Campagnol

(Transcription de l'émission) -- Quand on parle des réservistes de l'Armée, on n'inclut pas les démissionnaires et ceux qui n'ont pas rempilé, pourtant ils sont prêts

Les militaires se fréquentent beaucoup entre eux et quand ils ne le sont plus ça continue, ce qui fait que lorsque vous croisez au café du camp deux ou trois de vos connaissances, elles sont souvent accompagnées, surtout en été, de gens qui ont le même âge, le même profil, la même coupe de cheveux, les mêmes épaules solides, mais qui eux conduisent une voiture blanche avec un siège pour bébé, et viennent boire des bières au bar avec les autres en disant aux amis de passage non moi je ne suis plus en activité.

C'est intéressant comme formulation car un ancien militaire de cet âge ne dit pas toujours qu'il n'est plus militaire, il n'est plus en activité et c'est un peu rassurant de penser qu'il existe donc une réserve hors statistiques. Dans le cas du jeune type auquel je pense le défaut d'activité c'était son principal problème du moment, il vivait sur le salaire de sa femme depuis qu'il avait quitté l'armée mais pour des raisons précises qu'il m'a expliquées pendant que sa fille d'un an jetait son jouet en plastique par terre. Il m'a dit "l'armée c'était l'idéal pour moi, et pour eux, tant que j'ai été célibataire, ça voulait dire l'aventure, les départs improvisés, les remplacements de dernière minute même pendant les vacances, les règles de sécurité pas toujours respectées. J'étais dans la marine, ça a duré cinq ans, et puis j'ai rencontré une fille et là cette vie qui n'a aucun égard pour la vie personnelle du soldat ça devient l'enfer, 200 jours par an en mer, les gardes, les exercices, ça fait que sur un an on passe les deux tiers hors de chez soi. Alors quand ma femme a fait une fausse couche et que le médecin militaire n'a pas voulu signer pour m'éviter de partir en mer ce jour-là, j'ai compris qu'il fallait que je choisisse. Mais je l'ai vraiment compris quand on a voulu me muter dans une autre région, alors que ma femme avait un emploi stable, donc ça faisait beaucoup, 200 jours de mer, les gardes, et une fois à terre être obligé de prendre le train pour rejoindre sa famille une semaine à l'autre bout de la France. Du coup je demande ma démission pour raisons familiales.
Alors là c'est moi qui vous raconte pour faire court, parce qu'en plus il faut lire entre les lignes , on ne voulait pas le laisser partir parce qu'ils étaient très nombreux dans son cas et qu'on n'arrivait pas à recruter assez pour remplacer les candidats au départ. Déjà première information assez inquiétante. Si les gens veulent partir, c'est qu'on leur demande un travail deux fois plus écrasant qu'avant parce qu'il y a deux fois moins d'argent. Ensuite d'après ce qu'il disait, le recrutemement était insuffisant même en acceptant à tour de bras des jeunes non formés, ou déformés, c'est à dire insolents avec les gradés, fumeurs de joints, etc. Au passage on aimerait savoir au bout de combien de temps ce genre de recrues se retrouvent avec un fusil d'assaut entre les bras c'est une parenthèse mais c'est intéressant. Quant au reste après neuf mois notre jeune homme finit par obtenir sa libération si l'on ose dire, et il va pointer à Pole Emploi. Notation impeccable pendant ses années de service, il faut le préciser, donc il pense retrouver facilement du travail et être indemnisé au moins trois mois. Il se dit comme la loi donne le droit au conjoint de démissionner pour suivre une personne mutée, quand on ne veut pas être muté soi-même, on doit pouvoir démissionner légalement par égard réciproque pour le conjoint et pointer au chômage mais pas du tout. En plus l'épouse avait un CDI et notre soldat un CDD, ce qui dans la jeunessee stressée d'aujourd'hui compte énormément apparemment. Le résultat c'est qu'il n'a pas été indemnisé pendant qu'il cherchait son emploi. Il me fait observer une chose évidente, c'est que pour licencier quelqu'un sans indemnité, il suffit de lui proposer une mutation dont on sait qu'elle lui sera impossible. Et là au bar du camp militaire, il y a eu l'un des jeunes soldats qui étaient avec nous à table pour dire que les types partis de leur banlieue égorger du monde en Syrie touchaient des allocs même en semant la terreur là bas, alors qu'un militaire qui a servi 5 ans loyalement sur des théâtres lointains n'a pas droit à trois mois pour retrouver un travail.
Mais le pire est que notre jeune ancien soldat vient de recevoir un sondage ipsos pour évaluer la qualité du service de Pole Emploi. Et là vous avez l'impression que l'administration est une pieuvre dont chacun des bras ignore entièrement ce que fait l'autre.