un côté masculin qui attirait l’attention sur le reste : la coiffure grise, dégagée sur les oreilles et dégradée sur la nuque. L’absence de maquillage et de bijoux. Le profil d’oiseau de proie. Les gestes brefs, la voix grave, la veste grise, le gilet sans manches. On n’en apprenait pas davantage mais soudain on se disait que sa vocation tardive pour le célibat avait dû être induite par une rencontre ou une lecture. Une biographie de Nathalie Barney par exemple.

L’ai-je bien entendu ?
Chez Julien Courbet lors d’une émission sur les cambriolages, un malfaiteur de dos : « Oui j’ai tiré, lors d’un braquage, c’était un pompiste, je ne sais pas s’il est mort ou vivant, je préfère ne pas y penser… c’est sûr, c’est de l’argent facile, je fais aussi des distributeurs, ça me rapporte 70 000 par mois environ, mais je vois mal mon avenir, c’est un métier à risques. »
Autre morceau d’anthologie, sur le viol en banlieue : « Delphine a décidé de porter plainte contre ses agresseurs. Ses parents, martyrisés par les amis des violeurs, ont dû changer de quartier mais l’entourage des jeunes gens ayant retrouvé leur trace, ils vont devoir déménager de nouveau. »
Et si on se décidait, en cas de représailles de ce genre, à menacer l’entourage des violeurs de peines spectaculaires, écrasantes, afin de montrer que l’intimidation de proximité est résolument hors la loi en France ?
Faute de montrer ce courage, nous nous exposons à voir l’avènement d’une société où tout repose sur le principe de l’omerta et du règlement de comptes. Après deux cents ans de droits de l’homme, il y a peut-être un meilleur sort que d’être attendu le matin par une “bande de jeunes” au pied de son escalier.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3437 paru le 11 Octobre 2002

Au-delà de l'écran

Faut-il consulter ?
Le bouquet TPS vient d’accueillir Fox News (chaîne 206), le pendant populiste de CNN. Les anglophones de chez nous devraient regarder vivre ce monde-là, afin qu’il ne devienne jamais le nôtre. Voici pourquoi.
Nouvelles du matin. On nous annonce la diffusion d’une séquence tournée sur le parking d’un supermarché. Une mère de famille approche de sa voiture une clé à la main. L’autre bras est chargé d’un sac en papier rempli de produits alimentaires. Autour d’elle, sa fillette de quatre ans bondit et lui échappe au lieu d’entrer dans la voiture. La mère pose les paquets en hâte sur le siège, rattrape la fillette au moment où elle s’apprête à courir dans l’allée du parking. L’enfant est agrippée sans ménagement, giflée, poussée dans la voiture où elle se livre à ce qu’on appelle chez nous un caprice, ce qui lui vaut une nouvelle volée parmi les yaourts. La mère claque la porte et s’installe au volant. Durée de la scène : dix secondes.
Durée de la garde à vue : dix heures. La mère est privée de ses trois enfants, aussitôt placés en foyer d’accueil malgré l’existence d’une famille et d’une belle-famille légitimes. Elle est libérée sous caution pour être livrée en pâture aux caméras le jour suivant, entretien qui fait l’objet de bandes-annonces pendant plusieurs heures sur le ton : ne manquez pas, ce soir, les explications de la mère indigne, en exclusivité. Le soir venu, la malheureuse en pleurs explique : « Je n’ai rien d’un monstre, ce jour-là Martha sautait partout, elle ouvrait toutes les boîtes de Barbie, j’ai perdu patience, je n’aurais pas dû, d’ailleurs je me suis excusée dès la sortie du parking. »
Le lendemain, même cirque (reportages en direct, interviews fébriles) sur le cas d’un passager aérien jeté en prison pour avoir transporté dans sa trousse de toilette une paire de ciseaux plantée dans un savon. Le malfaiteur a eu beau expliquer qu’ainsi ses ciseaux ne risquaient pas de percer le tissu, le montant de sa caution a été fixé à 100 000 dollars et le juge n’a rien voulu savoir. Idem pour le steward français de Virgin qui a signalé une menace d’attentat gribouillée sur la glace des toilettes lors d’un vol Londres-Miami : Sept à huit nous le montrait en train de bachoter son procès. Son avocat lui conseillait explicitement de plaider non sur les faits, mais sur son amour de l’Amérique.
En refermant le livre de Jean-François Revel sur “l’obsession antiaméricaine” on avait presque envie d’aller se faire soigner, mais après cette série d’indices j’ai décidé, pour ma part, de ne pas consulter immédiatement.

Ancien Régime
On ignore si le policier Sœur Thérèse.com (avec Dominique Lavanant et Martin Lamotte) est destiné à devenir une série, mais c’est écrit et joué par des pros qui s’amusent, et non par des amateurs qui pérorent. En d’autres termes, les productions tournées sous Lionel Jospin (Le juge est une femme, Cordier juge et flics, etc.) commencent à faire Ancien Régime.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3438 paru le 18 Octobre 2002

Au-delà de l'écran

Tapie à la “Starac”
Quelle pitié que de voir Bernard Tapie parasiter l’audience de Star Academy ! On finirait par croire que la sienne s’épuise et on aurait raison. L’expression “glisser dans les profondeurs du classement”, qui s’applique au football, risque de s’étendre à son Audimat s’il continue à apostropher les invités d’A tort ou à raison sur le ton : “Ecoutez, je vais vous dire, hein, moi, ce que j’en pense.” Visiblement, il ne se doute pas que tout le monde se fiche de l’apprendre. En tout cas, les pensionnaires du prytanée de la chansonnette (que son présentateur appelle désormais la Starac) n’en revenaient pas de le voir débarquer, dans leur salle à manger, pour une leçon express sur le thème : “Il importe de savoir communiquer avec ceux qui vont vivre l’échec.”
Excellent sujet en effet. Le propos était tellement téléphoné et la séquence si brève que la direction de TF1 a dû inspirer cette visite éclair de Tapie afin de sauver les meubles (nous savons qu’il s’y entend). Le présentateur nous a obligeamment rappelé que l’émission A tort ou à raison attendait notre visite.
Puis il a lancé Céline Dion dans une série de duos avec les élèves de la Starac véritable épreuve car ils chantent faux pour la plupart. Ensuite, entre deux couacs, le sémillant Nikos a poussé des “Wou !” qui rappelaient, de manière affligeante, les habitudes des chauffeurs de salle à Las Vegas. La présence de Céline Dion lui a permis de donner dans le cliché en anglais (“The show must go on”). Il a dit, à un autre chanteur « ne changez rien, c’est top » et lui a demandé, toujours en anglais, s’il était plus facile de jouer au basket que de chanter en direct à la Starac, le tout avec traduction simultanée à l’usage des maladroits qui seraient restés francophones.
Après quoi, les élèves ont posé à Céline Dion des questions originales, du genre : “Durant toute votre carrière, quel est votre plus beau souvenir ?” (sic) La réponse évoquait de si près les sketches de Laurent Gerra qu’on finissait par se demander s’il n’était pas l’auteur du scénario de la soirée.

Belle marquise
Philippe Barthelet a-t-il déjà relevé la propension à l’inversion des termes, des adverbes et des propositions dans le bavardage télévisuel ? Voici des exemples récents pour nourrir le dossier : « Une carcasse qu’ils aimeraient voir disparaître, pour un jour pouvoir oublier. »
Et pourquoi pas « pour pouvoir oublier un jour » ?
Même verlan syntaxique dans l’expression « sans pour l’instant l’aide de l’Etat » ou dans « pour définitivement marcher sur les traces de leurs illustres aînés ».
On a pu relever, au journal de TF1, la phrase suivante, qui se voulait une conclusion et s’achevait par un point : « Une chose est certaine, ce sont dans ces quartiers populaires où les stigmates restent le plus visibles. »
Belle marquise, d’impatience vos pataquès trépigner me font.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3439 paru le 25 Octobre 2002

Au-delà de l'écran

Absolu et résolu
L’émission s’appelle Ça peut vous arriver. Elle n’est pas méchante en apparence, puisqu’elle nous montre des maux auxquels nous sommes, pour la plupart, convaincus de pouvoir échapper : la soumission aveugle à une secte par exemple. Il s’agit de mésaventures si exceptionnelles qu’on les écarte aisément de son imagination.
Du titre, on se défait moins vite. Il est difficile de ne pas l’appliquer aux attentats dont il est question aujourd’hui : celui du RER dont le procès est en cours, celui de Bali. Certes l’énormité de ces événements les rend encore faciles à conjurer par l’inconscient collectif, mais il est une autre forme de danger que l’esprit se représente de mieux en mieux. Ce danger est de loin, et de tous, le plus préoccupant : le besoin d’enrayer la machine se démocratise à toute allure.
Les chaînes américaines, Télématin et le journal de TF1 se penchent en ce moment avec une horreur compréhensible sur le cas du tireur fou de Washington. Quiconque réfléchit à cette histoire est saisi de vertige. D’abord l’assassin, qui signe “Je suis Dieu”, s’inspire d’un film diffusé trois jours avant le premier meurtre, nous rappelant ainsi la longue liste des crimes perpétrés en référence à une œuvre de fiction.
Mais surtout, si ça peut vous arriver, ce n’est plus seulement en tant qu’individus. Les sociétés commencent à mesurer qu’elles ne peuvent rien contre un désir de nuire absolu et résolu. Le seul remède qu’elles aient trouvé pour l’instant est de rebaptiser malveillance les actes criminels. C’est la méthode française. Elle se pratique beaucoup dans les chemins de fer. La méthode américaine consiste à demander (sans rire) aux cinq millions d’habitants de Washington de se déplacer en zigzag dans la rue. Si les snipers se multiplient, il va falloir zigzaguer entre les sacs de sable. Et si le risque bactériologique ressurgit, ce sera avec un masque à gaz. Mais personne n’aura le droit de parler de guerre civile pour autant.

Sous Ponce Pilate
Retour des Bogdanoff, les duettistes high-tech en combinaison alu. La presse révèle un détail intéressant : dans leur jeunesse leur famille était fort liée à celle de Guy Béart lequel, comme on le sait, fut d’abord ingénieur avant d’écrire de jolies chansons et d’être invité chez les Pompidou (peut-on cumuler à ce point les imprudences !). Banni des plateaux pendant les années de plomb, il fut réputé n’avoir aucun talent par décret de Ponce Pilate. Les jumeaux Bogdanoff, chassés comme lui, reconnus comme surdoués (après avoir été élevés dans un château, pour comble de scandale), furent livrés à la populace et accusés de plagiat. Je n’ai pas la date en tête et n’ai guère eu accès au dossier. Mais que l’on considère la bonne foi qui régnait en France dans ces années-là et le doute leur devient favorable.
Il l’est encore davantage si l’on songe qu’ils faisaient de la cosmologie sur la chaîne d’On a tout essayé.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3440 paru le 1 Novembre 2002

Au-delà de l'écran

“Mani pulite”
Il y a les déboutés du droit d’asile et ceux du droit de savoir. C’est ce que nous expliquait, à propos de l’immobilier sur la Côte d’Azur, l’émission de Charles Villeneuve dont le titre n’a jamais été aussi bienvenu. On a vu un maire se plaindre de la paresse de la DDE, administration au fonctionnement mystérieux qui se déplace à contrecœur pour constater les infractions une fois sur quatre et qui laisse acheter, par des innocents, des terrains inconstructibles pourtant déjà construits bâtiments dont elle n’a pas su empêcher l’érection, mais dont elle exige la destruction dix ans plus tard, quand les propriétaires ont changé et quand l’application de la loi équivaut pour eux à une spoliation.
Il est fréquent toutefois qu’elle fasse preuve de zèle quand les caméras tournent : « Quelques jours après notre première visite, disait le commentaire, gendarmes et DDE viennent recenser les constructions illégales. »
On voit en effet apparaître une équipe de messieurs dont le chef se fâche contre l’équipe de tournage. La scène respire la mauvaise foi, le corporatisme administratif et la raison d’Etat.
Lorsque la mode mani pulite aura débarqué en France, les juges sauront certainement par quoi commencer, mais on aimerait aussi qu’ils sachent par qui. Si la puissance publique ne consent pas à restaurer l’image de vertu et d’équilibre chez les agents de l’Etat, elle s’expose aux mêmes déboires que les parents dépassés par leurs enfants. Car le plus souvent, insolence et violence n’expriment pas la haine de l’ordre établi mais le désir de le faire rétablir.

Finesse néanderthalienne
A dix minutes d’intervalle, TF 1 vient de nous offrir un condensé des contradictions dans lesquelles se débat notre société en matière de violence.
Première séquence, un reportage complet au journal sur un couple de policiers obligés de déménager pour échapper aux menaces, représailles et insultes dont les accablent ceux qu’ils sont censés poursuivre.
Deuxième séquence, un homme humilié par les quolibets de ses voisins. Au marché, au café, il subit tous les affronts. On le voit hâter le pas sur le trottoir et se précipiter vers une cabine téléphonique, d’où, toujours poursuivi par ses voisins haineux, il appelle son agent pour lui dire : « Les rôles de salauds dans les feuilletons, je n’en veux plus. » Et l’agent lui répond, furieux : « Va expliquer ça au juge, enfoiré ! »
Brève explication de texte : par ce film d’une finesse néanderthalienne, TF 1 prétend assurer la promotion de son “polar du jeudi” en banalisant des rapports sociaux de type mafieux à une heure de grande écoute. Si on leur reproche de pratiquer les usages de la meute, les adolescents “en difficulté” devraient pouvoir en tirer argument devant le juge. Mais je me demande si le rôle d’une chaîne de télévision est de les répandre aussi ingénument.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3507 paru le 13 Février 2004

Au-delà de l'écran

La princesse d’Aubervilliers
L’interview que Clotilde Courau, princesse de Savoie, a livrée à Sept à huit m’a rappelé un souvenir désagréable. Le petit scoop qui va suivre en dit long sur les rapports de la nouvelle altesse avec
la morale ordinaire qu’on appelle civilité. Sans parler de l’autre, plus générale, plus généreuse, à laquelle on se doit d’obéir quand on fait partie du gotha, et qui devrait refléter une vision sereine, égale, impartiale, de l’édifice social.
Il y a quelques mois, nous avons fait partie du même plateau chez Ardisson. Moi, pour un pamphlet sur la violence juvénile ; elle, pour un film dont j’ai oublié le nom. Celle qui n’était pas encore la “princesse rebelle” m’a contredit sèchement sur le thème : “Je n’ai jamais subi d’autorité, et pourtant voyez comme je suis devenue recommandable.” A quoi j’ai répondu : « Vous êtes comédienne, vous avez donc déjà subi l’autorité d’un metteur en scène. » Cette réplique a été coupée au montage.
Chez Ardisson, la balance penche toujours du côté des favoris de la production. Clotilde Courau a communié dans le mépris avec le chanteur de NTM, Joey Starr, lequel s’est adressé à moi en disant textuellement : « J’vais t’dire, mon frère, t’as un p’tit slip ! » Ensuite la jeune actrice s’est penchée vers lui d’un air de contentement goguenard, elle lui a dit un mot, elle m’a désigné du menton et son regard a balayé le plateau en quête d’approbation.
Après quoi encore Ardisson a jugé bon de l’asseoir à ma droite où elle a remplacé Olivier de Kersauson qui a dû quitter l’émission. Mlle Courau a aussitôt requis contre moi un surcroît de sévérité de la part
des procureurs qui m’entouraient.
On eût dit une impératrice romaine réclamant la mise à mort d’un philosophe. Mais tout cela n’est rien encore auprès de la conclusion. Quand j’ai quitté à mon tour mon tabouret après un quart d’heure, sa future altesse m’a tourné le dos comme une fillette qui ne veut pas dire bonjour. Je lui ai tendu la main, elle l’a refusée.
Si je raconte cet épisode, c’est afin de mettre cette grossièreté en rapport avec ses propos de l’autre dimanche sur le rôle et la dignité des princesses. « Princesse, j’ai encore du mal avec cette information », nous a-t-elle confié. Nous aussi. (Nous avons déjà du mal avec sa syntaxe.) Quand elle explique qu’elle est gênée de voir des femmes âgées lui faire la révérence, c’est qu’elle n’a pas compris grand-chose à la nature
du prince.
Quand elle nous dit « chui pas évidente à vivre tous les jours, mais ch’trouve ça chouette de la part d’Emmanuel de m’avoir épousée », on a envie de croire qu’elle plaisante. Et quand, du haut de ses trente-quatre ans, elle prétend “rester elle-même”, on se demande au nom de quoi. Si rester soi-même consiste à hurler avec les loups quand un agneau vient de tomber dans l’arène, on n’aimerait pas voir cette princesse d’Aubervilliers régner sur l’Italie. Parce qu’elle en a parlé aussi, figurez-vous…
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3382 paru le 21 Septembre 2001

Au-delà de l'écran

Le film des événements
Une comparaison hâtive avec les émissions spéciales sur l’attentat de New York révèle les insuffisances de la méthode française : aux Etats-Unis, le texte est souvent présent à l’image, il n’est pas rare que le rappel des faits fasse l’objet d’un banc-titre entre les plans (CNN). Sur NBC, ABC et Fox, c’est parfois un tiers de l’image qui est consacré aux dépêches pendant que le présentateur parle, et quand on nous propose de « revoir le film des événements », on sait qu’il s’agit d’une récapitulation.
Durant le direct de Patrick Poivre d’Arvor, la première tour du World Trade Center s’est effondrée sans que visiblement les gens sur le plateau comprennent ce qui se passait. Ensuite, on a revu dix fois l’arrivée du deuxième avion, puis l’effondrement de la deuxième tour. Et c’est là qu’on apprenait que l’autre était tombée aussi. A quoi il fallait comprendre encore que le plan fixe, interminable, sur les malheureux employés enjambant les fenêtres, n’était pas du direct mais datait d’une demi-heure. Ils étaient donc tous morts. L’ennui c’est que la chaîne « venait de recevoir les images ». C’est cela, sans doute, qu’elle appelait du direct. Un téléspectateur débarquant sur la chaîne vers 16 heures ce jour-là déclarait encore « il faut faire quelque chose pour ces gens », alors qu’il n’y avait plus rien à faire. Il aurait suffi d’un bandeau pour nous le dire. Mais comment exiger pareille prouesse de la rédaction alors qu’elle n’est pas capable d’employer, à l’incrustation vidéo, quelqu’un qui sache orthographier les noms propres ? Pendant toute la soirée, Newark est devenu Newarck sur les cartes, ce qui n’est pas un crime mais une faute : il suffisait de taper le début du nom sur Internet pour savoir comment l’épeler. Mais en régie, sait-on seulement consulter Internet ?

La leçon du film
Dans quelques semaines, après bien des plateaux et des débats, les commentateurs finiront par trouver le grand remède à ce genre de crises.
Multiplier les représailles ? Redéfinir notre politique étrangère ? Mettre les réservistes en alerte ? Chercheront-ils à nous convaincre que les scénarios de destruction de villes entières par l’atome sont devenus plausibles ? Prescriront-ils un retour des enquêtes sérieuses sur l’immigration ? Critiqueront-ils le plan Vigipirate (qui protège les poubelles, les gares, les aéroports, les Galeries Lafayette et la tour Eiffel mais n’empêche personne de faire sauter trente supérettes de villes moyennes en un quart d’heure) ? Non : il est probable que la grande découverte, ce sera l’avion au cockpit doté d’un guichet blindé comme les banques. On nous a déjà fait le coup dans les autobus de banlieue : extirper la violence suppose d’avoir compris qu’on est malade, donc de montrer du courage. Installer des cages de verre pour protéger les chauffeurs, c’est lâche, peut-être, mais quel soulagement de croire qu’on est guéri !
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3441 paru le 8 Novembre 2002

Au-delà de l'écran

Chiens d’infidèles
Il est parfois utile de regarder les chaînes américaines pour corriger les oublis des nôtres. Au sujet des “combattants tchétchènes”, l’exercice devient indispensable. Le fait que les membres du commando de Moscou aient libéré, dans les premières heures, outre quelques femmes enceintes et une poignée d’enfants, les musulmans présents dans la salle, a été rapporté scrupuleusement par CNN. La précision n’a pas effrayé non plus les radios françaises, lesquelles ont pourtant laissé s’exprimer nombre d’auditeurs sur le thème : “Pourquoi accabler l’islam ? Ce n’est pas parce que les femmes du commando portent une cagoule qu’il faut parler de tchador” etc. A quoi Michel Field (Europe 1) n’a pas cru bon de répondre que la libération de musulmans était un puissant indice, mais passons.
En tout cas cette libération révélait le peu de cas que font les activistes des “chiens d’infidèles” que nous sommes. Quant à la télévision, on ne peut pas dire qu’elle en ait beaucoup parlé. On peut même dire le contraire. Sauf erreur de ma part, elle n’en a pas parlé du tout.
Pour connaître la vraie nature du combattant tchétchène, il fallait donc se reporter une fois du plus au remarquable reportage de Christiane Amampour sur CNN : pendant plus d’une heure nous avons eu droit à des confessions de soldats russes qui témoignaient que leurs compagnons tombés aux mains de l’ennemi étaient découpés en morceaux tout vivants, éventrés au soleil, pendus avec leurs tripes, etc., le tout fort explicitement au nom de l’islam, et aux cris d’Allah Akhbar par des gens qui, par ailleurs, se livrent au trafic de drogue, de femmes, de matières radioactives et de pièces de rechange jusqu’au Pakistan. Ils infestent la vie sociale russe d’une criminalité endémique depuis deux siècles et Dostoïevski rapportait déjà qu’ils écorchaient vifs les agents de l’empire. Ce qui n’empêche pas nos médias de nous parler à tout bout de champ de la barbarie russe et du martyre tchétchène.

Rebelles de salon.

Causerie matinale sur Europe 1 entre Benjamin Castaldi et son invitée. L’émission est fondée sur un test en direct. Par chance pour les participants il ne s’agit pas d’un test d’intelligence mais de personnalité. Et ce jour-là le thème était : “Etes-vous rebelle ?”
Il fallait entendre l’invitée, rédactrice en chef sur une chaîne publique de télévision, qui naguère n’hésitait pas, dans son émission matinale, à recevoir quatre ministres de Lionel Jospin dans la même semaine, conclure qu’elle était « plutôt du genre rebelle ». Pour vous donner l’échelle, ce serait comme si Philippe Sollers se présentait comme un écrivain pauvre et maudit.
Mais surtout, quand on y réfléchit, il conviendrait de se demander si la rébellion permanente, vécue, décrite, promue comme une nécessité par toute une génération (celle de 68), n’explique pas qu’une grande partie des enfants d’aujourd’hui soit incontrôlable.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3442 paru le 15 Novembre 2002

Au-delà de l'écran

Chantiers de jeunesse
Imaginez un pensionnat qui recevrait des post-adolescents ou de jeunes adultes “en recherche”. A l’arrivée, une seule valise autorisée. Confort décent mais spartiate : dortoirs de six. Garçons et filles séparés. Décoration de style réfectoire.
A 7 heures, réveil au clairon. Le professeur d’éducation physique tirerait tout le monde du lit avant le jour, pour obliger les pensionnaires à courir dans le parc, qu’il vente ou qu’il pleuve. Une demi-douzaine de professeurs seraient chargés des apprentissages en tous domaines. Dès le début des cours, ils harangueraient leurs élèves sur un ton légèrement passé de mode : ici la paresse, la médiocrité, le défaut de volonté ne jouiront d’aucune indulgence. Ceux qui s’abandonneront à la pente du découragement seront aussitôt éliminés. Vous serez notés, comparés, évalués en permanence. Le degré d’exigence que nous vous imposerons doit vous obliger à exiger le meilleur de vous-même. Les contacts avec votre famille et votre entourage seront limités au strict nécessaire. Le soir, extinction des feux à 22 heures. Toutes les semaines, vous subirez un examen. Votre existence entière en dépendra peut-être. Rompez !
A l’énoncé de ce qui précède, un adolescent d’aujourd’hui haussera certainement les épaules en s’écriant : “Et pourquoi ne leur donnerait-on pas un uniforme, tant qu’on y est ?” avant de retourner s’infliger sa dose quotidienne de Star Academy.
Or dans ce qui précède, il est justement question du Saint-Cyr de la chansonnette, de la Légion étrangère des pousseurs de romance : la Star Academy. On aura beau prétendre que la jeunesse plébiscite l’émission parce qu’elle aime les paillettes, il est permis de se demander s’il n’y a pas autre chose de plus profond là-dessous.
Pour ma part, j’observe que les jeunes gens qui vont se coucher à contrecœur, qu’on n’arrive pas à tirer du lit, qui déplorent la sélection à l’école, qui sont insolents avec leurs profs et n’ont aucune ardeur à la tâche, passent désormais une heure par jour devant la Starac, éperdus d’admiration pour un univers où douze de leurs homologues se font botter les fesses du matin au soir. Il faut sans doute y voir le signe que les temps vont changer.

Un pour cent, cent pour un
Combien ça coûte se penchait récemment sur les avatars du “un pour cent culturel”. On nous apprenait que ce pourcentage était voué à l’art contemporain. Entendez abstrait, moderne ; car si un sculpteur se mêlait de proposer à sa ville une statue de jeune fille, son art serait indiscutablement contemporain sans être pour autant capable de décrocher la timbale, faute de modernité.
Dans le cas de la double parabole incrustée de chaises métalliques qui enlaidit la gare de tramway de Montpellier, le prix de la timbale est de 300 000 euros. On s’aperçoit vite que le “un pour cent” profite moins à l’art qu’au commerce et moins au citoyen qu’à l’artiste.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3443 paru le 22 Novembre 2002

Au-delà de l'écran

Génération “Valseuses”
Imaginez un film diffusé sur le service public où deux compères de vingt ans terrorisent des ménagères dans un parking, leur disent « casse-toi la vieille », intimident un couple de bourgeois sur la route des vacances, leur arrachent leur fille, leur voiture, et parviennent à convaincre la demoiselle de les mener jusqu’à la maison de campagne familiale. En arrivant dans ce pavillon forestier, après avoir commenté la décoration des lieux sur le ton du mépris dont les oisifs et les jouisseurs accablent ceux qui achètent leur confort à crédit, ils décident de “se taper la nana”, à tour de rôle avec son consentement lassé, il est vrai, ce qui permet de prétendre qu’on assiste à un déniaisement plutôt qu’à un viol, mais la limite est aussi mince qu’une pelure d’oignon. La scène entend illustrer que la jeunesse obéit à ses propres codes, lesquels prévalent toujours sur ceux des adultes, et qu’elle est, par définition, solidaire contre l’ordre établi.
Ce film, qui nous a été présenté sur fonds publics pour la nième fois par France 3 et en plein vote de la loi Sarkozy, s’appelle les Valseuses. On le qualifie d’“œuvre culte” mais il aura fonctionné pour toute une génération, la mienne, comme une invitation à la barbarie. Il prescrit à la jeunesse de s’affranchir de toute bienséance, par la menace si nécessaire, et nous montre des voyous abordant des gens ordinaires avec le sourire du tortionnaire. Il nous présente une humanité juvénile sûre de son droit, celui du plus fort, prête à l’appliquer, prête à pratiquer sur autrui ce que Platon appelait le début de la tyrannie.
Parallèlement Paris-Match nous annonce les retrouvailles entre Depardieu et son fils, après trente ans de négligences et d’indifférence. Un film “dérangeant” nous dit-on, les réunit, qui aide à mieux comprendre le chemin parcouru, à lever les malentendus, à faire le point, etc. On aimerait que notre Falstaff, désormais abonné à la Gazette de Drouot, propriétaire de vignobles et membre de la jet-set, nous dise ce qu’il compte faire pour restaurer l’équilibre de la génération “Valseuses”.
S’il désavouait le film et si le service public renonçait à le programmer, ce serait déjà un commencement.

Boîte à idées
Le ministre de la Culture semble chercher des idées pour sa télévision de service public. S’il est permis de distraire quelques lignes de cette chronique pour donner de l’imagination à ceux qui garnissent la boîte à images, pourquoi France Télévision ne ratisse-t-elle pas dans le jardin de la Star Academy en organisant un concours de création, dans un esprit voisin de la défunte Course autour du monde, afin de révéler les génies de la réalisation et de la mise en scène dont elle a tant besoin ? Quand on mesure le talent déployé pour un simple clip musical, quand on voit la modicité des coûts du matériel numérique, on se demande pourquoi la production télévisuelle publique chez nous reste molle et oligarchique.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3444 paru le 29 Novembre 2002

Au-delà de l'écran

Clark a quitté la ville
Nombreux sont les lecteurs qui par lettre auront essayé d’orienter cette chronique vers un sujet qu’elle n’a jamais abordé : les feuilletons à l’eau de rose, qu’à bien des égards on pourrait prétendre à l’eau de boudin car c’est ainsi qu’ils tournent en général.
Dans ce genre difficile, ce ne sont pas les artifices de scénario qui sont intéressants à relever, mais les tics comportementaux et verbaux qui finissent par acclimater chez nous des usages ridicules. En voici quelques exemples.
Sharon et Victoria sont seules dans une pièce meublée comme un appartement témoin. Sharon, debout, le coude dans une main, affecte une attitude de perplexité profonde, Victoria, assise, rumine des pensées sombres en lui tournant le dos. Soudain Sharon décide de crever l’abcès : « Vic, veux-tu qu’on en parle ? » Pour inciter son amie Victoria à lui ouvrir son cœur, elle lui masse délicatement les muscles trapèzes des deux pouces et profère une allusion obscure.
Victoria se retourne et réplique : « Hé, attends une minute ! Qu’est-ce que tu veux dire ? »
A quoi Sharon protestant de sa bonne foi répond : « Mais je t’assure, je croyais que Clark avait quitté la ville. »
Pour le quadragénaire pressé qui vient embrasser ses parents entre deux rendez-vous et qui les trouve plantés devant le poste à 14 h 30, le caractère sibyllin de la situation est toujours le même depuis neuf ou dix ans. Ce qui a changé, c’est qu’on commence à dire « Hé, attends une minute ! » dans les cafés, que les adolescents menacent de quitter la ville quand on leur dit d’aller réviser leurs mathématiques et que les filles de quinze ans trouvent leur petit ami “très spécial” comme dans les Feux de l’amour. Ce qui a changé, c’est que le couple idéal, la grand-mère intrigante, la demoiselle qui veut se faire épouser, l’avocate brillante finissent par revêtir, dans l’imaginaire général, les traits de ces héroïnes qu’on dirait coiffées de laitues et qui respirent fort en pressant une main couverte de bijoux fantaisie sur un décolleté fuschia. Ce qui devient ennuyeux, c’est d’entendre valser les millions de dollars dans les lounge-bars des grands hôtels.
On aimerait que pour une fois les protagonistes s’appellent Suzette ou Léon. On aimerait qu’ils montent une brasserie dans le vieux Colmar. Pour leurs vacances ils iraient passer une semaine à Budapest au lieu d’Atlantic City. Ça nous ferait des vacances, à nous aussi.

Renvoyons la censure
Elisabeth Lévy, auteur des Maîtres censeurs, préfère les vérités qu’elle observe à celles qu’on lui recommande. Lors d’une émission d’Ardisson sur Paris Première, à l’instant d’interroger l’écrivain Renaud Camus, elle a tenu à préciser qu’à son avis il ne méritait nullement d’être soupçonné d’antisémitisme. Cette précision liminaire a sauté au montage. C’est un peu comme si la grâce du duc d’Enghien avait servi à cirer les bottes du peloton : l’histoire s’en serait souvenue. Nous nous en souviendrons.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3445 paru le 6 Décembre 2002

Au-delà de l'écran

La noblesse du direct
La semaine passée je révélais, pour l’avoir entendu raconter par sa victime, la mésaventure suivante : un écrivain français, invité chez Ardisson sur Paris Première, voit couper au montage une déclaration d’Elisabeth Lévy, laquelle balayait l’accusation d’antisémitisme qui pesait sur son invité. Alain Finkielkraut se répand lui aussi dans la presse depuis deux ans pour lever la fatwa lancée sur Renaud Camus car c’est de lui qu’il s’agit. Mais les ayatollahs de Saint-Germain-des-Prés ont des agents jusque chez Rive droite Rive gauche, et la production vient donc de détruire une pièce essentielle à la défense (dans une affaire qui, rappelons-le, équivaut pour un écrivain à une sentence de mort sans jugement).
Cette omission délibérée, qui ressemble au faux patriotique destiné à accabler Dreyfus, a fait quelque bruit dès le lendemain. Pour apaiser les premières rumeurs, Thierry Ardisson a décroché son téléphone afin de proposer à l’accusé une autre invitation, dans l’émission Tout le monde en parle (de plus en plus mal nommée). J’ai interrogé Camus sur le déroulement de ce deuxième enregistrement. Voici sa réponse : « J’ai cité les propos d’Elisabeth Lévy et j’ai ajouté, à l’adresse d’Ardisson : “Vous avez fait disparaître son intervention en ma faveur”. »
Or cet échange-là, personne ne l’a vu non plus dans Tout le monde en parle. Eh bien, il faudrait justement qu’on en parle. Il faudrait que les intellectuels français qui gardent un peu de courage écrivent une adresse au ministre de la Culture afin de lui signaler que la télévision, dont l’importance est considérable dans la vie intellectuelle du pays, procède désormais à une dénaturation, à une castration systématique des propos qu’elle recueille.
Lors d’une autre émission qui nous réunissait récemment sur France 3, de nombreux passages d’un entretien avec Jean-Jacques Aillagon ont sauté pour ainsi dire sous son nez.
Exit la mention d’une thèse universitaire ayant servi de base à l’un des livres présentés ce soir-là (livre dont l’un des objets était précisément de la tirer des oubliettes de la Sorbonne. On peut la trouver sur www.editions-universelles.net/these-histoire.html).
Exit la mention du fait qu’un affairiste français ait acheté la vidéo de l’exécution des Ceausescu pour la revendre au monde entier. Cette précision utile au débat a sauté au montage bien qu’elle fût parfaitement en rapport avec le sujet.
Comment peut-on croire que les universitaires et les chercheurs de demain, lorsqu’ils se pencheront sur la vie de l’esprit à notre époque, ne jetteront pas une lumière crue, féroce sur les lâchetés décrites ci-dessus ? Leurs auteurs seront confondus comme Du Paty de Clam pendant l’affaire Dreyfus. Si ces quelques lignes y contribuent j’aurai fait œuvre pie.
Mais si le ministère, par circulaire, restaurait la noblesse du direct, ce serait encore mieux.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3446 paru le 13 Décembre 2002

Au-delà de l'écran

De Dumas à Pouchkine
L’entrée au Panthéon d’Alexandre Dumas fut un coup de tonnerre dont l’écho résonne encore dans nos mémoires abasourdies.
D’abord nous avons appris que Dumas fut un grand métis autant qu’un grand écrivain. Nos historiens de la littérature croyaient qu’il suffisait de l’honorer pour son génie mais non, il fallait encore qu’il le fût malgré ses cheveux crépus. Pour un peu, on nous convaincrait que sa carrière a failli être compromise par la couleur de son teint. Il a triomphé pendant un siècle et demi, il vécut longtemps comme un nabab, il est encore unanimement considéré comme un prince des lettres, mais il s’en est fallu d’un poil pour que ce fût le contraire.
On pourrait appliquer le même raisonnement spécieux aux Russes et à Pouchkine. Certes, de Moscou à Vladivostok on adore le grand poète, mais on va nous expliquer à présent qu’avec leur vieux fond xénophobe et orthodoxe, les Russes (ces quasi-Serbes !) ne devraient pas vénérer un homme de génie qui avait un quart de sang noir. En somme, ils auraient pu faire un effort pour coller davantage à leur mauvaise réputation.
La vérité, c’est qu’il n’existe aucune réticence des Français à l’égard de ceux qui font la grandeur de la France, quelle que soit leur couleur. Prétendre le contraire, c’est souffler sur un tas de cendres. C’est vouloir rallumer le feu pour jouer les pompiers.
Par ailleurs l’événement du Panthéon nous aura permis de revoir, gravée sur le cercueil de Dumas, la phrase célèbre : « Tous pour un, un pour tous. »

Tous contre un
Quand on y réfléchit à la lumière de ce qui se passe à la télévision, le précepte à la mode est exactement le contraire. Il y a trente ans et depuis plusieurs siècles, la source de l’héroïsme était le sacrifice pour le salut d’autrui. Une escouade de soldats pouvait affronter les plus graves périls pour sauver l’un des siens.
Or depuis le Maillon faible et autres Star Academy le principe ne consiste plus à réintégrer l’élément en danger, mais à le mettre en danger davantage afin de l’exclure plus sûrement.
C’est une loi observable chez la plupart des animaux. Les canaris qui blessent leurs congénères malades vont jusqu’à les tuer pour affermir la structure du groupe. Dans Koh Lanta, c’est la même chose. Quand on voit la faveur dont jouissent les émissions-jeu-de-massacre, il est permis de s’inquiéter.
Le principe de la civilisation chrétienne, dont notre système est issu, n’a jamais été “tous contre un”. C’est pourtant celui qui triomphe dans les esprits. Il n’est que de mesurer le sort médiatique fait à l’octogénaire qui a causé le dramatique accident de Loriol. Son emprisonnement relève de l’exorcisme et l’accusation d’assassinat, en l’espèce, de l’abus de droit.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3447 paru le 20 Décembre 2002

Au-delà de l'écran

Le sens contaminé
Les rapports pleuvent sur le bureau de Jean-Jacques Aillagon à propos de la violence télévisuelle : Blandine Kriegel, Catherine Clément, et désormais Claire Brisset. Le cas de la dernière mérite une attention particulière, non seulement parce que ses conclusions ont été commandées par le ministère de la Justice, mais parce que son titre officiel est “défenseure des enfants”.
Oui, vous avez bien lu. Nous faillîmes, nous-même, en tomber par terre. Ce titre qui méprise l’usage au bénéfice d’on ne sait quelle parité grammaticale, rappelle tellement la France niaise et raisonneuse de Lionel Jospin que nous lui préférerons celui d’avocate.
Claire Brisset, avocate de l’enfance, se propose, nous dit-on, de « créer un nouveau seuil de classification des produits audiovisuels, situé à six ou sept ans », en plus de ceux déjà utilisés.
Après bien des tâtonnements, on approche donc de l’essentiel. La perception que la jeunesse se forge du monde qui l’entoure commence à l’âge le plus tendre. Autrefois il était d’usage dans les familles de ne juger personne devant les enfants, de ne dire aucun mal de ses voisins en leur présence, de leur épargner l’écho des querelles de famille. Aujourd’hui, c’est par millions que les moins de cinq ans sont abreuvés de laideurs. Certains parents divorcés, non contents d’avoir infligé leurs disputes à leur progéniture, essaient de s’en justifier devant elle. Ils prennent leurs bambins pour confidents de leurs misères et de leurs doutes. Cela relève du viol.
Dans ce contexte, que fait la télévision ? Pour parler crûment, elle en rajoute une couche. Le scandale du sens contaminé mériterait un procès fleuve. On devrait construire un palais de justice spécial, doté d’une salle de projection, pour visionner l’audit des trente dernières années. Il ne suffit pas de déplorer la violence, ni de dénombrer les scènes où l’on brandit une arme.

Morale sociale spécieuse
Il faudrait aussi analyser l’influence d’un film comme Elisa, diffusé un dimanche soir sur la première chaîne française. Un film où l’on voit une lolita séduire son père naturel pour le punir de l’avoir abandonnée. Un film où elle humilie ses grands-parents pour blâmer leur aveuglement. Un film où elle fait chanter un père de famille en jouant les prostituées mineures. Les enfants ont vite fait de comprendre ce genre de messages. A sept ans le mal est fait : leur vision du monde est altérée au nom de cette morale sociale spécieuse qui consiste à leur montrer le pire pour les rendre plus forts. En vérité dans la plupart des cas la télévision les rend plus faibles. Quand elle ne banalise pas le crime, elle répand le soupçon. Elle donne l’exception pour la règle. Elle empoisonne le jugement des plus jeunes sur leur entourage.
Ira-t-elle jusqu’à leur inspirer des idées de vengeance ? Le film Elisa s’y emploie fort expressément.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3449 paru le 3 Janvier 2003

Au-delà de l'écran

Un plan médias
Un lecteur m’adresse l’extrait d’un numéro de Marianne où Guillaume Durand reproche à Thierry Ardisson sa liberté d’allures. Il le rappelle à la modestie (ce qui ne manque pas de sel) et l’invite au respect du service public en lui demandant, à peu près : “Qui t’a fait roi ?”
La question peut être retournée à l’envoyeur. Nous y joindrons un post-scriptum quant à l’avant-dernier Campus. Cette émission pulvérise l’indice de suivisme rive gauche tolérable sur une antenne nationale. La neutralité douteuse de Thierry Ardisson m’a naguère inspiré quelques lignes sévères mais il aura donné la preuve d’un certain pluralisme même s’il reste équivoque. Guillaume Durand, lui, travaille dans l’univoque, à fond et sans complexes. Prenons un cas d’école, le livre sur les “nouveaux réacs” dont il est fort recommandé de parler en ce moment. C’est même un mot d’ordre. Cette campagne de promotion de style Harry Potter s’explique aisément : la gauche entend s’arroger la totalité du discours sur ses propres erreurs. Elle nous a mitonné un examen de conscience public sur le thème : “N’avons-nous pas été trop loin dans la permissivité ?” et elle entend qu’on le sache.

Les barons du bonneteau
Guillaume Durand est là pour nous le faire savoir. Pas lui seul, et pas seulement, mais un peu tout de même, et surtout un peu trop. Le dispositif médiatique mis en place par la gauche se resserre autour de ce genre de “bons éléments” afin d’asseoir l’illusion que ceux qui ont commis les pires sottises depuis trente ans sont les seuls à pouvoir les interpréter. Leurs adversaires sont réputés disqualifiés pour le faire. On se croirait en Chine dans les années 1960. Pour en revenir à Durand, la façon dont son émission titrée Tous réacs ? a servi ce dessein mérite la mention “médiocre”. Il s’agissait de dérouler le scénario de l’autocritique pour dissuader quiconque de réfléchir hors du script. On a eu soin d’inviter les obligatoires (Julien Dray, Daniel Rondeau, Jean-Claude Carrière, etc.) qui ont joué, devant l’opinion, le rôle des barons au bonneteau.
Les auteurs de ce genre d’opérations ridicules ne s’arrêtent pas là ; ils placent leurs agents et leurs relais jusque dans les journaux conservateurs, lesquels affectent en ce moment de leur répondre : Vous avez plastiqué l’école jusqu’à compromettre les chances de réussir chez les enfants de prolétaires, mais c’était une erreur de jeunesse. La preuve, vous nous soutenez désormais quand nous leur envoyons la police.
Et si le but de ce faux débat sur les réacs était banalement, au prix de tous les reniements, de tous les subterfuges, de garder la vedette ? Bébé Cadum, nouvelle vague, maoïsme, nouvelle modernité, réalisme des années 1980, nouveaux réacs, nos parvenus sexagénaires vont bientôt redécouvrir le génie du christianisme.
Quant à savoir si le peuple va mordre à l’hameçon une fois de plus, à mon sens c’est une fois de trop.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3450 paru le 10 Janvier 2003

Au-delà de l'écran

Vœux pieux
Que l’année nouvelle permette à la télévision de devenir le reflet de la nation jusqu’à “autoriser le débat”, comme on dit dans les sections CGT. Que parmi les grandes résolutions pour 2003, on inscrive le projet de remplacer les émissions du genre France Europe Express pour donner une chance aux journalistes de poser les vraies questions. Que France Télévisions instaure, tous les samedis matin pendant trois heures sur France 3, une série Expression directe qui traiterait un seul thème par mois et qui laisserait aux partis, associations et groupes de pensée le loisir de se répondre, de semaine en semaine, sur la base de reportages et par le biais de démonstrations raisonnées, au lieu de se couper la parole après minuit pour un demi pour cent de part de marché.
Voilà, direz-vous, des vœux bien utopiques. Et pourtant ce système a déjà eu cours à la télévision, il y a vingt ou trente ans (on se souvient du fameux film qui permit à Maurice Clavel de caser sa célèbre réplique « Messieurs les censeurs, bonsoir »). Alors que s’est-il passé, depuis cette époque dont personne ne soupçonnait qu’on pût la regretter un jour ? Nous avons assisté à une régression de la liberté d’expression. Les émissions d’opinion louvoient désormais entre les sujets à ne pas aborder, elles se réfèrent sans cesse à la liste des personnes à ne pas inviter, elles doivent se garder des mots à ne pas prononcer. Pour revenir au film réalisé par Bernard Clavel en 1971, il s’achevait par l’image d’une main tentant de résister au débit d’une fontaine. Ce geste finissait par décupler la pression de l’eau : au bout de deux secondes elle jaillissait jusqu’à éclabousser la caméra.
Eh bien, en 2003 les producteurs devraient songer à s’équiper de caméras étanches.

La démocratie de l’insignifiant

Pour s’épargner l’éternel argument : “Vous critiquez mais vous ne proposez rien”, allons plus loin dans l’utopie. Pourquoi ne pas adapter l’instrument télévision à l’exercice même de la démocratie ? Ce qui est frappant, en ce moment, dans la télé-réalité, c’est sa propension à consulter le pays dans le domaine de l’insignifiant et lui seul. On demande aux gens leur avis sur Nolwenn mais pas sur les Balkans.
On objectera sans doute qu’à propos des candidats de Star Academy, les gens ont eu le temps de se faire une opinion, alors que sur les Balkans, le voile islamique, la fiscalité, la Turquie, etc. ils n’ont jamais eu ce loisir. Eh bien, admettons qu’ils puissent s’en forger une, grâce à des reportages contradictoires (ça nous changerait), sur les sujets qui nous intéressent.
Hélas, personne ne veut croire que le peuple soit capable de jugement sur autre chose que le sourire de Miss France. Personne ne veut le croire, sauf le peuple lui-même. Quand il choisit de l’illustrer, on appelle ça l’histoire et il est déjà un peu tard pour la raison.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3508 paru le 20 Février 2004

Au-delà de l'écran

Comme dans un moulin
La France clandestine : ce titre d’un reportage de Droit de savoir avait l’air de coller au sujet à un détail près : il s’agissait très peu de la France. Dans la plupart des cas présentés, notre pays n’avait rien à voir avec ce qu’on montrait à l’écran. Par exemple une coiffeuse de Shanghai qui, mécontente de son sort et soucieuse, disait-elle, de remplir son devoir de mère en permettant à sa fille d’aller à l’université de Pékin, s’installait à Paris avec un visa de tourisme, pour coiffer la communauté chinoise, au noir, et en chinois.
Autre exemple, une bande de passeurs irakiens qui rançonnaient leurs compatriotes à Calais pour leur permettre de franchir la Manche sur l’essieu d’un camion. Et enfin une poignée d’ouvriers portugais, employés sur un chantier parisien par un négrier de Lisbonne. Ce qui frappe, c’est que dans le meilleur des cas, tous ces intérêts exogènes sont parallèles aux nôtres. En d’autres termes, ils ne convergent jamais avec eux, sauf quand la travailleuse chinoise achète sa baguette à la boulangerie. Et dans le pire des cas, les intérêts de ces immigrants sont contraires à ceux du pays où ils sont entrés – comme dans un moulin. On voyait un garagiste turc qui se faisait payer par les Assedic la constitution de sa société de réparation automobile. Mais on voyait aussi qu’il ne versait rien à la Sécurité sociale. Non plus que la coiffeuse chinoise, laquelle, pendant que son salaire clandestin est viré en Chine, trouvera probablement dix associations pour défendre son droit à la couverture sociale à Paris.
Il est un droit que le peuple français exerce avec beaucoup de constance en ce moment, c’est celui de se taire, mais on peut se demander si son zèle ne va pas s’émousser.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3451 paru le 17 Janvier 2003

Au-delà de l'écran

Qui veut rembourser des millions ?
Lors d’une réunion de Sivom à laquelle j’assistais comme élu d’un humble village, un nouveau concept d’émission m’a traversé l’esprit. Devant l’accablement de certains maires qui ont hérité d’un endettement vertigineux contracté dans les années Jospin, il faudrait suggérer à Jean-Pierre Pernaut de s’entendre avec Jean-Pierre Foucault pour créer un jeu destiné à renflouer les caisses communales dévastées par vingt ans de subventions pousse-au-crime, de projets m’as-tu-vu, de déchetteries hors de prix, de rapports surfacturés, de logiciels informatiques dépassés, de commandes de matériel obsolète obtenu grâce à un “proche de la mairie”.
Après avoir donné le nom d’un affluent de la Seine et répondu “C’est mon dernier mot, Jean-Pierre”, les élus raconteraient comment, dans l’hypothèse d’un triomphe, ils emploieraient le bel argent de la télévision. Pour commencer ils pourraient sortir de la tutelle de la Cour des comptes. Ensuite ils recruteraient leurs agents municipaux sur la seule foi de leur efficacité sans se soucier de clientélisme. Ils pourraient choisir leurs fournisseurs, résister aux pressions qui les accablent lors des appels d’offres, éviter de se faire plumer sur recommandation du conseil général par des officines qui proposent des contrats de maintenance dix fois plus chers qu’ailleurs. Ils résisteraient aux représentants qui cherchent à caser des cascades de leasing (photocopieuses, véhicules, etc.) à des communes de moins de mille habitants qui ont déjà du mal à payer leur assainissement. Ils feraient fructifier un pécule en prévision des procès intentés par les touristes pour défaut de panneau “Attention, ça mouille” au bord de la rivière.
En un mot, ils seraient à l’abri du sort qui guette les communes quand elles sont gouvernées par les esprits faibles, lesquels ne connaissent qu’une devise : “Déjà qu’on est pauvre, y manquerait plus qu’on se prive !”

Service compris
Il reste une autre solution à la disposition de ceux qui auront échoué aux éliminatoires : renflouer les finances publiques en invitant leurs administrés à faire de la figuration dans une émission de télé-réalité américaine. Déjà auteur de l’Ile de la tentation, Fox a lancé Qui veut épouser un millionnaire ? qui n’a pas connu la même fortune. L’émission proposait à douze candidates de décrocher un homme riche. Le concept nous revient mais désormais la France fait partie du casting ; ce n’est pas nous qui épousons, mais nous fournissons le château et le personnel en livrée (avec lequel notre pays se confond plus ou moins). L’émission s’appelle Joe Millionnaire. On a choisi un bel homme qui joue les wonderboys exilés chez nous. En fait il n’a pas un sou : la gagnante verra son prince charmant se transformer en crapaud en direct. On espère que l’amour triomphera, que les recettes seront conséquentes et que le pourboire du personnel ne sera pas oublié.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3383 paru le 28 Septembre 2001

Au-delà de l'écran

Une balle dans le sac
C’était une image si émouvante et symbolique qu’on nous l’a resservie deux fois en une semaine : celle d’une femme afghane couverte de cette étoffe grossière et délavée qui ressemble à un sac postal, et qu’on tuait à bout portant dans un stade bondé, comme ça, d’une simple balle dans le sac. L’émotion naissait non seulement des circonstances, abjectes, du sourire de ces hommes aux dents blanches (dont, rappelons-le, l’un des sports nationaux consiste à jouer au polo avec un cadavre de mouton), mais du fait que cette femme, déjà privée de visage pendant sa vie, le fût dans la mort. Ce n’est pas nouveau, dira-t-on. Maintenant que l’émotion a fait une place légitime à la colère, on nous rabâche les innombrables traits de barbarie dont certaines philosophies politiques et religieuses se rendent encore coupables, fidèles à leur tradition millénaire, elle-même flattée par une démagogie beaucoup plus récente. On nous rappelle que la corruption et la cruauté avaient cours depuis des années en Arabie saoudite. Mais qui les a laissés s’autofinancer pendant quarante ans ? Qui a fait, de cette famille Ben Laden, la version djellaba du clan des Siciliens ? Qui a donné, comme dans James Bond, les clés du monde moderne à des maniaques richissimes qui vivent dans des grottes et qui concilient la pratique d’Internet avec celle de la torture ?
L’amour aura certainement raison de ceux qui le haïssent. C’est écrit, l’histoire le veut, le raffinement de la conscience humaine depuis vingt ou trente siècles exige que ce qui l’entrave soit balayé, retourné, ce qui rend la perspective de cette guerre un peu vaine, parce qu’on sait que la haine s’apaisera, comme tous les cinquante ans, après quelques corvées préalables. Le moment venu les historiens devront toutefois se demander pourquoi, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, on a tant incité de peuples à disposer d’autrui, et qui l’a fait, et pour quel bénéfice. Mais pour l’instant, il est malvenu de poser la question.

Cafouillages
Certains “directs du Pentagone” de France 2 sentaient l’amateurisme : on voyait par exemple Etienne Leenhardt aviser un passant par hasard et lui taper sur l’épaule. L’inconnu se retournait, manifestait une surprise entièrement affectée, répondait à la question avant que le journaliste ait fini de la poser (de crainte sans doute d’oublier la réponse qu’il avait préparée), on s’apercevait alors que l’interviewé portait de surcroît une chemise patriotique assez burlesque, genre “stars and stripes”, qui était certainement la seule raison pour laquelle on l’avait distingué dans la foule. Tout cela faisait un peu pitié pour la première chaîne publique. Quant à Daniel Bilalian, censé visionner les reportages de son journal avant de le présenter, il nous a donné du « Roudi Gouliani » pendant une demi-heure (pour Rudi Giuliani), alors que tous ses journalistes prononçaient le nom correctement. L’oreillette était sans doute en panne…
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3452 paru le 24 Janvier 2003

Au-delà de l'écran

Tribu majoritaire
Désormais, lorsqu’on félicite un producteur de ce qu’il n’a pas fait ses courses à Los Angeles ou à Sydney, il faut rester prudent car même les émissions qui passent pour franchouillardes (Lagaf) peuvent dissimuler une licence américaine.
A première vue, ce n’est pas le cas de Vis ma vie ou de Stars à domicile. Les deux idées sont intelligentes. La première pourrait sans doute l’être un peu plus, la seconde souffrirait de l’être davantage. Dans Vis ma vie, un directeur de salon de coiffure passe une semaine chez un éleveur de porcs (et inversement), un mondain fréquente des motards ou des dockers, une mère de neuf enfants fait les boutiques de la place Vendôme avec un mannequin vedette, etc. La présence de la caméra est un peu encombrante et les dialogues d’un naturel douteux. Mais le choc est indiscutable. Il divertit et fait réfléchir. En tout cas, l’émission s’est donné pour ambition de réduire les préjugés entre les différentes tribus – terme qu’emploie Thierry Ardisson sur son nouveau plateau, pour dresser, lui, le portrait de la population française dans sa diversité. Or la diversité dont il nous parle n’affecte qu’un millième de nos contemporains. Les autres sont invités à la regarder en silence. La tribu la plus nombreuse en France (et de loin) rassemble des gens qui ne portent pas d’anneaux dans le nez ou de plumes dans le derrière. On l’appelle la majorité. Elle est silencieuse, mais ce n’est pas par lâcheté. C’est par politesse. On y retrouve des gens fort divers eux aussi, mais qui refusent d’infliger leurs particularités à leurs contemporains.
L’émission Tribus, par son étalage d’extravagances assez pénible, présenté sur un ton docte qui l’est encore plus, a pour objet principal de heurter la majorité. Elle le fait, de surcroît, sur le service public, c’est-à-dire avec son propre argent. C’est un peu comme si l’on procédait à une quête auprès des associations religieuses pour doubler la surface d’un sex-shop. Dans le privé, on donnerait trois semaines à un concept aussi stupide. Mais le secteur public est si démocratique que l’émission Tribus peut durer trois ans.
Stars à domicile a choisi de flatter plutôt ce qui réunit les gens que ce qui les divise. Dans le contexte actuel, c’est à la fois plus légitime et moins téméraire. Il s’agit d’inviter une vedette à pénétrer, par surprise, dans la vie quotidienne d’un de ses admirateurs. Très orienté bourgeoisie moyenne (on ne voit guère de petites gens), ce divertissement ne manque pas d’heureux moments parce que l’émotion qui s’en dégage est plus profonde qu’il n’y paraît d’abord.

Du côté de chez Mickey
D’une journaliste de France Info, cette précision à propos d’une localité où l’on déplore une disparition : « Guermantes est un petit village à côté de Disneyland. »
C’est connu, l’œuvre de Proust annonce le Roi Lion. Dans le genre cuir, Mme de Saint-Euverte n’eût pas fait mieux.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3453 paru le 30 Janvier 2003

Au-delà de l'écran

Rien à cacher
Envoyé spécial nous décrivait récemment un cas exemplaire, celui de l’affaire Gemplus. L’espionnage industriel ne prend même plus la peine de se cacher, tant l’angélisme et l’aveuglement sont devenus la règle dans nos rapports avec les Américains. Chez nous, un auteur peut encore se hisser en tête des ventes avec un titre du genre De l’antiaméricanisme considéré comme une maladie mentale. Certes, il y a aussi Après l’empire, d’Emmanuel Todd, qui connaît un grand succès, mais peu de gens s’en font l’écho dans les médias, pour ne pas attirer l’attention sur les errements de la morale américaine. On préfère produire sous les caméras la paranoïa de Jean-Pierre Petit, auteur d’un livre ahurissant sur les armes secrètes du Pentagone. Il est venu nous effrayer dans l’émission de Bernard Tapie sur le ton : “Ils sont déjà parmi nous.” On ne savait trop s’il parlait des petits hommes verts ou des agents secrets.
Or, quand on y réfléchit, il n’est pas besoin d’avoir recours aux rumeurs sur la zone 51 pour s’apercevoir que les Américains ont quelque chose à nous cacher. Ce qui devrait nous préoccuper, c’est que, pour notre part, nous n’ayons plus aucun secret pour eux. Comme en témoigne l’affaire Gemplus, le degré de transparence qu’on nous impose au nom du libéralisme est sans commune mesure avec l’opacité qu’on nous oppose au nom de la raison d’Etat.

Plus de secrets
L’exemple le plus criant, qui n’a fait l’objet pour l’instant d’aucune émission, qui laisse nos députés indifférents, est celui d’un fournisseur d’accès Internet, une société d’origine américaine qui jouit du privilège exorbitant de pouvoir envoyer à l’étranger les courriers, les relevés de connexion, les informations marketing, en somme tout ce qui s’échange sous sa bannière et sur notre territoire. Il suffit de demander ce qu’on appelle un traceroute pour s’aviser que la ménagère du Havre qui commande à La Redoute, le scientifique de Grenoble qui adresse un rapport à douze collègues du CNRS, et jusqu’à votre serviteur lorsqu’il envoie sa chronique de la semaine, font un détour par… la ville de Reston, en Virginie. La société a d’ailleurs l’honnêteté de vous en prévenir. Non seulement par contrat, mais parce qu’elle pratique la transparence : la preuve, elle est le deuxième fournisseur d’accès en France, mais elle s’appelle toujours America Online.

Destins felliniens
L’émission le Plus Grand Cabaret du monde présente depuis plusieurs années ce qu’on appelle des numéros internationaux, notamment grâce à la multiplication des artistes venus de l’Est. En voilà qui n’ont que leur talent pour conquérir le monde. Au cours de l’hommage rendu à deux magiciens disparus, on a pu éprouver la poésie de ces destins
felliniens qui s’interrompent sur un coup de chapeau et qui nous rappellent au nôtre, un peu abruptement.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3454 paru le 7 Février 2003

Au-delà de l'écran

Un temps pour tout
S’il en était besoin, l’histoire d’AZF prouverait qu’il y a un temps pour tout, et surtout pour avoir raison. On nous expliquera bientôt que le public n’était pas préparé, il y a un an, à lire les rapports d’expertise, à affronter l’évidence d’une dérive conformiste du système médiatico-judiciaire. Le peuple n’était pas mûr pour entendre parler d’aveuglement, de vérités recommandées, de recherche d’un coupable idéal, d’instruction menée sur des mots d’ordre orientés à propos des “profits” plus que sur les faits.
Ce n’est pas le seul sujet sur lequel Valeurs Actuelles aura tourné le dos à la pensée unique. Il y eut aussi le rôle social négatif de la série Taxi à propos duquel on pouvait lire dans cette humble chronique : « Un pays qui laisse tourner et vendre des films où l’on circule dans les rues de Paris à 200 à l’heure a-t-il le droit de se plaindre que les voyous fassent la course le samedi sur les bretelles d’autoroute ? »
C’était il y a dix-huit mois. A cette époque-là, remettre en question le degré de civilisation véhiculé par la mythologie Taxi relevait de la provocation réactionnaire. La plupart des magazines consacraient des doubles pages à la voiture et au film. Même dans les journaux conservateurs, le nombre d’entrées des produits Besson semblait justifier à lui seul des scènes comme celle où le héros avance à la hauteur d’une voiture de police à bord de son propre véhicule et lance à ses occupants : « Alors, ça va, les p’tits pédés ? »
Tant qu’on y est, prenons date pour les revirements futurs : c’est ici aussi que l’on dénonçait les jeux vidéo où l’on torture ses adversaires. C’est ici que l’on réclamait de soigner la tentation de la violence au stade de la maternelle.

La mode change
Sous la pression des événements, la mode est en train de changer. VSD prend la tête d’une croisade antiviolence routière à propos de la sortie de Taxi 3. M 6 organise une soirée spéciale. France 2 nous inflige un genre de Grand Echiquier à la sauce prévention routière. Que se passe-t-il ?
C’est tout simple, les promoteurs de la violence au cinéma, de l’esthétique déjantée sont en train de subtiliser le discours de la raison à ceux qui le tiennent déjà depuis vingt ans. L’opinion publique réclame plus de civisme, d’ordre et de sagesse. Les gens commencent à s’apercevoir qu’il n’est pas indifférent d’infliger tant de laideurs aux enfants, de traiter les pères comme des toutous dans la publicité, de rendre les adultes ridicules, les institutions haïssables, les hommes politiques cupides, etc.
Il devient donc urgent de doubler ceux qui l’avaient bien dit. Comment faire ? Il suffit de le dire à leur place afin de ne pas avoir à leur céder le micro. Pour s’arroger la paternité d’un discours qu’on n’a jamais tenu, il ne suffit pas d’en dépouiller les auteurs, il faut occuper le terrain. Certains s’y entendent à merveille, mais pour combien de temps ?
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3455 paru le 14 Février 2003

Au-delà de l'écran

Icare et les “sunlights”
L’un des phénomènes les plus constants des dix dernières années à la télévision est le besoin de faire accéder n’importe qui à la gloire en quelques jours, comme la bergère accède au château royal, ou le crapaud à la fille du roi, dans les contes de Grimm. Or le fond de morale qui subsiste en chacun de nous veut s’entendre rappeler que les contes de fées sont une illusion, principe qu’ont bien compris les “gens des médias” puisqu’après avoir promu les nouvelles gloires ils les descendent, avant de leur tendre le micro sur le ton : “Que vous est-il arrivé ?” ou, pire encore : “Il nous revient avec un nouveau spectacle après dix ans de galère.”
Jean Roucas vient de faire l’objet de ce traitement dans l’émission de Julien Courbet.
« Il était au sommet, il vendait des millions de disques, tout s’est écroulé dans sa vie, il est avec nous sur ce plateau » (Applaudissements).
Soyons justes, le concept a été largement exploité aussi par Thierry Ardisson, Mireille Dumas et les autres, mais pourquoi avec tant d’insistance ? Parce qu’après avoir promu, fêté, adulé une vedette il faut donner au peuple son content de retour à la morale en montrant que le chanteur “a pris la grosse tête”, qu’il a donc trébuché et que tout est rentré dans l’ordre. C’est alors seulement que l’identification, clé de l’Audimat et des recettes publicitaires, peut fonctionner à fond. Observons cependant que la fable éternelle du voyage d’Icare tend à nous être projetée en accéléré, de sorte que nous n’aurons bientôt plus qu’un condensé de l’ascension et de la chute, qui se déroulera sous nos yeux pratiquement en direct. C’est Reine d’un jour à la sauce Starac. Prenez Jean-Pascal, l’antihéros de la Star Academy n° 1. Nous apprenons en ce moment (non sans satisfaction) que sa tournée fait un bide. Son personnage commence à lasser “grave, et même limite super-grave”, comme dit son public. On peut donc s’attendre à ce que la production de TF 1, avant la fin de l’année, organise un “spécial déchéance de Jean-Pascal”. Celui qui se fait appeler Jipé viendra analyser les conséquences de son humour à la Cantona. On lui donnera une chance de faire un come-back avec un dernier single, il promettra en vain de s’amender et hop ! rendez-vous dans dix ans, quand il sera devenu agent immobilier. En attendant, vous pouvez consulter le chapelet de ses idioties sur le site de ses détracteurs : http://membres.lycos.fr/jpascal2/

Cro-Magnon
Incidemment une émission récente me revient en mémoire : un “bêtisier du direct” où justement Cantona prenait à partie deux journalistes sur un plateau, à l’aide d’un vocabulaire du genre “j’te pisse à la raie, toi” (sic). Cette séquence (applaudie chez Arthur) en dit long sur le degré de complaisance des médias à l’égard des invités dont le QI relève des travaux d’Yves Coppens. Nous ne manquerons pas le come-back de Cantona chez Courbet, dès qu’il aura effectué ses dix ans de galère.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3456 paru le 21 Février 2003

Au-delà de l'écran

Revue de mauvaise presse
Quand on pratique suffisamment l’Amérique pour se garder des pratiques américaines, quand on comprend l’anglais sans toujours comprendre les Anglais, on passe en ce moment des après-midi formidables devant la télévision. Des après-midi, parce que le décalage horaire oblige à regarder les chroniques de Fox News aux heures de bureau. A moins qu’on ne veille au-delà de minuit, pour assister aux imprécations de Bill O’Reilly, sorte de père Fouettard à la sauce Stars and Stripes.
Nous faisons l’objet sur les ondes américaines d’un tir nourri et convergent. Les diatribes se rapportent pour la plupart à notre dette historique après la chute du nazisme, mais on voit se dessiner un autre sujet d’aigreur à propos de la France : la question qui revient souvent n’est pas “Qu’est-ce qui lui prend ?” mais “Pour qui se prend-elle ?”
Notre pays joue les redresseurs de torts, nous dit-on, mais pour que l’offense soit perçue comme si grande, il faut qu’il y ait des torts. La contre-attaque est si vive qu’on pourrait croire que le monde médiatique américain est installé dans une vérité totalitaire. Afin de nous convaincre davantage de notre erreur (pour un peu, on nous dirait qu’elle relève de la psychiatrie), on nous cite les Etats européens qui ont apporté leur soutien à George W. Bush. Et comme par hasard, les plus obligeants d’entre eux achètent leurs avions de chasse à Washington.
Charles Krauthammer, éditorialiste à Fox, ne voit aucun inconvénient à ce qu’on mette la France au ban des nations, car notre pays est selon lui coupable d’avoir “provoqué” le sien.
Quant à O’Reilly, qui présente un billet quotidien à 20 h 30, il appelle carrément à faire le siège de l’ambassade et de toutes les représentations françaises.
Notre ambassadeur fut d’ailleurs convoqué sur PBS (l’Arte américain) pour justifier notre position ; tâche dont il s’est acquitté avec un flegme qu’on ne manquera pas de trouver arrogant, car nous sommes en pleine spirale antifrançaise : le New York Times propose carrément à ses lecteurs un “glossaire de la francophobie” et Chirac est traité de “pygmée” par le Wall Street Journal.

Sourire non compris
L’émission Complément d’enquête s’est penchée sur une autre mauvaise presse, celle des Antilles françaises, qui souffrent en ce moment de la comparaison avec la République dominicaine. Les caméras de France 2 ont suivi une famille de vacanciers de Bar-le-Duc dans un hôtel tout-compris. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’équivalent en Guadeloupe n’aurait pas été forcément assorti du même sourire. Les doléances du groupe Accor n’ont fait qu’entériner une dérive qu’un bon million de vacanciers métropolitains avaient déjà constatée sur place et qui, dans la France socialiste sourcilleuse des années 1980, se résumait en privé par la phrase : “On ne peut plus rien leur dire.”
A force de ne plus rien pouvoir leur dire, on n’y va plus.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3457 paru le 28 Février 2003

Au-delà de l'écran

Madame de
Commentaire admiratif d’un reportage sur Mme de Fontenay : « Geneviève conduit sa voiture avec dextérité. » Vous vous rendez compte ? Madame conduit “elle-même” sa voiture, et de surcroît avec dextérité ! L’émission de Mireille Dumas nous a infligé le dix-huitième portrait de l’impératrice du tour de taille, en lui posant des questions du genre : « Le côté vieille France-bonnes manières, vous n’avez pas trop de mal à l’imposer ? »
Il suffisait d’écouter l’émission du fond de son salon pour se rendre compte, à l’oreille, du ridicule de cette question. Car la voix gouailleuse et traînante de Mme de Fontenay ne plaide pas pour la vieille France stricto sensu, à moins qu’on ne parle de celle de Marcel Carné ou de Pierre Mac Orlan. Non plus que sa tenue vestimentaire : voilà trente ans qu’elle semble apprêtée pour le Derby d’Epsom dans le film My Fair Lady, où les dames affectent l’élégance anglaise pour flatter l’imagination américaine. Quant au penchant de Geneviève de Fontenay pour Arlette Laguiller, il n’évoque pas non plus la France des châteaux mais plutôt celle des plateaux.

Chienne de vie
Sur la chaîne voisine, à la même heure, des histoires de maîtres dominés par leurs chiens nous rappellent de manière anecdotique mais inquiétante que les hommes ont perdu les règles de la hiérarchie, tandis que les animaux, eux, en ont gardé l’usage. En d’autres termes, les animaux connaissent le moyen de reconnaître le dominant et le dominé afin d’asseoir une vie communautaire pacifique. Et quand, dans une relation entre l’homme et le chien, pour obéir à une mode sociale haïssable, l’homme décide désormais de ne rien imposer à l’animal pour ne pas jouer les réactionnaires, le chien montre les dents parce qu’il n’a pas les mêmes valeurs en politique.

Vertige instantané
Vue dans Strip-Tease, une jeune femme de vingt ans qui quittait sa mère pour se mettre en ménage avec un jeune Corentin, un petit brun à casquette qu’on devinait d’origine maghrébine en dépit de son prénom. On soupçonnait qu’il s’agissait peut-être d’un enfant adopté, ou né dans une famille ultra-intégrée, mais soudain l’émission, dont c’est le principe, nous livrait un instantané qui donnait le vertige. La jeune fille disait se méfier du mariage. « Tout de même, répondait Corentin, il nous faudrait en discuter plus sérieusement, parce que dans ma religion, le mariage c’est sacré. »
« Ta religion ? s’écriait-elle. Mais tu n’en as aucune, ne fais pas ton malin. » Et en quelques secondes, on comprenait qu’en effet, il n’avait probablement aucune religion, et qu’il se référait au caractère sacré du mariage pour plaire aux musulmans et parce que la caméra tournait.
Voilà qui n’annonce rien de bon pour la laïcité dans la vie sociale des générations futures.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3458 paru le 7 Mars 2003

Au-delà de l'écran

Semaine italienne
Trois amis transalpins m’auront incité, cette semaine, à exploiter l’extraordinaire variété des chaînes italiennes sur TPS et à zapper de Rome à Milan presque chaque soir. Impression générale : leur spontanéité laisse pantois. (Chez nous, à l’exception des émissions politiques, Marc-Olivier Fogiel est à peu près le seul à prendre le risque du direct comme on l’a vu face à Alain Delon, lequel ne dédaigne pas ce genre d’exercice et s’en est fort bien tiré.)
Ma découverte est une émission de Canale 5 nommée Stricia la Notizia (“Nouvelles brèves”), qui propose tous les soirs un commentaire de l’actualité sous un angle divertissant. D’abord, elle a recours à deux présentatrices en string qui relèvent l’intérêt du journal en montant sur le bureau pour jouer les cariatides de l’information. Ensuite, l’un des journalistes possède un aimable petit chien, Willy, qui se promène lui aussi sur le bureau de temps à autre, ce qui fait beaucoup de monde, car derrière le bureau il y a les duettistes Greggio et Iacchetti, qui pratiquent un humour à la Vialatte.
Le clou du spectacle est l’attribution du Tapir d’or. Derrière le décor, sur une étagère, on voit des statuettes stylisées comme un oscar hollywoodien représentant cet animal qui ne passe pas pour un phénix chez les mammifères.
Le champion de la sottise une fois désigné, un journaliste lui tombe dessus pour lui remettre son Tapir d’or sous la caméra. Certains protestent, d’autres essaient de faire bonne figure, la mésaventure ressemble aux “entartages”, en moins bref mais en plus cruel. (Alberto Tomba, le champion de ski, vient d’être récompensé pour avoir falsifié grossièrement la date de son passeport après une rebuffade à l’aéroport de Rome. Et le ministre de la Culture italien pour avoir confondu Michel-Ange et Raphaël.)
On se prend à imaginer qui, chez nous, mériterait le Tapir du jour. L’actualité politique et la vie des médias fourmillent de candidats, mais j’aimerais suggérer, au débotté, le nom d’Evelyne Thomas.

Tapir de platine
Je lui décernerais même le Tapir de platine incrusté de diamants pour son numéro de C’est mon choix intitulé : “Son père a choisi un homme pour elle, va-t-elle craquer pour lui ?”, sorte de réédition de Tournez manège à la sauce psy. En résumé, il s’agit pour une jeune fille de choisir son fiancé parmi une douzaine de jeunes gens qui doivent plaire à son père… L’émission est une singerie des étapes sociales qui préludent au mariage, filmées en accéléré sur le ton du Maillon faible et présentées par une femme dont la popularité ne laisse pas d’inquiéter.
Pourquoi ? parce qu’elle ressemble à Martine Aubry. Une Martine Aubry qui aurait changé de coiffeur, qui travaillerait à l’oreillette pour corriger ses fautes de français (la vraie ne s’y est jamais résolue) et qui se prendrait pour une missionnaire de la modernité sous prétexte que les sondages lui sont favorables.

Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3459 paru le 14 Mars 2003

Au-delà de l'écran

Télévision domestique
On se demande quelle pudeur a saisi Edwy Plenel à l’instant d’organiser la défense de son journal et celle de ses coaccusés dans l’affaire du livre de Péan-Cohen. Oui, on se demande pourquoi il a éprouvé le besoin de se faire inviter par Guillaume Durand, puisqu’il nous a donné la preuve, en maintes circonstances, qu’il lui suffisait d’organiser un débat à la dévotion de ses thèses sur LCI, dans l’émission qu’il dirige (le Monde des idées), et d’y convier à la fois Alain Minc et Jean-Marie Colombani. Ils auraient pu se livrer sous son regard pétillant de malicieuse indulgence à une discussion hautement contradictoire sur le ton : “Ce qu’il y a d’inadmissible dans le livre de Péan, etc.” – à quoi l’autre aurait répondu : “Je ne suis pas du tout d’accord avec vous, ce n’est pas inadmissible, c’est scandaleux.”
Ceux qui ne croient pas qu’une telle mascarade soit possible en France n’ont jamais vu le Monde des idées, cette émission de téléachat idéologique que le monde médiatique envie à LCI, au point que Guillaume Durand était tout content, l’autre soir, de s’inspirer des mêmes méthodes dans Campus en invitant un journaliste du Nouvel Observateur et un chroniqueur de Marianne à mettre le triumvirat du Monde sur le gril. Vous parlez d’un gril. Quelqu’un aurait dû s’excuser d’avoir oublié les allumettes.
Il ne s’agit pas ici de commenter l’affaire sur le fond. Malgré le livre, elle est loin d’être instruite. Mais il est permis de commenter la forme. On a le droit de souligner le rôle douteux que joue Campus, depuis sa création, dans le relais télévisuel des préférences littéraires du Monde. Une nébuleuse de spécialistes du “coup de cœur” s’est constituée à l’écran au fil des ans. Elle promeut toujours les mêmes livres, les mêmes thèses, les mêmes auteurs. Dans le cas d’Alain Minc, l’affaire est encore plus caricaturale puisque la condamnation dont il a été l’objet pour plagiat est passée sous silence d’un accord unanime. Certes, elle n’est pas la seule à avoir été prononcée dans les dix dernières années, mais elle est la plus grave. L’omniprésence de l’auteur sur les plateaux permet de souligner combien la domestication de la télévision est un fait historique. Quand on se souvient des débuts de Guillaume Durand et de la campagne d’affichage qui vantait son insolence sur La Cinq, on s’esclaffe.

Le cormoran et l’olivier
On s’esclaffe aussi devant les acrobaties des journalistes pour trouver une sortie de reportage. Maryse Burgos, à Bagdad, en concluant un sujet sur la guerre, n’a rien trouvé de mieux que de faire une allusion appuyée à la colombe de la paix pendant que l’opérateur filmait, dans les bras d’un enfant… un cormoran de trente centimètres ! A ce degré d’à peu près, on peut imaginer n’importe quoi : tourner un sujet sur le Koweït à Marseille, par exemple. Ou faire passer Campus pour une émission impertinente.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3508 paru le 20 Février 2004

Au-delà de l'écran

Acte manqué
Nous avons appris que la rédaction de France 2 blâmait sa direction au motif que cette dernière aurait commis une erreur dans l’affaire Juppé. Lorsqu’Olivier Mazerolle (qui n’a pas vraiment la tête d’un étourdi) laisse annoncer le “retrait progressif” d’Alain Juppé, c’est donc par inadvertance. Et la rédaction tout entière dans son communiqué prétend y voir « un effet pervers de la course à l’audience ».
Et si cette histoire relevait plutôt de ce qu’on désigne en psychiatrie un acte manqué ? Certaines inadvertances expriment parfois un vœu caché (en l’occurrence celui qu’Alain Juppé quitte la vie publique). Qui s’étonnerait de voir France 2 devancer les faits sur ce thème ? La partialité de la chaîne explique, depuis longtemps, la faible audience de ses journaux. (Souvenons-nous par exemple de ses comptes rendus de campagne en faveur d’Al Gore.) Cette télévision, payée par le peuple en son entier, flatte les préférences politiques de la seule moitié qui l’intéresse. Le soir de la motion de défiance, l’équipe du journal s’est d’ailleurs offert le luxe d’un silence stalinien, illustrant davantage encore la réalité de ce qu’on lui reproche et la profondeur du changement qui s’impose.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3460 paru le 21 Mars 2003

Au-delà de l'écran

Le lundi au soleil
Certains soirs, on commet l’imprudence de lire son journal en regardant la télévision par-dessus ses lunettes. On écoute trois mesures d’une chanson et on passe une heure à rêvasser devant un scintillement de paillettes, incapable de lire, de se lever, de couper le poste…
La soirée spéciale de TF 1 consacrée à Claude François suscitait une vague nostalgie. Nostalgie ne veut pas dire regret. Il n’y a pas lieu de regretter cette époque ridicule mais, pour nombre d’entre nous, les années 1970 ont été des années de jeunesse. Nous avions beau maudire l’insignifiance des variétés, préférer tout et n’importe quoi au vacarme des 45 tours, force est de constater que les chansons de Claude François s’accrochent aux moindres épisodes de notre vie comme les graines de bardane aux manches des pull-overs. Le matraquage musical comporte les mêmes effets que son équivalent idéologique. Au moment où nous apprenons que 40 % des Russes trouvent Staline pas si mal, nous nous prenons à fredonner le Lundi au soleil qui nous rappelle la France où les patrons roulaient en DS et les ouvriers en Simca.
La chansonnette à la Clo-Clo a disparu, comme le “tut-tut-tut” de la recherche du correspondant téléphonique, le “ding” des portes de métro, les Vélosolex, les Mobylette bleues, le café Mokarex et le Végécao. Désormais, c’est la chanson marketing qui tient le pompon. Le producteur est devenu chef de produit. L’un des rares mérites de la rétrospective présentée sur TF 1 était de faire défiler les têtes de gondole d’aujourd’hui comme interprètes des “clo-cloteries” d’hier : de Priscilla, gamine extrêmement pénible qui commence toutes ses phrases par moi je, aux candidats de la Star Academy qui répètent : « C’est clair quoi », on avait l’impression d’une continuité parfaite avec la démarche du héros posthume de la soirée. Claude François, fondateur d’un magazine nommé Podium, visait déjà, en 1978, les analphabètes de treize ans éperdus de fascination pour les stars, les bombardait de wow, de tutoiements, de questionnaires pour désigner la “super-fav” (favorite). Il a compté, dans ses dernières années, parmi les marchands de renommée les plus cyniques. Il fut l’un des précurseurs du système où les adolescents croient qu’il n’y a plus qu’une seule façon d’être aimé, c’est de devenir célèbre. Alors nostalgie, oui, peut-être, mais reconnaissance certainement pas !

SOS impôts
Vu chez Jean-Marc Sylvestre sur LCI, Robert Matthieu, ancien apparatchik du système fiscal français, qui fait une seconde carrière en permettant au grand public de déjouer les abus des contrôleurs. Il était venu parler de son livre SOS impôts, où l’on peut lire notamment : « La loi sur la délation rémunérée sort tout droit du marais, du sordide, de la médiocrité humaine. » Voilà un sujet qu’on n’a guère abordé chez Delarue ce me semble, et qui ne tente pas non plus Julien Courbet.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3461 paru le 28 Mars 2003

Au-delà de l'écran

Concours général particulier
« Ma spécialité sera le scoutisme », annonce un élève de troisième intimidé par les projecteurs. Les autres défilent en clignant des yeux dans la lumière. Ils énoncent à leur tour leur spécialité : les jeux de société, les œuvres de Tolkien, les Beatles, Tintin. En fin de liste, un adolescent s’annonce spécialiste de mythologie égyptienne et un autre des Incas. Ils se sentent un peu gênés, forcément, au milieu de tous ces érudits à la mode nouvelle, imbattables sur les groupes de rock et les championnats de foot. Par chance, ils sont éliminés tout de suite, sur des questions du genre “complétez le refrain de la chanson de Jean-Pascal”. Oui, vous avez bien lu, pour avoir le droit de rivaliser de culture avec les finalistes du Grand Concours des enfants, il fallait savoir des choses aussi indispensables et universelles que celle-là. (Pour ceux qui n’auraient pas suivi, Jean-Pascal est ce garçon qui a été propulsé par le public jusqu’à la finale de Star Academy, malgré des dispositions assez rares, je veux dire d’une telle rareté qu’on les a cherchées en vain pendant dix semaines. On lui a écrit une chanson, un tube de plage pour cerveaux spongiformes, et c’est donc sur les paroles de ce chef-d’œuvre que les vingt-quatre candidats au concours général façon TF 1 ont dû plancher pour franchir le premier tour.)
Carole Rousseau, la présentatrice, avait ouvert l’émission sur les mots : « Il est temps de célébrer l’intelligence et la connaissance. » On a espéré l’une et l’autre en vain toute la soirée. Chaque candidat est venu débiter un discours liminaire façon Miss France, et je ne résiste pas au cruel plaisir de vous citer celui-ci : « J’pense que les générations à venir auront encore plus besoin de savoir des choses que nous. »
Ça paraît évident, ne fût-ce que par instinct de conservation, mais est-on vraiment sur la bonne voie ? Parmi les finalistes, il y a eu un spécialiste des Beatles et un de Tintin. Je ne me souviens plus de la spécialité de la gagnante, mais une chose est certaine, ce n’était ni la peinture baroque, ni la vie de Gabriel Fauré. A la question : « Est-ce que tu pensais que tu serais lauréate ? », elle a répondu : « J’sais pas, j’réalise pas, de toute façon. » Nous non plus.

Peloton de marine
Au journal de TF 1, le 19 mars, un banc-titre intéressant : “les fusillés marins britanniques”. Le 20 Heures doit recruter ses stagiaires parmi les lauréats du Grand Concours des enfants.

Un dimanche comme les autres
Prime time sur les trois chaînes principales, l’autre dimanche : TF 1, Une journée en enfer (les chantages d’un maniaque de l’explosif en milieu urbain) ; France 2, le Collectionneur (un policier traque un tueur en série) ; France 3, Inspecteur Barnaby (un autre policier traque un autre tueur en série).
Quand on pense que le moindre micro-trottoir déplore la généralisation de la violence, on se demande où les gens vont chercher tout ça.
Christian Combaz







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Valeurs Actuelles n° 3384 paru le 5 Octobre 2001

Au-delà de l'écran

Une lacune
La tendance à préférer les fictions policières à toutes les autres, à se repaître sans cesse du spectacle, de l’analyse et de la sociologie du crime, la propension générale à confondre littérature et suspense, art et polar, tragédie et documentaire, ont fait la fortune des producteurs d’histoires de flics à la télévision.
Le nombre des séries décrivant un service de la police judiciaire, un commissariat, une brigade spécialisée, un cabinet de juge devient non seulement écrasant mais préoccupant. Il introduit en effet dans l’offre de programmes une distorsion au bénéfice des œuvres qui donnent de la nature humaine une vision détestable. L’humanité finit par se réduire à une poignée de psychopathes violents, de petits dealers, de go-go girls qui veulent tout arrêter pour ouvrir une boutique d’esthéticienne, de travailleurs sociaux spécialistes de la réinsertion, etc.
Du côté des flics, c’est pareil : nous finissons par savoir davantage comment fonctionne un commissariat qu’une laverie automatique. (Le vocabulaire de ces gens-là, ordurier du haut en bas de la hiérarchie, permet d’ailleurs de constater que le concours de commissaire de police est incompatible avec la vocation de grammairien.) A moins que la faute n’en revienne aux scénaristes. Si c’est le cas, ce n’est pas la seule.
La distorsion dans la perception du réel s’exerce en effet très en amont. Il existe des brigades spécialisées qui ne font jamais l’objet d’aucun feuilleton. Prenons le GIGN, ses homologues antiterroristes et les services d’enquête de la DST. Leur popularité est très grande. Elle s’accroît sans cesse à la faveur des événements. Les scénarios décrivant la réalité de leur métier feraient des films passionnants. Ils voyagent, jouent avec leur vie pour protéger les nôtres, révèlent des réseaux insoupçonnés, des pratiques effroyables, des risques vertigineux, et pourtant aucun feuilletonniste ne s’intéresse à eux. On serait tenté de croire que la curiosité des scénaristes a pour limites les impératifs de la défense du territoire. En vérité, il est probable que cette lacune trahit une volonté de dissimuler une partie du réel.
Par exemple, depuis cinq semaines, quand les policiers ne ramassent pas des armes de guerre dans les coffres de voiture, les garages de banlieue et même en plein Paris à l’occasion d’un contrôle d’identité, ils sont obligés d’essuyer des tirs de roquettes ou de mitraillette entre le pressing et la boulangerie.
Situation nouvelle ? Tout le monde sait que si l’on canardait moins il y a cinq ans, les armes circulaient tout autant. Les moindres chasseurs de la région de Béziers connaissaient le prix des kalachnikovs.
Alors pourquoi aucun scénario n’a-t-il jamais mentionné ces marchés clandestins, ces rites barbares qui se développent à nos portes, ces marchands de femmes du Kosovo qui mutilent les Ukrainiennes dans la banlieue de Strasbourg ?
Christian Combaz