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Extrait : les vieux et la méditation

 Il y a trente ans, j'ai illustré les mérites de cette vieillesse qui ne consomme pas, qui ne désire rien, qui considère tout avec une compassion distraite parce qu'elle s'apprête à changer de règne.

Il y a trente ans je disais que l'Occident, à force de prendre des pilules pour dormir, prendrait un jour des pilules pour mourir. Nous y sommes. Je n'ai pas changé d'avis, et les faits m'ont donné raison : tout le monde aspire désormais plus ou moins à mourir comme ont éteint la lumière, à condition de "garder une vie active", comme disent les magazines, jusqu'au dernier moment.

 

Or, en même temps, les choses ont évolué aussi comme je l'espérais, c'est à dire dans le bon sens . Après 85 ans, la vie active est un leurre : tout le monde s'en est aperçu. A cet âge-là, le principal intérêt que gardent les magazines, ce sont les mots fléchés. Les vieux consommateurs, les retraités des trente glorieuses ne sont plus les mêmes. Ils ont vieilli. Ils ont moins de forces et moins d'argent. L'illusion du désir est en train de se dissiper dans leur vie. Ils n'ont guère envie d'aller voir la Chine. Pour la plupart, ils n'en ont plus les moyens. Ce qui leur reste, c'est une forme de philosophie que l'on peut appeler méditation, et qu'ils pratiquent en regardant le plafond, leur feu de bois, leur chat ou les chaînes du câble.